Madeleine Chapsal, reconnaissante aux éditions Des femmes

Texte de Madeleine Chapsal recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :

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Avant que les Editions des femmes soient fondées, écrire « sérieusement » n’était pas accordé aux femmes.
 
Dès que nous pouvions tenir une plume, nous étions en charge de la correspondance – à nous de transmettre les nouvelles au reste de la famille quand internet, le portable n’existaient pas mais que les liens du sang continuaient de s’imposer.
 
Nous étions également affectées aux comptes, de la maison, du commerce familial, aussi à faire répéter leurs devoirs aux enfants, toutes activités qui demandent de l’écriture – une écriture sage et normalisée.
 
Mais pour ce qui est de l’expression littéraire proprement dite, si elle existait chez certaines, elle était vouée au secret, à la clandestinité, réservée non sans danger à la rédaction d’un journal intime…
 
J’en ai couvert des cahiers entiers, prudemment enfouis dans mes tiroirs. Quand survinrent quelques « ovnis » : Sagan, Mallet-Jorris… De jeunes amazones qui dès leur premier essai ont renversé la donne : les femmes aussi pouvaient écrire, être publiées, avoir du succès, choquer, en somme écrire « comme des hommes ».
 
Mais pouvaient-elles encore écrire « comme des femmes » ?
Ce sont les Editions Des femmes qui nous l’ont révélé. Je me souviens de ma stupéfaction enthousiaste lorsque j’ai découvert les premiers textes publiés par Antoinette Fouque et son équipe : des fragments de sensibilité, d’émotion, des cris, des aveux, de l’impudeur… Tout ce que j’écrivais dans ùmon journal et que je croyais non montrable sortait ainsi au grand jour !
 
Tout ce qui jusque-là me paraissait devoir être refusé par n’importe quel éditeur tant je le jugeais moi-même scandaleux et informe – inutile donc de le leur présenter Rappelons-nous qu’il n’y avait alors que des hommes à la tête des maisons d’édition.
 
Or c’était ces textes mêmes, certains inachevés comme leurs auteurs alors brimées, que les Editions Des femmes approuvaient, admiraient, encourageaient, imprimaient et tant pis si, au début, elles ne les vendaient guère.
Ces audacieuses avaient un but, un objectif qui relevait de la mission : mettre en plein jour l’être féminin dans sa complétude et sa splendeur.
Car écrire et se voir publier est ce qui permet le plus d’accéder à sa propre vérité et à son identité. Afin par la suite de communiquer, partager ce que l’on est avec autrui.
Une réalisation d’autant plus puissante que l’entreprise était collective : nous prenions conscience, chacune dans notre coin, que nous n’étions pas seules à oser penser, écrire de la sorte, c’est-à-dire au féminin. Sur les rayons des bibliothèques, à la vitrine des Editions Des femmes, nous nous découvrions nombreuses à éprouver des sentiments réprouvés, à désirer l’inadmissible, à vouloir ce que nous imaginions être impossible, une autre façon d’exister et d’aimer pour les femmes.
Avec l’espoir commun de sortir de la souffrance parfois atroce de la vie étouffée qui nous était imposée par un système qu’on pouvait qualifier de « macho ».
C’est ainsi, grâce aux Editions Des femmes, que beaucoup d’entre nous ont pu se convaincre qu’elles n’étaient pas des folles – mais des écrivains.
Le temps a passé. Jamais nous ne remercierons assez ces femmes qui ont consacré la plus grande part de leur vie à ouvrir les prisons dans lesquelles croupissaient encore le coeur, l’esprit et le talent de tant de femmes.
Aujourd’hui, lorsqu’elles y sont déterminées, les femmes ont une bien plus grande possibilité de s’affirmer dans tous les domaines. Quoique le combat ne doive pas se relâcher – il prend souvent des formes sournoises – , nous voici en marche accélérée vers la justice, c’est-à-dire vers la parité.
Et si nous ne publions pas toutes aux Editions Des femmes, nous devons toutes savoir à quel point cette entreprise a contribué contre vents et marées à nous permettre d’empoigner l’arme capitale pour la liberté de chacun et de tous : d’évidence, c’est l’écriture.
Merci à toutes.
M.C.

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