Pierre Ménat, encensé par LA CAUSE LITTERAIRE

couv menat.jpgAttendre encore, Pierre Ménat

Ecrit par Sylvie Ferrando 12.01.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

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Attendre encore, Editions du Panthéon, novembre 2017, 296 pages, 20,90 €

Ecrivain(s): Pierre Ménat

 

Pierre Ménat nous propose ici une variation philosophique et fictionnelle sur l’attente, concept illustré ou développé par des auteurs aussi différents que Proust, Beckett, Gracq, Ionesco, Buzzatti ou Winnicott.

L’attente, dans les domaines tant personnels ou amoureux que professionnels, est ce qui caractérise l’espèce humaine, et les personnalités du monde diplomatique, quelles que soient la vitesse et l’intensité auxquelles se déroule leur existence, n’y échappent pas. Savoir attendre (jusqu’à la mort ?) tout en comblant cette attente est une compétence appréciable que possède Luigi di Scossa, nommé ambassadeur du Luxembourg en Roumanie après avoir pantouflé dans le secteur bancaire pendant une dizaine d’années.

« Car l’attente est d’abord le propre de ceux qui cherchent, sans toujours savoir qui ou quoi. »

« […] cette mécanique, observée aux jeux de l’amour, était propre à son être et envahirait tous les versants de sa vie. »

A l’instar des romans du XVIIIe siècle de Marivaux ou de Diderot, on trouve dans ce roman contemporain plusieurs intrigues entrelacées : la première et non la moindre consiste en une combine orchestrée par l’Etat roumain autour de la création, dans le Bucarest d’après Ceausescu, à la fin des années 1990, d’un premier fonds d’investissement roumain garanti par une fédération bancaire luxembourgeoise, dans le but de faire tomber un chef de la pègre local. On retrouve ici quelques échos des thématiques du roman Cendrillon d’Eric Reinhardt, avec la mécanique spiralaire implacable des fonds d’investissement ou hedge funds.

Une deuxième intrigue est la relation à la fois passionnelle et perverse qui se joue entre Magda, jeune journaliste roumaine, et Luigi, liaison qui les conduit des premiers émois et ébats à une collaboration contrainte et dangereuse.

Enfin, une intrigue secondaire réside en le récit que fait Scossa à un collègue ambassadeur de France de ses premières années d’études et de vie professionnelle : stage en Afrique, en Guinée, puis en préfecture de Champagne-Ardennes, aventures et déboires sexuels et professionnels, le tout accompagné de réflexions sur l’amour qui, pour rencontrer le plein épanouissement, doit être, selon Scossa, à la confluence du sentiment, de son expression, de l’idée et de la raison. Combinaison à la fois rare et peu durable, comme le montre sans ambages la suite du roman. C’est ici à Milan Kundera et à son Insoutenable légèreté de l’être que le lecteur ne peut s’empêcher de penser.

Après une série d’échecs tant financiers que diplomatiques et amoureux, Luigi, ambassadeur retraité, s’endort une nuit au volant de sa voiture et semble passer de vie à trépas. Une partie métaphysique s’ouvre alors dans l’ouvrage, qui n’est pas la moins intéressante, car l’attente après la mort est bien plus lente et source de réflexion que l’attente pendant la vie humaine, et c’est alors la quête de savoir et de pouvoir qui prend le pas sur la quête de l’argent ou de la jouissance immédiate. Une fin philosophiquement ironique et délicieuse d’humour, qui fraye avec les codes du roman d’anticipation ou de l’utopie, et qui réconcilie peu ou prou le lecteur avec les turpitudes du monde terrestre.

 

Sylvie Ferrando

 

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