Christine Orban entre dans la Bibliothèque des Voix (« Deux fois par semaine »)

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Christine Orban
Deux fois par semaine

lu par l’auteure

Coffret 2 CD- 27 €

Deux fois par semaine est le récit d’une psychanalyse : celle d’une jeune femme de 20 ans, mariée depuis peu, et devant faire face à la mort prochaine de son mari, malade et condamné. Enfermée dans sa douleur, bloc de silence qui la sépare du monde extérieur, elle va réapprendre, grâce à son psychanalyste, à se confronter à l’altérité. Au cours des séances une relation se crée, faite de provocations, de mille détails qu’elle note avec une grande précision, et peu à peu cette immense douleur qui ne peut pas se dire affleure en notations rapides et d’autant plus émouvantes.
Comment admettre et dire l’irréparable quand on est dans l’éternité de la jeunesse ? Comment vivre dans l’imminence de la mort quand on a 20 ans et qu’on aime pour la première fois ? Dans ce rapport presque muet entre la jeune patiente et le vieux psychanalyste, tout est évoqué de ce qui se tisse de si fragile et essentiel dans la relation à l’autre : cette présence-là, fondamentale, qui agit comme rempart à l’irréparable, et lui permet de briser la vitre, de retrouver le verbe, d’accepter de vivre envers et contre tout.

Christine Orban est l’auteure de nombreux romans, dont Le collectionneur, L’attente, et, récemment, Petites phrases pour traverser la vie en cas de tempête… et par beau temps aussi.

Roger Dadoun célèbre les femmes !

RD par RV0006.JPGTexte figurant dans le catalogue des trente ans des éditions Des femmes :  
Trentenaire de l’ardente sereine guerre de trente ans, conduite,
ô blanches caravelles,
tous voiles chus,
sur hautains et hardis calicots,
contre cohortes bottées casquées cuirassées,
tenant en embuscade clinquants phallus
d’hargneux cadets pondus hors le ventre toujours fécond de la bête immonde,
la Gorgone fasciste des églises, sectes, intégrismes, pouvoirs, partis,
 
à tes nus pieds, ô des femmes, je déplie,
voix de mémoire amie,
le poème tapis rouge
 
(et que viennent donc s’y encorner les mufles minotaures !)
 
Etrennes de trente années du livre,
trente années tigresses aux griffes de papier
au joyeux au soyeux au rugueux rugissement,
trente glorieuses larguant toute gloriole et tout décorum,
 
ô des femmes
 
bénies soyez-vous entre toutes les âmes, et zélés corps,
pour avoir duré, simplement duré,
en juste fidélité,
orfévrant fins trésors de ferme tendresse,
par-delà flèches cupides, venins de langues et de regards,
plumes à l’injure crasse, bras tendus poings dressés prêts à frapper
des machismes sectaires mafieux acoquinés pour se payer
virile casse et culbute cavalière.
Point ne conviennent ici plaintes, élégies et thrènes,
mais bien plutôt accorte clameur d’hymne dionysiaque,
et plus sûrement l’ode isiaque
au miel hyménoptère,
pour la saga fabuleuse d’Isis à la divine partyhénogénèse,
car du néant, du nihil,
fui le Nil luxueux voluptueux lustral,
tu surgis,
toi ma lumineuse,
des eaux mères matricielles,
tu t’informes toi-même,
ô Mère primordiale,
pour une parade isiaque
qui ravisse l’extasié univers entre terre et ciel,
tu emmontes, artisane cosmique, les trente pièces d’Osiris le Morcelé,
fils frère amant dieu cadavre énigme, meursaub*
dispersé aux quatre horizons et qui,agrippé à ton sein, s’y enkyste,
s’acharnant, ô sombres mystères, à régler tes errances d’amour
déraisonné
 – mais où est donc passée, poisson, du viril voyou,
la verge oxyrhinque** ?
 
Trente années d’oeuvres nous vécûmes,
Et ce fut minutes de sable mémorial, broderies de fière écume,
jours ouvragés de parole empoignée
de parole extorquée renouée
de parole étoilée déliée
 
Arianes mes soeurs, toutes, combien de fils tendîtes-vous
en labyrinthes pareils à des miroirs sans tain ?
Tissage-pénélope de textes qui s’entextent se contextent se détextent,
écritures en nave
ttes qui filent et claquent et s’affolent et s’apaisent,
livrant, gorgées d’ivrèmes, ces pages, ces pages, ces pages,
en étranges nappés japon piqués de pointes et gouffres. (…)
 
* meursaub, en arabe, « voyou », « coquin ».
 
** Le sexe d’Osiris fut avalé par le poisson oxyrhinque (cf : Psychanalysis entre chien et loup, Imago/PUF, 1984)

Les lettres françaises : spécial Catherine Lopès-Curval (Georges Férou & Gérard-Georges Lemaire)

artwork_images_140197_480314_catherine-lopes-curval.jpgLES LETTRES FRANÇAISES, du 3 mai 2008

Illustrations de Catherine Lopès-Curval + article de Georges Férou sur sa peinture
Catherine Lopès-Curval au pays des merveilles

CATHERINE LOPES-CURVAL AU PAYS DES MERVEILLES

LES METAMORPHOSES D’ALICE de Catherine Lopès-Curval, Espace-Galerie des femmes, jusqu’à fin mai

Catherine Lopès-Curval entretient avec la littérature une relation étroite, profonde et même paradoxale. Quand elle s’est emparée voici quelques années de l’oeuvre de Franz Kafka, elle s’est mise en tête de suivre Joseph K. pas à pas. Plus elle s’est attachée à la lettre du texte, plus elle l’a rendu pictural : en réalisant ce transport dans le langage de la peinture des épisodes à la fois burlesques et tragiques du Procès, elle en a révélé le caractère onirique. En reconstituant avec une précision renversante l’univers décrit par l’écrivain pragois, elle a construit son propre roman. À partir de cette longue et intime relation, elle a pu prendre toute la mesure du sens de son art et en a excédé les limites.
Quand elle a de nouveau éprouvé le désir de se confronter à une oeuvre littéraire, elle a choisi Alice au pays des merveilles. Cette fois, elle a procédé de manière moins systématique. Son attention s’est d’abord portée sur les anamorphoses incessantes du corps de la jeune égérie du révérend Dodgson. Ses transformations anatomiques lui ont fourni un fil conducteur et aussi le motif d’une confrontation à l’espace du tableau : son corps est toujours trop grand, trop petit ; les êtres et les choses qui l’entourent changent donc à leur tour d’échelle au cours de ce voyage initiatique. La raison et le bon sens n’ont plus de place : seules s’imposent les lois abstraites du logicien.
Alors Alice tombe dans un tube interminable rempli de pilules assez suspectes (ces pilules sont omniprésentes). Elle se retrouve en grande conversation avec le mille-pattes bleu juché sur un champignon gris (tout aussi suspect que les pilules) en train de fumer son narguilé. Il ne s’agit pas seulement pour elle de subir des changements inattendus de proportions : les couleurs sont elles aussi soumises à des mutations violentes renforçant la bizarrerie des événements.
Pour rendre cet univers trouble où tout ce qui est enchanté s’avère dangereux, l’artiste a construit une fantaisie picturale où le plus absurde, le plus improbable sont la norme. La part ludique de l’art pictural tel qu’elle le vit et nous le transmet y trouve largement son compte. Avec cette grande suite de compositions, Catherine Lopès-Curval a poursuivi une quête commencée à ses débuts par des récits tirés de l’imaginaire urbain. Elle a proposé une lecture – sa lecture – du livre de Lewis Carroll ; elle est peu académique et fantasmée. Du même coup, Catherine Lopès-Curval démontre que peindre peut signifier prendre le thé avec le lièvre de Mars et le chapelier fou…

Georges Férou

http://www.humanite.fr/+-Les-Lettres-francaises-+

La chère Isabelle Clerc fait un article sur « Penser avec » (Santé Yoga)

Paru dans Santé Yoga
Age d’or

Sept hommes et quatre femmes… »pensent avec Antoinette Fouque ».

Après l’anniversaire de mai 68, celui d’octobre 68 : le début du mouvement des femmes.
Des luttes politiques et de l’approfondissement psychanalytique, semble se dégager aujourd’hui un « post-féminisme » qu’Antoinette Fouque a exposé dans « Il y a deux sexes » et « Gravidanza ».
Face aux enjeux écologiques (planète en péril), biologiques (manipulations génétiques), technologiques (virtuel), Antoinette Fouque propose la géni(t)alité du féminin, son indéfectible alliance charnelle avec l’énergie créatrice à l’oeuvre dans le corps de chaque être vivant, ici et maintenant, à chaque instant.
Antoinette Fouque ne rejoint-elle pas là l’antique savoir de l’humanité originelle, mémoire vive de l’âge d’or, transmise depuis, entre autres, par le yoga ?
A signaler aussi un très beau livre illustré.
« Le langage de la déesse » paru en 2006.

« Penser avec Antoinette Fouque », Ed. des femmes.

Interview d’Antoinette Fouque pour Clara Magazine mai 2008 (par Carine Delahaie)

http://clara-magazine.fr

Vous vous souvenez de la petite fille que vous étiez ?
Non seulement je crois me rappeler qui j’ai été, comme petite fille, mais je le suis restée. Souvent, je dis que j’ai 3 ans et demi du point de vue émotionnel. J’étais la troisième enfant d’une famille ouvrière marseillaise. Mon père est arrivé à Marseille de Corse à 16 ans en 1917, ma mère de Calabre en 1900, elle avait 1 an. Elle se considérait, à 37 comme un peu vieille pour un enfant. Je suis née du désir de mon père. J’ai été conçu le 1er janvier 1936, et je sui née le 1er octobre 1936. J’ai parcouru, pendant la grossesse de ma mère tout le front populaire. Mon père était militant au parti communiste et pendant le front populaire il était enthousiaste. Ma mère a raconté dans quel déni de grossesse elle a été jusqu’au 6ième mois. J’ai cru que mon histoire était singulière, et pas du tout. C’est l’histoire d’Anna Freud, la fille de Freud, et bien d’autres femmes que celle de ma mère qui m’a finalement très bien assumée.

Votre enfance a conditionné la suite des évènements ?
Oui, souvent quand on me dit des choses gentilles, comme « tu es généreuse », je dis juste c’est ma culture. Chez moi, dès que quelqu’un arrivait on ouvrait les placards, c’était la corse, l’Italie. Très petite j’avais conscience que quand les gens s’élevaient, dans l’échelle sociale ils fermaient les placards. J’étais mi-fille, mi-garçon. Ma sœur qui avait 14 ans de plus que moi, était très contenue et mon frère était libre. Alors je m’identifiais à lui. Les choses étaient comme ça dans ma famille, sans interdit, pleines d’émotions. Dans ce quartier du vieux port qui jouxtait les bordels on nous faisait la leçon sur une chose : la traite des blanches. Il fallait sans arrêt demander à la Bonne mère Notre Dame de la garde, de nous protéger. Pourtant, les hommes de Marseille disaient cette insulte, « putain de la bonne mère ». Ils associaient, le plus vieux métier du monde et le plus beau, la prostitution et la maternité. Ma mère disait « belle bonne mère » qui alliait la beauté et la bonté.
Votre mère était une femme déterminée ?

Ma mère nous mettait aussi en garde contre la prostitution conjugale. Elle avait travaillé très jeune et elle nous disait d’être économiquement indépendantes, ne jamais demander le prix d’une paire de bas à nos mari. Depuis 1917 elle travaillait, dans les usines de guerre comme tourneuse. Elle avait commencé à 6 ou 7 ans en livrant des coquillages que sa mère ramenait du port.

Une vie de femme déjà émancipée ?
Beauvoir n’a rien découvert. C’est la fin du 19ième , le début du 20ième, et la guerre qui ont émancipé les jeunes filles. Déjà l’esprit du modèle moderne y était, ne pas faire plus de 2 enfants, trouver une contraception possible même bricolée. En 1914 on a eu besoin de main d’œuvre et certaine ont continué à travailler dont ma mère.

Malheureusement la guerre est arrivée ?
Oui, malheureusement, en 39, le vieux port où nous vivions a été détruit et évacué par les nazis et leurs acolytes. Mon père a été arrêté comme militant communiste. Puis il est entré dans la Résistance. Sans réelle autorité paternelle j’étais une petite fille espiègle, avec une présence symbolique du père très solide. Mais dans tout ça je me souviens d’une abondance de poissons, de rires, au milieu des privations. Vraiment un milieu très ouvrier, très chaleureux, corse, très vivant.

Vous vous destinez aux études ?
Mon frère et ma sœur sont allé jusqu’au brevet. Mes parents avaient une idée fixe, on ne s’élève que par l’instruction. Jusqu’au moment de sa mort ma mère était désolée de ne savoir ni lire ni écrire, obsédée par l’instruction. On allait au cinéma, au théâtre. Si je demandais un livre, on me l’achetait. Le premier ce fut Oliver Twist. Elle s’est battue pour me faire entrer au lycée. Les lycées étaient faits pour les bourgeois des beaux quartiers. Je venais de la Belle de mai, un quartier rouge. J’ai fais des études secondaires et je suis tombé très malade. On m’a administré un vaccin anti variolique qui m’a donné une sorte de sclérose en plaque. A ce moment, je me suis dit, puisque je vais me paralyser progressivement, je vais devenir une intellectuelle. Je suis sorti du lycée en philo. J’ai passé le bac seule et je me suis inscrite à la fac à Aix.

Ce fut une adolescence studieuse ?
Ce fut une adolescence « cultureuse » plus que studieuse, malgré la maladie. Je me cultivais par gout, par désir. C’était surprenant dans ce quartier, mais c’est la mentalité corse, les Corses sortent de l’Ile par l’instruction. J’avais une passion débordante pour la poésie. Il y avait une revue d’avant guerre, les cahiers du sud où certains poètes résistants publiait, Éluard, Aragon et Desnos. J’avais conscience que c’était très politique, c’est poètes étaient très lié au parti communiste, ils étaient en résistance et c’était la réalité du moment. Mon père m’emmenait au meeting de Thorez après guerre c’était quelque chose de très animé, de beau, à la pointe du mouvement ouvrier, c’était une époque ou on récitait liberté d’Éluard à la fin des meetings. Donc Poésie et communisme c’était aussi ça mon adolescence.

Vous avez naturellement fait des lettres ?
J’ai intégrer l’Ecole normale de province et bien que malade j’ai été fonctionnaire à 20 ans. J’étais élève professeure, je gagnais ma vie. Puis je me suis marié à Aix. Je suis arrivé à Paris avec un traitement de professeur. Inscrite à la Sorbonne pour un mémoire, nous étions avec mon mari, endiablés de culture, de comprendre la modernité. A la suite d’un article, les Editions seuil nous ont fait entrer comme lecteurs. Et là au seuil, c’était les années des lumières. Il y avait Derrida, Barthes toute la pensée moderne, ils attaquaient les anciens, c’était drôle comme tout. Alors j’ai commencé une thèse sur l’Avant-garde avec Barthes. J’ai eu une fille en 1964 et bientôt 68 est arrivé.

Alors précisément en mai 68 vous faisiez quoi ?
Je sortais de maladie. J’étais professeure certifié par correspondance et lectrice au seuil. Je recommençais ma thèse avec Barthes. Je m’apprêtais à faire ma demande pour le CNRS. Bientôt, une amie du cours de Barthes m’a présenté Monique Wittig. Elle était comme moi très enragée par la misogynie de la république des lettres. Moi j’avais une fille de 4 ans, c’était mal vu à cette époque il fallait être libertin parce que la modernité c’était aussi Georges Bataille, Sade, cette résurgence du génie du surréalisme. On était très en colère. En Mai 68, on avait le projet d’écrire ensemble.

Monique Wittig était déjà écrivaine ?
Monique wittig était déjà reconnue, mais rejetée. Elle faisait partie de la même écurie au Seuil que les Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, ou Claude Simon, mais elle n’était jamais sur les photos. Il n’y avait que des mecs. Quelque fois on présentait Nathalie Sarraute, mais jamais Marguerite Duras et Monique Wittig. Alors elle était en colère. Donc, le 13 mai 1968 on se voit pour créer un comité d’action culturel où viennent de nombreux artistes. On y croisera Téchiné, l’actrice Michèle Moretti, Danièle Delorme, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti qui joua l’année suivante dans Belle de jour de Buñuel. Wittig était très passionné par le théâtre et moi par la théorie. L’agitation retombée, elle vient me rejoindre l’été avec Jean-Pierre, un ami qui rentrait du Vietnam. Il nous dit que là bas, c’est la révolution que tout le monde se bat, les femmes aussi. Nous lui disons que justement nous voulons faire un mouvement de femmes.

Vous voulez allez plus loin que le mois de mai ?
En mai 68, les femmes n’ont pas pu s’exprimer. La révolution culturelle et sexuelle de mai c’était pour les mecs. Il y avait ces petites affiches, l’une c’était « le pouvoir est au bout du fusil ». Donc il s’agissait bien d’une révolution guerrière. C’était la révolution comme en 89, une révolution « viriliste », machiste et guerrière. Les jeunes filles étaient à la ronéo. Moi j’avais déjà 32 ans, Wittig, 33. On n’était pas des perdrix de l’année et on trouvait que les petites se faisaient avoir. Elles tombaient enceintes, elles n’avaient pas de contraceptifs, c’était horrible. La révolution sexuelle sans les moyens, c’était les mecs qui en profitaient. A la rentrée on se voit presque tous les soirs, toutes les nuits, pour travailler. On lit Freud et on s’insurge contre Beauvoir. Elle maltraite les lesbiennes et Wittig se définit à l’époque comme une lesbienne alors qu’elle est dans un couple hétérosexuelle. Moi je veux intégrer la question de la maternité à la question de la liberté des femmes, puisque j’ai une fille et que je l’ai voulu. Chez Beauvoir les lesbiennes et la maternité sont banni.

Vous aller bientôt créer le MLF ?
En fait, on décide que l’on va faire un groupe et on le fait. Le 1er octobre, le jour de mon anniversaire, on fait notre première réunion dans un appartement que nous a prêté Marguerite Duras. On s’assoit à une quinzaine par terre et on se met à parler. On parle d’abord de sexualité. Monique Wittig dit qu’elle ne comprend pas cette histoire de virginité. Qu’elle n’a jamais été vierge, qu’elle n’a jamais été déflorée et qu’elle n’a jamais saigné. Moi je dis la même chose. On est plusieurs à le dire d’ailleurs. Et soudain, une fille nous dit qu’elle a été violée par son oncle qui est un photographe célébrissime, dont elle porte le nom. Une autre dit que son père est avocat mais qu’il bat sa mère. On commence à sortir des trucs invraisemblables. On n’a pas imaginé ça avec wittig. On n’en revient pas.

L’activité du groupe se déploie rapidement ?
On commence à aller dans les quartiers, aux alentours des lycées, et on fait des réunions. Chacune parle, et tout sort parce qu’il n’y a pas d’hommes. Jean-Pierre nous avaient dit « tant qu’il y aura des hommes vous ne pourrez pas parler », et c’était vrai. Moi j’avais une voiture et on se déplaçait. Comme on était des intellos avec Monique Wittig on continuait de lire Engels, Marx. En même temps on réglait des problèmes au ras des pâquerettes comme organiser des crèches, des gardes d’enfants. C’était à ce moment là mon problème majeur. Ma fille avait 4 ans et donc je comprenais bien les soucis des autres femmes. On était moitié intello, moitié ménagère de moins de 50 ans.

Quand on dit que le MLF n’était pas un mouvement populaire c’est faux ?
C’est une honte, ça n’a plus été un mouvement populaire quand on est passé d’un mouvement de libération des femmes au féminisme comme mouvement. Il n’y avait plus de femmes il ne restait que l’idéologie. C’est comme un parti communiste sans ouvrier. Ça devenait un mouvement individualiste, sans solidarité. C’est pour ça que je dis souvent que je ne suis pas féministe, le féminisme à l’étranger ça véhiculait des idées de transformation, mais en France c’était devenu l’individualisme. Quand Beauvoir dit « la femme est un homme comme les autres » ou « prenez le pouvoir » on est loin de l’altruisme.

Vous pensez que le féminisme c’est ringard ?
Alors ça non. Beauvoir avait dit à la fin du Deuxième sexe il y a 40 ans, « les luttes de femmes sont derrière nous, nous avons le droit de vote donc ça va ». C’était une connerie totale. Tout était à faire. On a fait tout ce qu’on a pu. C’est la première fois dans l’histoire, que pendant 40 ans on ne s’est pas arrêté un jour. Aujourd’hui, à gauche, comme à droite, des femmes vous diront qu’elles sont féministes, sans parler du changement de société, comme nous le voulions au MLF. Nous voulions une transformation sociale radicale. C’est vrai, c’était un féminisme radical. Mais ce qu’il faut questionner, c’est la structure du féminisme qui est humaniste qui n’est ni individualité, ni égocentré sur le modèle masculin. Joan Scott dans La citoyenne paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme, qui est un livre remarquable, explique que l’option féministe est de partir d’une condition de subordonné puis de s’en détacher en la supprimant. Ne pas devenir un « homme comme un autre », ne pas adopter l’égalité des sexes sans différence, avec le modèle masculin pour les deux sexes.

Donc vous prônez le féminisme comme une alternative ?
On vous dira que le communisme a échoué alors il n’y a pas d’alternative au libéralisme, à l’individualisme, que nous devons toutes devenir des « hommes comme les autres », toutes devenir des libéraux. Mais il y a quand même des gens qui cherchent des alternatives au libéralisme qui participent à l’altermondialiste. Même si pour le moment ça n’avance pas beaucoup. Moi je crois que les femmes, tant qu’il n’y a pas d’utérus artificiel, ont cette compétence particulière qui consiste à faire des enfants. Alors il y a un déséquilibre. Il y a des pays où il n’y a pas de contraceptifs. Si l’occident continue avec sa mentalité malthusienne de dire aux femmes « faite pas d’enfants ça déforme le corps », nous irons exploiter la chair de femmes pauvres du tiers monde, pour faire des enfants pour celle qui ne veulent pas en faire. Le problème central c’est le déséquilibre démographique. Les femmes doivent être solidaires et régler ces questions en globalité. Démographie, développement durable, et développement de la personne, il doit y avoir une alliance des femmes sur ces questions. Je l’appelle la dynamique des trois D. Dans le monde entier, Il faut créer un sentiment d’alliance, de destin commun pour le moment, il en va de l’avenir de l’humanité.

Finalement c’est un combat toujours exaltant ?
C’est exaltant, car c’est l’avenir de passer d’une société de l’égoïsme, de la capitalisation, du profit, à une société du don, de l’altérité, de l’éthique, de la générosité, du partage. Cette société rêvée récupère certains archaïsmes des sociétés antiques, traditionnelles, mais vous savez Mandela dit que l’Afrique du sud qu’il souhaite a un germe dans l’histoire ancestrale et c’est ce germes qu’il faut cultiver. C’est comme si on disait que le socialisme, la question sociale est terminé, ce serait grotesque, c’est la réaction qui peut tenir de tel propos. Je n’aime pas le féminisme étroit, c’est trop prêt du socialisme. Je n’aime pas le mot socialisme et oui, je préfère le mot communisme, la mise en commun, le vivre avec. Quand je dis que je ne suis pas féministe, je veux dire que ce n’est pas assez le féminisme. Il faut se projeter au-delà. Non seulement il faut l’être de façon individuelle mais il faut aller au-delà dans l’alliance des femmes pour une libération massive. C’est ce que je reproche au féminisme français, je veux un féminisme mondial.

Propos recueillis par Carine Delahaie

Fanny Ardant relate son expérience de lecture pour la Bibliothèque des Voix

Texte recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :
7d9114f2831tfanny.jpgC’était comme parler dans le noir à quelqu’un qui vous écoute. Tout raconter d’un trait. Ne jamais s’arrêter. Vivre chaque personnage, recréer un univers entier, vouloir à tout prix partager l’amour d’un livre et l’histoire et le style et les mots.
C’était tout ça quand je suis allée lire La Duchesse de Langeais, Jane Eyre, La Peur.
C’était bien et j’attends que ça recommence.
F.A.