Jacques Pradel donne la parole à Christian Rol sur RTL (30 avril 2015)

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Réécoutez l’émission où Christian Rol a été interviewé par Jacques Pradel ici 

http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/l-assassinat-de-pierre-goldman-7777518779

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L’édito de Jacques Pradel

A la Une de l’heure du crime aujourd’hui, l’assassinat en 1979, d’une figure de l’extrême gauche de l’époque,  Pierre Goldman, par un mystérieux commando…Qui était véritablement Pierre Goldman ? Quelle est l’identité des membres de ce commando qui l’ont abattu en plein Paris, le 20 septembre 1979? 
Qui a donné l’ordre de le tuer ? Plusieurs pistes ont été suivies à l’époque, par les enquêteurs. Elles ont toutes débouché sur des impasses. Près de 30 ans plus tard, en 2009, un livre du commissaire Lucien-Aimé Blanc, ancien chef de l’OCRB, l’office central de répression du banditisme, révélait le témoignage et l’aveu d’un de ses anciens indicateurs, qui aurait participé à cet assassinat commandité par une officine politico-mafieuse. Mais aucune preuve n’était apportée. Aujourd’hui encore, cet assassinat impuni et son mobile précis, demeurent une énigme. Mais, un nouveau livre, signé du journaliste Christian Rol, relance à nouveau l’affaire, ces derniers jours, en révélant, après son décès, l’identité d’un autre tueur.
Nous revenons sur ces révélations, mais aussi sur la trajectoire et la personnalité de Pierre Goldman, avec le journaliste Mickaël Prazan qui a, lui aussi, mené une longue enquête sur cette affaire…

Nos invités

Michaël Prazan, écrivain et réalisateur. Auteur du livre « Pierre Goldman, le Frère de l’ombre »,( Seuil -2005)
Auteur et réalisateur du film « L’assassinat de Pierre Goldman » (Kuiv productions – France 3), diffusion le 13 janvier 2006 – Sélection officielle FIPA 2006 (Biarritz, janvier 2006)
Christian Rol, journaliste et écrivain. Auteur du livre « Le roman vrai d’un fasciste français »  qui vient de paraître aux éditions La Manufacture de Livres

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Le Salon littéraire repère le livre de Roger Taylor, MERCI à Bertrand du Chambon ! (23 avril 2015)

Géant des mers par Bertrand du Chambon

Thèmes : 
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roger jolie.jpg   Il est des jours où nous aimerions avoir, comme Victor Hugo, la diarrhée de l’antithèse : l’homme est grand, et cependant il est petit ; la mer est douce, mais l’océan est terrifiant, etc… On pourrait broder ainsi longtemps quand on commence à lire le récit – ce n’est pas un roman – de Roger Taylor, homme d’affaires et coureur des mers. Cet homme-là est d’une modestie incroyable. Il accomplit les exploits les plus improbables, parcourt l’Atlantique nord à la barre de son humble voilier, croise autour du Svalbard qui est un archipel de la Norvège, barre au large du Groënland, risque sa coque en lisière des icebergs et revient les mains dans les poches, l’air de rien. Il a tout de même remporté la médaille Jester « pour sa contribution exceptionnelle à l’art de la navigation » et a reçu d’autres récompenses, mais bien sûr il n’en dira rien : lui, ce qui le passionne,ce sont les déferlantes, la laltitude 80° Nord, les puffins majeurs et les « albatros à sourcils noirs ». 

Parti en mer, il se régale. Avec un soin précautionneux, une précision hallucinante, il décrit la houle, la texture des glaces, la coque du chalutier qui a manqué l’écrabouiller, un pétrel cul-blanc : « je le voyais pirouetter dans notre sillage, si près que son beau plumage brun chocolat, la barre légèrement plus claire en travers de ses ailes, son croupion blanc et même la fourche de sa queue étaient perceptibles dans les rares millièmes de seconde où mon œil parvenait à capter le mouvement et fixer une image quasiment nette. »

Oui, voilà ce qu’il est, ce marin-là : attentif. Il ne s’ennuie jamais. Il porte une attention effroyable aux détails du monde, il observe la nature, goûte le moindre mouvement : on l’imagine en train de pêcher ou de baguer un oiseau.

Parfois, ayant peur, la nuit il se dresse hors de sa bannette tandis qu’il sent tanguer son embarcation, et il chante des bêtises pour se donner du courage, hurlant contre l’insolente immensité du monde : 

« In South Australia I was boooorn !

Heaaaave away ! Haaaaul away !

South Australia round Cape Hoooorn !

Bound for South Austraaaalia !

Je n’avais pas chanté ces paroles depuis quarante ans. Je me suis souvenu de mes compagnons d’équipage. Je me suis rappelé comment nous nous cramponnions les uns aux autres et comment nous les chantions pour avoir moins peur de mourir de froid. »

Même si comme moi vous ne connaissez rien à la mer, si naviguer vous paraît fastidieux, angoissant, vous aimerez ces pages gavées d’eau salée et de noroît. C’est un autre monde : nous découvrons ainsi que nous sommes des terriens, des gens qui ont besoin d’un sol, des rocs et des routes, alors que d’autres hommes, assez loin de nous, ont besoin de marées, de focs et de soutes. Ils vivent pour être sur de l’eau ! C’est à peine croyable. Le style de Roger Taylor, surprenant et pointu, affûté, d’une extrême précision, nous permet de commencer à explorer un tout autre univers. C’est fascinant : c’est comme découvrir une autre planète, et pourtant celle-ci est la nôtre. 70 % environ de la surface du globe. Nous autres, nous occupons les 30 % qui restent.

Ce qui n’est pas désagréable, à force d’arpenter les mers, c’est qu’il est seul. Il regarde l’univers, demande des comptes à Dieu et au personnel navigant. Blessé, et dervant s’opérer seul, il convoque l’équipage : « Le Médecin et Dentiste du bord a soigneusement rangé toute la panoplie (…). Le Skipper a suggéré de se concentrer sur la navigation. Le Garçon de cabine, étrangement silencieux pendant tout cet intermède, avait un discret sourire de soulagement. » Mais ces quatre personnes, c’était lui, et lui seul.

Reste alors un soir à croiser l’albatros, l’apercevoir enfin, créature de Baudelaire et de Coleridge (une note de bas de page nous rappelle Le Dit du vieux marin, au cas où nous l’aurions oublié) qui évoque la folie de notre monde : « Aucun autre oiseau ne peut causer une réaction aussi complexe. L’albatros est innocence et reproche, à parts égales. Il nous montre ce à quoi nous aurions pu aspirer et comment nous y avons échoué. »

Hardi marin, grand écrivain, bon philosophe, Roger Taylor est tout cela, et d’autres hommes encore. On peut se risquer à le lire : on se surprend à être comme lui, seul, mais en bonne compagnie.

 

Roger Taylor, Mingming au rythme de la houle, éditions La Découvrance 2015, 21 €. 

 

Un article objectif de qualité par un brillant penseur littéraire, libre et indépendant sur le livre de Christian Rol (23 avril 2015)

Christian Rol, Le roman vrai d’un fasciste français

christian rol le roman vrai d un fasciste francais
Qui a vécu sa jeunesse entre 1967 et 1987 lira avec passion ce livre. Il retrace la vie parisienne, idéologique et activiste de ces années-là. L’éditeur est spécialiste des vies exemplaires et a déjà publié la vie l’Al Capone, le testament de Lucky Luciano, les confidences de J.E. Hoover, les histoires d’espions ou de P.J. de Charles Pellegrini, les rires de Spaggiari et les braqueurs des cités de Rédoine Faïd – entre autres. Il s’intéresse ce mois-ci à René Resciniti de Says, flambeur déclassé, barbouze élégant et possible tueur de Pierre Goldman (demi-frère aîné de Jean-Jacques, l’idole des années 80 et enfoiré de première pour les Restau du cœur) – tueur possible aussi d’Henri Curiel (fils de banquier juif égyptien, communiste et anticolonialiste), plus quelques inconnus nécessaires.

Possible, car rien n’est sûr malgré le titre accrocheur, même si les présomptions sont fortes, encore que le brouillage des pistes soit la spécialité des « services » parallèles, notamment sous de Gaulle (avec Foccart), Giscard (avec Debizet) et Mitterrand (avec Grossouvre). Pourquoi Goldman ? (dont j’ai parlé ici) – Parce qu’il représentait aux yeux de la droite au pouvoir tout ce que le gauchisme post-68 avait de repoussant : l’arrogance d’un juif polonais délinquant, la pression jamais vue des intellos de gauche sur la justice, l’impunité d’un braqueur qui aurait tué deux pharmaciennes et blessé un policier. Pourquoi Curiel ? Parce que cet internationaliste marxiste, il y a peu traître à la patrie en portant des valises pour le FLN algérien, était devenu le centre d’une nébuleuse d’aide aux terroristes gauchistes, dont Carlos a été la figure la plus meurtrière. René de Says a tué sans état d’âme ni passion ; il n’était pas un tueur psychopathe mais un activiste politique, convaincu d’agir pour le bien de la France.

René, dit Néné, baisait bien avant sa majorité les sœur Nichons, devant ses copains ébahis. A 15 ans, en 1967, il avait la virilité précoce et la prestance de l’adolescent affranchi, étreignant déjà et régulièrement les filles du Lido près de chez lui, et couchant un mois entier avec sa marraine à la trentaine épanouie. Il avait dû commencer à 12 ou 13 ans et les collégiens de son âge, frères aînés de l’auteur, en étaient fascinés. Néné n’avait pas attendu mai 68 pour jeter l’austérité puritaine aux orties et bafouer l’autoritarisme suranné des dernières années de Gaulle. Ce pourquoi il n’a jamais été sensible aux sirènes sexuelles du gauchisme, dont on se demande s’il aurait eu tant de succès s’il n’avait pas encouragé la baise entre tous et toutes, selon les multiples combinaisons de Wilhelm Reich… D’ailleurs le marxisme du Parti communiste est devenu brutalement ringard en quelques mois, alors que les cents fleurs du maoïsme et la prestance christique de Che Guevara enflammaient les passions. Baisons rimait avec révolution alors que votons était piège à cons. C’était l’époque – bien décrite aussi côté mœurs par Claude Arnaud.

Mais nous sommes avec René dans l’aventure. Ce « garçon de bonne famille à la réputation de voyou »(p.25) est aussi à l’aise au Ritz qu’au bordel. Il aime les putes et les fringues, avant l’alcool et l’adrénaline. Il n’a pas froid aux yeux ni la morale en bandoulière : ce qu’il ne peut s’offrir, il le vole – habilement – ou monte une arnaque pour l’obtenir. A demi-italien, il a le sens du théâtre ; même sans le sou, il a celui de la prestance. Son bagout et sa culture font le reste. Abandonné par un père volage qui n’a jamais travaillé mais qui descend d’un neveu du comte Sforza, célèbre antifasciste, il fait le désespoir de sa mère mais revient toujours à elle. En bon déclassé, habitant un minable deux-pièces – mais sur les Champs-Élysées – il est séduit par le baroque désuet de l’Action française, malgré le titre racoleur et faux du livre qui en fait un « fasciste ».

Christian Rol, petit frère d’amis de Néné et journaliste aujourd’hui à Atlantico, n’hésite pas à en rajouter pour faire monter la sauce, poussant la coquetterie jusqu’à déguiser nombre de témoins par des pseudonymes « pour protéger ses sources » – tout en lâchant un vrai nom page 308, sous couvert d’un article cité d’un obscur canard que personne n’aurait jamais cherché. Que valent des « témoignages » qui doivent rester anonymes ? Ce pourquoi le dernier tiers du livre est assez mal ficelé, redondant, citant de trop longs passages d’un journal intime insignifiant ou un dithyrambe nécrologique de peu d’intérêt. Christian Rol, c’est clair, est un conteur d’histoire au style action, un brin hussard, mais pas un journaliste d’investigation.

Et c’est dommage, car les 200 premières pages sont captivantes, replaçant bien les personnages dans le contexte d’époque, les jeux de guerre froide, le terrorisme à prétexte palestinien, la trahison des clercs qui, par lâcheté, hurlent avec les loups, l’explication universelle par un marxisme dogmatique revu et simplifié par Trotski et Mao, la haine de classe des petit-bourgeois qui veulent devenir de grands bourgeois à la place des grands bourgeois (ce qu’ils feront sous Mitterrand), la haine de génération envers les vieux cons, encouragée par Sartre de plus en plus sénile à mesure des années 1970. L’extrémisme de gauche a secrété de lui-même un extrémisme de droite, moins dogmatique et plus romantique, habité de la fureur de vivre des enfants du baby-boom, trop nombreux et avides d’exister dans une société coincée par la petite vertu des années de guerre mondiale et de reconstruction. L’auteur note de René « sa bohème et sa nature profondément libertaire » p.62.

Gauchiste, ne te casse pas la tête, on s’en charge ! était le slogan minoritaire de ces années de guerre civile en faculté. L’engeance du progressisme bourgeois, qui allait donner le bobo dans sa crédule bêtise et son narcissisme de nanti, était la mode à combattre. Sans avoir été de ce bord, je le comprends dans son époque. La pression médiatique des quotidiens contaminés tels l’ImMonde, le Nouveau snObs, l’Aberration, le Mâtin des paris et autres LèchePress (titres parodiques inventés ces années-là) était telle qu’elle suscitait son antidote, par simple santé mentale. Dès qu’on voulait penser par soi-même, il fallait quitter la horde, lire autre chose que le Petit livre rouge ou Das Kapital, analyser autrement que par les structures marxistes faites de rapports schématiques de domination.

Néné et ses copains ne s’embarrassaient pas d’intellectualisme ni de théorie ; ils aimaient la France, vieux pays du sacre de Reims, et n’aimaient pas ces idées immigrées de la philosophie allemande. Ils baisaient comme les gauchistes – mais surtout les filles, pas les garçons comme leurs adversaires, encore moins les enfants ; ils faisaient le coup de poing comme eux – mais avec plus de conviction et trop souvent à deux contre dix ; ils étaient surtout moins lourdement « sérieux », nettement plus potaches. Au point d’aller fesser JJSS (Jean-Jacques Servan-Schreiber lui-même !) en pleine conférence devant les bons bourgeois d’Angers.

Faute de vouloir se caser avec emploi, épouse et gosses, nombre de ces rebelles sans cause se sont engagés. Pour René, ce fut dans les parachutistes, au 9ème RCP où il deviendra caporal-chef. Mais toute hiérarchie lui pèse, les putes lui manquent et les fringues militaires ne valent pas les costumes sur mesure de son tailleur Cohen, ni les pompes Weston sans lesquelles il se sent en tongs. Après les paras, ce sera l’engagement au Liban, côté phalanges chrétiennes contre les « islamo-progressistes » financés par l’URSS, puis au Bénin avec Bob Denard pour un putsch manqué à cause du manque d’envergure stratégique dudit Denard – qui laisse sur le tarmac une caisse emplie d’archives, contenant les noms et photos des papiers d’identité de tout le commando ! Le portrait du mercenaire, page 167, vaut son pesant de francs 1980.

Ce n’est que page 179 qu’on assassine Henri Curiel, et page 185 Pierre Goldman. Sur ordre du Service d’action civique (SAC) mais pour le compte d’autres commanditaires : Poniatowski ? le SDECE ? les services secrets sud-africains ? Gladio ou la CIA ? On mourrait sec dans la France giscardienne : Jean de Broglie, Robert Boulin, Jean-Antoine Tramoni… Curiel et Goldman ont été pris dans cette mixture inextricable de paranoïa barbouzarde et de liaisons internationalistes-progressistes manipulées par les grands de la guerre froide. Rien de personnel, rien que le nettoyage d’agents de la subversion. Est-ce réalité, est-ce vantardise ? peu importe, au fond. Ce qui compte est le roman d’aventure de ces années, l’amoralité de cette génération qui a explosé en 68, la vie accomplie avant trente ans, comme Achille, Alexandre ou Jésus…

René de Says a encore arnaqué des Chinois des Triades, fait la bringue avec l’ex-Waffen SS Christian de La Mazière, témoigné dans Le chagrin et la pitié de Max Ophüls, mais le cœur n’y était plus. Difficile de rester un flambeur marginal épris de la patrie et des filles, une fois passée la vigueur exceptionnelle de la jeunesse. René l’aristo à demi italien reste un clochard céleste qui a vécu mille vies, mais a toujours été hanté par le néant. Sa fin, à 61 ans, est dérisoire : Néné le Camelot est mort d’une tranche de gigot, en fausse-route à Fontenay.

Si ce livre n’est ni « une bombe », ni la révélation « de l’homme qui tua Pierre Goldman et Henri Curiel », il est surtout le roman politique d’une époque, de l’autre côté de la mode. Ce qui est rare, d’autant plus passionnant.

Christian Rol, Le roman vrai d’un fasciste français, avril 2015, éditions La manufacture de livres, 314 pages, €19.90

Éditions La manufacture de livres – attachée de presse Guilaine Depis – 06.84.36.31.85 guilaine_depis@yahoo.com

Musique yiddish pour fêter Yom ha’Atzmaout avec Claude Berger et le pianiste Florient Dumitru

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Jeudi 23 avril à 16h30 au CAFÉ DES PSAUMES

Venez fêter Yom ha’Atzmaout avec Claude Berger et le pianiste Florient Dumitru : musique yiddish, petites et grandes histoires juives.

16 ter rue des Rosiers 75004 Paris (Métro Saint-Paul)


À lire d’urgence :
 « Itinéraire d’un Juif du siècle » aux Éditions de Paris AVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH 

Demandez en service de presse le nouveau livre de Claude Berger et venez assister à ses conférences et concerts. 

Renseignements auprès de son attachée de presse guilaine_depis@yahoo.com / 06 84 36 31 85 

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À propos de « L’ange du Liponard » : Le premier article sur l’inédit du géant de la littérature italienne Mario TOBINO

Mario Tobino, L’ange du Liponard

Capture d’écran 2015-04-23 à 00.36.01.pngNeufs nouvelles sur la mer et les marins, par un auteur italien devenu médecin psychiatre mais qui a toujours gardé la nostalgie de son enfance en bord de mer, à Viareggio, près de Pise. Très populaire en Italie parce qu’il écrit sans façon, dans le style réaliste qui plaît aux années d’après-guerre, il a reçu en 1962 le prix Strega, l’équivalent du Goncourt français.

L’auteur, né en 1910, a connu ces gamins de douze ans qui devenaient mousses sur les navires encore majoritairement à voiles sur la Méditerranée. Il a connu ces jeunes hommes, capitaines de trente ans dans les années trente. Il raconte ces histoires simples et rudes de marins, réduites aux bases de l’humanité : la femme, la peur, l’autorité, la jalousie, la vieillesse.

La nouvelle qui donne son titre au recueil garde l’unité de temps, l’unité de lieu et l’unité d’action du théâtre classique. Le temps, quelques jours de bonace, qui encalminent inexorablement un navire à voiles ; le lieu, l’étroite goélette, où tout le monde se côtoie, où tout se voit, les corps nus des marins et surtout le bain féminin à l’eau de mer qui plaque le maillot sur les formes juvéniles ; l’action, tous les événements sont liés et nécessaires, comme pour une tragédie : le jeune capitaine qui emmène à bord sa femme tout juste épousée, la bonace qui désœuvre et fait travailler l’imagination, le côtoiement social qui égalise les conditions et suscite le jeu, lequel tourne en drame. La catharsis survient lorsque meurt le capitaine, pour s’être emmêlé les mains en haut d’une corde lors d’une course en tête de mât : le champ est libre désormais pour les hommes. Sauf le Second, en responsabilités, et le mousse, trop jeune pour désirer, tous les marins passent sur la Femme, à tour de rôle, jusqu’au port. C’est la nature, c’est le destin. Qui est l’ange ? La goélette, bien-sûr, mais peut-être aussi la seule femme du bateau – ou bien encore le mousse, le seul à rester libre.

Capture d’écran 2015-04-23 à 00.36.21.pngUn autre mousse fera naufrage, sans le savoir, dans un bateau voilé qui s’éventre sur un rocher. Enfermé par le prévenant capitaine dans sa cabine, il se retrouve tout seul, mais à trente mètres de la terre. Un vieux berger viendra le délivrer. Travail, sensualité, côtoiement des hommes, terreur d’être englouti – et expérience unique d’avoir fait naufrage et de s’en être sorti.

Les matelots adultes sont en proie à d’étranges lubies : untel croit que sa femme le trompe, bien qu’elle lui ait donné deux gamins. Sur les insinuations d’un serpent sur un autre bord, jaloux de sa joie de vivre, il revient en catastrophe au village côtier, pour trouver sa femme… en bonne mère et bonne ménagère. Un autre, un meccano, ne peut supporter de se faire engueuler par un patron avare qui le houspille un peu fort, alors qu’il s’est levé très tôt pour remettre en état un moteur usé jusqu’aux coussins. Deux marins en bordée se baladent en ville et suivent une femme qui les séduit ; c’est une professionnelle, mais ils n’ont pas les mots pour l’aborder, ni peut-être la paye – ils ne font que rêver. Un vieux se souvient de la mer et se délecte une dernière fois du poisson qu’il a lui-même pêché, accommodé à l’huile et au citron.

Capture d’écran 2015-04-23 à 00.36.34.pngUn village sur un rocher, avec l’église dans les embruns, est le théâtre de la dernière des neufs nouvelles. La tante de l’auteur vient de mourir, lien charnel et maternel dernier avec l’endroit qui l’a vu naître et où il tant joué, enfant.

Ces histoires simples et vraies, un peu surannées, laissent un charme à l’esprit comme un vin long en bouche. Lues facilement, il ne faut pas se laisser prendre à leur apparente spontanéité car elles font travailler l’imaginaire longtemps encore après avoir été dévorées.

Mario Tobino, L’ange du Liponard et autres récits de mer (L’Angelo del Liponard), 2007, éditions La Découvrance 2015, 133 pages, 
Éditions La Découvrance, La Rochelle – attachée de presse Guilaine Depis – 06.84.36.31.85 guilaine_depis@yahoo.com

Le Nouvel Économiste publie les BONNES FEUILLES du livre-document sur l’assassinat d’Henri Curiel (17 avril 2015)

Dernières nouvelles du meurtre d’Henri Curiel 

(lien du site Le Nouvel Économiste)

Les mémoires de truands sont toujours à manipuler avec des pincettes, mais si l’on sait trier la frime du vrai, on peut y découvrir par exemple les modalités et les commanditaires de l’assassinat du pacifiste Henri Curiel à Paris en 1978. Extraits.

curiel

(…)
Chapitre XIV
Ne nous fâchons pas !

Paris, 4 mai 1978, 14 heures.

Néné, le Colt 45 bien en main, tire les trois bastos de 11,43 dans la cible, à bout portant. L’homme s’écroule doucement, sa chute ralentie par les parois de l’ascenseur étriqué. À côté de René, son complice se penche brièvement sur la victime qui respire encore. “O.K., c’est bon, on se tire !” La cible en question était un sexagénaire a priori ordinaire, une sorte de M. Tout-le-Monde, passe-muraille sans histoire. Sans histoire, façon de parler puisque ce jour-là, au 4 de la rue Rollin, dans le Ve arrondissement de Paris, l’homme qui expirera bientôt n’est autre qu’Henri Curiel.

Certes, le grand public ignore cet anonyme patronyme, même si ‘Le Point’, dans son numéro du 21 juin 1976, et sous la plume de Georges Suffert, fondateur et pilier de l’hebdomadaire, édifia quelque peu ses lecteurs sur la carrière du “patron des réseaux d’aide aux terroristes”. Article que les zélateurs de Curiel n’auront de cesse de reprocher à son auteur, accusé ni plus ni moins d’avoir armé objectivement les meurtriers. Lequel Suffert, las de ce fardeau moral, se flagellera en place publique, s’accusant de naïveté et prétendra avoir été la cible de manipulations de la part des services et de la CIA en particulier.

Si le vulgum pecus méconnaît tout de cet homme de l’ombre, les services de renseignement français, en revanche, le connaissent bien. Curiel est un client de marque. À la DST en particulier, le dossier Curiel, le plus épais de l’honorable maison, est un cas d’école et un casse-tête à la fois. L’animateur du réseau Solidarité, ex-réseau Janson, qui aidait jadis les porteurs de valises au profit du FLN algérien – activité qui lui vaudra d’être incarcéré à Fresnes quelque temps, avant d’en être libéré par les autorités gaullistes pour services rendus à l’époque de la France libre –, cet homme aux multiples casquettes, donc, ne saurait se résumer à une seule définition.

Pour ses amis idéologiques, notamment Gilles Perrault, gardien du temple et biographe autant talentueux que scrupuleux d’Henri Curiel, ce juif égyptien – dont les ancêtres sont tous européens –, cofondateur du mouvement communiste au Caire avant-guerre et fils de milliardaires, est de ceux dont le parcours “tels ceux d’un Nelson Mandela ou d’un Che Guevara, illustre l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle, qui restera comme celle de l’immense mouvement de décolonisation et d’émancipation qui a changé la face de la planète.”

La vie de Curiel ne fut pas simple, puisque romanesque au sens étymologique du terme. L’enfant terrible de la grande bourgeoisie progressiste du Caire, au train de vie “à l’écart de l’ostentatoire”, dixit Perrault, demeure dans une maison immense nichée sur l’île cossue de Zamalek. Cet enfant épousera bientôt les passions politiques de son temps ; et, en particulier, ce marxisme orthodoxe et néanmoins à géométrie variable qui occupera Curiel un bon demi-siècle pour s’achever en France, pays d’exil et de cœur, après avoir connu les prisons égyptiennes – et un temps, françaises – les affres de la clandestinité et de l’aventure politique au service d’un idéal aux contours indéfinis. 

Selon la rive où l’on se situe, Curiel fait tantôt œuvre de tiers-mondiste, louée par Perrault, tantôt d’agent de la subversion “humanitaire”, avec ses prolongements “terroristes”, à laquelle le journaliste d’extrême droite Roland Gaucher consacrera lui aussi un livre. Deux ouvrages pour le moins antagonistes qui résument, sinon Curiel, du moins le manichéisme des analyses, sentiments et positions de cette période de guerre froide ; et l’amertume, parfois, des anciens partisans de l’Algérie française qui n’oublieront pas qu’avant d’être l’allié direct des mouvements de libération en Amérique centrale, en Afrique du Sud et ailleurs, Henri Curiel avait été celui des fellouzes algériens du Front de libération national, via le réseau Janson.

*

Sitôt après l’exécution, René et son comparse ont disparu dans la foule, rue Monge, en contrebas, pour, plus tard, remettre le Colt à un troisième homme. Celui-ci, aurait été extrait de la préfecture de police, de l’autre côté de la Seine, et remis à sa place, parmi les armes saisies sur des affaires judiciaires antérieures. C’est également depuis la PP que la revendication aurait eu lieu auprès de l’AFP.

“Aujourd’hui, à 14 heures, l’agent du KGB, Henri Curiel, militant de la cause arabe, traître à la France qui l’a adopté, a cessé définitivement ses activités. Il a été exécuté en souvenir de tous nos morts. Lors de notre dernière opération, nous avions averti. Delta.”

Voilà, en substance, ce que me dira René, à moi et à d’autres, plus de trente ans après ce forfait. Pour les besoins de ce livre, que je n’imaginais pas posthume, je le voyais régulièrement autour d’une table amie où il disposait de son rond de serviette ; et accessoirement du gîte. Sous le portrait de feu son frère de cœur, Serge de Beketch, René faisait le spectacle avec la complicité enjouée de notre hôte Dominique. Mais, entre faire le spectacle et revendiquer un acte qui, même en petit comité et plus de trente ans plus tard, relève de la raison d’État, il y avait un gouffre.

Ce jour-là, comme tous ceux qui l’ont précédé depuis des années, René persiste à demeurer à l’ombre de l’Élégant. Le rebelle de jadis, l’aventurier pittoresque, le tueur inquiétant et le dandy sulfureux est à présent un sexagénaire fatigué, pauvre et sans le sou. Certes, son avocat et ami, Maître Laurent Moury, lui commande toujours des costumes sur mesure, mais le corps n’y est plus. Les années de dèche accusent une maigreur de plus en plus inquiétante que Néné se refuse à diagnostiquer auprès d’un quelconque toubib. “S’il m’arrive quelque chose, a-t-il confié à de plus proches que moi, laissez-moi crever…” Sa crinière blonde a laissé place à une calvitie grisâtre, et le regard bleu où se reflétaient la séduction et la dangerosité a viré à la lassitude.
“– Pourquoi signer Delta ? M’étonnai-je au cours de ce déjeuner où nous évoquons Curiel.

– Quelle question ! Pour brouiller les pistes, bien sûr. Comme pour Sebaï. D’ailleurs, le pauvre mec a pris pour un autre mais je n’étais pas dans le coup. C’était pas lui la cible…
– Mais alors, pourquoi Curiel et qui ?

– Curiel, je sais – et pour cause ! – qui sont les donneurs d’ordre. Mais avec le recul, j’ai la conviction d’avoir été manipulé. Non pas que j’aurais refusé le job, mais l’affaire était plus compliquée que ce qu’on nous avait présenté. On nous a situé Curiel comme un agent de la subversion internationale, ce qui était vrai et l’article de Suffert dans ‘Le Point’ était très clair là-dessus. Mais au profit de qui on l’a flingué, ça je n’en sais rien. À l’époque, j’ai le sentiment que nous avons sous-traité l’opération pour un autre État. C’est en tout cas ce qui se disait à demi-mot.

– C’est qui les donneurs d’ordre ?

– On bosse pour Debizet. Point final.

– Il y a un rapport avec l’assassinat de Duprat ?

– S’il y en a un, je ne vois pas lequel. De toute façon, à l’époque, les attentats et les crimes politiques, c’était monnaie courante. Tout le monde avait une bonne raison de flinguer tout le monde. Et en particulier Curiel, Perrault et Gaucher l’ont dit : le KGB, le BOSS sud-africain, les Palestiniens, le Mossad, certains états d’Amérique latine, tout le monde était susceptible de vouloir flinguer ce mec…

– L’Otan ?

– Ce n’est pas exclu

– La France ?

– Non, justement. Même si les commanditaires sont français à l’époque, objectivement, Curiel ne gêne pas la France. Ou alors de loin, pour des raisons diplomatiques entre l’État français et telle puissance. De toute façon, Curiel avait fini par se prendre les guiboles dans sa propre toile. Trente ans de billard à plusieurs bandes, au bout d’un moment ça use. Le monstre qu’il avait mis au monde avait fini par le bouffer.

– Pourquoi toi, tu l’as fait ?

– Parce que, à l’époque, c’est la guerre froide. Curiel nous est présenté comme le super-agent de la subversion – même si à l’époque il n’avait aucune activité contre la France. Nous, on ne se pose pas de questions : un agent de Moscou à refroidir, qui plus est traître à la France en Algérie, c’est dans le cahier des charges. Si tu te replaces dans le contexte des années soixante-dix, les exécutions, les attentats à la bombe, les assassinats politiques en Europe, c’est un par mois en moyenne. D’ailleurs, Aldo Moro, assassiné par les Brigades rouges, c’est quelques jours après Curiel, le 9 mai. Mais encore faut-il savoir ce qui il y a derrière les Brigades rouges… Curiel, pour moi et les autres – nous sommes tous nationalistes – c’est une cible politique à éliminer qu’on nous désigne. Il n’y a rien de personnel. 

Pas de coup de sang, comme l’ont écrit Gaucher, Perrault et d’autres. Ne jamais oublier l’époque et notre âge. Nous n’avons pas trente ans et nous sommes animés d’une foi anticommuniste farouche. Et Curiel, c’est quand même l’homme des fellaghas au moment de l’Algérie… même si cette guerre est derrière nous. Bon, depuis, j’ai eu le temps de gamberger là dessus, mais à l’époque, on était des activistes sans le moindre état d’âme… Tu ne peux pas appréhender cette période sans la remettre dans le contexte de la lutte dans l’ombre USA/URSS. Et Paris, “non aligné” en théorie, était quand même le sanctuaire, la base arrière pour tous les fouteurs de merde dans le monde. D’un côté, tu avais le prisme de l’idéologie gauchiste parmi les élites intellectuelles, et de l’autre, la mainmise gaulliste sur l’ensemble des services. Pas étonnant qu’un type comme Curiel ait bénéficié de toutes les protections pendant si longtemps…”

*

La confession de René, dont je découvrirais bientôt ne pas être l’unique bénéficiaire, pouvait bien s’apparenter à une fanfaronnade d’ivrogne, un délire de mythomane pressé par un orgueil narcissique de faire la vedette auprès d’un cercle d’inconditionnels. Après tout, son passé trouble était raccord avec ce coup ultime qui pèserait un peu plus encore dans la balance. Quant à son érudition concernant cette affaire, il avouait lui-même qu’il l’avait puisée dans l’ouvrage de Curiel et auprès de certains de ses amis des services.

Quant à moi, l’auteur et rapporteur de cette conversation – peut-être imaginaire ! – en quoi suis-je crédible ? Puisque j’en suis à faire parler un mort, pourquoi me limiter à la seule revendication d’Henri Curiel ? Pourquoi ne pas charger ce mystérieux René l’Élégant de l’exécution de Kennedy à Dallas ; ou, tant qu’on y est, de le présenter comme le commanditaire et exécuteur de tous les crimes non élucidés des trente dernières années. Peut-on en effet, s’interrogeront légitimement les exégètes sourcilleux, croire un auteur qui nous raconte qu’il a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours qui…, sans jamais étayer la démonstration ?

Quelles preuves, quels éléments à charges ou à décharge ? Quels témoignages pour faire peser la balance dans un sens favorable à cette hypothèse ? Ce sont là en effet les limites de l’exercice. D’autant que les protagonistes supposés de cette affaire, des amis de certains de mes amis, ne sauraient, évidemment, être cités sous leurs vrais noms… et encore moins être entendus. On ne plaisante pas avec ces gens-là…

Mais, poursuivons.

Depuis la parution du livre du commissaire Lucien Aimé-Blanc en 2006, la piste Curiel s’est quelque peu orientée en direction de Jean-Pierre Maïone-Libaude – encore un mort ! –, ancien activiste OAS au sein des commandos Delta, devenu voyou au sein de la French connection, tueur à gages, pigiste au SDECE et exécuteur des basses œuvres des services espagnols et français dans la lutte contre-terroriste contre les réfugiés basques espagnols en France. C’est beaucoup pour un seul homme, mais ce n’est pas tout : Maïone-Libaude fut aussi l’indic de l’ancien patron de l’OCRB. Et que nous dit Lucien Aimé Blanc ? Que Maïone se vantait d’avoir tué Curiel et… Pierre Goldman.

Dans cet ouvrage rigoureux, coécrit avec Jean-Michel Caradec’h, ancien militant mao, journaliste à ‘Libération’ et ami de Goldman, la démonstration est convaincante, mais pas imparable. Notamment parce que, dans l’une des deux affaires que revendique l’indic, celui-ci a un alibi : il était au Club Méditerranée…

En outre, en privé, Lucien Aimé-Blanc, loin de camper solidement sur ses positions, admet volontiers que les rodomontades de Maïone-Libaude, quoique vraisemblables, avaient peut-être pour but, ainsi que je le lui suggérai lors d’un entretien, de brouiller un peu plus encore les pistes afin que les commanditaires ne soient pas identifiés. De toute manière, jamais la culpabilité de Maïone-Libaude n’a été établie dans ces deux affaires. Mieux que cela, il y eut non-lieu.

Revenons par conséquent à René, Curiel et à… Pierre Goldman. Oui, Pierre Goldman… Parce que René revendique également l’assassinat de Goldman !

Le 20 septembre 1979, l’ancien militant gauchiste passé au banditisme, puis à la littérature et qui fut, en quelque sorte, la coqueluche de l’intelligentsia des années soixante-dix en France, était assassiné en pleine rue. Auprès de ses amis, dont moi, René se répandra allègrement au sujet de ce secret de Polichinelle. Mais, mieux que cela, René ira se confesser à la télévision dans un documentaire diffusé sur Canal Plus intitulé ‘Comment j’ai tué Pierre Goldman’. Dans cet exercice d’investigation, René apparaît le visage flou et la voix déformée. En outre, il se fait appeler Gustavo.

Et que dit en substance Gustavo ? Qu’il a fini Goldman, alors que celui-ci, déjà touché par plusieurs balles tirées par les complices de René, gît au sol. Pourquoi ce meurtre ? Parce que lui et ses complices étaient en service commandé pour Pierre Debizet – alias Carmen, alias Gros sourcils – alors patron du SAC.

Bien sûr, le label “vu à la télé” n’est pas, dans le cas qui nous concerne, la garantie ultime de l’authenticité. Là encore, René-Gustavo qui, nous le verrons, avait beaucoup d’imagination pour arrondir ses fins de mois, a pu monter un immense bobard sensationnaliste avec la complicité ou non du réalisateur de ce documentaire. On peut en effet tout imaginer… y compris qu’après la diffusion du documentaire, le réalisateur sera la cible de menaces physiques à son domicile ; et que René lui-même sera contacté par un émissaire chargé de lui faire savoir que son numéro ne s’imposait pas. Sous-entendu explicite qui aurait pu avoir pour conséquences de voir Néné-Gustavo se lester quelque temps d’un calibre “au cas où”.
Qu’en pense Éléonore, aux premières loges s’il en est ?

“Pour Goldman, je savais. Il m’a prévenu deux jours avant de commettre l’attentat. Je me suis toujours tue évidemment et je ne révélerai rien d’autre de ce que Philippe et René ont pu me dire à l’époque. Tout ce que je sais, c’est que, lorsqu’ils sont revenus à la maison, ils étaient comme en état d’hypothermie, tremblants. Je ne sais pas si René a tiré, comme il l’assure, mais ce qui est certain c’est qu’il était de l’opération. Quant à Curiel, je ne sais rien, pour la bonne raison que je n’ai jamais entendu parler de cette action quand nous vivions ensemble. Je n’ai même pas le commencement de la moindre preuve. Tout ce que je peux dire, c’est que si ce n’est pas vrai, en tout cas, c’est très vraisemblable…”

Éléonore, intime autant qu’on puisse l’être de René, n’est pas du genre à spéculer sur des hypothèses. Tout au plus se souvient-elle d’un contexte et de réseaux dans lesquels René occupait une place privilégiée… “Avec René, tout était possible”. Ce que diront en chœur ses plus proches amis.

Les observateurs sérieux de ce genre d’affaires avanceront, à juste titre, qu’on a jamais vu un tueur à la solde des services se vanter de ses états de service – même plusieurs décennies après les faits -, que les mythomanes issus, peu ou prou, de l’extrême droite sont légion et que René l’Élégant est un peu trop voyant pour être crédible.

Ces arguments sont recevables… mais pas irréfutables, si l’on sait que René, lorsqu’il a commencé à se répandre auprès de quelques-uns d’entre nous, était usé jusqu’à la corde, vieux avant l’âge de tous les excès accumulés, et probablement malade. Ses toux inquiétantes qu’il ne songera jamais à confronter au diagnostic des toubibs étaient un des symptômes de cette éventualité. En outre, la marginalité décharnée dans laquelle il évoluait désormais heurtait son orgueil et insultait sa splendeur passée. Que lui restait-il d’autre, pour épater la galerie, sinon ses faits d’armes ?

Enfin, depuis quelques années, il songeait à monnayer ses souvenirs et avait mis à contribution plusieurs de nos amis journalistes qui eurent à recueillir certaines des confidences énoncées ici même. Son seul souci, était de préserver ses complices encore vivants et sa propre tranquillité en ne révélant pas son identité… D’où l’écrasant immobilisme de ces velléités.

Chapitre XV
Scandale pour une autre fois

En ce mois de juin 1978, René et Philippe vivent toujours chez Éléonore à Montmartre. Rien, dans leur attitude ne trahit le fait qu’ils aient exécuté Henri Curiel ainsi que René le prétendra trente ans plus tard – aveu qui ne manquera pas de surprendre Éléonore elle-même, puisque, au contraire, à cette époque, une insouciance permanente, si ce n’est l’aspect financier, règne dans l’appartement en soupente où l’on fait l’amour en écoutant les petits oiseaux et les Bee Gees. Le reste (Giscard et son “bon choix”, la mort de Claude François, le serpent monétaire, la crise – déjà !) ne concerne pas le trio qui refuse de prêter le flanc à cette mélancolie très française, à ce “sérieux devant les réalités” que martèle l’époque. Ils délaisseront volontiers les films à message pour les comédies italiennes et L’hôtel de la plage, comédie légère et drôle dont l’un des jeunes acteurs deviendra plus tard un bon ami de René.

Et quand l’intendance ne suit plus, il reste les conneries… Charly a trouvé une combine pour se renflouer. En fouillant dans les dossiers en souffrance de la DST il a mis la main sur un antiquaire marron qui se livre au trafic de drogue du côté de Marseille. D’après le dossier, sa boutique serait la plaque tournante d’importantes transactions qu’il conviendrait de vérifier urgemment. “C’est tout ce qu’ils avaient trouvé…” déplore ironiquement Éléonore. “Aller braquer un vieil homo vaguement antiquaire. C’était n’importe quoi, mais c’était dans leurs cordes.”
Sitôt dit, sitôt fait. René et Charly appareillent direction le sud de la France, récupèrent une voiture louée par un notable local de leurs amis – une relation de travail –, repèrent la boutique et prétextent une vente de tableaux pour donner rendez-vous à l’expert chez lui à vingt heures. À l’heure dite, ils se pointent, menacent l’homme d’un couteau, le ligotent et le bâillonnent avant d’entreprendre une fouille systématique des lieux. Manque de bol, pendant que les deux autres mettent l’appartement à l’envers, l’antiquaire parvient à se libérer et à crier, au point que les pieds nickelés, moins un, devront prendre la fuite.

L’affaire n’en reste pas là, puisque, alors que Néné est parvenu à s’enfuir, Charly, lui, se fait arrêter par la police locale qui a remonté la piste en quelques jours et retrouve avec diligence la voiture louée par le notable entendu. Et les flics d’éplucher le curriculum vitae de Charly qui révèle sa qualité d’inspecteur de la DST, ses accointances royalistes, et ses séjours au Liban. Les pandores, assez fiers de leur prise, communiquent tout cela à la justice et à une gazette locale, qui en fera ses choux gras en titrant quelque chose comme “Du rififi pour SAS”. Charly, présenté au juge, est inculpé pour violences avec arme, puis écroué. L’épilogue provisoire de l’affaire tient à la conclusion de l’enquête : excès de zèle.

Ce fait divers appelle une question, voire plusieurs, qui nous ramènent à l’affaire Curiel. Si René et Charly étaient des professionnels prudents qui préparèrent pendant des mois leur forfait contre Curiel, qu’allaient-ils braquer un antiquaire dans la bonne ville de Marseille un mois après, sans la moindre préparation ? Et, surtout, comment Charly, expert en matière de renseignements et brouilleur de pistes patenté, a-t-il pu se faire arrêter aussi facilement ? Le prétexte de la mission invoqué par Charly devant le juge ne pourra davantage tenir puisque les responsables de la DST à Paris, contactés par les enquêteurs marseillais, démentent formellement ce mobile spécieux, en affirmant que Charly était en vacances… et pas du tout en mission. Plus ou moins lâché par sa hiérarchie, Charly n’en bénéficie pas moins d’une indulgence patente, puisque son excès de zèle l’autorise à quitter sous peu les Baumettes. Et, le plus étrangement du monde, alors qu’à aucun moment René n’a été balancé par son complice, c’est lui qui le remplacera dans sa cellule après s’être rendu aux autorités.

Pourquoi ? Parce que, selon René, les hommes de Pierre Debizet le lui auraient demandé. “C’était plus simple comme ça. Charly est libéré pour éviter un scandale qui peut éclabousser tout le monde, et c’est moi qui me tape les trois mois de placard. Il fallait donner un os à ronger aux flics et aux juges. J’étais cet os… et Debizet faisait ce qu’il voulait. Il était un pilier de la sphère gaulliste, un rouage, un type qui avait droit de vie ou de mort. Au point qu’à ma levée d’écrou, c’est lui qui viendra en personne me cueillir dans sa DS noire afin de me refiler une enveloppe pour services rendus. Ce mec était un gentleman.” 

L’amateurisme de cette affaire pourrait démentir l’authenticité de l’opération Homo contre Curiel. D’ailleurs, si en privé – et à la télévision, René, alias Gustavo, se montra autant disert à propos de Goldman, il demeura toujours discret, en revanche, concernant son rôle dans l’exécution de Curiel. Du moins avec moi qui ne lui ai jamais caché mes intentions de rédiger le livre présent. À ce sujet, il me lâchera quelques informations, mais jamais plus ; même quand j’invoquai la prescription après trente ans. Devant ce piètre argument, René m’objectera que dans ce monde-là, la prescription est une figure de rhétorique, que les contemporains de ces affaires sont des méchants. “Sans parler de Perrault et ses amis ; ce mec-là, il ne lâche jamais le morceau !”

Gilles Perrault – je n’avais plus entendu ce nom depuis le retentissant Notre ami le roi – et ses amis, curieusement, inquiétaient René autant que les services. Si l’on admet, contre toute évidence solide, que René a bien exécuté, ou participé à l’exécution d’Henri Curiel, cela ne nous autorise pas pour autant – et ce n’est pas le postulat de cet ouvrage – à désigner les chefs d’orchestre. Gilles Perrault lui-même, au terme de six cent trente pages méticuleuses, n’est pas parvenu à remonter jusqu’aux tireurs de ficelles. Et pour cause ! On entre là dans la zone grise des services parallèles, de la raison d’État et des labyrinthes tortueux où l’on ne sait plus très bien qui manipule qui. Quant à savoir, dans l’affaire Curiel, à qui profite le crime, on avancera sans grande audace : à tout le monde…

La fragilité de l’hypothèse René dans une affaire d’État aussi grave que l’exécution d’Henri Curiel repose sans conteste sur l’absence de preuves, ou témoignages de tiers, mais aussi sur la désinvolture supposée des protagonistes qui, quelque temps après une telle affaire, se lancent dans une embrouille de petits voyous. Et, pire encore, se font prendre !

Ne reste au mémorialiste que sa seule conviction – les confidences de René – et, accessoirement un faisceau d’indices et de concomitances que livre Perrault lorsqu’il écrit que “selon les informations de l’hebdomadaire communiste reprises et développées par ‘Libération’, les nouveaux groupes Delta auraient récupéré de jeunes extrémistes de droite à leur retour de Beyrouth où ils avaient combattu avec les phalanges de Gemayel. Le capitaine de gendarmerie Paul Barril croyait savoir que Curiel avait été tué par deux extrémistes de retour du Liban.”. Hormis les commandos Delta, ressortis de la naphtaline pour les besoins d’une revendication bidon, on y est presque. Pascal Krop et Roger Faligot, spécialistes de la DST, citent eux un article du Canard Enchaîné affirmant que “Curiel a été abattu par deux inspecteurs de la DST, militants d’extrême droite (…) les tueurs auraient pris l’initiative de lui régler son compte. La direction de la DST n’aurait découvert le pot aux roses qu’après coup…” Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout…

(…)

Le livre
le roman vrai d’un fasciste français

romanLe 4 mai 1978, Henri Curiel, militant communiste et anti-colonialiste, membre du réseau Jeanson des “porteurs de valises” est abattu à son domicile parisien. Le 20 septembre 1979, Pierre Goldman, figure de l’extrême gauche des années 70, est tué par balles à bout portant à quelques mètres de chez lui dans le XIIIe arrondissement. Ces assassinats qui ne seront jamais élucidés sont signés par une organisation d’extrême droite inconnue : Honneur de la Police. En 2012, peu avant de mourir, un individu discret revendique – à visage couvert – sa participation à l’assassinat de Pierre Goldman. Quant à l’autre “exécution” dont il assume la paternité auprès de quelques proches, elle est pour la première fois révélée dans ce livre.

Camelot du roi et membre de l’Action française à 14 ans, René Resciniti de Says est un ancien parachutiste. Parti guerroyer dans les Phalanges libanaises, et en Afrique aux côtés de Bob Denard, il a également été “instructeur militaire” en Amérique latine : un “affreux”. Loin d’être un nervi au front bas, mais ne dédaignant pas l’étiquette de “voyou”, Resciniti de Says est un authentique marquis italien né des noces bâclées entre une mère chanteuse lyrique et un père aventurier parti très tôt du domicile conjugal sur les Champs-Élysées. En outre, s’il est “monarchiste”, dandy aux élégances onéreuses, ses amitiés, elles, ne le sont pas toujours… et sa conduite non plus. La personnalité baroque de René Resciniti de Says – ce lettré peut déclamer des vers, ivre devant l’Institut après une nuit à se battre – sa vie et sa complexité nous épargnent l’écueil du registre “fana-mili facho” réducteur et sclérosant. D’abord, parce qu’il ne fut pas que cela. Sa vie nous renvoie aussi bien au cinéma qu’à la littérature, deux registres qu’il prisait tant. Où l’on passe allègrement des ‘Quatre Cents Coups’ à la ‘Fureur de vivre’ – il vouait dans ses jeunes années une adoration à James Dean –, à la langue d’Audiard d’un Paris interlope, à Beyrouth sous le feu ; et aux personnages de Blondin à qui il ressemblait tellement à la fin de son existence.

Christian Rol revient sur les assassinats commandités au plus niveau, mais au-delà du document choc et de l’affaire d’État dont il fut la main armée par les “services” ne devrait pas manquer de remuer le monde politique, celui du Renseignement, de certains intellectuels et des journalistes. Il s’immerge aussi dans une jeunesse agitée au cœur des groupuscules politiques de droite : Occident, Ordre Nouveau et Action Française, qui firent le coup de poing au sein Quartier latin des années 60 et 70 ; et qui furent un vivier riche en gros bras pour les services parallèles du pouvoir de l’époque et en futurs leaders de la France d’aujourd’hui. Il donne là un “roman vrai” d’un personnage picaresque avec qui nous voyageons d’un monde à l’autre en embrassant un destin hors norme. “Roman” signifiant qualité d’écriture, densité et exigence littéraire destinées à coller au personnage.

Christian Rol est reporter, journaliste (Choc, le Figaro) et a été membre de Jalons.

Éditeur : la manufacture des livres
Parution : avril 2015

Claude Berger au Café des psaumes tous les jeudis du mois d’avril à 16h30 : un penseur incontournable

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EN AVRIL

CLAUDE BERGER

AU CAFÉ DES PSAUMES

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À lire d’urgence : « Itinéraire d’un Juif du siècle » aux Éditions de Paris AVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION POUR LA MÉMOIRE DE LA SHOAH 

Demandez en service de presse le nouveau livre de Claude Berger et venez assister à ses conférences et concerts. 

Renseignements auprès de son attachée de presse guilaine_depis@yahoo.com / 06 84 36 31 85

Jeudi 16 avril à 16h30

Revue de presse avec Claude Berger

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berger flore.jpgJeudi 23 avril à 16h30

Venez fêter Yom ha’Atzmaout avec notre ami Claude Berger et le pianiste Florient Dumitru : musique yiddish, petites et grandes histoires juives.

Jeudi 30 avril à 16h30

Revue de presse avec Claude Berger

(inscription préalable au Café)

Participation au chapeau, minimum suggéré 5 euros.

À livre exceptionnel, critique exceptionnelle : Roger Taylor par Argoul (14 avril 2015)

Un article MAGNIFIQUE ET TRES MÉRITÉ sur Roger Taylor 

Site officiel http://www.thesimplesailor.com/france.html

Roger Taylor, Mingming au rythme de la houle Publié le  par argoul

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Wow, I love this book ! Je m’y reconnais dans la façon de voir le monde, je me sens bien avec le tempérament de son auteur. En deux voyages de 67 et 65 jours en solitaire vers le grand nord des mers libres, Roger Taylor, 64 ans, par ailleurs homme d’affaires parlant plusieurs langues, expérimente avec délices the tonic of wilderness, la salubrité des étendues sauvages – vierges. Il me rappelle Bernard Moitessier, le hippie contemplatif de La Longue route, mais en moins immature et de solide qualité anglaise.

Solitaire mais pas introverti, seul sur la mer mais attentif à toute vie, il médite sur les origines et sur les fins, se disant par exemple que les éléments sont complètement indifférents au vivant, que la nature poursuit obstinément son processus sans dessein et, qu’au fond, les terres sont une anomalie et l’océan la norme – à l’échelle géologique.

Le premier périple, intitulé Tempêtes, sillonne presque la route des Vikings, ralliant Plymouth à la Terre de Baffin, qu’il ne parviendra pas à joindre. En effet, à 165 milles du Cap Desolation au sud-ouest du Groenland, au bout de 34 jours de mer sur son bateau de 6m50 sans moteur, gréé de voiles à panneaux comme les jonques afin de pouvoir le manœuvrer seul et simplement sans beaucoup sortir, l’auteur se casse une côte dans un coup de mer et décide de virer de bord pour rentrer à bon port.
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Ce n’est pas sans avoir vécu intensément les mouvements et le chatoiement des vagues, écouté la plainte du vent et, plus rarement, le chant des baleines, observé les milliers d’oiseaux qui cherchent leur pitance et se jouent des masses d’air, joui des lumières sans cesse changeantes du ciel et de la mer. C’est ce récit d’observations méditatives qui fait le sel de ce livre – un grand livre de marin. Tout ce qui occupe en général les récits de voyage, ces détails minutieux de la préparation, des réparations et des opérations, est ici réduit à sa plus simple expression. En revanche, l’auteur est ouvert à tout ce qui survient, pétrel cul blanc ou albatros à sourcils noirs (rarissime à ces latitudes), requins, dauphins, rorquals, ondes concentriques des gouttes de pluie sur une mer d’huile ou crêtes échevelées d’embruns aussi aigus que des dents. « Plus on regarde, plus on voit » (p.42), dit ce marin à l’opposé des hommes pressés que la civilisation produit.

Il est sensible à cette force qui va, sans autre but qu’elle-même, de la vague et du vent, des masses d’eau emportées de courants, des masses d’airs perturbées de pressions. « Cette bourrasque (…) est arrivée sans retenue, toute neuve et gonflée d’une splendide joie de vivre » p.98 – les derniers mots en français dans le texte. Il va jusqu’à noter sur une portée musicale, dans son carnet de bord p.134, la tonalité de son murmure incessant. « La mer était formée de vagues qui se développaient sur des vagues qui s’étaient elles-mêmes développées sur des vagues », dit-il encore p.101. Et à attraper l’œil du peintre : « Les innombrables jeux de lumière, créés par la diffraction et par l’agitation liquide, se diffusaient dans une infinité de bulles minuscules, de mousse et d’air momentanément emprisonné, et ils rendaient la mer d’un vert presque blanc, d’un vert émeraude et parfois, c’était le plus beau, d’un vert glacé translucide » p.123.

4100 milles plus tard, il boucle la boucle, de retour à Plymouth. De quoi passer l’hiver à réparer, améliorer et songer à un nouveau voyage.
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C’est le propos de Montagnes de nous emporter vers le Spitzberg depuis le nord de l’Écosse, via l’île Jan Mayen. Le lecteur peut se croire chez Jules Verne, grand marin lui aussi, amoureux de la liberté du grand large en son siècle conquis par la machine. Roger Taylor vise les 80° de latitude Nord, aux confins d’un doigt étiré que le Gulf Stream parvient à enfoncer dans les glaces polaires envahissantes. « La fin de l’eau libre au bout de la terre », traduit-il p.153. Il retrouve avec bonheur « la délicieuse solitude du navigateur solitaire, une solitude ouverte, accueillante, qui devient en elle-même la meilleure des compagnes »p.185. D’autant qu’il n’est pas seul : toute une bande de dauphins pilotes fonceurs, un troupeau placide de baleines à bosse, un puissant rorqual boréal, puis le ballet des sternes arctiques, labbes pomarin charnus, mouettes tridactyles, guillemots de Brünnich – et même une bergeronnette égarée qui va mourir – peuplent de vie l’univers pélagique.

La liberté est une libération. « Ce changement commence par l’effacement progressif du personnage terrien : non pas la perte de soi, mais de la partie de soi qui est construite par besoin social et par besoin d’image (…) largement artificielle » p.219. Roger Taylor retrouve la poésie en chacun, ce sentiment océanique d’être une partie du Tout, en phase avec le mouvement du monde. « Le poète est le berger de l’Être », disait opportunément le Philosophe, que les happy few reconnaîtront.

Les 80° N sont atteints après 31 jours et 19 heures. C’est le retour qui prendra plus de temps, jusqu’à la frayeur ultime, au moment de rentrer au port. Un bateau sans moteur est sous la dépendance des vents, et viser l’étroite passe quand le vent est contraire et souffle en tempête, c’est risquer sa vie autant que dans une voiture de course lancée sur un circuit sous la pluie. Intuition ? Décision ? Chance ? L’auteur arrive à bon port deux heures avant que ne se déclenche le vrai gros mauvais temps !

Lors d’une nuit arctique illuminée du soleil de minuit, alors qu’à l’horizon arrière s’effacent les derniers pics du Spitzberg, l’auteur a éprouvé comme une extase : « Oui, pendant ces quelques heures d’immobilité, j’ai vu la planète, ce qui occupe sa surface et le grand espace de l’espace, nettoyés à blanc : la mer, l’air, la roche et l’animal, immaculés et élémentaires, éclatants et terribles » p.257. Lisez l’expérience de « l’homme qui a vu la planète », cela vaut tous les traités plus ou moins filandreux d’écologie !

Roger Taylor, Mingming au rythme de la houle (Mingming and the tonic of wildness), 2012, éditions La Découvrance 2015, 308 pages, €21.00
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