Joël Schmidt, fidèle lecteur de Chantal Chawaf n’a pas oublié « Je suis née » (REFORME, 27 mai 2010)

chawaf.jpgREFORME N°3370 – 27 MAI 2010
 
TENDANCES – ROMANS. Les femmes écrivent leur corps, le corps des femmes écrit : quatre romans dérangeants qui touchent aux interdits de l’inconscient, sur fond de misère sexuelle, du caché et du tu, d’emprise psychologique et d’une mise sous boisseau.
 
LES CORPS QUI ECRIVENT
 
(…)
 
« Je suis née, de Chantal Chawaf : comme au sein des noces mystérieuses du conscient et de l’inconscient »
 
ACCOUCHEMENT
 
Il y a longtemps que je pense que Chantal Chawaf est le plus singulier de nos écrivains qui écrivait sur le registre de l’humoral, du corps intérieur, des romans fascinants, audacieux, prodigieusement alimentés de sèves, de sang, de veines, comme si ses personnages étaient enveloppés d’un tissu placentaire. Je suis née nous donne les clefs de cette étrangeté qui n’était pas inquiétante, comme aurait dit Freud, mais énigmatique. Marie-Antoinette, sous laquelle on reconnaît l’auteur, est née au moment du bombardement de Boulogne en septembre 1943, arrachée au ventre de sa mère morte tandis que son père décédait aussi. Adoptée, ayant appris la vérité, elle va mener une enquête douloureuse dans l’abstrait des archives et le concept des témoignages. Peu à peu, elle comprend mieux et non sans angoisse, sans révolte, sans tourment, les secrets dont elle a été entourée qui l’ont protégée tout en la cachant à la vérité.
 
Comme une révélation, les sésames de son oeuvre qui s’enfonçait dans les ventres imaginaires, dans des artères fantasmées, dans des profondeurs liquides, dans des univers aquatiques, se découvrent. Son oeuvre romanesque en sera comme l’alpha et l’oméga. Le caché et le tu deviennent ouverture et parole, l’écrivain sait les chemins exorcistes où elle s’est engagée, et ses lecteurs, sans que la magie de son style et celle de son imagination en soient violées, saisissent une des démarches les plus extraordinaires qu’un écrivain puisse faire au sein des noces mystértieuses du conscient et de l’inconscient, selon la phrase de Cocteau. Avec Je suis née, Chantal Chawaf s’est accouchée. Prodigieux.
 
POSSESSION
 
La narractrice de Sarah Chiche, décalée de la vie par un divorce et la mort d’une grand-mère, tente, elle aussi, de naître, mais avec le secours d’un thérapeute dont elle va subir l’emprise de plus en plus démoniaque, au point de traverser l’Enfer et de se retrouver face à Satan, prête à être exorcisée. Entre les deux romans, celui de Sarah Chiche et celui de Chantal Chawaf, court un lien qui fait les deux soeurs, mais comme tête-bêche. La première doit évacuer la possession psychologique d’un pervers pour se retrouver, alors que la seconde a tendu toutes les fibres de sa chair pour se reconstruire seule. Leur aboutissement est toutefois semblable.
 
L’emprise de Sarah Chiche, dont j’avais chroniqué le premier roman, L’Inachevée, est envoûtant et terrifiant parce qu’il touche lui aussi à des interdits que l’inconscient sécrète pour ne plus se découvrir. Parce qu’il fait d’une femme la proie d’un homme pervers et manipulateur au point qu’elle s’arrachera à ses serres psychologiques non sans mal. C’est un roman qui, comme celui de Chantal Chawaf et comme les nouvelles d’Astrid Eliard, ne pouvait être écrit que par une femme. Quoi qu’opn en dise et pense, ces trois femmes étaient seules capables d’aller si loin, si abruptement dans des cauchemars nécessaires pour s’en extraire et revivre. Aucun homme n’aurait pu le faire avec cette franchise et cette densité.
 
(…)
 
Joël Schmidt
 
A LIRE
 
Nuits de noces
nouvelles
Astrid Eliard, Mercure de France, 148 pages, 14,80 euros
 
Je suis née
Chantal Chawaf
Editions Des femmes-Antoinette Fouque, 561 pages, 20 euros
 
L’Emprise
Sarah Chiche
Grasset, 181 pages, 15 euros
 
La fille
Michèle Gazier
Le Seuil, 171 pages, 16,50 euros

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