L’écrivain Victor Kathémo rend ses papiers à Manuel Valls, la France ne lui permettant plus de travailler (lettre du 10 février 2014)

4213439-6387153.jpgLe 10 février 2014

Lettre de l’écrivain Victor Kathémo, auteur de L’air du monde (Éditions Myriapode, parution le 6 mars 2014) à Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, Place Beauvau, Paris 8ème

OBJET : Résignation de nationalité

CPI à la Ministre de la justice

             C’est avec un pincement au cœur que je me permets de vous adresser cette lettre pour vous faire part de toute mon incompréhension suite à une condamnation que le Tribunal d’instance de Bordeaux vient de prononcer à mon encontre pour avoir contrevenu à une interdiction de gérance en créant notamment une entreprise d’éditions littéraires. 

             Ma démarche ne consiste nullement à manifester une quelconque opposition à cette décision juridictionnelle du moment que les juges, dans leurs rôles, ne font qu’appliquer les lois qui garantissent la cohésion sociale, mais elle permet juste d’alerter sur un cas dont les circonstances, prises dans son ensemble, ne peuvent être récusées.

              J’avais tenu pendant quelques années un café-théâtre dans une ville du nord de la France. Suite à un différent avec mon bailleur au sujet de la capacité d’accueil du local donné en bail, j’avais pris la décision de saisir le tribunal qui, sans daigner traiter le problème de fond, avait pris la décision de résilier mon bail au motif qu’il comportait de grossiers vices de forme.  Cette situation m’avait conduit à engager la responsabilité du notaire qui avait procédé à la rédaction de ce bail. La faute du notaire fut bel et bien reconnu par le Tribunal, la Cour d’appel et de Cassation. Malheureusement, contre toute logique, cette dernière considéra que j’étais, malgré tout, irrecevable en ma demande de dommages et intérêts. Cette iniquité me fit perdre un fonds de commerce estimé à 130 000 euros et entraîna irrémédiablement une liquidation judiciaire qui aboutit à mon interdiction de gérance.

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              Pour tourner la page de ces tribulations, je pris la décision de déménager pour habiter dans le Sud-Ouest. En Aquitaine où je m’installai, je répondis, en vain, à des centaines d’offres d’emploi. Mes démarches me conduisirent même à m’adresser à toutes les municipalités qui forment la Communauté Urbaine de Bordeaux sans obtenir un résultat probant. Qu’aurais-je dû faire d’autre en pareille situation que de chercher à créer mon propre emploi ? Est-ce vraiment une raison valable pour envoyer une personne derrière les barreaux ? N’est-ce pas de ce fait rajouter une injustice à une autre ? Quelle est réellement ma place dans cette société où j’évolue ? Dois-je accepter indéfiniment que seuls les préjugés suffisent à me faire condamner ? On peut être tenté de dire que, dans mon cas, l’idéal aurait été d’émigrer sous des cieux plus hospitaliers, mais est-il si simple de saper le socle familial que l’on a mis vingt ans à bâtir ?  

              La liberté et la justice sont parmi les piliers de la société française. Peut-on se sentir Français si l’on a le sentiment d’en être privé? N’est-ce pas vivre dans l’illusion que de clamer sa francité sans pour autant jouir d’une quelconque liberté ou justice? Cette condamnation, est-elle une psyché qui m’est confiée que je puisse me rendre compte d’une cruelle évidence ?

              J’ai donc décidé, pour me conformer aux valeurs de ce pays dont je suis fier, de résigner ma nationalité. Je vous rends mes papiers ci-joints en vous remerciant infiniment de m’avoir accueilli dans cette communauté. Contre vents et marées, je resterai Français dans l’âme, je défendrai ce pays en toutes circonstances. Où que j’aille, je promouvrai sa culture et sa langue que j’aime tant, mais je refuse d’en détenir une preuve matérielle qui me maintient dans l’illusion. Je n’accomplis pas ce geste pour les mêmes raisons que d’autres. Je vis dans l’indigence matérielle. Je n’ai aucune fortune à préserver d’un quelconque prélèvement obligatoire. Je vous rends mes papiers parce que j’ai honte de ne pas pouvoir payer mes impôts dans ce pays qui m’a tout donné. Et qu’on ne dise pas que je ne l’aime pas. Pour s’en convaincre, il suffit juste de lire le livre dont je vous adresse un exemplaire ci-joint.

             Avec mes respectueux hommages, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération.

                                                                                               Victor Kathémo

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