Les étudiants chercheurs travaillent sur « Monsieur Albert » de Frédéric Andrau (déjà deux recensions sur Liens Socio)

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Frédéric AndrauMonsieur Albert. Cossery, une vie, Editions De Corlevour, 2013, 280 p., ISBN : 9782915831795.

Voici la seconde recension du site Liens Socio (27 avril 2013) : 

CouvCossery.jpg1. Nous avons tenté, la lecture de cet hommage achevée, de dresser en un mot le portrait d’Albert Cossery. « Original » nous apparaissait comme une injure à la façon dont cet élégant personnage avait choisi de mener sa vie et surtout trop empreint de l’idée de norme. Le dandysme d’apparence du Monsieur nous inspirait mais pouvant s’appliquer à son mépris des conventions, il se heurtait à l’absence de renouvellement de cette figure germanopratine. En fait, dandy, Albert Cossery l’était intrinsèquement et n’avait pas besoin de chercher sans cesse le moyen de se réinventer, le regard réitéré des autres le faisait toujours pour lui. Enfin, le mot juste sembla sonner à notre oreille, polysémique, de tout ses sens il englobe Albert Cossery et ce dernier l’incarnait dans sa pluralité : « singulier ».

22. Singulier l’homme débarquant à Paris pour la seconde fois en 1945 et y posant définitivement ses bagages, au demeurant minces et qui le resteront sa vie durant. Le jeune homme cairote était venu une première fois dans la « ville lumière » en 1938, sous couvert d’une vie étudiante. Ses premiers écrits, des poèmes publiés avant son départ, avaient su conquérir la société cairote et faisait le tour de l’Égypte, déjà. Son retour fut l’occasion de belles rencontres au nombre desquelles Georges Henein ou Edmond Jabès et d’autres surréalistes dont il se sentait proche. Mais les rencontres ne se limitaient pas à un cercle défini, il faisait confiance à son instinct, il aimait ou n’aimait pas et dans ce cas dernier ne s’efforçait pas de plaire. Une singulière rencontre avec Lawrence Durell, fasciné par l’Égypte, le fit se lier d’amitié avec Henry Miller, un admirateur qui contribuera à l’expansion de sa renommée. Cossery semblait s’en moquer, seul le plaisir des rencontres non provoquées paraissait le satisfaire, leur caractère éphémère aussi. Plus tard, installé à Paris, sur les trottoirs et dans les cafés de Saint-Germain il rencontrait Camus, Nimier, Guilloux, Tzara et surtout Moustaki.

33. Singulière existence parisienne que celle de l’auteur de Mendiants et orgueilleux. Un titre à l’image de l’écrivain. Arrivé à Paris sans le sou, il vendait sa conversation, son esprit contre un repas ou un café et trouvait là le moyen de subvenir à ses modestes besoins. Albert Cossery s’installe à l’hôtel La Louisiane quelques mois après son arrivée ; il n’en partira plus de ses soixante ans de vie dans la capitale. La fréquentation de Saint-Germain-des-Prés et de ses terrasses lui permit de faire des rencontres nombreuses, souvent décevantes à ses yeux : rarement il s’y attachait. Singularité d’un homme ne cherchant dans le monde qu’un moyen de subvenir aux besoins vitaux. Il trouvait dans cette façon de mener une existence sans attaches, sans liens indispensables le meilleur moyen de rester libre. Une journée parisienne de Cossery pourrait bien résumer toutes les autres, soixante années en un jour.

4FA cote.jpg4. Une curieuse parenthèse vint cependant entrecouper cette voie si rigoureusement régulière, sa rencontre avec Monique Chaumette. Il épousa la comédienne mais rien ne pouvait cependant faire déroger Cossery à son rythme, La Louisiane, Saint-Germain, les femmes. Singulier mariage puisqu’il n’en conclura pas d’autres, singulière alliance aussi par les entrevues des mariés, entre 14h et 19h le plus souvent. Monique, bientôt lasse, le quitte, il ne protestera pas.

55. Singulière relation entretenue avec Albert Camus ‑ un compagnon de fêtes et de virées nocturnes à courir après les jupes des femmes ‑ jusqu’à la disparition accidentelle de celui-ci. Ils ne parlaient pas littérature, ils aimaient les femmes, manger, boire, ne se retrouvaient que pour vivre leur vie d’hommes, oublier celle de lettrés. Albert Cossery multipliait les conquêtes qu’il voulait souvent sans lendemain, comme toujours dans le plus grand désir d’être maître de son destin. Il faut dire que son allure altière, son élégance dans la tenue comme dans le discours faisait vaciller aisément les femmes dans son lit.

66. Singulière l’écriture éparse de ses livres, entre trois et quinze ans entre chaque ouvrage, expliquant la liste courte de ses productions littéraires. Le temps pour Albert Cossery est un luxe, le juste étalon de la liberté de créer sans contrainte face à l’écoulement de celui-ci. Il ne se laissait pas corrompre par les exigences de rentabilités imposées par son temps et par sa notoriété, il laissait au lecteur le plaisir d’attendre, à la critique celui de spéculer. Et que dire de cette écriture qu’il développe dans les ruelles du Caire ou en d’imaginaires pays du Golf. L’homme si imprégné d’une culture qu’il ne pourra pas même retrouver lors d’un voyage officiel, décevant, avec François Mitterrand en Égypte. Jamais Cossery ne semble s’être oublié à une nostalgie de son pays natal ; souvent en revanche il continue de transporter ses lecteurs dans cet univers tiède, froid ou bouillonnant soulevé par la sagacité de son regard posé sur l’humain.

77. La quête de sa vie se résume au singulier et au féminin, la Liberté. Déjà dans son enfance, Albert Cossery voyait son père, rentier, se laissait aller à la langueur dans la maison familiale de Feggallah, mais nulle philosophie la derrière. Sans doute ce comportement influença-t-il la façon dont Cossery devait concevoir la façon d’appréhender l’existence. Sa vie, nous l’aurons compris ne se résume qu’à cela, vivre libre, pour lui la solitude était une des conditions nécessaire à cet accessit, de l’être au singulier, du « je », sans égoïsme mais non sans vanité. Il voulait vivre sa vie, singulière toujours aux yeux des autres, au singulier à son propre regard.

88. Enfin, singulière cette biographie en adresse à l’écrivain. Un hommage informel où place est faite à l’expression des sentiments, ceux qui traversent Frédéric Andrau et qu’il nous transmet dans la chaleur d’un souvenir heureux. Une vie réglée au métronome sonnant en diapason le la de liberté.

99. Il errait sur les trottoirs en ombre. Après l’avoir observé, salué, il s’est éteint dans la perspective d’un boulevard et nous laisse au bas de son hôtel, ravis, son œuvre entre les mains, deux volumes tout au plus d’une juste appréciation de l’homme.

POUR CITER CET ARTICLE

 

Simon Laporte, « Frédéric Andrau, Monsieur Albert. Cossery, une vie », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2013, mis en ligne le 23 avril 2013, consulté le 29 avril 2013. URL : http://lectures.revues.org/11341

 

SUJET

Littérature

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