Sisyphe.org – Lapidation par Elaine Audet (12.11.07)

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Lapidation de Ghofrane en France par Elaine Audet

Élaine Audet a publié, au Québec et en Europe, des recueils de poésie et des essais, et elle a collaboré à plusieurs ouvrages collectifs. De 1990 à 2004, elle a rédigé une chronique littéraire et féministe pour le mensuel d’information politique L’aut’journal. Depuis 2002, elle est éditrice associée de Sisyphe.

Octobre 2004, le corps de Ghofrane Haddaoui, vingt-trois ans, est découvert sur un terrain vague de Marseille, recouvert de multiples blessures, le crâne défoncé.

Dans ce livre, chargé d’émotion et de révolte, la mère de la jeune Française d’origine tunisienne, Monia Haddaoui, relate le chemin qu’elle a parcouru afin de découvrir la vérité sur l’assassinat de sa fille. Parallèlement à l’enquête de police, avec une énergie désespérée, une détermination et une force peu communes, elle crée un vaste mouvement de solidarité et commence ses propres recherches, afin d’infirmer la théorie de la défense plaidant, classiquement, un crime passionnel, et afin d’établir que sa fille a été lapidée.

Une lapidation en France ?

La question de la lapidation, que les autorités policières refusent d’admettre, constitue le premier obstacle à franchir. Dans le rapport policier, on parle de « gifle ». Les femmes sont-elles devenues si fragiles qu’elles meurent d’une simple gifle, qu’il s’agisse de Marie Trintignant ou de Ghofrane ?! Selon le Larousse, « tuer à coups de pierres », c’est « lapider », et c’est ce que Monia Haddaoui dit au président de la Cour : « Je lui ai dit que je ne critiquais ni l’islam ni aucune religion mais que je tenais à affirmer que ma fille avait été lapidée. Beaucoup m’ont reproché d’utiliser ce mot. » En dépit de toutes les pressions, elle contraint la justice à voir qu’il n’y avait pas trois pierres mais plus de trente.

Cette « mère indigne », selon les règles de l’ordre patriarcal dans lequel nous vivons toujours, refuse de se taire et résiste à toutes les formes d’intimidation : « Je maintiens que Ghofrane a été lapidée. Tuer quelqu’un à coups de pierres en réunion, c’est le lapider […] il s’agit d’une pratique qui relève de la tradition, et non pas de la religion, et qui déshonore ceux qui l’exercent au nom de Dieu […] il est à craindre que dans l’histoire de l’humanité, de nombreuses personnes aient eu à subir cette mort atroce – juives, chrétiennes et musulmanes confondues (p.100). » Et elle pose cette question que les autorités veulent éviter à tout prix : comment expliquer la lapidation de sa fille à Marseille, en France, pays des droits de l’Homme ?

L’alibi du crime passionnel

Certains auraient voulu démontrer que c’était un crime passionnel, comme ils ont voulu le faire croire pour le meurtre de Sohane, morte brûlée vive à Vitry en 2002 : « Je trouve tout de même incroyable que, à chaque fois qu’une femme souffre de violences, et même en meurt, les médias trouvent des raisons qui minimisent la responsabilité des coupables ! On argue du crime passionnel, de l’enfance difficile… Mais qui donc peut se targuer d’avoir une vie facile ? Qui d’entre nous a toujours tout vu en rose ? La plupart des gens ont souffert, mais ne sont pas devenus délinquants ni criminels pour autant… (p.72). « 

L’aveuglement d’une certaine gauche

Monia Haddaoui remet aussi en question les positions d’une partie de la gauche qui ferme les yeux sur les conséquences du fondamentalisme religieux au nom de l’islamophobie et du racisme. Pour cette mère inconsolable : « Une société ne peut marcher que s’il y a des droits mais aussi des devoirs. […] Il faut empêcher certains imams de propager des discours de haine. Ils endoctrinent toute une jeunesse et n’ont rien à voir avec la vraie religion, celle qui enseigne la paix. Je suis musulmane même si je ne suis pas pratiquante et je dis que l’islam comme les autres religions ne dit pas qu’il faut faire le mal, qu’il faut tuer. »

Le combat de cette femme courageuse l’a amenée à créer l’Association Ghofrane en faveur des victimes du machisme, du sexisme et de l’intolérance. Elle écrit sur le site de l’Association des mots qui font réfléchir aux enjeux du débat sur les accommodements religieux au Québec : « Au lieu de chercher à ramener systématiquement la communauté d’origine arabo-musulmane au centre de la religion, afin de la réduire à l’islam comme si c’était une condamnation à vie, nous devons oeuvrer pour sa libération des chaînes de l’emprise religieuse qui ne cesse de nous exploiter au nom de dieu. Face au rassemblement du culte musulman qui promeut le renforcement du communautarisme et piétine nos valeurs républicaines, nous devons dresser un rassemblement de nous, laïques mususulmans, qui prônons l’intégration et la tolérance, la laïcité « sensée », pour être le porte-parole de l’ensemble des variantes d’une société. […] Il est inadmissible au troisième millénaire que le monopole des décisions soit entre les mains religieuses qui ne cessent de nous terroriser intellectuellement et physiquement à l’échelle planétaire. »

Le 13 avril 2007, deux des auteurs de la lapidation de Ghofrane sont condamnés à 23 ans de prison. En France, et ailleurs, des femmes et des jeunes filles comme Ghofrane, Sohrane, Shérazade, Samira, meurent brûlées, torturées, lapidées, victimes de la vision complaisante et complice d’une société qui admet les rapports sexistes de domination, le droit de vie ou de mort des hommes sur les femmes au nom de préceptes religieux ou de coutumes qui devraient être condamnées au même titre que le racisme et l’antisémitisme.

La haine des femmes a la vie longue. À nous d’y mettre fin en suivant l’exemple de Monia Haddaoui et de tant d’autres femmes dans le monde qui bravent l’intolérance et la violence au nom de leur droit inaliénable de vivre libres.

Mona Haddaoui avec Anne Bécart, Ils ont lapidé Ghofrane, Paris, Des femmes, 2007.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2007.

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