Christelle Guibert interviewe Antoinette Fouque sur le masculinisme (Ouest-France, 5 janvier 2010)

 Ouest-France (5 janvier 2010) Le masculinisme, ou la revanche de la ‘virilité’ mardi 05 janvier 2010

mec.JPGAprès des années de lutte pour les droits des femmes, la prochaine décennie verra-t-elle exploser le « masculinisme » ? Ce mouvement, né pour promouvoir « la cause des hommes », s’oppose au féminisme et lui reproche d’avoir instauré un « matriarcat déstabilisant ». Il est particulièrement actif aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où il est mené par le groupe Fathers for Justice (F4J sur Internet) : des pères qui, au départ, se battaient pour que les gardes d’enfants soient plus égalitairement accordées, en cas de divorce.

Le mouvement est très virulent au Québec. Il a refait parler de lui en décembre, vingt ans après le drame de l’école Polytechnique, à Montréal : quatorze femmes tuées par un homme qui avait hurlé « Je hais les féministes » en tirant. Une journaliste de Radio Canada a révélé qu’un site Internet masculiniste érigeait ce tueur en héros, quelques jours avant la commémoration. Un cas extrême.

En France, le mouvement semble beaucoup moins structuré. Antoinette Fouque, la cofondatrice du MLF, observe cependant l’émergence de « quelques ténors d’un virilisme à la française ».

« Un machisme new age »

Le jour où une femme est devenue pilote de ligne, en 2000, ils ont donné de la voix pour dénoncer la féminisation des professions (La cause des hommes de Patrick Guillot, Vers la féminisation d’Alain Soral), pour reprocher aux mères d’élever leurs fils avec des valeurs trop féminines, et aux sportifs d’adopter une esthétique homosexuelle en posant nus pour un calendrier.

Face à cette « perte du modèle masculin », certains prônent le retour de la virilité. Dont le journaliste Éric Zemmour, auteur d’un livre intitulé Le premier sexe. Il est cité dans le documentaire La domination masculine, sorti à la fin de l’année au cinéma, mais il a contre-attaqué, en indiquant que ses « propos avaient été déformés » par le réalisateur.

Antoinette Fouque analyse l’origine de ce nouvel élan de virilité : « Toute révolution connaît sa contre-révolution. C’est ce que vit le féminisme. L’Américaine Susan Falludi a appelé ce phénomène ‘Backlash’, le retour du bâton. » Selon l’intellectuelle, « il faut absolument barrer la porte à ce machisme new age », puisque l’égalité des sexes est loin d’être acquise : « On n’observe pas de régression, mais un frein à la progression. Je rappelle que les femmes produisent les deux-tiers de la richesse mondiale et n’en possèdent que 2 %. »

Elle demande même d’urgence un « Grenelle mondial des femmes », en 2010.

Christelle GUIBERT.

Isabelle Chazot nous éclaire sur le « backlash » dans le Marianne du 7 au 13 novembre 2009

DANS MARIANNE DU 7 au 13 NOVEMBRE 2009
PLUS FORT QUE LA PARITE, LE DECOLLETE ?
 
Dans la mode, dans l’entreprise, en politique… la crise valorise plus que jamais la séductrice vénale et fatale. Alors, avant de déplorer le come-back de cette vieille baudruche réactionnaire, interrogeons-nous un instant : et si la vamp avait tout bon ?
 
Par Isabelle Chazot
 
(…)
Le désastre de la minijupe
 
Ce n’est pas la première fois que les divas des podiums tentent d’érotiser des consommatrices récalcitrantes et de leur suggérer les atouts stratégiques de l’ultra-féminité. En 1947, l’industrie de la mode connaissait « un marasme épouvantable », rappelle la journaliste Susan Faludi dans son livre culte Backlash, les femmes ayant pris l’habitude de porter pendant les années de guerre des pantalons, des talons plats et des gros pulls. (dégaine à la Katharine Hepburn)
 
Backlash signifie « retour de bâton », celui qui, selon l’auteur, a suivi l’éphémère libération des femmes dans les années 70. Prix Sulitzer 1991, le livre est disponible en poche aux Editions Des femmes.

faludi2.jpgSusan Faludi
Backlash

La revanche contre les femmes
Traduit de l’américain par Lise-Eliane Pommier, Evelyne Chatelain, Thérèse Réveillé
Broché 576 p. – 37
Poche 748 p – 8

1993

« Etre femme aujourd’hui en Amérique, à l’approche du XXI° siècle, quelle chance extraordinaire ! » Les femmes ayant atteint l’égalité, le problème de leur statut ne se pose plus : pourquoi se pencher une fois encore sur cette question que les années 70 ont résolue pour toujours, telle est la mentalité actuelle qui prévaut, dans la rue ou au sein des sphères dirigeantes ou médiatiques, que ce soit outre-Atlantique ou en Europe…

« Et pourtant…  » : ces deux petits mots, ces trois points de suspension, contiennent en puissance la somme de travail effectuée par Susan Faludi depuis 1986, l’ampleur de son enquête, cinq cent pages d’analyses exhaustives et d’une honnêteté qui ferait croire que la déontologie journalistique n’est pas un vain mot, quatre années terribles passées à éplucher les statistiques triomphalistes, à décrypter les sous-entendus des discours prononcés ou des paroles  » en l’air « , à passer au crible les nouvelles modes vestimentaires, esthétiques, publicitaires ou juridiques, bref à chercher ce qui fonde aujourd’hui la mise au ban du problème majeur du statut de la femme au sein de la société contemporaine.

faludi.jpgQu’a donc découvert Susan Faludi pour que son livre, fondé sur l’analyse de ce problème que l’on proclamait caduque et résolu, touche à ce point l’opinion publique et devienne un best-seller aux États-Unis ?
En 1947, dans un film hollywoodien intitulé Backlash, ( littéralement  » le coup de fouet en retour », on dirait en français le  » retour de manivelle », un homme faisait accuser sa femme d’un meurtre qu’il avait lui-même commis.

Dès la première page de son livre, Susan Faludi nous livre la clef de l’énigme, qui est aussi le moteur de son ouvrage : « Derrière cette victoire des femmes américaines célébrée à grand bruit, derrière cette reconnaissance unanime et sans cesse réaffirmée du droit des femmes à disposer d’elles-mêmes, un autre message se fait jour. Et il dit ceci aux femmes : vous avez conquis la liberté et l’égalité, mais pour votre plus grand malheur. »

L’auteur montre que ce  » constat de désespoir  » est faux de trois façon. Les femmes tout d’abord n’ont pas acquis l’égalité : une analyse des statistiques et de leur fonctionnement le démontre à tous les niveaux, que ce soit celui du quotidien et de la vie en commun, celui du travail, celui du pouvoir politique, administratif ou médiatique, celui de la culture. Ensuite, la liberté tant vantée n’est qu’un leurre — qu’on pense par exemple à la remise en question de l’avortement aux États-Unis, ou aux représentations traditionnelles de la  » féminité  » définie selon des critères masculins. Enfin, la femme libérée, active, diplômée, sans mari, sans enfant mais malheureuse n’est qu’un mythe, une façon pour certains hommes et certaines femmes de se venger de cette joyeuse liberté que des femmes, qui sont loin d’être la majorité ont effectivement acquise.

« La vérité, c’est que nous assistons depuis dix ans à une revanche, à une puissante contre-offensive pour annihiler les droits des femmes”, pour faire croire que “le chemin qui conduit les femmes vers les sommets ne fait que les précipiter, en réalité, au fond de l’abîme « .
L’ouvrage de Susan Faludi nous enseigne que l’esprit critique est l’une des valeurs fondatrices de la démocratie.

Susan Faludi est enquêtrice au Wall-Street Journal ; elle a reçu le prix Pulitzer pour Backlash.