Le magazine « Nouveau consommateur » évoque l’oeuvre de Coline Serreau, nourrie par la pensée d’Antoinette Fouque (déc 09-jan 10)

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Déc 09 – jan 10 bimestriel

Le magazine de la consommation responsable. Nouveau Consommateur.

Coline Serreau
« La vie ne tient que par la réciprocité, la solidarité, l’entraide, le don… ».
ColineMouansSartoux2La grande cinéaste et la réalisatrice des grands films comme « Trois hommes et un couffin », « La crise » et d’autres succès nous livre une réflexion sur l’exigence d’une écologie populaire, féministe et solidaire. Coline Serreau, une femme à entendre, et une femme à voir, à travers les images des mondes en luttes qu’elle nous offre. Par Nathalie Calmé ( Extrait d’article Nouveau Consommateur N° 32 Décembre 2009)

Certains le pensent et le disent : l’écologie risque de perdre sa capacité subversive, de voir dissoudre ses potentialités d’émancipation, de constater que sa contribution à la résolution de la crise socio-environnementale planétaire est déviée ou minimisée… Analyses et propos sévères ? Il est pourtant vrai que l’inflation de l’adjectif « durable », utilisé pour qualifier à peu près tout, devrait nous faire réfléchir… Il semble que les grands médias, les grandes entreprises et les décideurs convergent pour segmenter la dite crise, la décomposer de telle façon que nous ne soyons plus en présence que d’une addition de « petites » crises, isolées les unes des autres : crise financière, crise du climat, crise agricole, crise du pouvoir d’achat, crise alimentaire… Celles et ceux qui ont à cœur de participer au long et difficile combat pour l’intérêt général, le bien commun et la sauvegarde de notre habitat qu’est la Terre, savent que ces crises sont les divers aspects d’un unique « désordre global ». Ils savent aussi que des solutions, concrètes et singulières, existent pour en sortir. C’est dans cet esprit que la réalisatrice Coline Serreau nous propose son nouveau film : La terre vue de la terre. Solutions locales pour un désordre global Ce film, qui sortira en une série de six documentaires, s’inscrit, philosophiquement, dans la même lignée que La Belle Verte, qui fut, en son temps, un vrai déclic et un déclencheur de la conscience écologique. L’idée commune ? Le rapport que l’humain entretient avec la terre qu’il habite est fondateur de son identité ; il est aussi le signe de son devenir. Lorsque ce rapport est malmené, quand la terre est meurtrie, c’est l’humanité même de l’humain qui est mutilée. Mais le nouveau film de Coline Serreau n’entend pas seulement décrire cette crise, il veut montrer que d’autres choix, théoriques et concrets, peuvent être mis en pratique. A travers des entretiens avec des penseurs et praticiens – de l’agrobiologiste Pierre Rabhi à l’économiste Hassan Zaoual, de l’écologiste Vandana Shiva au philosophe Patrick Viveret…-, La terre vue de la terre. Solutions locales pour un désordre global ouvre le champ des possibles !

Une écologie d’enfance

ColineBelleVerteBonOn ne dira jamais à quel point la fibre sociale, humaniste et écologiste de Coline Serreaun’est pas une « mode » passagère, à la différence de beaucoup de personnes qui verdissent leur discours, à cause de l’air du temps. Cette fibre remonte à son enfance et à sa jeunesse. Coline Serreau me racontait l’importance jouée par un groupe particulier de femmes dans l’éveil de sa conscience. Ces femmes animaient l’Ecole de Beauvallon, dans la Drôme. « C’est par le biais de ma famille que j’ai vécu dans ce lieu, trois ans durant. Ma tante, Simone Monnier, était l’une des responsables de cette maison qui accueillait des enfants en difficulté. L’Ecole de Beauvallon avait été fondée en 1929 par Catherine Kraftt et Marguerite Soubeyran. J’appelais Marguerite «  mamie ». Toutes ces femmes étaient extraordinaires. Marguerite Soubeyran avait étudié les grandes pédagogies nouvelles, comme celles de Piaget, Montessori et Steiner. Elles étaient aussi en faveur des médecines naturelles. J’ai acquis beaucoup de connaissances sur la santé et l’écologie dans ce cadre-là. Nous vivions dans la nature. Cette expérience m’a apporté la certitude qu’une vie plus humaine, intelligente, simple, fraternelle, naturelle était possible. » Aujourd’hui, cette éducation laisse encore son empreinte. Au détour de la conversation, elle résume : « Vivre dans la simplicité volontaire, se réapproprier notre autonomie est notre plus grande arme. C’est retrouver la liberté et le pouvoir sur nos vies. »

Ecoféminisme

Cette articulation entre la résistance contemporaine des femmes entre le patriarcat qu’elles subissent, aux quatre coins du monde, y compris en Occident, et le souci de la terre, est l’un des axes structurants de la pensée et de l’action de Coline Serreau. Dans son documentaire, deux personnes mettent le doigt sur ce lien, Antoinette Fouque, figure mythique du MLF, et Vandana Shiva, figure majeure de l’écoféminisme en Inde et dans le monde. Dans un entretien accordé à Patrice Van Eersel, la réalisatrice soulignait avec force : « La terre et l’utérus, c’est le même mot. Mater, matière, utérus, terre, tout ça a la même racine. L’humus, l’humanisme, l’humilité… Les progressistes, dont je me suis longtemps sentie proche, n’ont jamais voulu voir le fond du problème : la relation entre la terre et l’utérus […] Ce que nous appelons « civilisation » repose sur l’écrasement de la puissance créatrice des mères. Si nous ne remontons pas jusque-là, nous ne réparerons rien. Le ventre et le sexe des femmes, autrement dit le lieu d’o
ù sort le vivant, n’est pas respecté. Il est considéré comme « rien » et non comme une entité intelligente. Sa fonction est vitale, mais elle est évacuée de tout respect, de tout comptage, elle n’existe pas dans l’ordre de ce que les humains appellent « création ». Si vous acceptez ce meurtre et sa symbolique, tous les crimes deviennent possibles. »

Comprendre le fonctionnement du capitalisme

Le substantif « intelligence » et le verbe « comprendre » reviennent souvent dans la parole de Coline Serreau. L’écologie et le sens aigü de la justice sociale ne peuvent se satisfaire d’une approche qui ne serait qu’émotionnelle ou sentimentale. L’affect doit se lier à la pensée la plus exigeante. Dans son parcours de vie, au coeur de sa jeunesse, dans les années 1960, la rencontre avec Karl Marx a été décisive : « Le Marxisme m’a expliqué le fonctionnement de la société à travers le principe de la lutte entre les classes sociales, les règles de l’économie capitaliste, ainsi que les leviers par lesquels il serait possible de la faire changer. Et justement, Marx m’a permis de le comprendre, à travers son analyse intelligente du progrès, de la société, de l’organisation des classes sociales. Si nous n’avons pas cette grille d’analyse, nous ne comprendrons pas comment le monde fonctionne. C’est un peu comme si nous voulions faire des études de physique sans jamais avoir fait auparavant des études de mathématiques. » C’est très certainement ce souci de l’analyse de structures qui lui fait dire que l’on ne devrait pas tout « individualiser ». Le tout est plus que la somme de ses parties, nous enseigne la pensée écologique (cf. Edgar Morin), et la société est plus que la somme des individus qui la composent. Il nous faut donc entrelacer le personnel et le collectif et refuser un développement personnel qui ne se concentrerait que sur la seule… personne ! : « Il nous faut retrouver, chacun d’entre nous, dans nos individualités, un sens à notre vie. Mais c’est ensemble que nous nous en sortirons. La vie ne tient que par la réciprocité, la solidarité, l’entraide, le don… » C’est pourquoi Coline Serreau dénonce, avec raison, cette écologie asociale, apolitique, axée uniquement sur les changements de comportement et oublieuse de la critique nécessaire et vitale du système capitaliste : « Il faut arrêter de culpabiliser les gens. Ils ont leurs problèmes de vie quotidienne : leurs factures à payer, le chômage, les maladies… Ce ne sont pas eux qui sont directement coupables. Les gens vivent comme ils peuvent leur petite vie. Je veux simplement leur dire que lorsque tout va aller très mal, il existera des solutions, des alternatives ». Coline Serreau, une femme à entendre, et une femme à voir, à travers les images des mondes en luttes qu’elle nous offre. »

 Nathalie Calmé est journaliste et écrivain. Elle anime l’Association pour la Diversité Active et la Solidarité Internationale(ADIVASI).

Couv__NC32A lire la suite dans NC 32 ( Décembre 2009)

 Aller plus loin :

* Serreau, Coline (2009) Le jeûne. Un choix de « simplicité volontaire » In Desbrosses Philippe et Calmé Nathalie (sous la direction de), Médecines et Alimentation du futur Santé et modes de vie (143-148) Paris – Le Courrier du Livre

* Serreau, Coline (2009) La grande colère de Coline Serreau. Entretien avec Patrice van Eersel. Nouvelles Clés, 62, Juin-Août, 42-45

* Serreau, Coline (2009) La Terre vue de la terre. L’image au service des peuples et de la terre. Entretien avec Nathalie Calmé. Alliance, 20, Février-Avril, 16-20.

Coline Serreau se réfère à Antoinette Fouque dans Nouvelles Clés (juin-août 2009)

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Propos recueillis par Patrice van Eersel
 
La grande colère de Coline Serreau
 
Toute la presse a parlé du grand documentaire écologique en six parties que prépare la réalisatrice la moins conformiste de France. Mais sans nous dire de quelle énorme indignation elle est partie – que son reportage autour du monde n’a fait que confirmer.
Selon elle, à peu près partout, les femmes continuent à subir l’inégalité, l’oppression et, pire que tout, la non reconnaissance du rôle créateur de leur ventre. Telle serait la cause n°1 de nos problèmes : le matricide, qui nie l’utérus et l’humus. Vous pensiez que la lutte des femmes était finie ?
 
Coline Serreau, dont nous avons adoré les fictions utopistes – La Belle Verte, La Crise, Saint-Jacques… La Mecque – est partie filmer toutes sortes d’acteurs de la mouvance des « rebelles de l’humus », de Pierre Rabhi à Nicolas Hulot, de l’Indienne Vandana Shiva au Marocain Hassan Zaoual, des savants libertaires aux paysans sans terre. On les verra à l’écran, cet hiver, dans une série de six documentaires-manifestes : La Terre vue de la terre – Solutions locales pour un désordre global. La réalisatrice se trouve en plein dérushage de ses 150 heures de tournage, au moment où nous débarquons chez elle pour lui demander en quoi elle croit, au fond.
 
Quels sont vos critères, pour trier le meilleur de toutes les images que vous avez tournées ?
Aujourd’hui, toute la journée, j’ai décrypté ma longue interview de la philosophe Antoinette Fouque, figure mythique du MLF et fondatrice de la Librairie des Femmes. J’adhère entièrement à ce qu’elle dit sur le meurtre du vivant. La terre et l’utérus, c’est le même mot. Mater, matière, utérus, terre, tout ça a la même racine. L’humus, l’humanisme, l’humilité, voilà mes critères. Les progressistes, dont je me suis longtemps sentie proche, n’ont jamais voulu voir le fond du problème : la relation entre la terre et l’utérus. Aujourd’hui, si les écologistes ne comprennent pas que l’urgence n°1 est l’arrêt du matricide, ils échoueront comme les autres. (…) L’interview fait plusieurs pages….
 

Coline Serreau lit « Trois guinées » de Virginia Woolf pour la Bibliothèque des Voix

Trois guinées.jpgTexte recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :
col.jpgColine Serreau
Souvenirs d’une séance d’enregistrement de cassettes : Je me souviens d’une atmosphère concentrée mais détendue. J’ai lu avec beaucoup d’émotion les textes de Virginia Woolf, textes forts, intelligents et combattants. On reprenait tel ou tel passage, en toute confiance, jugeant et discutant ensemble de la meilleure prise. Quel bonheur de mettre son métier au service d’un grand texte pour une lutte essentielle.
Amitiés aux Editions des femmes.
C.S.
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C’est un texte politique. Virginia Woolf, ici, va droit aux faits avec la plus redoutable précision. Femme, elle reconnaît, décèle et dénonce en précurseur ce scandale d’autant plus occulté qu’il s’inscrit partout, s’étale avec une évidence majestueuse : le racisme ordinaire qui réduit les femmes à l’état d’êtres minoritaires, colonisés. Scandale politique. Dictature qui annonce toutes les autres.