Tribune de Pierre Ménat sur le Brexit

CV de Pierre Ménat, ancien conseiller aux affaires européennes de deux Présidents de la République lien : https://guilaine-depis.com/7348-2/

Nouveau livre de Pierre Ménat « France cherche Europe désespérément », lien : https://guilaine-depis.com/quatrieme-de-couverture-de-france-cherche-europe-desesperement-de-pierre-senat-parution-11-03-19/

Pierre Ménat, diplomate de carrière, a suivi de l’intérieur la marche de l’Europe pendant plus de trente ans. Conseiller de deux ministres des Affaires étrangères (Jean-Bernard Raimond et Alain Juppé), puis conseiller du président Chirac pour l’Europe, deux fois directeur des Affaires européennes au Quai d’Orsay, il a également servi comme ambassadeur de France en Roumanie, Pologne et aux Pays-Bas. Il vient de publier « France cherche Europe désespérément » le 4 mars 2019 aux éditions L’Harmattan.

TOUT CE QUE VOUS VOULEZ SAVOIR SUR LE BREXIT.

Pour la troisième fois, le Parlement britannique a rejeté vendredi 29 mars l’accord entre l’Union européenne et le gouvernement du Royaume Uni sur un retrait ordonné de ce pays de l’UE.

 « Alors, ils sortent ou ils restent » ? « Pourquoi n’y comprend-on rien » ? Si vous vous posez ces questions, lisez ce qui suit.

QU’EST-CE QUE LE BREXIT ?

Si décrié par les eurosceptiques, le traité de Lisbonne contient pourtant une clause qui leur plait. L’article 50 du traité sur l’Union européenne donne la possibilité à un Etat-membre de se retirer de l’Union.

En 2013, le Premier ministre conservateur, David Cameron, sous la pression du parti UKIP favorable à ce retrait, décida d’organiser un referendum sur cette question majeure. Lors de ce scrutin, intervenu le 23 juin 2016, près de 52 % des Britanniques se prononcèrent pour la sortie, qu’on appela Brexit (British exit).

Favorable au maintien, Cameron démissionna et fut remplacé par le ministre de l’Intérieur Theresa May. Celle-ci prit neuf mois pour notifier à Bruxelles, le 29 mars 2017, la décision du peuple britannique.

Le traité prévoit un délai de deux ans pour définir les conditions du divorce. Ce délai expirait le 29 mars 2019.

Après 46 ans d’appartenance à l’Union, des droits et des obligations se créent comme au sein d’un couple. En l’occurrence, de nombreuses questions se posaient. Quelques exemples : va-t-on rétablir des droits de douane ? Les personnes pourront-elles continuer à circuler librement ? Les pêcheurs français ou espagnols pourront-ils continuer à pêcher dans les eaux britanniques et réciproquement. Une autre question s’est révélée très délicate : va-t-on rétablir une frontière au beau milieu de l’Irlande, puisque sa partie Nord, l’Ulster,  reste membre du Royaume-Uni, alors que le sud de l’île est un Etat-membre de l’Union européenne ?

Au bout d’un an et demi de négociations entre les Britanniques et l’Union représentée par Michel Barnier, un accord fut signé le 25 novembre 2018.  Le Royaume Uni quitte bien l’UE le 29 mars 2019. Mais le texte prévoit une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, extensible deux fois un an. Cette période serait mise à profit pour négocier la relation future entre les deux parties. En attendant, un statu quo prévaudrait sur la plupart des sujets : autrement dit, pendant la transition, peu serait changé par rapport à la situation antérieure. La question irlandaise était réglée par l’existence d’une Union douanière entre le RU et l’UE évitant l’apparition d’une frontière en Irlande non seulement pendant la transition mais même au-delà, jusqu’à ce qu’une solution aussi favorable soit trouvée. Ce mécanisme est appelé « backstop » ou filet de sécurité.

POURQUOI L’IMPASSE ACTUELLE ?

Parce que Mme May n’est pas parvenue à faire adopter cet accord par la Chambre des Communes. Celle-ci l’a rejeté par xx fois, les 29 janvier, 12 et 29 mars 2019.  A l’opposition travailliste s’est ajoutée une centaine de députés conservateurs hostiles au backstop, jugé trop restrictif quant à la souveraineté britannique. Ces cent ne sont plus que 34 le 29 mars mais ils suffisent à conforter une majorité négative.

Lors du Conseil Européen du 21 mars, Mme May a demandé un délai aux Européens. Ceux-ci ont fixé deux dates alternatives pour le départ du RU : soit le 22 mai, juste avant les élections européennes, si l’accord de retrait est approuvé ; soit le 12 avril si tel n’est pas le cas et si le RU ne présente pas d’alternative crédible.

QUE PEUT-IL SE PASSER ?

  1. Si la Chambre des Communes approuve l’accord de retrait, celui-ci interviendra le 22 mai 2019. Commencera alors la période de transition.
  2. Si la Chambre des Communes n’approuve pas ce texte et ne propose pas de solution alternative, un Brexit « dur » interviendra le 12 avril. Un Brexit dur signifie que les rapports entre Londres et les 27 seront fixés non d’un commun accord mais de façon unilatérale par chacune des parties.
  3. Quelles sont les options alternatives ?
  • Normalement, une telle crise politique devrait se résoudre par une dissolution de la Chambre des députés. Mais depuis 2011, celle-ci est soumise à certaines conditions : soit réunir la majorité des 2/3, soit faire suite à un renversement du gouvernement. Dans les deux cas, ce sont les conservateurs qui ont la main. Or, ils ne veulent pas de nouvelles élections qu’ils risquent de perdre. Les durs ont cependant demandé et obtenu un engagement de Mme May à démissionner si l’accord de retrait est adopté.
  • Une grande partie de l’opinion britannique souhaiterait qu’un nouveau referendum soit organisé. Mais une telle décision ne pourrait résulter que d’une loi et dépend donc là encore de la majorité conservatrice très réticente, car craignant en pareil cas une réaction virulente de ses électeurs.
  • Un éventuel report du Brexit pour une durée plus longue se heurte au problème des élections européennes. Si Londres veut rester provisoirement dans l’UE au-delà du 12 avril, son gouvernement doit décider d’organiser l’élection de parlementaires britanniques au Parlement européen dans la période du 23 au 26 mai. Ce qui serait considéré par un mauvais signal par les pro-Brexit.

On le voit, les deux options les plus vraisemblables sont l’approbation de l’accord  de retrait, désormais peu probable et un Brexit dur vraisemblable.

 

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