Bertrand du Chambon signe le premier article SUBLIME sur « Merveilles » de François Coupry

Coupry est vaste

 

Nous voici devant une sorte de grand roman, de roman-monde, mondes et Merveilles, qui au départ s’aventure dans le saugrenu, vers le nonsense : « on monte dans une voiture de course très basse, je lui dis une adresse au hasard, je ne me souviens plus de la mienne, on roule à toute vitesse, le docteur fait pin-pon ! pin-pon ! avec sa bouche, il me dépose devant mon immeuble »… tout ceci ayant lieu après que le narrateur a demandé à être mutilé par ledit médecin, « à l’hôpital des Enfants-Malades », bien sûr.
Univers du rêve, sans doute, un peu comme chez Alice et son pays des – .

Il y a Nabucco, narrateur principal quoique changeant, il y a Pierre-André qui souffre de la mythomanie d’Hélène dans le deuxième conte, il y a Yrpuoc, détenteur du Livre et de nombreux secrets… Chacun de ces avatars de l’auteur désire être coupable – coupable de vouloir zigouiller tout le monde, y compris un pauvre commissaire de police nain qui a la bonté d’écouter ses absurdes revendications, coupable d’occuper une place, parmi des milliers d’autres créatures, dans le corps d’une femme, avant que tant d’autres personnages ne soient à leur tour coupables ou coupry : ils ont pris des coups !

… Enfermé dans l’opéra où travaille son père, un gamin raconte : « Ainsi, chaque jour, Valentine m’installait dans cette salle de spectacle et j’assistai à des représentations dont j’étais l’unique spectateur. » C’est souvent dans cette posture que nous met le conteur : nous avons l’impression d’être l’unique spectateur de ce monde immense et foisonnant, comme si la simple lecture de ce livre nous donnait accès à Un Autre Monde, que de nombreux autres livres ne nous donnent pas.

Et soudain, brusquement, l’auteur quitte le grotesque et l’incongru. Il nous raconte une histoire poignante. Cela confine à la tragédie, d’une beauté surprenante, surtout dans le troisième conte intitulé Le Fils du concierge de l’Opéra. En effet, voilà une merveille, et le titre du recueil prend alors tout son sens. Ajoutons que les très beaux dessins de Cyril Delmote augmentent encore notre fascination.

Le monde où François Coupry nous invite est littéralement immense, très vaste, prodigieux, vertigineux, comme lorsque le gamin contemple les cintres et les dessous de ce théâtre à l’italienne en lesquels on a fait descendre des centaines de cercueils, ceux de cantatrices ou d’acteurs disparus. Toutefois, ce monde gigantesque, cyclopéen, n’est pas toujours menaçant ; il y règne un puissant désir d’innocence, d’irresponsabilité, comme le dit Nabucco à la fin du dernier conte : « Je, Toi et moi Nabucco, nous serons des anges, ou des dieux, des illusions ou de vrais démons, qui enchanterons l’humanité, perturberons le monde, mettrons la pagaille dans l’univers, changerons l’eau en vin, multiplierons les rats, les araignées et les chauves-souris. Et il est possible qu’à l’image de mes poupées, moi, Nabucco, je me mette à me rajeunir, pour être pour toujours un enfant, de cinq ans, mettons, et pour pourrir la vie des grandes personnes, car j’en ai assez d’être trop sage, responsable. »
C’est dans cet univers secret, sans devoir ni sagesse, sans contrainte ni pesanteur, que nous convie François Coupry. Il sait cependant qu’il n’existe, à cet univers, qu’un seul accès : « Malheur à moi, si je perds le Livre. »

Bertrand du Chambon

François Coupry, Le livre des merveilles, illustrés par Cyril Delmote, éditions Pierre-Guillaume de Roux, novembre 2018, 575 p. -,. 23 €

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