Bertrand du Chambon a aimé « Presque africaine » de Jacqueline Merville (Le Magazine des Livres, mai-juin 2010)

mervillephoto.jpg

Deux lectures avec dédicace de « Presque africaine » :

 – Le samedi après-midi 15 mai à Saint Remy de Provence dans le cadre Lire en Mai

 – Le mercredi 2 juin à partir de 18 heures à la librairie Le Bal des Ardents, 17 rue Neuve à LYON 69001.

Et un article splendide dans Le Magazine des Livres

Mai-Juin 2010

Les livres que vous n’avez pas lus  par Bertrand du Chambon : Une petite qui vaut bien des grandes !
 
Ninon a grandi. Moon est une vendeuse de sourires.
 
Paumée, clocharde, oui, sans doute. Mais avec un sourire qui est grand, un petit côté crâneur, et un oeil qui perle vers le soleil. Elle tend la main à Paris, du côté de Saint-Séverin. Si vous n’avez jamais été pauvre, lisez Maud Lethielleux. Déjà, l’an dernier, je vous avais conseillé son premier roman, Dis oui, Ninon ; vous devez le relire et découvrir celui-ci : D’où je suis, je vois la lune.
 
Moon vit dans la rue, et laisse traîner les cahiers où elle se raconte. Quelqu’un s’en empare, les met au propre et lui dit qu’elle est un écrivain : « Le type dit que je suis un auteur et ça me fait une belle jambe étant donné que je ne sais pas à quoi ça ressemble, un auteur. Quand il me demande où j’habite j’ai un instant d’hésitation, j’explique que je suis en plein déménagement, ce qui n’est pas faux puisque je ne sais pas où je vais dormir demain. » Très juste ! Même nous, les auteurs, nous ne savons pas « à quoi ça ressemble, un auteur ». En tout cas, ça peut ressembler à Maud Lethielleux. Lisez-la : c’est une petite qui vaut bien des grandes.
Une grande, mais vraiment grande, et qui a déjà pas mal de livres à son actif, et qui a peint des toiles magnifiques, et qui nous conte depuis longtemps ses voyages initiatiques, sa vie, ses errances : c’est Jacqueline Merville.
 
Je suis un peu honteux de devoir vous présenter Jacqueline Merville, au cas où vous n’auriez rien lu d’elle : c’est un écrivain magnifique, une auteure, un poète, une femme, une… les mots sont insuffisants ici. Cette femme est un grand écrivain. Depuis La Ville du non, en 1986, et de nombreux romans, récits, poèmes, elle a sculpté une oeuvre étrange, digne et grave. Une statue égyptienne. C’est Jacqueline la Merveille ! Et bien sûr, son histoire personnelle, parfois fidèlement restituée dans certains de ses textes les plus récents, nous surprend par l’audace mise en pratique, assumée, vécue : elle vit comme elle veut. Elle voulait partir, elle est partie. Elle voulait faire face à la souffrance du monde, elle l’a fait. « Vagabonde sur la terre », dit son éditeur L’Escampette, sur la quatrième de couverture de Voyager jusqu’à mourir. Ou voyager jusqu’à vivre ? Car vivant depuis presque vingt ans en Asie, surtout en Inde, elle a, avec son compagnon, fréquenté les chemins des pèlerins du nord au sud, avec bien peu de moyens et de volonté de fer. Et puis un jour… Oh, ce n’est pas racontable… Elle, elle sait le raconter. Dans The Black Sunday, elle a dit l’impensable : elle se trouvait sur les côtes de l’Inde au moment où est survenu le tsunami. Elle raconte cela : le tsunami.
 
Et voilà qu’aujourd’hui, alors qu’on pensait qu’elle avait vécu là-bas une expérience indépassable, elle avoue qu’elle en avait déjà vécu une auparavant, en Afrique. Elle dit seulement : « un « supplice ». Elle n’utilise pas les mots habituels : torture, viol ; et elle raconte comment elle a survécu. Comment ne pas demeurer une demeurée : une victime. Dans ce texte superbe, Presque africaine, elle parle en son nom seul, et voici que depuis quelques semaines des femmes lui écrivent : merci d’avoir dit pour nous ce que nous ne pouvons pas dire.
 
Pourquoi avoir vécu tout cela ? C’est un mystère. Jacqueline Merville s’y confronte, et ose avancer encore : « Avais-tu besoin d’être, un instant, hors de la femme blanche ? De l’oublier comme on oublie son nom, sa respiration, sa pensée ? N’être plus l’étrangère. Devenir l’autre, sans peau. »
 
Et c’est bien ce que l’on risque, à lire Jacqueline Merville, devenir l’autre, explorer des contrées inconnues, passer à l’autre comme on passe à l’ennemi. C’est une si forte expérience qu’il n’est point besoin, ici, d’en rajouter : quelques personnes voudront lire Jacqueline Merville, afin de faire cette expérience. D’autres, c’est certain, n’oseront jamais.
D’où je suis, je vois la lune, Maud Lethielleux, Editions Stock, 297 p., 18,50 euros.
 
The Black Sunday, 26 décembre
2004, Jacqueline Merville, Editions des Femmes (mars 2005), 91 p., 9,50 euros.
 
Presque africaine, Jacqueline Merville, Editions des Femmes, 74 p., 10 euros.

Laisser un commentaire