Ursula Del Aguila rencontre Claude Delay pour le Huffington Post (14 janvier 2014)

Capture d’écran 2014-01-14 à 16.28.35.pngLa  psychanalyste et écrivaine Claude Delay revisite les lieux biographiques où Marilyn a risqué sa peau, les zones d’asphyxie de son être. Avec son livre Marilyn Monroe, la cicatrice(Fayard), elle la prend par la main, l’allonge sur son divan, et devient enfin la bonne mère qui lui a tant manqué. Claude Delay restitue de façon bouleversante les failles de vie et les vérités de Marilyn, et lui redonne un nouveau sépulcre.

Miroir, mon beau miroir, dis-moi si je suis…

Depuis l’enfance dominée par les abandons successifs où les foyers provisoires comme les attachements aux différentes familles se succèdent, toujours instables, Marilyn est engluée dans des problématiques archaïques de rejet maternel et de folie atavique dont elle ne sortira pas, et qui rendront l’ancrage dans l’existence toujours fragile. Quand le Self, comme celui de Marilyn, est constitué intérieurement de sable, qu’il ne possède aucune racine, à coup sûr, il s’écroule à chaque création. Claude Delay montre subtilement la déchéance de l’incarnation pour Marilyn.

Quand ses règles arrivent, c’est l’entrée dans la souffrance qui arrive aussi (elle va souffrir le martyre toute sa vie), mais aussi « l’entrée dans le monde miraculeux de la compassion qu’on achète chez le pharmacien ». L’avenir des barbituriques et des médicaments qui angoissent s’ouvre, radieux et morbide.

Claude Delay montre aussi que cette entrée dans la féminité douloureuse marque l’entrée dans l’histoire du miroir. Le miroir est devenu son parent, elle n’en avait pas, elle a cherché son reflet, son identité, et cette identité, elle n’est jamais parvenue à la trouver. Quand elle va devenir une actrice, le miroir est toujours là comme « parent » mais il va aussi lui renvoyer tous ses faux selfs, c’est-à-dire les rôles qu’elle joue, et elle se cherche en vain derrière ces faux selfs. Les gens qui l’ont rencontrée, étaient constamment troublés, car ils avaient l’impression qu’elle n’était pas là. Elle n’arrivait pas à s’incarner à l’intérieur, à faire un avec elle-même. « Et ça, ça vient du ventre, de la mère », comme l’explique Claude Delay.

Alors que Joyce Carol Oates rentrait dans les tourments et la folie de Marilyn Monroe, dans son roman obsédant Blonde avec son univers d’écrivaine et ses obsessions, Claude Delay donne une paix à l’âme de Marilyn, et des mots apaisants, et surtout un chemin cohérent, tragique, certes, mais avec une logique, vers lequel chaque destin chemine. La folie maternelle (et féminine), l’hérédité gâtée, viciée, l’abandon structurel, la sexualité compulsive qui cherche la tendresse, le courage qui lui fait prendre le risque de l’intelligence, et les bribes poétiques de son existence esquissée.

Le besoin de la mauvaise mère, fil rouge du livre

Il y a cela mais il y a également le besoin de la mauvaise mère qu’on lira tout au long deMarilyn Monroe, la cicatrice, comme un leitmotiv obsédant qui la rongera doucement, encore, l’absence ontologique du Père, le non-désir de sa naissance, l’impossible paix relationnelle; et surtout le lyrisme à fleur de peau, la joie enfantine débordante, l’éclat cristallin du rire, la « chaleur » de Marilyn qui fascinait tant Sartre. Claude Delay restitue tout cela avec une minutie, un réalisme et un incroyable travail d’archives, de mémoire exhumée, on entend si clairement les voix des gens de sa vie qui retrouvent une épaisseur et un mystère.

Ce besoin incomblable de la mère, qui lui fait multiplier les figures de mauvaises mères et les psychanalystes assoiffées d’expériences autour d’elle constitue le véritable fil rouge de cette biographie. Prenons Natasha Lytess par exemple: « quand Marilyn est arrivée chez elle, boudinée, nulle, n’articulant pas, c’est Natasha qui l’a faite », éclaire Claude Delay. C’est un mentor, c’est surtout le « besoin formidable qu’elle avait d’elle qui a tout déclenché ». Natasha donne en effet son approbation à chaque tournage, ce qui a mis dans un état de rage certains réalisateurs qui ne la supportaient pas sur le plateau. « C’était son institutrice, son guide, et c’est assez fascinant comme Marilyn a remplacé tout de suite Tanta Ana Lower (la seule bonne mère de sa vie) par Natasha Lytess, et tout de suite, quand Tante Grace va se suicider, par la femme de Lee Strasberg, son tyran et son formateur ». Mais comme le montre Claude, Marilyn a été tellement mal conduite dans ses différentes analyses, entourée toujours par une myriades de vampires qui expérimentent des analyses où l’éthique psychanalytique est constamment transgressée, la palme venant au dernier Greenson.


Marilyn Wanted for all

Au fond, on pourrait dire que ce personnage fictionnel, cinématographique qu’est Marilyn Monroe, et qui lui donne une raison d’exister, colmate la brèche originaire, est mieux que rien, un masque plutôt que rien, devenir Marilyn Wanted for all, plutôt que Norma non désirée à l’origine, Norma Néantisée.

Avant d’avoir lu le livre de Claude Delay, j’étais si mortifiée par la reprise capitalistique incessante de son image, démultipliée, diffusée, décuplée, mondialement, sur tous les supports, comme une figure mythologique, une icône populaire de la mondialisation qu’elle est, mais, n’aurait-elle pas apprécié cela, en fin de compte, puisque cela l’a sauvée du néant, du rien, de la folie héréditaire, de l’abandon?

Claude Delay m’a redonné un espoir, celui de croire que chérir le rêve en soi est toujours mieux que de pleurer le rien. Car elle était heureuse dans la foule, elle se sentait aimée par les éboueurs, les ouvriers, comme Claude Delay le donne à voir.

C’était une déesse populaire, chérie par les autres pauvres comme elle, qui viennent de la boue, de la misère, des larmes. Car elle est d’abord une petite fille qui a été abandonnée dès le départ, qui n’a rien.

« Elle a été tellement exploitée par les hommes de l’industrie cinématographique, elle a été maltraitée par sa mère, ses maris, ses amants, ses mauvaises mères, etc. Mais, il y en a un qui l’aura vraiment aimée, c’est Arthur Miller », résume Claude. « C’est une rescapé qui marche sur du verre pilé » (Miller)

Avec cette biographie, la vie de Marilyn prend un relief, une limpidité qu’elle n’avait jamais eue, et surtout une continuité « névrotique » qui permet de comprendre la logique d’éternel retour de la névrose (voire ici du comportement borderline de Marilyn) jusqu’à la tragédie finale.

L’hérédité pathologique

Comme le rappelle l’attachante et passionnée Claude Delay, Marilyn a hérité de quelque chose de très schizoïde. Elle était borderline. Mais il y a un trou, et la terreur de cette hérédité pathologique: la grand-mère folle et qui a tenté de la noyer, le grand-père qui est mort dans le même hôpital où la grand-mère va mourir mais il va mourir de syphilis. Seulement, personne ne le lui a jamais précisé, et elle a été prise dans ce fantasme incroyable de sang contaminé, de sang vicié.

Marilyn Monroe cicatrisée par les femmes?

Marilyn Monroe aurait alors peut-être eu un autre destin si elle avait aimé les femmes, son besoin de la mère aurait « cicatrisé » en elle, comme le spécifie Claude Delay. Or, la quête de père a tout détruit sur son passage et l’a amenée à devenir une poupée sexuelle avec tous les hommes qu’elle rencontrait.

En écho aux sombres lieux symboliques de cette vie de morte-vivante, Claude Delay apprécierait la phrase de Joyce Carol Oates dans son dernier roman « Mudwoman »: « Il y avait une beauté dans ces lieux désolés que Mudgirl chérirait toute sa vie. Car nous chérissons plus que tout ces lieux où nous avons été conduits pour mourir mais où nous ne sommes pas morts ».

Laissons le mot de la fin à Pasolini dont le poème pour sa pauvre « sœur » Marilyn qui nous entend, éternelle et flottante, rejoint le tendre et émouvant hommage que Claude Delay lui rend.

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