L’Oeil de la poupée de Irina Ionesco, aux éditions Des femmes

UN GRAND MERCI à Dominique-Emmanuel Blanchard, qui m’accorde le droit de reproduire ici la photo personnelle qu’il a faite de Irina Ionesco.
irina-ionesco-3nb.jpgTexte de Irina Ionesco écrit pour le catalogue des trente ans des Editions Des femmes :
Au commencement était la femme, ce précepte personnel a forgé mon destin. De l’homme j’ai eu peu de connaissance tout au long de mon étrange enfance. Ce sont les femmes qui m’ont bercée, ce sont elles qui m’ont nourrie, soignée. La première que j’ai connue, la plus prodigieuse de toutes les femmes, Virginie Elisabeth, ma grand-mère, ainsi que le rêve de Margot, ma mère, seront pour toujours la source de toute inspiration et ma vie consacrée au regard a choisi naturellement comme idéalité la femme. Les années passant, la femme seule a été le choix et le sujet de mon travail de photographe.
 
Dans les années 70, l’existence soudaine des Editions Des femmes avec en tête Antoinette Fouque m’avait subjuguée. A l’époque je lisais avec ardeur Le Torchon Brûle, un journal révolutionnaire qu’Antoinette animait. Et c’est en toute certitude que le texte qui par moi fut écrit se trouvait destiné à être envoyé aux Editions Des femmes. J’ignorais que j’allais faire partie d’un mouvement de recommencement et que mon livre allait bénéficier de la réouverture officielle des éditions qui avaient cessé de publier quelques années durant. Je suis heureuse d’avoir rejoint ainsi le sens d’un rêve et je remercie Antoinette d’avoir aimé mon bouquin.
I.I.

L’Oeil de la poupée de Irina Ionesco – Auteur : Irina Ionesco  

  • Editeur : Des Femmes
  • Parution : 18/03/2004
  • Nombre de pages : 204
  • Dimensions : 21.00 x 13.50 x 1.60

Résumé :

La voix monocorde de Manie scandait le temps. Isa éprouvait une réelle incrédulité à écouter cette transe d’aveux funestes que sa grand-mère exprimait enfin. Les mots s’égrainaient. Ses paroles, nimbées d’un son lugubre, ne frappaient pas encore l’entendement d’Isa. Cependant elle commençait à découvrir le sens d’un drame, assurément antique, dont elle aurait été le sujet et la cause. Ce qu’elle venait d’entendre à propos de leur vie à eux – cette trilogie maudite, le temps d’un blasphème dont elle aurait été le fruit – déchirait l’épaisseur d’un voile noir composé de mille strates. Une lumière terrible éclairait son interminable questionnement. I.I.

A propos de l’auteur :

Irina Ionesco est née à Paris en 1935. Photographe inspirée et célèbre, elle poursuit depuis plus de trente ans une oeuvre singulière et baroque dans laquelle les femmes se trouvent au centre d’un incroyable théâtre issu des réalités. L’oeil de la poupée est le premier volet de son autobiographie.

411539430_L.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ravissante et désarticulée

Irina  Ionesco   Marie  Desjardins   L’Oeil de la poupée
Editions des Femmes / Antoinette Fouque
 2004 /  2.29 € –  15 ffr. / 204 pages
ISBN : 2-7210-0485-9
FORMAT : 14×21 cm

Avec le premier volet de son autobiographie, la photographe Irina Ionesco nous livre un ouvrage minutieusement ciselé. De sorte
qu’il est naturel qu’au travers des pages devenues translucides à force d’innocence, l’oeil du lecteur se prenne progressivement à scruter l’échafaudage de perles et de papiers dorés, de regards fugitifs et d’impressions passagères, qu’une petite fille devenue grande reconstruit nostalgiquement.

Nonchalante et volontaire, la figure l’Irina se dissout dans un nuage d’étoiles. Elle est désormais Isa, une enfant capable de se mettre en scène. Ce changement de prénom reflète avec justesse le dilemme du réel et du fictif qui tourmente Irina : aujourd’hui encore, l’auteure pour se raconter, s’invente, de la même manière que son personnage, dès ses premières années, n’est parvenu à vivre que grâce à l’image. C’est en effet l’histoire d’une danseuse qui deviendra photographe, d’une égérie artiste, d’une amoureuse de la beauté. Placée sous le signe du spectacle depuis sa naissance, Isa doit paraître pour être, sans pour autant que cela soit synonyme de superficialité. Rien de plus profond que le culte du style auquel elle s’adonne, et les silhouettes fantomatiques de son père violoniste et de sa mère trapéziste, croisées de temps à autre, auront sans doute contribué (malgré le caractère très intermittent de leur présence dans la vie de leur fille) à développer chez elle une soif de perfection et l’espoir d’un absolu esthétique jamais atteint.

La perception du réel se révèle donc fondamentalement différente de la grille d’analyse ordinaire d’un lecteur adulte et « normal », c’est-à-dire inséré dans un monde utilitariste et consumériste. En ce sens il est nécessaire, pour entrer dans l’univers magique d’Isa, de se laisser envoûter, sans être désarçonné par l’apparente désarticulation du récit. Les phrases sont courtes, et, comme les mosaïques anciennes, juxtaposées sans un ciment unificateur : c’est à l’observateur de retrouver en lui des échos du passé pour obtenir une vue d’ensemble. Mais c’est à ce prix que chacune de ces énonciations peut être considérée comme une saisie immédiate d’instants réels, absolument pure, sans artifice.

Pas plus que dans son écriture, le compromis ne semble dans la nature d’Isa; aussi, elle n’admet pas la trahison, et qu’elle entre dans une relation, elle s’y donne sans retenue aucune, se livre en victime offerte : des années durant elle a déposé devant sa poupée, sans oser la toucher, ce qu’elle trouvait de plus précieux, guettant de muets commentaires dans l’oeil brillant de celle-ci. Mais quand elle a dû la quitter, la prenant pour la deuxième fois de sa vie dans ses bras, elle l’a immolée par le feu… De même lorsqu’elle décide d’adopter une pose esthétique ou de choisir un homme, elle le fait sans à-peu-près, et les oublie de la même manière. Isa ne se sauve de l’égoïsme que grâce à l’esthétique : son absence aux autres n’a d’égale que sa douleur de ne pas arriver au but qu’elle s’est fixé, et l’indifférence n’est pas chez elle une faute, mais la condition sine qua non de sa recherche tâtonnante.

Dans sa quête d’absolu, Isa ne peut trouver de compagnons de route, et cette jeune fille grandie sans parents, indépendante parce qu’abandonnée de fait, au seuil de sa vie d’adulte, n’a trouvé de véritable compréhension que dans le regard de verre de sa poupée. Isa se laisse porter par la vie, se contentant de donner de temps à autre une ferme impulsion, au hasard de ses désirs. Son caractère exceptionnel vient de son refus de s’incliner face à la nécessité de choisir rationnellement, et de grandir. Et Irina Ionesco a su nous ouvrir une fenêtre sur cette dérive, qu’on quitte avec l’impression douloureuse de retrouver la banalité du réel. Mais n’est-ce pas à chacun d’entre nous de reconstruire son propre rêve?

Aurore Lesage
( Mis en ligne le 11/08/2004 )