Esprit du Prix du Style (fondé par Antoine Buéno)

Le Prix du Style (le plus désirable de TOUS les Prix !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!)

Créé par le label littéraire Plume et plomb, le Prix du Style fondé par le sensationnel jeune écrivain Antoine Buéno (à lire absolument !)  a vocation à récompenser, pour sa qualité stylistique, un livre écrit par un auteur vivant, d’expression francophone, paru dans l’année écoulée. Pour sa troisième édition, le Prix du Style sera remis fin novembre 2007, par un jury prestigieux, au restaurant-club Le Lup (2, rue du Sabot, 75006 Paris).

Composition du jury du Prix Marguerite Audoux

Le Prix Marguerite Audoux (http://www.prix-litteraires.net/prix/571,prix-marguerite-audoux.html)

Le Prix Marguerite Audoux récompense un ouvrage de langue française dont l’auteur peut être considéré comme proche de la personnalité de Marguerite Audoux, prix Fémina en 1910 pour Marie-Claire. En 2004, Xavier Houssin a été couronné avec 16, rue d’Avelghem. En 2005, ce fut le tour de Henri Raczymov avec Avant le déluge : Belleville années 50 et en 2006 celui de Françoise Henry avec Le rêve de Martin.

Composition du jury du Prix Fémina

 Le Prix Fémina (http://www.prix-litteraires.net/femina.php)

Le Prix Fémina a été fondé en 1904 par une vingtaine de femmes journalistes de la revue « Vie heureuse » (qui deviendra « Fémina ») pour rendre plus étroite les relations de confraternités entre les femmes de lettres. Il est décerné à une œuvre d’imagination par un jury composé de douze femmes. Le lauréat est annoncé fin octobre ou début novembre à l’hôtel parisien Crillon, quelques jours avant ou après le Prix Goncourt.
Il a notamment récompensé Roland Dorgelès pour Les croix de bois en 1919, Georges Bernanos pour La joie en 1929, Antoine de Saint-Exupéry pour Vol de nuit en 1931 et Marguerite Yourcenar pour L’œuvre au noir en 1968. Le Prix Fémina 2006 a été attribué à Nancy Huston pour son roman Lignes de faille.

Antoinette Fouque par Elie Flory dans Le Magazine des Livres

Ma reconnaissance s’adresse aussi à Eli Flory, qui a eu la bienveillante attention de critiquer le nouveau livre d’Antoinette Fouque dans le magazine des Livres de juillet-août 2007 : « La pensée postféministe ». Seule correction d’importance : Antoinette Fouque incarne la tendance différentialiste (et non essentialiste) du féminisme.

La pensée postféministe

Le 26 août 1970, date du cinquantième anniversaire du vote des femmes aux Etats-Unis, un groupe d’une dizaine de femmes s’est invité sous l’Arc de Triomphe… Elles veulent déposer sur la tombe du soldat inconnu une gerbe de fleurs ceinte de banderoles qui sonnent comme des slogans : « Un homme sur deux est une femme », « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Les forces de l’ordre les empêchent d’aller au bout de leur initiative. En juillet, la revue Partisans avait déjà titré : « Libération des femmes : année zéro ». Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) est né.

En désaccord avec Simone de Beauvoir, convaincue qu’on naît femme, Antoinette Fouque incarne la tendance différentialiste du MLF. « Le groupe d’Antoinette » refuse le mot de « féminisme », et va devenir le mouvement de pensée connu sous le nom de « Psychépo » (Psychanalyse et politique). S’y rattachent des psychanalystes, des linguistes, des écrivains, des artistes (Luce Irigaray, Hélène Cixous, entre autres).

Elles s’opposent aux Féministes révolutionnaires qui, dans le sillage tracé par Beauvoir, pensent que « l’ennemi principal » n’est pas la masculinité, mais le patriarcat. Cette mouvance, composée surtout d’historiennes et de sociologues d’inspiration marxiste, comme Monique Wittig, Christine Delphy et Anne Zelensky, se baptiseront « Les Petites Marguerites », en hommage au film de Vera Chytilova. Gravidanza, Féminologie II, recueil de textes, d’interviews, d’articles retrace le parcours d’une femme sur tous les fronts de la pensée postféministe, de l’acte de naissance de sa maison d’édition Des femmes à sa dernière allocution prononcée le 5 avril à la Maison de l’Amérique Latine en faveur de Ségolène Royal. E F

Gravidanza : Féminologie II, Antoinette Fouque, préface d’Alain Touraine, Editions Des femmes, 295 p., 15 E

« Accrochages » de Jean-Joseph Goux par Laurent Denay

L’Art en question

Dans son livre « Accrochages et conflits du visuel », Jean-Joseph Goux nous livre une réflexion sur l’évolution de l’art visuel depuis la fin du 19ème siècle.

La société contemporaine est abreuvée d’images ; elles nous environnent ; elles font désormais partie de notre quotidien.
L’image est devenue un objet de consommation comme un autre.
Nous en oublions de nous interroger sur son évolution ; l’évolution de sa signification et de son esthétique ; par conséquent, l’évolution de l’art visuel.

La définition que nous donnons au mot art a été bouleversée durant le siècle dernier. « Tout se passe comme si le siècle de la mort de dieu était celui du déchaînement de l’image » : JJ Goux.
Une transformation d’ordre technique mais aussi politique – le rôle prépondérant de l’image dans la cité moderne : D’un rôle de représentation du sacré l’image est devenue un moyen de pression sur les masses.

Depuis la Renaissance, nous vivons avec l’idée d’une « stabilité des valeurs éternelles » ; valeurs que l’Antiquité nous a léguées : le respect de l’optique réaliste et de la perspective. « le concordat platonicien entre la raison et l’image ».

Ces certitudes se sont fissurées avec l’apparition de la société industrielle et de ce qui en découle, l’art moderne. Pour JJ Goux, l’oeuvre de Chirico symbolise le trouble né de la modernité ; Apparition d’objets industriels dans un paysage classique. « Un deuil culturel ».

Un paradoxe relevé par JJ Goux :
Durant ces deux derniers siècles naquirent la photographie et le cinéma ; ces nouvelles techniques permettent une restitution « parfaite » de la réalité – « le super réalisme ». L’image devient industrielle et reproductible à l’infini ; elle perd ainsi sa dimension esthétique et sacrée. L’image réaliste est devenue un outil au service de la communication, donc du capitalisme – la publicité.« Il y a une coïncidence explosive entre le développement extraordinaire des techniques de L’image et la crise religieuse, Morale et politique du monde occidental qui est aussi un monde globalisé et fragilisé… »

La peinture, quant à elle, s’éloigna du réel avec l’impressionnisme et le symbolisme. Il y eut des précurseurs : Manet – Olympia – Gustave Moreau, Odilon Redon. Le monde onirique et allégorique de Gustave Moreau ; les fulgurances d’Odilon Redon ou celui-ci s’évade vers l’abstraction.
JJ Goux cite Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, un tableau est essentiellement une surface plane recouverte de couleur en un certain ordre assemblées », tiré de l’article « Définition du Néotraditionnisme » paru en 1890. Tout est dit : L’art s’est affranchi de la représentation du réel. Les nabis-les prophètes en hébreux, mouvement dont faisait partie Maurice Denis, à travers la couleur pure et l’harmonie rythmique prônent un art initiatique et sacré.
Le grand « initiateur » fut Gauguin : Séjournant à Pont Aven, il exposa ses théories à Serusier ; celui-ci rapporta à Paris une oeuvre révolutionnaire : « Le Talisman ».
Une étape cruciale.

Comme l’indique JJ Goux, à l’aube du 20ème siècle les artistes ont la volonté de revenir à un monde « pré grec » et préchrétien. « La puissance occulte du fétiche » théorisée par André Breton dans « l’art magique ».
La perte des valeurs, des repères traditionnels, l’angoisse de l’homme devant le monde industriel peuvent expliquer cette soif de spiritualité et ce besoin de transcender le réel par l’abstraction.
Malevitchcarré noir sur fond blanc, 1913.

L’art rejoint ainsi la pensée phénoménologue – notamment Hégélienne : il symbolise l’évolution de l’homme et de la société du 20ème ; il représente de manière allégorique les transformations idéologiques du monde moderne. Les théories fusent : le suprématisme de Malevitch, le néoplasticisme de Mondrian.

« Après l’effacement de la religion et de la morale à fondement transcendant l’activité artistique devait fournir enfin le grand modèle de l’action humaine désirable ».

Toutefois, de nouveaux artistes remettent en cause ces dogmes ; ils se servent pour cela de l’imposture et de la provocation : Duchamp, Klein et le nouveau réalisme.
Une remise en cause radicale de l’homme et de la société.
« C’est aussi le futile, le presque rien, l’insignifiant,
L’anodin, le négligé, l’inaperçu, le sans intérêt qui conviennent
Au regard d’une herméneutique dépréciative et démystifiante ».

L’hypothèse de JJ Goux est intéressante – le paradoxe évoqué au début du livre. Le capitalisme a sapé les fondements théoriques et éthiques de l’art. La suprématie des médias a entraîné la toute puissance de l’imagerie et de la simulation. Nous assistons ainsi à la séparation de l’art et de l’image. Une image banalisée et aseptisée.

L’image est banalisée.

L’histoire est faite de cycles succesifs. Nous nous trouvons – une possibilité – dans une impasse avant une nouvelle régénération ; une régénération qui naîtra des doutes actuels de l’art contemporain.

Laurent Denay

Patrizia Cavalli par Philippe Di Méo dans la Quinzaine Littéraire

« La Quinzaine littéraire », Du 16 au 31 juillet 2007

Trois poètes italiens

La publication de trois recueils de poésie italienne quasi simultanément est un indice parmi d’autres, de la ferveur et de la popularité certaine que rencontre en France depuis un certain temps la poésie italienne, contemporaine ou non. Un tel phénomène rachète tant d’années d’indifférence. Souvenons-nous combien il fut difficile de convaincre un éditeur de publier l’oeuvre d’Eugenio Montale ou encore celle d’Andrea Zanzotto, rappel qui prête aujourd’hui à sourire. Trois publications récentes attestent d’un tel intérêt.

Nelo Risi
De ces choses qui dites en vers sonnent mieux qu’en prose trad. de l’italien par Emmanuelle Genevois Buchet Chastel éd., 143 p., 10 E

Patrizia Cavalli
Mes poèmes ne changeront pas le monde trad. de l’italien par Danièle Faugeras et Pascale Janot Préface de Giorgio Agamben Des femmes – Antoinette Fouque éd. 489 P., 23 E

Léonardo Sinisgalli
J’ai vu les muses trad. de l’italien par Jean-Yves Masson Arfuyen éd., 209 p., 19 E

Patrizia Cavalli

Les poèmes de Patrizia Cavalli, parmi les plus traduits en France, sont agrémentés d’une préface du philosophe Giorgio Agamben dont l’intérêt pour la poésie est aussi ancien que attesté. Souvenons-nous notamment de ses écrits sur le Franc-tireur et le Comte de Kevenhüller de Giorgio Caproni ou, encore, de l’édition du recueil posthume du même, par exemple.

Dans un court mais dense préambule de quelques pages alertes, l’auteur de Stances, par un faux détour qui le ramène très tôt à son objet, s’essaie à définir le genre poétique reconduit à une opposition de l’hymne et de l’élégie dont l’oeuvre de Cavalli constituerait la confluence « sans restes ». La langue de Patrizia Cavalli apparaît au philosophe comme « la plus fluide, la plus continue et la plus quotidienne de la poésie italienne du vingtième siècle ». Mais alors, que dire alors de celles de Sandro Penna ou du premier Ungaretti ? Le philosophe d’ascendance heideggérienne, envisageant donc la poésie comme un « après » de la philosophie, y reconnaît également une « ontologie brutale et hallucinée ». Une « brutalité » excluant tout excès et confinée au grammaticalisme serait-on tenté de dire.

N’en demeure pas moins, à l’évidence, une écriture poétique particulièrement cristalline, économe au point de frôler le dessèchement et parfois campée à l’orée d’une raréfaction minimaliste extrémiste.

La contemplation, l’observation des choses du monde, et de soi, caractérisent ce parti-pris, comment dire ? essentialiste ? tout à la fois inextricablement introspectif, mais refusant l’anamnèse, et néanmoins radicalement descriptif. L’omniprésence d’une instance analytique raisonnante, renvoie bien, sans vouloir résonner, à une forme inédite d' »hallucination » (Agamben) où l’oeuvre de Nathalie Sarraute transparaît souvent en filigrane. Coupants et anguleux, abstraits, rivée à un concret proliférant, et de ce fait tout à la fois vigoureux et dévitalisés, les vers de Mes poèmes ne changeront pas le monde, semblent tenter d’aider un sujet à se construire en l’abandonnant à une poésie effleurant l’aphorisme et multipliant de menus paradoxes logiques. Car nous sommes aux antipodes du vertige ménagé par un Borges ou un Juarroz. Ce « parti pris des choses » si particulier constitue à l’évidence le plus prodigieux rempart que Patrizia Cavalli oppose obstinément à l’instabilité de tout vécu, à la terreur du « je » comme à toute confession incidente. Elle ne compose avec le monde qu’en le décomposant d’observations en dissimulations selon les protocoles d’une « loi des silences » d’autant plus déconcertante que son secret se révèle à l’évidence dépourvu de tout mystère : Je me récite (…) la vie comme un mètre avec les centimètres,/ je vois même sa couleur jaune./ j’en mesure la longueur, j’avance dans l’espace, / il ne me reste qu’à trouver un pouce et alors je me lève, /je fonce vers mon café au lait. La force du rejet du monde et de l’autre fait comme allusion à une fragilité indéfinie. Est évacuée du même coup l’ambiguïté consubstancielle au genre poétique. Une raison raisonnante emballée apparaît parfois campée au bord d’un site banalement paranoïde agrippé avec effort et volontarisme à la grisaille du quotidien. Une sorte de malaise et d’asphyxie en résulte, « automatiquement » car tout se veut cisaillante géométrie à vide et même désymbolisée. Dans cette infinie dissection du presque rien, nous ne sommes pas loin d’une sorte de Violette Leduc versificatrice. Un neutre presque absolu, en effet.

Philippe Di Méo

LA DERNIERE FEMME – Jean-Paul Enthoven

jpe.JPGEn plus d’être des œuvres d’hommes publiées aux Editions Des femmes, les deux livres audio de notre collection « Bibliothèque des voix » qui vous accompagneront – j’espère vous en communiquer l’envie – en vacances (et beaucoup plus longtemps, car ils sont spécialement beaux et attachants…) ont en commun la profondeur et la limpidité. La maturité. Bien que très différents, il est question dans celui de Jean-Paul Enthoven comme dans celui de Jean-Philippe Toussaint de femmes et d’amour. Bref, rien de nouveau sous le soleil (qui pointe enfin le bout de son nez en cette fin juillet, qui comme disait Vialatte est un mois très mensuel) et c’est tant mieux, puisqu’on se régale.

« Si un ami vous appelle pour vous parler du livre de Jean-Paul Enthoven, c’est qu’il aime la très bonne littérature. Les portraits, puisqu’il s’agit de portraits de femmes, sont époustouflants ; les modèles, fascinants ; l’écriture, superbe. Sûr que cet ami, ce frère, n’aura pas résisté au plaisir de vous en lire quelques pages. (…) » Jérôme Serri (que je salue au passage !), Lire (février 2006)

Parce qu’il est toujours difficile de mettre des mots sur un chef d’œuvre dont la céleste essence vole bien au-dessus de ceux appartenant à notre vocabulaire de simples humains, que l’humilité tend à paralyser, que l’admiration éperdue peut avoir comme revers un penchant au mutisme comme hommage – la conscience aiguë de ne pas pouvoir trouver d’adjectifs assez forts pour restituer l’émotion provoquée par ce livre rend d’abord confus (e).

Après ses Enfants de Saturne (Grasset, 1996), Jean-Paul Enthoven nous déroule avec ce troisième livre spectaculairement réussi, hybride entre l’essai et le roman, une nouvelle galerie arbitraire de portraits, mais de femmes cette fois, toutes mythiques, dont la subtile présence en lui nourrit sa vie affective et intellectuelle, sensible et éveillée en même temps qu’elle alimente sa création. Depuis Aurore (Grasset, 2001), coup d’essai, coup de maître, on sait le talent immense de l’auteur, docteur honoris causa ès langue française et… ès Amour !

La dernière femme est un livre incroyablement riche et magistralement « écrit ». Si dans la version papier (Grasset, 2006) neuf portraits de femmes de légende le constituent, seulement quatre remplissent la version audio des éditions Des femmes : Louise de Vilmorin, la narcissique et inconstante (mais si charmante et pleine d’esprit) Marilyn Malraux ; Laure, l’égérie vénéneuse de Bataille qui cherchait le Salut dans l’abjection ; Françoise Sagan, la romancière rebelle, désinvolte et mélancolique oubliée de son vivant ; Flaminia, ultime et troublant chapitre paraissant autofictif, résumant tous les autres. La perte de texte au cours du passage de l’écrit à l’oral se trouve compensée par le plaisir d’entendre la voix magique, d’une chaleur sobre, de Jean-Paul Enthoven, révélé orateur d’exception dans cet exercice.

Aussi séduisantes qu’émouvantes, les quatre muses réparties sur les 2 CD du coffret sont décrites dans une langue d’une rare maîtrise qui n’est pas sans rappeler celle des moralistes du XVIIème siècle. Chaque phrase est un pur délice à elle toute seule, chaque âme de femme mise à nue, chaque belle voracement croquée par la plume amoureuse de l’auteur – systématiquement animé par la tendresse et l’indulgence. Il y a empathie entre lui et ses aimées, fantasmées ou vécue comme la maîtresse finale aux « mains royales ». Romantiques, universelles et intemporelles, ses icônes qui deviennent les nôtres sitôt le livre refermé partagent le désespoir abyssal et noble, ainsi que de farouches et irrépressibles dispositions pyromanes. Sublimes jusque dans leurs apparences, leurs caprices et leurs mondanités, ces égéries souffrent d’infernale solitude, empoisonnées (et emprisonnées) par tous les excès dont les fées les ont pourvues à la naissance : la beauté, la richesse, l’intelligence, la célébrité etc Epousant intensément la vie, ses ivresses et ses dangers, leurs destins sont autant de miroirs dans lesquels le narrateur comme le lecteur peuvent se regarder.

Pour vous affamer davantage encore d’éblouissement, voici trois extraits significatifs correspondant à trois tableaux de La dernière femme – le voile ne pouvant être levé sur le quatrième dont le mystère de l’élue ne pourra être éclairci que par votre écoute de ce livre audio……

Sur Madame de Vilmorin (ma préférée !) :
« C’est le genre de créature qui prétend souffrir des tourments dont elle est la cause. Et qui ajoute, presque sincère, qu’elle est la première victime des sentiments qu’elle inspire. On l’aime ? On la courtise ? On veut se brûler la cervelle pour ses yeux noisette ? Qu’y peut-elle ? Les hommes sont naïfs, ou vraiment fous, qui se croient invités à flamber dès qu’on leur adresse un sourire. Après tout, on ne va pas lui reprocher de faire la charmante ; de balayer le monde avec ses regards noyés de demi-promesses ; de payer de sa personne pour mettre de l’ambiance dans toutes ces situations où les importants sont si rasoirs et où les jouvencelles (« ces petits wagonnets sur leurs rails… ») se hâtent vers leurs destins sans envergure. Oui, Louise de Vilmorin regrette d’allumer ces incendies de cœur – mais elle est bien obligée de composer avec cette fatalité. Elle veut seulement, cette chère Louise, s’amuser, danser, cueillir les émotions qui se présentent, se fiancer pour rire, alors que ses galants prennent tout au tragique. Pour un peu, on la plaindrait, cette jeune fille déconcertée par les ravages qu’elle provoque, qu’elle jure ne pas souhaiter… »

Sur Laure :
« Laure ne fut pas son premier prénom (…) Avant sa mort, elle s’appelait Colette Peignot. (…)Laure sera avide de clandestinité et de souillure. (…) Ce qu’elle découvre ? Qu’on peut transmuer la répulsion en jouissance. Que l’horreur est attirante. Que l’on se purifie aussi au contact de l’abject. Le plaisir n’entre pour presque rien dans cette affaire. Seuls comptent l’excès salvateur et le péril qu’on sollicite. La perversion, chez Colette, ressemble ainsi à la pierre philosophale des alchimistes : c’est un dispositif susceptible de métamorphoser la matière en esprit. Une variante de l’Eucharistie. Une aventure qui, à travers le corps, suggère une transcendance sans pareille. »

Sur Sagan :
« L’amour et la littérature étaient, pour elle, les deux seules activités respectables. Par malchance, les êtres ainsi faits sont, le plus souvent, précipités dans un monde surpeuplé de partenaires requis par d’autres occupationjs – l’argent, la parade, le compromis. Pour ne pas rester seule, Sagan fut donc obligée de leur ressembler un peu : il lui arriva de bâcler ses livres et ses sentiments ; on la vit aussi s’embarquer vers des individus, ou commettre des pages, qui n’en valaient pas toujours la peine. Mais elle revenait rapidemen
t dans sa circonscription. Plus exigeante. Sans s’excuser de l’incartade. L’amour, la littérature : deux façons de visiter l’absolu – et d’avouer qu’on y croit. Le mystère sera préservé sur la dernière femme. »

Maître Kiejman dédicace son DVD à Belle-île

La dédicace de Maître Kiejman à Belle-île en Mer

Samedi 21 juillet, l’exquis Maître Kiejman a dédicacé son DVD « Les grands procès de l’Histoire » à la Maison de la Presse de Belle-île en Mer où il prend traditionnellement ses vacances. Je note surtout que ce matin-là, j’ai eu une pensée pour lui et il a eu beaucoup de visites et d’acheteurs, tandis qu’après la pause déjeuner, j’ai oublié de penser à lui et les gens ont cessé de venir. (D’où la puissance de ma pensée et surtout son efficacité !)

FAIRE L’AMOUR – Jean-Philippe Toussaint

Faire l'amour.jpgLe second homme que j’ai choisi de mettre à l’honneur de cet émile d’été est Jean-Philippe Toussaint. Faire l’amour raconte la dissection d’une rupture, lancinante, implacable et cruelle, au Pays du Soleil-Levant entre le narrateur et Marie, sept années après leur rencontre. « Peu importe qui était dans son tort, personne sans doute. Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. » Efficace.

Comme son titre l’indique, il s’agit surtout d’une réflexion sur l’acte d’amour physique, et aussi d’un livre d’une rare qualité pour décrire Tokyo, lieu où se déroule l’intrigue – aussi simple que terrible. Dans ce roman de l’errance, les héros, spectateurs impuissants, sont affligés par l’évaporation de leurs sentiments qu’ils n’arrivent pas à retenir.

Leurs corps apprivoisés continuent de jouir ensemble, en leur absence. Les pleurs de la jeune femme mêlés à la transpiration de leurs voluptueuses galipettes placent ce récit sous le signe de l’élément aquatique. De surcroît, les nuages fondent continuellement en gouttes d’eau ou en flocons, comme pour accentuer la noyade de l’être et de l’autre. L’atmosphère hyper intime créée par Jean-Philippe Toussaint lui permet de s’adonner, cristallin, sans souci de pudeur, à la description chirurgicale de chaque caresse, de chaque effleurement chair contre chair.

Regard tour à tour cru (comme un sashimi !), violent (comme un samouraï !) puis tendre (comme une statue de Bouddha !) porté sur le vertige d’aimer, méticuleuse anatomie de la passion érotique, Faire l’amour ne peut être dissocié de sa terre nippone : il en possède les secousses sismiques quand l’élégance de sa narration relève de la pureté des gravures orientales. Sensuelle et lente, l’écriture nostalgique emporte dans un tsunami d’images invitant aux songes et à la mélancolie.

« Avant même qu’on s’embrasse pour la première fois, Marie s’était mise à pleurer. C’était dans un taxi, il y a sept ans et plus, elle était assise à côté de moi dans la pénombre du taxi, le visage en pleurs, que traversaient les ombres fuyantes des quais de la Seine et les reflets jaunes et blancs des phares des voitures que nous croisions. Nous ne nous étions pas encore embrassés à ce moment-là, je ne lui avais pas encore pris la main, je ne lui avais pas fait la moindre déclaration d’amour — mais ne lui ai-je jamais fait de déclaration d’amour ? — et je la regardais, ému, désemparé, de la voir pleurer ainsi à mes côtés.

La même scène s’est reproduite à Tokyo il y a quelques semaines, mais nous nous séparions alors pour toujours. Nous ne disions rien dans ce taxi qui nous reconduisait au grand hôtel de Shinjuku où nous étions arrivés le matin même, et Marie pleurait en silence à côté de moi, elle reniflait et hoquetait doucement contre mon épaule, elle essuyait ses larmes à grands gestes brouillons du revers de ses doigts, de lourdes larmes de tristesse qui l’enlaidissaient et faisaient couler le maquillage de ses cils, alors qu’il y a sept ans, lors de notre première rencontre, c’étaient de pures larmes de joie, légères comme de l’écume, qui coulaient en apesanteur sur ses joues. »

D’emblée, le ton est grave : l’amant a en permanence sur lui une fiole d’acide chlorhydrique : « J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. (…) Je me sentais curieusement apaisé depuis que je m’étais procuré ce flacon de liquide ambré et corrosif, qui pimentait mes heures et acérait mes pensées ». L’amante, styliste et plasticienne reconnue, le conduit sur le territoire d’Amateratsu (la Déesse du Soleil) où elle doit inaugurer une exposition d’art contemporain. L’amant pressent que leur liaison ne survivra pas à ce voyage. « Le jour même où Marie me proposa de l’accompagner au Japon, je compris qu’elle était prête à brûler nos dernières réserves amoureuses dans ce périple ».

Ainsi, lorsqu’ils se retrouvent dans une chambre d’un grand hôtel de Tokyo, épuisés, couchés dans un désordre de tissus, de peignoirs et de robes de soirée, c’est pour aller au bout de leur désir l’un de l’autre, tordre l’amour jusqu’à la dernière goutte, et peut-être en finir une fois pour toutes : « D’instinct, ma bouche s’était sentie aimantée par sa bouche et l’appel des baisers, mais, au moment même où j’allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, (…) je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines , une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration. »

On se laisse bercer par les souvenirs érotiques torrides du narrateur, cristallisant à fond. Une expérience bouleversante qui vous fera peut-être même mieux comprendre (ou au moins vous exposera un point de vue différent sur) vos habitudes conjugales et votre comportement amoureux….

« Et, malgré mon immense fatigue, je me suis mis à espérer que le jour ne se lève pas à Tokyo ce matin, ne se lève plus jamais et que le temps s’arrête là à l’instant dans ce restaurant de Shinjuku où nous étions si bien, chaudement enveloppés dans l’illusoire protection de la nuit, car je savais que l’avènement du jour apporterait la preuve que le temps passait irrémédiablement et destructeur, et avait passé sur notre amour. »

A noter, Fuir, le second volet de la trilogie de Jean-Philippe Toussaint sera bientôt enregistré sur CD pour les Editions Des femmes.

Si vous souhaitez recevoir en service de presse l’un, l’autre ou les deux de ces livres audio, je vous remercie d’en émettre la demande à presse.desfemmes@orange.fr

Texte de Mireille Calle-Gruber publié dans le catalogue des trente ans des Editions Des femmes

arton1453.jpgDon. Des femmes-Antoinette Fouque m’a donné trois auteurs qui n’auront, depuis, cessé de m’accompagner : Assia Djebar, Hélène Cixous, Maria Zambrano. Elle me les donne à donner – à mes proches, amis, écrivains, traducteurs, à tous les passeurs de livres aimés. Rassemblant des lectures écrites au fil des parutions, et peu après avoir participé au Collectif Lectures de la différence sexuelle (1994), j’ai ainsi publié ici Photos de racines avec Hélène Cixous, ailleurs Assia Djebar ou La Résistance de l’écriture (Maisonneuve & Larose, 2001), et Du café à l’éternité. Hélène Cixous à l’oeuvre (Galilée, 2002). Quant aux ouvrages de Maria Zambrano, qui me frayent sentiers et clairières dans la littérature, j’ai encore dans l’oreille les inflexions de Claude Ollier s’émerveillant de découvrir par ma lecture de ses affinités insues.
La chance d’un accueil toujours singulier et pluriel, je l’ai connue : Antoinette avec Marie-Claude, sa jumelle sa toute autre, qui n’ont pas cessé d’inspirer des femmes, qui continuent de les recevoir dans leur maison. Et je connais aussi la grâce attentive de toutes celles qui veillent à la venue du livre, l’aident à croître, lui font toute la place.
Il y a le don de la Bibliothèque des voix qu’Antoinette a, dit-elle, créée pour sa mère, autant dire pour la mise au monde, chaque fois unique, du texte ; et c’est bénédiction en vérité qu’elle me donne, aujourd’hui, Jacques Derrida de vive voix.
Antoinette Fouque au présent et au mouvement ; c’est ainsi que je l’ai toujours vue – c’est à dire dans la générosité. Celle, par exemple, qui en 1998 la conduisit à Cerisy, à mon invitation, alors que j’organisais le Colloque Hélène Cixous : elle y fut en témoin, en amitié, en à-venir, elle portait le cadeau d’une réédition de Neutre.
C’est ainsi que je la retrouve, parfois, à l’Université, à la faveur d’un jury d’Habilitation ou de Doctorat, elle qui est habilitée à diriger des recherches en Science Politique : Antoinette Fouque dans le présent de la mémoire et du mouvement des femmes. Antoinette Fouque : ce n’est pas elle et c’est plus qu’elle(s).
M.C.G.