Taslima Nasreen filmée à l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque par TV5 Monde (Sophie Goldstein) pour le 8 mars !

taslima_nasreen-390.jpg Taslima Nasreen : regardez la vidéo ici

Taslima Nasreen est un symbole de la lutte pour les droits des femmes.
L’écrivain paye le prix fort pour son engagement: tête mise à prix en Inde et exil forcé, elle vit maintenant à Paris. C’est ce qu’elle a confié à notre équipe dans une interview exclusive.

Reportage de Sophie Golstein et Ivana Jurisa
8 Mars 2009

TOUTE UNE PAGE de Gilles Martin-Chauffier dans Paris Match pour Guillemette Andreu (et splendide, en plus !) (02.04.09)

008184_28_1.jpgPARIS MATCH Culture match livres – du 2 au 8 avril 2009
La chronique de Gilles Martin-Chauffier
ITINERAIRE D’UNE ENFANT PAS GÂTEE

Extrait :
« (…) quand, enfin, on lui avait ouvert la porte, on la faisait à nouveau longuement attendre dans un immense corridor sombre, puis arrivait la dame hautaine, glacée, tendant à Lise du bout des doigts un bon pour une petite provision de pommes de terre à prendre chez l’épicière. »

GA en 20010001.jpgSous la IIIème République, une jeune Bretonne ne capitule pas face à la misère. Une belle histoire pour la bibliothèque rosse.

Match a 60 ans et quand on regarde les images de l’époque, c’était hier. Mais Guillemette Andreu, elle, en a 95 et lorsqu’elle raconte son enfance, on remonte le temps. Avec Lise, son héroïne, une adolescente, on est à Nantes en 1920, c’est-à-dire sur une autre planète. Très poétique à première vue : après la pluie, les écolières vont ramasser les escargots, qui s’étirent tant qu’ils peuvent au soleil, pour les vendre. On se croirait dans la Bibliothèque rose. Sauf qu’ici la misère est noire. La guerre a provoqué des ravages et des familles sans hommes vivent des pensions dérisoires versées par les pères tués dans la tranchée des Baïonnettes. Les jours où la cousine parisienne oublie d’envoyer un peu d’argent, Lise part pour l’école avec un biscuit, déjeune d’un légume et dîne d’une soupe. Pourtant, personne ne se révolte. Une camisole de bonté cerne la misère. Puisqu’elle a perdu son bon papa sur le front, le bon curé, les bonnes maîtresses, les bonnes soeurs et les bonnes dames d’oeuvres se relaioent pour bercer Lise de leur charité.

Chaque lundi, « La semaine de Suzette » chante ses couplets à l’affreuse, l’inhumaine bonté. Contre qui se dresserait-on ? Lise rêve d’être couturière. Elle ignore tout de la vie des riches. Sans la télé, les pauvres ignoraient le monde. Ils n’imaginaient même pas l’injustice qui les frappait. Le dépaysement commençait à la ville voisine. La grand-mère, après toute une vie à Nantes, n’avait jamais vu la mer.

On lit ces souvenirs, on voit vivre ces femmes qui ne font jamais un pas sans regarder où elles mettent les pieds, on observe ces vies aussi vierges qu’une page blanche et on reste saisi de stupeur. Surtout ne pas s’indigner devant la résignation de ces femmes pudiques qui savaient déjà très bien que les bons sentiments claironnés ne profitent qu’à ceux qui n’en ont pas. On se dit seulement : « Alors, c’était comme ça, la France ? » Un pays où des millions de gens menaient des existences communes comme le pain d’orge, disaient la bénédicité avant de passer à table et restaient toute leur vie là où ils étaient nés, comme la chèvre broute où elle est attachée. Et là, au lieu de s’étonner d’une telle apathie, on est bouleversé par la patience, l’endurance, la solidarité et la bonté de ces familles dont la modération exigeait tellement plus de force que l’intrépidité verbale. Attention, pourtant, tout indigents qu’ils fussent, ils ne passaient pas leur tour et le soleil n’oublie aucun village. Le petit oiseau aussi a des plumes et les bonnes notes récompensent les bons élèves, pas les bons revenus. Même petit, le diamant peut être pur. La maison et l’école, dans cette fameuse IIIème République, étaient les yeux et les mains. Lise va sauter dans cette opportunité. Puis entrer dans des bureaux, fausser compagnie à l’indigence et échapper à la malédiction qui frappait la Bretagne condamnée à pourvoir les Parisiennes en soubrettes et les régiments en chair à canon. Le plus étrange et le plus émouvant, c’est que Lise illustre cette véritable révolution sans hausser le ton, lucide sur les humiliations perpétuelles de son enfance mais nostalgique d’une fraternité de rêve. Alors on comprend pourquoi d’autres régions, tellement plus ensoleillées, gaies et bénies des dieux vaudous regardent sans cesse en arrière même si on se demande ce qui les empêche de ne plus confondre malédiction et tropicalisation.

866904537.jpgTableau d’honneur de Guillemette Andreu, Ed. des Femmes, 200 pages, 15 euros.

Antoinette Fouque écrit sur l’oeuvre de Françoise Gilot

Texte recopié du catalogue des trente ans des Editions des femmes :
francoise_gilot.jpgFrançoise Gilot
Anamorphoses, 15 juin / 31 juillet 1986
La Porte rouge, huile sur toile, 73×59 cm, 1982
 
… Ou la prégnance du regard
 
Texte d’Antoinette Fouque pour le catalogue de l’exposition Anamorphoses de Françoise Gilot, à la Galerie des femmes, en juin 1986 (repris dans Mémoires de femmes 1974 – 2004)
 
Rencontrer une femme ? Aventure difficile dans une civilisation en malaise, ravagée par l’épidémie féministe. Femme : espèce en voie de disparition, transformée en fossile vivant avant d’avoir pu exister.
N’être femme à Marseille et rencontrer, à San Diego, à l’extrême Occident, un demi-siècle après, une « soeur océane », c’est affaire de destin, plutôt que de hasard. Il y aura fallu la guidance poétique et l’endurance femelle ; il y aura fallu cette lente remontée de la mer prostituée jusqu’aux eaux pacifiques, d’un port à l’autre, à de la naissance à la maturité, du passé au futur, anabase et exil.
Ici, là-bas, en Californie, en France, on m’avait tout dit sur Françoise Gilot : sur presque dix années de vie partagée avec Picasso, le géant du vingtième siècle, elle sortant à peine de l’adolescence et lui entrant dans son grand âge ; leurs deux enfants, Claude et Paloma ; et puis Aurélia, plus tard avec un autre ; on m’avait dit qu’elle écrivait des livres (biographies, théorie, poésie), qu’elle était peintre ; qu’elle était aujourd’hui la femme du Docteur Salk, le génial inventeur du vaccin contre la poliomyélite. On remarquait qu’elle ne devait pas être quelqu’un d’ordinaire pour avoir été aimée par des hommes aussi éminents (la gloire de Lou Andreas-Salomé en pâtit encore). On m’avait tout dit, mais rien d’essentiel.
 
picasso_francoise_gilot.jpgD’abord, il y a vos yeux. C’est le premier contact. Tous mes poètes aux mots fertiles répondent à l’appel. « Il viendra un être au regard si vrai que le réel le suivra. » Prégnance du regard : les yeux d’algue et d’guître, bleue et verte, les yeux du commencement du vivant, les yeux de l’océan et de l’huître. Ils nous regardent, au-dehors, au-dedans. L’une et l’autre veillent sur le mouvement, sur les mutations laborieuses. La femme intérieure remonte lentement : « female », « artist-woman », toute en couleurs (même quand vous êtes en blanc). Ici les gens disent que le français est la langue de l’océan. Et si la langue anglaise, plus na(t)ive, était celle des femmes ?
Alors, il y aura plusieurs entretiens, timides, de part et d’autre, comme de juste. Mais, à l’essentiel, vous allez droit. La quintessence, le cinquième élément, pour le peintre, c’est la couleur, pour la femme, c’est le vivant. Pour les deux en une, ce sera la peinture.
Vous me racontez l’enfance. La petite fille et sa peinture, des jumelles. Elle vous est née avec vous, la peinture comme nature. Vous l’avez toujours sue, depuis le « vortex d’abeilles » (dans le midi on dit « avoir des abeilles » pour exprimer un certain état d’excitation : ni le bourdon, ni le cafard, mais une sorte de vertige enthousiaste).
Vous me racontez les voyelles, a, i, o, l’autre et vous, et l’entre-elles. Et i, a, o – a, o – o, a – fortda – ici-là et l’o dans l’a, l’o du nom, aquarelle. Les consonnes F, G, la sixième et la septième, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ; F, G, fille et garçon. Vous jouez avec vos deux genres mais vous ne les confondez pas. Vous créez avec un seul sexe, multiple, hétérogène, complémentaire. C’est toute la différence. Votre « porte rouge » est naturellement bordée de vert. Il s’agit là bien sûr du « naturel en peinture ».
Vous me dites comment vous concevez avec vos deux yeux, à contre-perspective, sans diplopie, sans obsession, par plans ; vous l’avez appris en direct de votre vieil ami Matisse.
francois-gilot-picasso.jpgVous peignez avec vos deux mains, de la gauche, au couteau, de la droite, au pinceau (toutes les techniques vous viennent comme autant de langues fluantes), vos deux mains se touchant dans la chir du tableau. Vous vivez avec vos deux cerveaux, le gauche pour la rigueur, pour le sens (vous refusez le système pour mieux construire la théorie), le droit pour l’intuition, l’anticipation symbolique.
A La Jolla, dans l’enceinte de l’atelier de Françoise Gilot, j’ai vu une centaine de toiles, une infime partie de son oeuvre seulement. Question de lieu, question de temps. Dix heures par jour, en moyenne, d’un travail acharné, sur plusieurs décades. La peinture ininterrompue, abondante, multiple. Travail du lieu, travail du temps. Le lieu y enlace le temps. Le corps antérieur, la chair précoce de l’artiste, plutôt que sa mémoire, s’y exerce, dans une langue de silence, par séries. Le lieu est clos, pour s’ouvrir au-dedans : s’y enfermer, s’y recueillir, s’y concentrer, s’y inspirer presque jusqu’à l’asphyxie (Goya aussi), la gorge serrée à s’en rompre les cordes vocales, le souffle retenu dans le vortex intérieur, ce tourbillon creux et fluide suscité autrefois par l’absence de la mère, Artémis à l’oeil meurtrier, chasseresse d’oiseaux migrateurs.
Le vertige en abîme s’est converti, une fois l’angoisse domptée, en motions, en couleurs, en réserves de passions propres à la faire revenir, autre, la mère, à la faire advenir femme. La passion de la réserve, parfois portée comme un masque de timidité, s’éclate, debout, à la force du geste et relaie le temps en durée de gestation. Elle fait venir la nouvelle née, fille ou amante, tierce peinte, entre elle et la toile : c’est une excorporation, par la transparence profonde des aquarelles bleu sombre, vert liquide, par la précision incisive des lignes acrobates, par la flamboyance des huiles cadrées, recadrées, cernées, construites en villes orientales.
francoisegilot.jpgLa vie dans les yeux, la peintre touche son horizon intérieur, se remet en face des choses, les atteint et les transmet de les atteindre plutôt que de les représenter. Instase. Descendre au lieu inné, en soi, où l’autre se désaltère, et faire naître. S’éloigner de plus d’une mort ; faire vivre plus d’une vie par cet affort d’amour. La peinture est un acte, un fait qui me réveille, me touche à l’intouchable ; l’élément chair aussi a ses rêveries de labeur. Relation d’être à être, en écho, sans miroir, de pensant-vivant.
Instance de la couleur. L’un désirait parfois « se montrer jusqu’au rouge ». Françoise Gilot porte au bleu l’espérance, ouverte sur la vie. On s’éloigne des portes de l’enfer, on s’éloigne des portes du paradis, des portes de l’exil ouvertes sur les sables, des portes désespérées de la comédie divine, de la corrida domestique, de l’idée fixe, de l’obsession du temps, de la phobie du vivant, de la scène à répétition, de la résistance stérile, de l’Art considéré comme un assassinat, du culte du moi-moi, de la sublimation du Divin, du Pouvoir.
Les yeux vivants touchent le ciel. Le corps sensible, intime, monte jusqu’aux étoiles
. Une femme offre en écho chiasmé, visible, l’invisible. Elle en oublie l’oubli, une certaine indifférence. Pas de Dieu incréé et donc pas d’incréable. Son art originaire (Urkunst ?) appelle l’expansion. Elle anticipe la réminiscence d’une communauté symbolisante. Celle qui voit et celle qui regarde, deux, plusieurs femmes, ont désormais même inconscient, prégnant, agile comme un corps subtil, mouvant comme un bonheur océan. C’est faire oeuvre d’analyste. C’est du même coup démasquer « le travail du rêve », comme pâle contrefaçon, du travail de tout l’être : corps et sens, sexe, coeur, jambes, poumons, cerveau, pensée, langage et conception entrelacent leurs jeux dans la lumière et l’eau de la chambre utérine. La forêt vierge ruisselle rouge sang sur la toile. La relation est cette fois de connaissance. Aucune femme ne serait plus tenue à l’envers d’elle-même, ne serait plus contrariée dans ma mère à la folie.
 
photo-Francoise-NY.jpgC’est l’accueil en ce lieu, le vôtre, de peinture, qui interrompt l’exil, notre existence en pointillés. La coleur fait reculer la psychose, les blancs à l’âme, le spleeen et l’idéal du Narcisse ; elle mobilise la joie. En elle, un peu, je me retrouve cette fois dans Paris. La pierre vire aux roulements du corps de l’autre, aux balancements matriciels. Votre « persona » a les yeux pers. Ce n’est pas un autoportrait. Vous avez mieux à faire que de vous prendre pour Dieu. Votre soleil se lève tôt, tranché de vert, deux fois troué. Votre fenêtre de femme-peintre ouvre sur une autre dimension, peut-être la quatrième quant au dessin des pulsions (après l’inhibition, la perversion, la sublimation). C’est en tous cas la dimension du mouvement, donc du vivant-pensant, pour chaque sexe.
Vous êtes de l’autre côté des avant-gardes à systèmes, des « génies » ravageurs, enragés. Votre modernité, du côté de Matisse, ouvre la tradition, pense la transmission, retient la permanence du sens, perdu/trouvé, à mettre au monde. Elle est la forme expulsée comme nouvelle, et hors d’elle-même comme autre : anamorphose. Vous la nommez « Idole enfantine », « Amour », « Lien », « Equinoxe ». Elle est forme externée, sécrétion de couleurs perlées, la remontée à soi d’une pulsion profonde, inexistante, invisible. Grosse d’affects et d’échos, vous la voulez symbole. Vous la mobilisez vers son ailleurs. Vous la placez au commencement de demain. Vous l’imaginez au présent d’une expérance. Ce n’est plus la régression progédiente et l’angoisse du créateur, mais la prégnance de l’enfante-femme d’avant le premier jour.
 
Et si toute naissance était anamorphose ?
La (pro)création serait géni(t)ale ou ne serait plus.
Alors, il faudrait saluer ici une naissance de peinture.
Antoinette Fouque, La Jolla-Paris, juin 1986

France Culture AIME « Tableau d’honneur » ! (émission de Colette Fellous le 29.03.09)

GA côte bretonne 20010001.jpgCARNET NOMADE diffusé sur France Culture dimanche 29 mars 2009

colfel.jpgProduction : COLETTE FELLOUS – Realisation : Vincent Decque – Invites : Pascale KRAMER, Xavier Houssin, Sylvie Andreu, Geneviève Brisac – Description : Dans ce carnet nomade, des scènes de famille circuleront, prises dans des lieux et des temps très différents, à partir de quatre récits, celui de Geneviève Brisac qui vient de signer sa première pièce de théâtre « Je vois des choses que vous ne voyez pas »‘ à la Manufacture des Abbesses et qui a rassemblé également toutes ses histoires d’Olga dans « Le grand livre d’Olga », celui de Pascale Kramer dont le dernier roman pose la question du lien entre mère et fille, le personnage principal étant prise entre sa mère et son bébé qu’elle n’arrive pas à aimer. Sylvie Andreu viendra parler du premier roman de sa propre mère, Guillemette Andreu qu’elle publie, petit miracle éditorial, à l’âge de 94 ans et qui raconte son enfance passée à Nantes, aprèsla première guerre, puis ses années de formation. Enfin, avec Xavier Houssin, c’est également le portrait d’une mère qui se dessinera, le portrait de sa jeunesse, comme un conte qu’il lui chuchote au moment de sa mort. Une dernière scène, où le fils, comme dans un mythe, viendrait raconter à sa mère sa propre vie. De l’enfance à l’extrême vieillesse, ce carnet sera un voyage tendre, lucide, parfois cruel, au c¿ur de la famille. – Site Internet : http://www.radiofrance.fr/

émission du dimanche 29 mars 2009
455120639-photo.jpgScènes de famille
Charlot, goûter d’enfants, Paris 1953
© Grenot

Intervenants :
Pascale Kramer. Auteur de L’implacable brutalité du réveil aux éditions Mercure de France.
Xavier Houssin. Auteur de La mort de ma mère aux éditions Buchet-Chastel.
Geneviève Brisac. Auteur de Je vois des choses que vous ne voyez pas chez Actes Sud junior et Le grand livre d’Olga à L’Ecole des loisirs.
Sylvie Andreu. Pour Tableau d’honneur de Guillemette Andreu aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque.
Sylvie Andreu est productrice de l’émission Vivre sa ville sur France Culture.

Carnet nomade de Colette Fellous : ici