L’excellent site Proustonomics de Nicolas Ragonneau nous livre un entretien magnifique avec Hélène Waysbord

Entretien avec Hélène Waysbord

Published by Nicolas Ragonneau on 

Entretien avec Hélène Waysbord pour son livre La Chambre de Léonie, paru au début de l’été aux éditions Le Vistemboir, préfacé par Jean-Yves TadiéUn échange qui se poursuivra avec Hélène, Jean-Yves et moi-même à la Librairie Gallimard Raspail le 25 novembre à 19h.

Par l’exploration de chambres successives, certaines symboliques, romanesques et d’autres bien réelles, Hélène Waysbord mêle, dans La Chambre de Léonie, sa relecture de la Recherche pendant les récents confinements à une évocation de sa vie passée, faites de douleurs indicibles, de rencontres et de combats, des grands travaux mitterrandiens à la conception de la Maison d’Izieu, dont elle a été la présidente de 2004 à 2016, et désormais la présidente d’honneur. Rescapée de la Shoah, Hélène Waysbord livre, d’une voix douce et forte, un témoignage d’une intimité sans pareille.

Au début de votre livre, vous évoquez brièvement votre première lecture de la Recherche, à la fin des années 50. Quel souvenir, quelles impressions en gardez-vous ?
Avant ma décision de consacrer mon année de maîtrise à Proust, je n’ai aucun souvenir précis de lecture. J’avais dû lire un extrait isolé ou deux. L’auteur de la Recherche était très peu cité et très peu lu à l’époque. Je peux imaginer des raisons non formulées ou mal formulées, de l’envie de lire, l’idée d’une œuvre en quête, en mouvement, non figée comme le sentiment intérieur que j’avais de ma vie, recommencée par hasard en un lieu improbable suite à l’arrestation de mes parents. Peut-être le nom de Swann, sa douceur a‑t-il joué. Et surtout un arrière-plan de judéité qui m’avait condamnée et que j’avais refoulée dans la vie villageoise en me conformant au moule commun pour être acceptée et vivre.

Qu’avez-vous appris de l’écriture de Proust avec ce travail ? qu’est-ce qu’on y voit à la lumière des lettres classiques ?
La métaphore, pourquoi ce choix ? L’écriture l’a élucidé bien après et j’ai compris qu’il était en effet très pertinent pour moi. Mon travail était focalisé sur le rôle de l’image si important dans la narration proustienne. La passion de Proust pour les images, les portraits est bien documentée. On sait qu’il les empruntait volontiers aux amis sans les rendre. Il était passionné par les inventions contemporaines, la photo, le cinéma muet. L’œuvre en fait un large usage, une référence artistique permet souvent de mieux caractériser un personnage, d’en fixer les traits, comme pour Odette. C’est un moyen concret de mieux voir et aussi de suivre le récit sans s’embarrasser de psychologie. La métamorphose est de règle dans l’évolution des personnages.
La Recherche est un univers peuplé d’images, tandis que moi je n’en avais aucune pour figurer le monde perdu qui avait été le mien. C’était un monde déserté.

Est-ce que l’exercice de la version en grec et en latin permet d’embrasser plus facilement les longues phrases de Proust ?
Les langues anciennes sont une école de discipline et de rigueur pour entrer dans des schémas syntaxiques très différents de nos usages, et ainsi donner accès à une autre forme de pensée. Les périodes souvent très longues de l’art oratoire romain, ou les incises de l’historien aident à suivre les longs développements proustiens, leur solidité narrative avec ses décrochements.

Votre livre appartient à deux genres nouveaux : le livre “écrit pendant le confinement” et le récit d’une relecture. Cette relecture de la Recherche s’est faite plus de soixante ans plus tard. L’avez-vous relu dans l’édition de votre première impression, celle de Clarac et Ferré, ou dans l’édition de Jean-Yves Tadié ?
Je l’ai relu dans la première édition Clarac où j’ai mes repères de travail. Les travaux sur la lecture ont montré l’importance de l’édition qui est celle d’une première lecture. Proust lui-même s’est exprimé en ce sens. L’édition de Jean-Yves Tadié est d’un apport considérable pour nous livrer une œuvre dont la publication était inachevée au moment de la mort de son auteur. Le travail immense sur les manuscrits dispersés nous permet de lire une version qui est aussi proche que possible de la volonté de son auteur.

Pourquoi, selon vous, la Recherche est-il « un livre de relecture » perpétuel ?
C’est le livre de toute une vie de façon absolue dans la mesure où la moindre note, le moindre billet écrit se retrouve quelques part repris. Dès 1903 dans une lettre à sa mère que je cite, Proust est complètement déterminé et lucide. Il va progresser par reprises successives sans cesse pour être au plus près de la vérité recherchée dans une forme d’art pour moi proche de la peinture de Cézanne. À la différence de Proust Cézanne a travaillé sur un monde circonscrit, celui d’Aix et de la Montagne Saint Geneviève. C’est devenu son Graal. De son vivant il a produit peu de tableaux achevés sur base d’esquisses ajournées et sans cesse reprises dans l’insatisfaction de ne pas avoir atteint l’idéal. En cela il rappelle le travail interminable de Proust.

“J’allais quitter un monde que je m’étais construit, un abri pour la passion qui m’habitait sans que je sache encore quelle zone de douleur elle cachait, sans deviner sous le trouble et l’élan qui portait mon enseignement, une souffrance demeurée muette, l’abandon de moi, l’abandon par moi, d’une silhouette grelottante d’enfant sur le parvis de l’école, une vie soudain désertée, un matin d’octobre… quand le père n’était pas venu me chercher.” Cette seule phrase, si déchirante, fait de La chambre de Léonie sinon un bilan existentiel, métaphysique, mais du moins une sorte de testament affectif. Est-ce qu’on peut dire que cette relecture de la Recherche a été pour vous un révélateur ou un déclencheur de la mémoire involontaire ?

Ma dernière relecture de La Recherche a été un révélateur, le déclenchement de la mémoire involontaire s’est fait avec l’écriture de mon premier livre, L’Amour sans visage (Christian Bourgois, 2013) où j’évoquais un passé perdu sans trace de souvenirs. Cela a demandé beaucoup de temps, un travail déchirant de réappropriation de l’inconscient d’une enfant lors de la rupture tragique qui l’écarte des siens à jamais. Ce fut une écriture frappée du sceau de la catastrophe qui m’a apaisée une fois achevé et qui a donné un visage à mes parents, Jacques et Fanny. Ma dernière relecture pour Léonie m’a révélé le pourquoi de la métaphore qui consiste à mettre une chose à la place d’une autre. Il est difficile d’exprimer cela sans forcer le sens, toujours volatile et incertain dans l’écriture. Mais j’ai compris la force de l’élan qui m’emportait vers la littérature.

À la fin de votre livre, vous écrivez : “Il n’est pas question de mémoire, il s’agit d’une navigation sans boussole dans l’épaisseur du temps où le passé coexiste avec le présent. Le corps parle tel un épiderme mémoriel où les sensations ont tracé leur sillon. Des moments rares qu’on ne commande pas à volonté mais qu’il convient de recevoir comme une grâce et un travail.” Est-ce que Proust permet cela, et pourquoi davantage que d’autres auteurs ?
Proust le permet et même l’a initié. Après lui comment évoquer des images préformées du passé quand il nous propose des expériences vives où présent et passé fusionnent dans un éclair. C’est l’auteur allemand Walter Benjamin, grand admirateur de Proust qui en a le mieux parlé et a tiré de cette expérience sa philosophie du temps. La vie intérieure se moque de la chronologie, elle procède par bonds et saccades.

En janvier 2019, vous avez été reçue au Bundestag avec d’autres enfants cachés, dont l’historien Saul Friedländer. Deux ans plus tard, il publie À la recherche de Proust en mai, et vous La chambre de Léonie en juin. Avez-vous lu son livre et que vous inspire cette coïncidence ?
Lors de la réception au Bundestag j’avais parlé à Saul Friedlander sans savoir à quoi il se consacrait et il m’avait confié que Proust comptait plus que tout. J’ai lu son livre à sa sortie, un témoignage très riche et précis, personnel par un écrivain reconnu ayant traversé des épreuves inouïes. Dans sa conclusion le thème juif est prédominant et il reproche au narrateur sa dissimulation. Dans mon récit La chambre de Léonie, je tente d’analyser le dispositif narratif inventé par le narrateur : aveu et secret, exprimer et dissimuler vont de pair. La contestation morale n’a pas sa place dans l’œuvre de Proust.

Toute votre vie vous avez combattu le racisme et l’antisémitisme et œuvré contre l’oubli. Vous vous êtes engagée politiquement, aux côtés de François Mitterrand. Depuis quelques semaines, les provocations d’Eric Zemmour et sa réhabilitation du régime de Vichy divisent profondément les juifs français. Est-ce qu’on doit selon vous s’inquiéter de ce phénomène de réécriture de l’Histoire (et la séduction qu’elle provoque dans une communauté qui en fut la première victime), ou est-ce que vous le voyez comme une péripétie qui disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue ?Les exemples du passé nous incitent à réfléchir. Des provocateurs, méprisés au départ par les puissants au pouvoir comme Hitler l’était des militaires qui le condamnaient à faire antichambre de longues heures d’attente, se sont imposés.
Les tentatives de récrire l’Histoire sont pratique courante dans le monde où nous vivons. Eric Zemmour est un personnage dangereux par le brouillage des catégories qu’il pratique, doué d’un sens du spectacle dont il joue. Hitler s’entraînait au micro et le résultat fut un succès oratoire incontestable dès qu’il s’emparait de la parole. La judéité de Zemmour peut apparaître à certains comme une caution alors qu’elle est un leurre, au bout du compte c’est un antisémite et un raciste. Méfions-nous des histrions.

Entretien du philosophe Emmanuel Jaffelin avec le philosophe Marc Alpozzo pour Boojum

Entretien avec Emmanuel Jaffelin, auteur de Célébrations du bonheur

« Le Bonheur ne te bouffe pas ! Il te nourrit »

Je connaissais ce philosophe du bonheur, grâce à son ouvrage Éloge de la gentillesse, que je considérais comme un livre salvateur pour le début de ce nouveau siècle qui ne cesse de marteler l’idée de bienveillance, vidant le mot de son sens premier. Avec son nouvel ouvrage, j’ai trouvé un vrai philosophe, s’adressant à tous, comme le faisait autrefois Socrate, prêt à dialoguer avec le plus humble, comme le plus puissant. Nous avons réalisé un entretien, que je vous livre ici.

Marc Alpozzo : Emmanuel, je vais te tutoyer, parce qu’à la lecture de ton Manuel de sagesse, Célébrations du Bonheur, que ton éditeur nomme à tort il me semble, « Guide », tu reprends la seconde personne du singulier pour t’adresser au lecteur, comme le faisait Épicure, ou Socrate lorsqu’il s’adressait à un interlocuteur qu’il soit un ami ou un inconnu. La première personne du pluriel n’existant pas en grec ancien, il n’y avait aucune possibilité de vouvoiement, mais je pense que tu as peut-être une autre raison encore de t’adresser au lecteur par la forme du « tu », peux-tu nous éclairer sur le sujet ? Et par ailleurs, que veut dire pour toi célébrer le Bonheur ?

Emmanuel Jaffelin : Cher Marc, tu me marques par un tel tutoiement spontané. Mais rassure-toi, le tutoiement ne tue pas alors que le voussoiement nous noie. Je tutoie le lecteur car je pense que le fait de se plonger dans un livre par la lecture fonde un accouplement plus efficient du lecteur et de l’auteur que celui qui se plonge dans un lit avec un autre corps. Dit autrement, mon tutoiement n’est pas un harponnage du lecteur, mais une invitation à l’intimité intellectuelle sur fond de cosmos. En espérant que mon tutoiement te paraîtra plus cosmique que comique ! Et puis les écrits attribués à Épictète n’ont pas été son produit mais le fruit des notes d’un disciple[1]  qui adorait ses cours et épousait sa réflexion. A la différence de Socrate qui parlait fort sur la place publique d’Athènes, j’écris doucement, sur un ordinateur, un livre pouvant toucher le public en silence dans un premier temps, dans le bruit de mes conférences dans un second. La lecture de ce livre pourra « guider » le lecteur vers le Bonheur. A défaut de Guide, disons que ce livre est un au moins un « guidon » !

M.A. : Ton texte s’adresse à l’ami de la sagesse, à l’homme en quête de bonheur. Ce n’est pas un texte compliqué dans sa forme, mais il est très riche en explications et en analyses. Ta thèse me semble être celle-ci : n’ayez pas peur du bonheur, il sera un vampire nettement moins vorace en temps et en énergie que le malheur. Et tu ajoutes : soyez gentils, ce sera le premier pas dans le bonheur et vous gagnerez infiniment plus qu’à être méchants. Je note que tu te réfères à un mot aujourd’hui un peu désuet, la gentillesse[2], alors que le grand mot à la mode est à notre époque la « bienveillance ». Toi qui montres que « faire le mal pour être heureux » est une croyance bête du méchant, « aussi peu réaliste que de croire que l’eau produira le feu », que penses-tu de cette injonction contemporaine de bienveillance qui a envahi toutes les sphères de la société, éducation, politique, culture, etc. ?

E. J. : Cher Marc, je re-marque plusieurs questions dans celle-ci :

1- Le bonheur est-il moins vorace en temps et en énergie que le malheur ?

2- La gentillesse est-elle une marche ou un moyen d’accéder au Bonheur ?

3- Faut-il préférer la Bienveillance à la Gentillesse ?

Oui, à la première question ! Le Bonheur ne te bouffe pas ! Il te nourrit : il est donc le contraire d’un vampire en alimentant ton sang en globules et plasma plutôt qu’en te saignant !

Oui, à la seconde question : les méchants chutent en faisant chuter les autres. Il est donc logique que son opposé- le Gentil ou la Gentille – s’élève en élevant les autres par le petit service qui leur rend. Je n’hésite donc pas à dire que la Gentillesse constitue une propédeutique au BONHEUR, la méchanceté conduisant presque toujours ses acteurs au malheur ( voir la fin de Hitler ou de Khadafi).

Non, pour la troisième. Les raisons pour lesquelles notre société préfère la Bienveillance à la Gentillesse sont au moins au nombre de deux :

  • La première est lexicale et tient à l’ambiguïté (avant la parution de mes 4 livres sur la gentillesse) du terme gentil : venu du latin gentilis qui désigne le noble, le terme se dégrade et le proto-christianisme s’en empare pour désigner l’impie, c’est-à-dire le non-chrétien. Souviens-toi que Saint-Paul est connu comme l’apôtre des Gentils, ce qui ne signifie ni qu’il est gentil ni méchant, mais qu’il est le chrétien qui s’efforce à convertir les impies en chrétiens ! Gentillesse est synonyme de faiblesse en français, et les citoyens français préfèrent se faire qualifier de « sympathiques » plutôt que de « gentils » , synonyme issu du Grec antique, mais apparemment[3] plus positif. Une fois posé ce cadre lexical, il est donc aisé de comprendre que les genres préfèrent être dits « bienveillants » plutôt que « gentils ». Selon moi, ils confondent « Gentils » et « Gentillets[4] ».
  • La seconde raison de cette préférence tient au fait que la Bienveillance est une relation humaine verticale entre deux êtres humains. Le père est ainsi bienveillant pour son petit enfant, plus que l’inverse. En prison, le gardien peut se montrer bienveillant envers son détenu, non l’inverse, par exemple en acceptant de prolonger le temps d’une personne qui vient lui rendre visite. La Gentillesse, à l’inverse est une relation horizontale : un détenu peut se montrer gentil envers son gardien en l’aidant à rechercher ses lunettes qu’il a perdues car posées quelque part dans le couloir en servant le repas ou le courrier aux détenus. De même un salarié peut se montrer gentil envers un manager ou D.R.H qui lui demande de l’aider à faire quelque chose sur le lieu de travail mais sans rapport avec les compétences pour lesquelles ledit salarié est rémunéré. Il va de soi que les Entreprises, comme notre société, préfèrent la Bienveillance à la Gentillesse car elles sont paternalistes et préfèrent l’inégalité à l’égalité. En bref, la gentillesse est plus démocratique que la Bienveillance, mais elle suppose d’être le fruit d’une éducation, ce qui est loin d’être le cas.

M.A. : Ton livre se divise en trois chapitres : « Le Malheur », « L’Heur » et « Le Bonheur ». Comme s’il y avait une dialectique et que nous ne pouvions parvenir au Bonheur sans d’abord passer par les deux premiers termes. Si donc tu es stoïcien, tu es aussi hégélien. Ton Manuel, qui reprend la méthode de la Lettre à Ménécée d’Épicure, et du Manuel d’Épictète, utilise un très grand nombre d’exemple d’hommes et de femmes qui ont travaillé à leur bonheur, comme si l’étymologie du mot était en elle-même un leurre, et non l’Heur, et que le Bonheur n’était en réalité pas un hasard. Épictète dans l’Antiquité, Bill Sauvage durant la Seconde guerre mondiale, Sainte Thérèse au XIXe siècle, Stephen Hawking au XXe siècle ainsi qu’un journaliste un peu oublié aujourd’hui, Jean-Dominique Baudry, qui a écrit un livre remarquable, Le scaphandre et le papillon (1998). Or, ce que tu écris dans ce chapitre est pour moi très important, puisque tu montres que nos sociétés occidentales postmodernes sont des sociétés de la victimisation, que tu appelles « victimité », et qu’elles refusent de dépasser l’événement « pour faire de leur existence une énergie conduisant au Bonheur ». Ta thèse est la suivante : il faut passer de la « victimité » à la responsabilité. Qu’est-ce que cette tendance à la victimisation et aux pleurnicheries face aux événements nous dit sur nous-mêmes, et pourquoi d’après toi ce refus de se responsabiliser en recherchant le Bonheur plus que le Malheur gagne sur tout le reste ?

E.J. : En effet, l’exemple joue un rôle clé dans ma philosophie comme chez les philosophes antiques. Ce qui ne peut se prouver scientifiquement doit au moins être montré par des exemples qui ouvrent notre regard sur la réalité. Or, l’un des paradoxes de ce livre n’est pas son côté dialectique (et je ne défends pas du tout l’idée hégélienne de la négativité dialectique qui voit dans le négatif la voie du positif : je pense au contraire qu’il ne sert à rien de faire l’expérience du mal comme méchant pour être heureux), mais plutôt, dans une époque, où règne la croyance en la science, le citoyen se pense faiblement comme une victime potentielle de plein de maux pouvant lui arriver, ce qui lui fait abandonner son pouvoir de ré-pondre des événements qui lui arrivent. Cette société l’invite d’ailleurs à toujours chercher la cause de cet événement hors de sa responsabilité et de sa prévision. Cette idée de victimité est centrale dans notre société qui voit fleurir les assureurs qui nous dé-responsabilisent et nous infantilisent en prévoyant de nous offrir des dé-dommagements en cas d’avènement de ces événements (accidents, incendies, inondation, maladies etc.) Et, paradoxalement, un monde sur-assuré est plus malheureux qu’une société qui cultive la res-ponsabilité, donc l’anticipation et l’intelligence plutôt que la peur et le paiement pour la dissiper. Etre sûr de soi, ce n’est pas s’assurer, mais se rassurer soi-même ! Et c’est gratis !

M.A. : Grâce à trois grandes histoires d’amour (Roméo et Juliette, Colin et Chloé et Solal et Ariane[5]), tu définis l’Heur comme n’étant pas le Bonheur. Pour toi, l’amour sous la forme du coup de foudre n’est pas de l’amour mais un leurre, puisqu’en paraphrasant Romain Gary on pourrait dire que ça commence en s’envoyant des fleurs et que ça finit en s’envoyant des rasoirs (je cite de tête).  Pour toi, toute chance n’est pas bonheur, car toute chance se tourne un jour en mal chance, comme le coup de foudre tourne un jour en « coup de poudre ». Mais plutôt que de nous déprimer, toi le philosophe du bonheur, au contraire tu trouves un petit chemin, certes escarpé mais suffisamment large pour que l’on se fraye un passage : le don. Peux-tu expliquer aux lecteurs en quoi le don est un véritable acte d’amour qui conduit de l’Heur au bon-Heur (ce que n’est pas la passion de Roméo pour Juliette et inversement) ?

E.J. : Merci de reprendre ces trois exemples de coups de foudre, mais il faut noter que dans ce chapitre sur l’heur, mot qui vient du latin augurium qui désigne le présage, je mets en relation les coups de foudre et les gains au loto, l’amour et le jeu, pour ne pas dire l’amour comme un jeu et le jeu comme un amour : les deux sont liés pour ne pas être heureux parce qu’ils sont fondés sur un instant (gain au loto par chance, coupe de foudre en amour par pulsions inconscientes).

Quant au Don, donc, seul solide fondement de l’amour, il suppose que je ne suis pas vide et donc pas en manque, mais plein. Seuls ceux qui sont « vides » prennent, volent, capturent, enlèvent. Les prédateurs sont donc plus vides que les donateurs et je parle d’un vide plus psychique, intellectuel et moral que physique, économique et vital !

M.A. : Je vais peut-être terminer cet entretien par dire que la lecture de ton Manuel est un véritable Bon-Heur (si tu me permets) et je vais aussi en dévoiler la fin (je vais spoiler le sus-pense, pour reprendre une terminologie à la mode) en disant que le bonheur est moins une affaire de chance que de « construction », de méthode. Si tant de gens ont peur du bonheur c’est qu’ils ne savent pas que ce n’est pas une chance ni que c’est intimement lié aux événements, mais que le Bonheur est bien une construction à l’intérieur de soi et que cela demande d’abord une conversion intérieure, ainsi qu’un dépassement de nos peurs et de nos angoisses (ce dont tu parles dans ton ouvrage) ; cela demande que l’on mette un terme à la peur de l’accueil de l’inconnu en soi. Celui qui se met en quête du bonheur n’est pas un homme qui compte sur la chance, (ce qui le rendrait dépendant de l’événement et créerait tôt ou tard son mal-Heur) comme le joueur au Loto, mais plutôt un sage qui ne se préoccupe que de ce qui dépend de lui et ne se préoccupe pas de ce qui ne dépend pas de lui, selon la formule d’Épictète dans son Manuel[6]. Penses-tu que cette capacité à accueillir les événements sans chercher à leur imposer en vain sa volonté est une méthode suffisante pour garantir son bonheur, et pourquoi penses-tu que ce Bonheur-là n’est pas une illusion ?

E.J. : Je te remercie de cette terminaison bienheureuse et de ta trahison altruiste qui vaut Don et également mon par-don. Oui, le Bonheur doit être dégagé de cette manie sociale actuelle qui est bassement matérialiste. Il y a des gens jeunes, riches, en pleine forme et malheureux tandis que d’autres sont vieux, pauvres, gravement malades et très heureux.

La thèse d’Épictète est plus facile à comprendre qu’à pratiquer : accepter tout ce qui nous arrive, même ce que nous estimons négatif (maladie, accident, etc). Une telle pratique de cet accord avec le réel ou, hors écologie, de cette harmonie avec la nature[7] est le fondement de la sagesse stoïcienne qui mérite d’être développée vu ce que l’humanité s’apprête à voir dans les prochaines décennies ( Réchauffement, climatique, montée du niveau de la mer, etc. sans parler des volcans et des météorites…). Et rappeler que la thèse de ce livre est du stoïcisme est que : le Bonheur ne doit pas être un but de l’existence ; il ne peut être qu’un effet de la sagesse comme harmonie avec le cosmos, sagesse qu’il importe de se donner comme but. En espérant que Marc marquera des buts par cette interviou !

Heureusement tienne, lecteur !

Emmanuel Jaffelin, Célébrations du Bonheur, Guide de sagesse pour ceux qui veulent être heureux, Michel Lafon, septembre 2021, 175 pages, 12 euros


[1] -Arrien a recueilli les propos d’Épictète qui furent regroupés en plusieurs ouvrages (huit) dont il ne reste plus que deux : le Manuel et Les Entretiens, deux livres centrés sur la manière de conduire sa vie pour atteindre la sagesse. Vraiment un bon Arrien !

[2] Emmanuel Jaffelin a écrit un Éloge de la gentillesse, Paris, François Bourin, 2010 (Pocket, 2016), et un Petit éloge de la gentillesse, Paris, François Bourin, 2011 (J’ai lu, 2015). Puis Un Eloge de la Gentillesse en Entreprise (First Editions, 2015, en poche ; Osez la Gentillesse en Entreprise, Le Passeur éditeur, 2020) et, enfin, last but not least, un Cahier d’exercices de Gentillesse (Editions Jouvence,2016).

[3] – l’Étymologie nous renvoie en Grec antique à sym-patheia et donc à pathos : nous partageons la souffrance d’autrui en éprouvant pour lui de la sympathie. Sympathique est donc moins positif que le premier sens romain de gentil (à avoir « noble »), mais plus que le second qui est chrétien (l’impie)

[4] – Adjectif qui désigne une personne faible et se laissant mener par le bout du nez, s’avérant incapable dire « non ».

[5] Respectivement Roméo et Juliette de Shakespeare, L’écume des jours de Boris Vian, Belle du seigneur d’Albert Cohen.

[6] Incipit.

[7] – « Vivre conformément à la nature » est l’adage stoÏcien par excellence qui consiste à accepter le réel. En Grec ancien : homologoumenon te phusei.

Hélène Waysbord reçue par l’Institut culturel du judaïsme à Lyon

Hélène Waysbord reçue par l’Institut culturel du judaïsme à Lyon

Hélène Waysbord à l’Institut culturel du judaïsme
Dimanche 7 novembre, Hélène Waysbord était l’invitée de l’Institut culturel du judaïsme pour présenter son dernier ouvrage intitulé “La chambre de Léonie” publié par les éditions le Vistemboir.
Henri Fitouchi, directeur de l’Institut, a accueilli les nombreux participants parmi lesquels Dominique Vidaud, Directeur de la Maison des enfants d’Izieu, partenaire de l’évènement.
Le public a suivi, avec attention et grand intérêt, l’échange de la romancière avec Patricia Drai qui a rappelé le parcours personnel et professionnel de la Présidente d’Honneur de la Maison des enfants d’Izieu.
Hélène Waysbord a évoqué l’œuvre de Marcel Proust qui lui a inspiré ce livre, mais aussi son parcours personnel.
Joëlle Vincent, romancière et poétesse, passionnée de l’œuvre de Proust, a livré une chronique juste et sensible sur “La chambre de Léonie”.
Une séance de dédicaces a clôturé cette après-midi conviviale offrant à Hélène Waysbord le plaisir de prolonger les échanges avec un public ravi.

Le Télégramme a craqué pour « Mémé part en vadrouille »

À Vannes, Fiona Lauriol dédicace son livre « 101 ans – Mémé part en vadrouille » à l’espace culturel Leclerc

L’auteur raconte sa série de voyages en camping-car avec sa grand-mère centenaire. Elle sera en dédicace à Vannes samedi 6 novembre à l’espace culturel Leclerc.

Fiona Lauriol et Dominique, sa grand-mère, lors de leur exploration du désert des Bardenas, en Espagne, l’une des étapes de leur voyage en camping-car à Santiago de Compostelle.
Fiona Lauriol et Dominique, sa grand-mère, lors de leur exploration du désert des Bardenas, en Espagne, l’une des étapes de leur voyage en camping-car à Santiago de Compostelle.

En 2017, dans sa 98e année, Dominique Cavanna vit dans un Ehpad en région parisienne. La direction de l’établissement estime qu’il ne lui reste plus beaucoup de jours devant elle. Sa petite-fille, Fiona Lauriol, décide de la retirer de l’Ehpad et de l’accueillir chez elle. Après quelques mois de remise en forme, elle lui propose de l’emmener en camping-car. Le duo fait alors une série de voyages durant trois ans, avec un premier périple merveilleux de 40 jours en France. Les voyageuses parcourent ensuite l’Espagne pendant quatre mois, jusqu’à Compostelle, puis le Portugal, où elles se retrouvent bloquées pendant deux mois en 2020 à cause du confinement. La presque centenaire devient alors rapidement la mascotte du camping. La grand-mère et la petite-fille avaient pour projet de faire un autre voyage, dans la ville natale de Dominique Cavanna en Italie, mais ce vœu n’a pas pu se réaliser. La grand-mère aventurière est en effet décédée à 103 ans. Ce livre est une véritable leçon de vie.

Zone critique met à l’honneur « La Chambre de Léonie » d’Hélène Waysbord aux éditions Le Vistemboir

Hélène Waysbord : une chambre à soi avec Marcel Proust

Henri Matisse, La Chambre rouge

N’importe quel lecteur et admirateur de Proust sait que la plus grande joie que procure la Recherche du temps perdu consiste en une relecture infinie et à en parler avec d’autres lecteurs. Hélène Waysbord nous fait le don de cet échange à travers son délicat ouvrage La chambre de Léonie, écrit en période de confinement – ce détail n’est pas anodin. Il s’agit bien d’une conversation, au cours de laquelle l’auteure tantôt nous offre sa vision de l’œuvre, tantôt se confie sur son existence. Ces deux angles de composition résultent du rapport singulier qu’Hélène Waysbord entretient avec la mémoire, qui l’a inévitablement menée à pénétrer avec abandon et délice dans la prose proustienne.

« Chaque être sans doute reste le corps vibrant porteur des traces  d’origine qui l’ont comblé, seules quelques-unes seront vivifiées. Proust apprend cela si on s’abandonne à lui. » (p. 119 et 120)

Hélène Waysbord et Marcel Proust : un compagnonnage intime

Au début, il y eut une perte
Celle de ses parents, déportés puis assassinés à Auschwitz à l’automne 1942 puis au printemps 1943, années maudites entre toutes. Perte des repères, perte de l’amour donné, perte du Tout par lequel l’enfant s’attache au monde et s’y reflète, sans effort. Acter cette perte, c’est accepter de ne plus recevoir l’image de son propre reflet dans le monde et par conséquent, demeurer démuni. Isolé. Dépossédé. Hanté. Tout cela, Hélène Waysbord l’a été tour à tour, simultanément, invariablement. Habitée par une histoire qui est la sienne et qui lui échappe, qui la plonge dans le désarroi de l’identité dérobée.

Puis, il y eut la vie.
L’enfance recommencée malgré tout, dénuée d’illusions et emplie de l’incertitude des années de guerre, qui finit enfin, objectivement, mais continue d’habiter une subjectivité dorénavant marquée du sceau de l’effroi. Des études en littérature, une thèse de doctorat sur la métaphore dans l’œuvre de Proust, un mariage, l’enseignement, des activités culturelles auprès du gouvernement de François Mitterand, dans les années 1980. En 2013, Hélène Waysbord publie L’Amour sans visage, chez Christian Bourgois, puis Alex ou le porte-drapeau une année plus tard. Le premier est suivi des lettres que son père écrivit depuis le camp où il était interné avant sa déportation et de leur commentaire rétrospectif par sa fille, Hélène Waysbord. Ces deux récits, surgis des profondeurs de l’enfance orpheline, sont bouleversants comme le sont les témoignages qui exposent le vertige des existences rongées par l’indicible. Elle a longtemps présidé l’Association de la maison des enfants d’Izieu, qui fut un asile temporaire pour quarante-quatre enfants juifs de toutes nationalités, finalement déportés en 1944.

En période de confinement inattendu, Hélène Waysbord prend la plume pour examiner la chambre comme kaléidoscope de la vie morcelée, comme bastide clandestine, qui protège et isole en même temps.

Mais l’auteure de La Chambre de Léonie est avant tout une grande lectrice et spécialiste de Proust. Quoi de plus symbolique que de faire l’inventaire des chambres dans la Recherche du temps perdu, quand on a soi-même été une enfant recueillie, cachée entre quatre murs, puis retenue dans les chambres par la douleur, la stupeur, la mélancolie des jours qui passent sans pouvoir éclaircir les heures troubles du passé ? En période de confinement inattendu, de passage en Normandie en mars 2020, Hélène Waysbord prend la plume pour examiner la chambre comme kaléidoscope de la vie morcelée, comme bastide clandestine, qui protège et isole en même temps. Mais la chambre a surtout été, de tout temps, le lieu par excellence de la lecture solitaire, cette activité qui nous prête des vêtements imaginaires « pour jouer en costumes ces rôles où l’on s’apprend soi-même » (p. 17). Pour Hélène Waysbord, le livre reste ce professeur muet, qui nous offre une possibilité de « proximité immédiate » (p. 117) avec un écrivain aujourd’hui disparu, mais si familier grâce à l’œuvre apte à témoigner de sa présence bien plus intimement – et même, charnellement – que n’importe quelle rencontre : « Je me sentis d’emblée concernée par une lecture du monde qui ne livrait pas ses secrets » (p. 73). La lecture de l’œuvre de Marcel Proust a contribué à éclairer le chemin nébuleux des méandres de la tragédie personnelle d’Hélène Waysbord ; à nommer les minuscules pans de lumière reconquise – tels, dans l’œuvre, « le petit pan de mur jaune » et le « rayon de soleil sur le balcon »  – là où n’importe qui d’autre n’aurait rien vu, rien que des ombres, des traces qu’on soupçonne, à moitié effacées, à moitié ignorées.

Dans La Recherche du temps perdu, la chambre de Léonie est la chambre des chambres, le refuge de la tante malade, de la femme prostrée, mais aussi de la rumeur et de l’observation, dans laquelle le narrateur s’abreuve du thé magique qui lui vaudra d’être, des années plus tard, transporté pour la première fois dans le labyrinthe de la mémoire qu’il parcourt dans son œuvre. De la chambre de sa tante Léonie, le narrateur retient le lit, cette matrice et ce sanctuaire de la création dont on sait par l’entremise de Céleste Albaret que Proust lui-même y écrivit l’intégralité de son œuvre :

[…] Léonie qui, depuis la mort de son mari, mon oncle Octave, n’avait plus voulu quitter, d’abord Combray, puis à Combray sa maison, puis sa chambre, puis son lit et ne « descendait » plus, toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité physique, de maladie, d’idée fixe et de dévotion.[1]

Le resserrement du monde de Léonie à la ville, puis aux différents contenants dont le dernier est le lit permet à Proust de colorer ce lit-matrice de toute la palette morale de l’intériorité de celle qui s’y tient. En somme, Combray est la métonymie du lit de tante Léonie, et plus encore, en vient à symboliser toutes les âmes ayant été terrassées par un chagrin incommensurable. Cette petite bourgade triste, résumée par son église un peu morne, résonne de l’écho de toutes les voix fluettes qui n’ont plus la force de se révolter contre le désastre, la perte, l’oubli contre lequel il faut lutter. Mais le lit d’une petite bonne femme qui ânonne seule et dont les paroles évanescentes disparaissent à tout jamais fait place, grâce à la vocation du narrateur, au lit comme métaphore de l’intériorité et de la mémoire. Celui sur lequel s’ouvre le roman tout entier annonce tous les autres, surgis de l’imagination du petit Marcel qui se tourne et se retourne, exaspéré mais déjà à demi assoupi, en pensant au baiser trop court que sa mère a bien voulu venir lui donner quelques instants auparavant, et qu’elle a emporté avec elle en fermant la porte de la chambre. Ce lit où il éprouve sa solitude sera, dans une autre dimension, celui où l’écrivain passa, pelotonné, la plus grande partie de sa vie pour composer l’intégralité de son œuvre, enveloppé dans le nuage opaque et presque irréel de ses fumigations contre l’asthme.

Un inventaire poétique

Composé de courts chapitres permettant d’en faire un bréviaire à consulter par entrées, La Chambre de Léonie revient sur quelques chambres de la vie d’Hélène Waysbord

Composé de courts chapitres permettant d’en faire un bréviaire à consulter par entrées, La Chambre de Léonie revient sur quelques chambres de la vie d’Hélène Waysbord, de la chambre « de satin rose dragée », où l’orpheline de cinq ans fut recueillie après la « disparition » de ses parents, à la « Chambre rouge » de Matisse, qui revêt une importance capitale aux yeux de l’auteure, car cette toile lui permit d’envisager, après une phase particulièrement cruelle d’égarement « empli de menaces », « un monde où vivre » (p. 104 et 105). La description qu’elle en fait après l’avoir découverte au Musée de Lille est un enchantement : en pénétrant dans les tourments de sa mémoire, Hélène Waysbord nous donne aussi accès aux étincelles de beauté que ses yeux ne cessent de percevoir, malgré la perte qui revient, le désarroi qui demeure :

La chambre selon Matisse devenait un lieu total de contemplation, de jouissance silencieuse, sans irruption menaçante du dehors avec l’œil de la Gestapo derrière chaque porte, comme un pistolet pointé. (p. 106)

L’œuvre comme chambre où se lover, où trouver refuge contre les abîmes et la folie, mais également où commencer à écrire ce qui se dérobe quand le péril guette, apparaît évidemment en filigrane dans ces lignes. La chambre de Léonie accomplit un doux va-et-vient entre les souvenirs de la jeune orpheline observatrice que fut – et que restera toujours – Hélène Waysbord, et une réflexion sur la lecture, sur l’enchantement permis par la prose proustienne toute droite sortie non pas d’une mais de nombreuses chambres, c’est-à-dire d’un lit d’homme confiné : successivement au Grand Hôtel de Cabourg, à l’hôtel des Réservoirs à Versailles, à Paris enfin. L’auteure rappelle à quel point Marcel Proust était relégué lui aussi par sa santé fragile et ses poumons délicats à l’espace domestique et intime du lit, et aime à penser que malade ou pas, « chacun se cache » dans sa chambre, dans un espace où dissimuler sa différence, ses désirs et ses chagrins honteux, son corps éprouvé. La chambre comme lieu de confinement et refuge au monde extérieur et à sa brutalité, devient sous la plume d’Hélène Waysbord un espace sacré « au sens ancien, dans [lequel] on ne peut entrer » sans avoir sonné (p. 96).

Le charme de ce livre réside dans la confiance qu’Hélène Waysbord accorde au lecteur, dans le fait de bien vouloir lui confier ses tourments fondateurs

Le motif de la chambre fait la part belle aux dispositifs d’observation mis en place dans La Recherche du temps perdu, le roman des apparences et des mirages, mais surtout de la surveillance, voire, de l’espionnage. Aux dires de Céleste Albaret, Proust ne sortait jamais de chez lui qu’avec « un objectif précis en chasseur d’un détail ou en pèlerin de ses personnages » (p. 80). On imagine aisément Hélène Waysbord, à la poursuite d’un passé impénétrable, d’une enfance volée et inconsolée, en investigatrice infatigable, « en recherche d’un père protecteur et idole, abruptement arraché » (p. 54). On croise sans surprise dans La chambre de Léonie un spectre inversé d’Albertine sous la forme de ce père trop aimé et qui n’aime pas en retour, disparu sans crier gare. Une enfant est déplacée malgré elle d’Argenteuil en banlieue parisienne vers un village lointain, anonyme, et trouve refuge au « café en face de la gare », dans « la chambre de satin rose dragée », « où le romanesque prend son envol », et qu’elle préfère à la salle du bas avec « ses contigüités équivoques » (p. 24). Une jeune femme se marie dans les années 1950 et décrit sa relation à l’auteur de La Recherche du temps perdu comme destinée « à durer bien au-delà de ce qu’[elle aurait] pu croire » (p. 72). Il y a quelque chose de Modiano chez Hélène Waysbord : dans la permanence de l’énigme au cœur de l’existence, mais également dans la douceur infinie qui émane de leurs récits respectifs. L’un et l’autre voguent, au gré de leurs gouffres, sur une mer instable mais protectrice. Leur vie apparaît comme une négociation perpétuelle avec le précipice et la matrice. Ils partagent avec Céleste Albaret, l’inoubliable femme de chambre de Proust, le temps propre au célèbre écrivain : celui-ci n’a plus rien de commun avec le temps des autres, celle de l’horloge parlante ou des gares. Il s’étire inconsidérément, mais surtout, dessine une nouvelle dimension : celle où l’identité et la mémoire se confondent.

Le charme de ce livre réside dans la confiance qu’Hélène Waysbord accorde au lecteur, dans le fait de bien vouloir lui confier ses tourments fondateurs, et de les lui laisser associer avec la grâce rédemptrice des récits proustiens, auxquels elle mêle sa voix, dans une fugue envoûtante et poétique.

  • Hélène Waysbord, La chambre de Léonie, Préface de Jean-Yves Tadié, éditions Le Vistemboir, Paris, 2021.

Fanny Arama

[1] Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, coll. « Folio », édition présentée et annotée par Antoine Compagnon, 1988, p. 48 (je souligne).

Session de jeu coquinou autour d’un petit-déjeuner INNOOO le 18 novembre à 10h

Session Bonnes Pratiques Internet
INNOOO a le plaisir de vous inviter à une session de jeu Coquinou autour
d’un petit déjeuner:
Avec Luc Rubiello Président fondateur d’INNOOO et Dominique Jaquet DSI
de l’APEC Vice-Président d’INNOOO et des membres de l’association:
Le jeudi 18 novembre 2021 à 10h
Au Cercle militaire 8 place Saint-Augustin Paris 8ème:
Pass sanitaire scanné à l’entrée du Cercle et jean proscrit pour les
hommes
Lors de cette partie de jeu Coquinou entre les participants, chacun
améliorera ses Bonnes pratiques internet et échangera sur l’indépendance
internet de la France dans un monde sans GAFAM
A propos d’INNOOO : l’association est reconnue d’intérêt général et
milite pour un internet français et sans publicité reposant sur des
outils conçus, hébergés et maintenus en France :
    un multimoteur de recherche ouvert retournant les réponses les plus
pertinentes sans publicité,
    les Actualités du jour garanties sans « fake news »,
    un moteur d’images pour des recherches mettant l’accent sur la
sérendipité (capacité de faire une découverte par hasard),
    un réseau social acentré (sans système centralisé), libre et modéré,
    des actions de sensibilisation aux bons réflexes internet : jeu de
cartes pédagogiques Coquinou, tutoriels gratuits, conférences dans les
lycées, entreprises et universités.
Plus d’information: www.innooo.fr
Un événement Balustrade * RSVP par sms au 06 84 36 31 85
Informations presse : guilaine_depis@yahoo.com