Pépita Dupont fait « le jour où » d’Antoinette Fouque dans Paris Match !!

AF.jpg« Je rêve maintenant d’un Grenelle pour les femmes.. », dit Antoinette, photographiée ici en 1988.

PARIS MATCH du 01 Novembre 2008 – 12:09
Le jour où… le MLF est né dans un petit studio. Par Antoinette Fouque
Récit. J’étais heureuse dans ma vie d’épouse et de mère mais je me sentais transparente dans la vie publique. Le 1er octobre 1968, nous nous sommes réunies dans un appartement prêté par Marguerite Duras pour « vider notre sac »…

Le jour où… Propos recueillis par Pépita Dupont

Je suis une jeune intellectuelle de 31 ans, prof de lettres,en thèse avec Roland Barthes et j’écris un peu pour « La Quinzaine littéraire ». Mariée depuis neuf ans, je suis mère d’une petite Vincente, âgée de 4 ans, que j’ai désirée. Jusqu’à sa naissance, je croyais que nous étions égaux, filles et garçons, mais à l’occasion de cette grossesse je me suis aperçue que c’était moi qui avais fabriqué cette enfant. J’ai une santé fragile, et j’ai passé neuf mois à lutter contre l’angoisse. Celle de toutes les ­futures mères, car à l’époque il n’y avait pas d’échographie. J’ai accouché d’une très jolie petite fille mais je sais que si on met au monde un garçon, dans la culture méridionale à laquelle j’appartiens, on ­entre dans le patriarcat. On fait partie de la société du père et du fils, on est la Vierge Marie. Quand on met au monde une fille, c’est différent. Alors je m’interroge : « Qu’est-ce qu’une femme ? »

En janvier 1968, Josiane Chanel, une de mes amies, me présente ­Monique Wittig dans un bar de l’Odéon. C’est déjà un écrivain reconnu, elle a reçu en 1964 le prix Médicis pour « L’Opoponax ». Elle est en train de traduire « L’homme unidimensionnel » de Marcuse. Elle m’avoue qu’elle souffre terriblement de se sentir disqualifiée. Jamais elle n’apparaît sur les photos des auteurs du Nouveau Roman. Il n’y en a que pour les hommes. Monique me dit : « C’est pas possible, il faut qu’on se révolte. » Ça tombe bien, je suis d’accord. Nous partageons la même colère contre la misogynie ambiante.

Dans le milieu intellectuel que je fréquente, je me sens transparente. A la maison, j’ai un mari merveilleux, mais à l’extérieur je cherche ma vérité, dans la philo, la psychanalyse. Or Freud dit dans ses textes qu’à 30 ans une femme est vieille. Je me sens pourtant très jeune, très dynamique. Je veux comprendre pourquoi il n’y a pas de femmes sur les bancs de l’Assemblée nationale. Et puis 1968 arrive. Le 13 mai, avec Monique, Josiane et d’autres amies, nous créons un comité révolutionnaire d’action culturelle. Bulle Ogier, Danièle Delorme, Nathalie Sarraute, André Téchiné, Marguerite Duras, Michèle Moretti, Umberto Eco, Maurice Blanchot viennent nous soutenir. Il y a aussi Agnès Varda. Imaginez-vous qu’à l’époque elle était la seule femme cinéaste !

Le 1er octobre, jour de mon anniversaire, on se réunit dans un petit studio prêté par Marguerite Duras rue de Vaugirard. Nous sommes une trentaine de femmes de 16 à 33 ans. Chacune à tour de rôle prend la parole. Et apparaissent des choses qui ne peuvent se dire qu’en l’absence des hommes. Une avocate parle de sa mère qui a été battue par son père, une autre de son oncle, un photographe célèbre, qui l’a violée. Monique, elle, dénonce le culte de la virginité. Cela ressemble un peu aux « Monologues du vagin » avant l’heure. Par la parole, nous faisons tomber des tabous. Nous ne ­voulons plus avorter de manière sanglante, ni accoucher dans la douleur, faire des enfants que nous ne désirons pas, que l’on nous interdise d’entrer à Polytechnique, ou ceci ou cela. Il y a des rires, des larmes, une liberté d’adolescence.

C’est dans cette effervescence enivrante qu’est né le MLF. Au début, nous étions trois, puis on a été vingt. On nous traitait de folles mais, lorsque nous avons été des milliers, certains ont commencé à avoir peur et à se méfier. Evidemment, tous les hommes de cœur sont venus avec nous. La lutte que nous avons menée au MLF, je le dis, n’était pas contre nos compagnons, c’était une révolution des mœurs. Mon mari m’a toujours soutenue car pour lui cela allait de soi. Ma mère aussi venait à toutes nos manifs. Elle était analphabète.

Bio express
1936 Naissance le 1er octobre à Marseille.
1968 Cofondatrice avec Monique Wittig et Josiane Chanel du MLF. Animatrice du groupe Politique et Psychanalyse.
1973 Créatrice et fondatrice des éditions Des femmes.
1994 Députée européenne.
2008 Auteur de « Génération MLF. 1968-2008 », éditions Des femmes.

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