Émile COUGUT fait l’éloge de « L’air du monde » de Victor Kathémo, retrouvant en lui Simenon et Baudelaire (sur le prestigieux magazine des arts en ligne Wukali, le 28 avril 2014)

La chronique littéraire d’Émile COUGUT dans le magazine des arts Wukali 

3261023754.jpgVoilà un roman qui ne ressemble à aucun autre. Est-ce un roman ? C’est plutôt une confession, fictive, mais une confession qui prend la forme d’une longue lettre, sur plusieurs jours, du héros, Jérôme Jauréguy, à un juge d’instruction. Cela n’est pas s’en faire penser à « Lettre à mon juge », un des plus beaux romans de Georges Simenon. Le parallèle s’arrête là, Victor Kathémo n’est pas Simenon (il ne revendique en rien une quelconque filiation), il a son style, son univers qui lui sont propres. Il a un style « fleuri », souvent proche à de la poésie en prose. Il a un langage précis, un vocabulaire recherché avec des mots, le moins que l’on puisse dire, très peu utilisés comme par exemple endêvé, obvier, prodromique, prosaïser (je laisse les lecteurs rechercher les définitions dans leurs dictionnaires préférés, mais je les aide pour le dernier mot, prosaïser a comme synonyme le verbe banaliser). Mais cette recherche du mot juste, pour ceux qui seraient effrayés, n’entrave en rien la lecture, au contraire, elle la rend encore plus riche, plus profonde et contribue à la beauté, à la pureté du style.

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Jérôme Jauréguy se retrouve au chômage. Quelques mois après, sa femme le quitte avec l’enfant qu’ils viennent d’avoir. Il se retrouve seul avec comme seule présence une télé dans une carapace de tortue luth, au cinquième étage d’un immeuble, cours Pasteur à Bordeaux, donnant sur la cour de récréation de l’école élémentaire Paul Bert.

S’en jamais s’approcher d’un enfant, il tisse un lien avec les écoliers du haut de sa mansarde, un lien qu’il n’a pu avoir avec son enfant qu’il ne peut voir. Bien sûr son attitude n’est pas comprise des parents d’éléves qui l’accusent de toutes les turpitudes, d’où sa mise en examen. De fait, l’histoire que je viens de vous résumer, n’occupe que peu de pages dans le roman. Elle n’est là que pour permettre à l’auteur de développer toute une philosophie autour du rejet, de la bien pensance, de la solitude, de la vie en général. Une philosophie loin d’être optimiste, tant elle est teintée par la nostalgie, par l’innocence perdue par les adultes (« le vert paradis des amours enfantines » si cher à Baudelaire).

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Et puis, il y a Bordeaux qui sert de toile de fond. Pas le Bordeaux hypocrite d’un Mauriac ou le Bordeaux superficiel d’un Sollers, mais un Bordeaux lumineux, vivant, beau où il fait si bon de se promener à pieds. Victor Kathémo connait bien la capitale de l’Aquitaine et, pour ceux qui ne la connaitraient pas, ou moins bien que lui, mettre leurs pas sur les pas de son héros (il décrit de véritables itinéraires dans Bordeaux), leur permettra de découvrir la beauté de cette ville.

Soit, Jérôme Jauréguy est dépressif, pessimiste, nostalgique (et on le serait à moins avec ce que la vie lui a fait subir), mais c’est aussi un esthète, plein d’empathie, de bonté, qui sait jouir de la beauté de la ville où il vit. Un vrai être humain plus libre que ses congénères qui ne le comprennent pas

Emile Cougut

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