Rapporteuses a assisté à la soirée avec Romain Kroës et Jean-Pierre Noté, merci à Sarah Foucher

Faut-il avoir peur de ChatGPT ? C’est autour de cette question que se sont réunis quelques perplexes ce 31 mai, au légendaire Hôtel La Louisiane au cœur de St-Germain-des-Prés dans le 6ème arrondissement de Paris.  

C’est dans une petite salle du premier étage que Guilaine Depis, avec la complicité du gérant de l’Hôtel Xavier Blanchot, à l’habitude d’organiser des soirées de réflexion autour d’un sujet qui fait débat. La soirée est ouverte à tous les curieux et ce mercredi soir, l’attachée de presse a réuni deux de ses auteurs afin de croiser leurs points de vue sur l’impact de ChatGPT, l’intelligence artificielle récemment développée par Open AI. 

« Les robots ne remplaceront pas le travail humain »

Pour ouvrir le débat Guilaine Depis a introduit Romain Kroës, ancien commandant de bord, instructeur, économiste, et écrivain (rien que ça !), qui a traité de la question de l’Intelligence Artificielle dans une partie de son dernier ouvrage Surchauffe, L’inflation ou l’enflure économiste paru en février dernier aux éditions Libre & Solidaire. Dans le chapitre 2, celui-ci nous rassure : non, les robots ne remplaceront pas le travail humain, mais selon lui dans une déclaration à Marc Alpozo pour Entreprendre: « nous aurons beaucoup de mal à nous en libérer et, si nous y parvenons, elle aura quand-même fait beaucoup de dégâts. À commencer non par « la fin du travail », mais par son dépérissement qui peut signifier la fin de tout progrès ».

Autre invité, le toulousain (et non Belge comme l’indiquait faussement ChatGPT lorsqu’il lui avait demandé des informations sur lui-même), Jean Pierre Noté, écrivain et ancien consultant de l’industrie spatiale. Comparé à George Orwell, il a publié en juin 2021 Tantième, un monde sanspuss qui met en scène Aline, une business woman déterminée à posséder l’Académie Française avec pour projet de privatiser les langues grâce à une Intelligence Artificielle. Un thriller numérique qui est devenu un véritable roman d’anticipation puisque quelques mois plus tard sortait le projet secret de OpenAI.

Surchauffes - L'inflation ou l'enflure économiste par Romain Kroës paru en février 2023 aux éditions Libre & Solidaire

Surchauffes – L’inflation ou l’enflure économiste par Romain Kroës paru en février 2023 aux éditions Libre & Solidaire © images.epagine.fr

Tantièmes, Un monde sanspuss de Jean-Pierre Noté paru à l'été 2021 aux éditions AZ’art Atelier

Tantièmes, Un monde sanspuss de Jean-Pierre Noté paru à l’été 2021 aux éditions AZ’art Atelier © azartatelier-editions.com

“Il faut surtout avoir peur des gens qui y croient”

L’apparition de ChatGPT en novembre 2022 aura amusé, effrayé et fait couler beaucoup d’encre sur ses apports, ses limites et ses réelles utilités. Beaucoup critiqué pour la fiabilité des informations et le manque de citation de ses sources, l’IA reste un outil dont les capacités de mémorisation sont impressionnantes. La confrontation des idées développées et les discussions allant parfois jusqu’au chahut, ont mis en avant une réalité :  la dangerosité de ChatGPT ne résiderait pas forcément dans sa conception, mais surtout dans sa réception. Selon Romain Kroës : “Il faut surtout avoir peur des gens qui y croient”.  À l’inverse pour Jean-Pierre Noté cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas se méfier des raisons de sa création et de son utilisation, mais que cette IA peut s’avérer être un bon apport à qui sait s’en servir intelligemment. Et comme à chaque invention où l’Homme se sent dépassé par l’objet qu’il crée lui-même, se développe une peur d’être remplacé et de ne plus être l’Intelligence suprême dotée de raison. A l’époque de Gutenberg, l’invention de l’imprimerie était une révolution, qui inquiétait aussi sur l’avenir de l’impression et du devenir du métier de script. L’important est de comprendre que face à une telle innovation, le challenge sera d’éduquer et de sensibiliser les prochaines générations. La robotisation ne rendra pas l’humain plus stupide, mais le poussera à faire encore plus d’efforts de réflexions et de vérifications sur les informations qui lui seront communiqués. Comme le disait Lénine “La confiance n’exclut pas le contrôle”.

La soirée a réussi à mettre tout le monde d’accord sur un point, oui ChatGPT est une réelle innovation, mais personne n’a pu répondre objectivement à la question “Faut-il avoir peur de ChatGPT ?”, car finalement rien ne remplace l’échange humain, l’expérience des uns et le partage de réflexions. 

PROGRAMME EVENEMENTS BALUSTRADE FIN MAI DEBUT JUIN 2023

PROGRAMME BALUSTRADE FIN MAI DEBUT JUIN 2023

SIX INVITATIONS A DES EVENEMENTS BALUSTRADE !
AUXQUELS ALLEZ-VOUS PARTICIPER ?
 
1) Mardi 30 mai dès 18h30 : Soirée autour du pop-roman « 1m976 » de Gérald Wittock à la librairie L’Ecailler 101 rue du Théâtre 75015,
2) Mercredi 31 mai à 18h : Pierre Ménat (ancien conseiller Europe de Jacques Chirac) présentera « L’Union européenne et la guerre » devant le mouvement européen des Yvelines. Salle des fêtes du Chesnay, 52 rue de Versailles 78150 Le Chesnay-Rocquencourt
3) Mercredi 31 mai dès 18h30 : Soirée conférence-débat-cocktail « Faut-il avoir peur de ChatGPT? » avec l’ économiste Romain Kroës (« Surchauffe, l’inflation ou l’enflure économiste ») et le romancier Jean-Pierre Noté (« Tantièmes – un monde sanspuss ») (Hôtel La Louisiane 60 rue de Seine 75006 – inscription obligatoire pour le cocktail par sms 06 84 36 31 85),
4) Du 7 au 11 juin le 40ème anniversaire du Marché de la Poésie (plus gros événement mondial d’éditeurs de poésie) placé sous le signe des Caraïbes cette année Place Saint-Sulpice,
5) Samedi 17 juin : Exposition au Cercle des Sources grâce à Balustrade de l’artiste Erik Andler qui présentera ses oeuvres et parlera des NFT au 6 avenue Bonaparte à Antibes chez Dominique Beudin
6) Mardi 20 juin dès 20h : Soirée interactive sur l’assertivité avec le journaliste scénariste de France inter Léo Koesten (« Le Manoir de Kerbroc’h ») qui confrontera sa résilience d’écrivain aveugle aux conseils du coach Didier Barthélémy (Hôtel La Louisiane, 60 rue de Seine 75006)

Contact presse guilaine_depis@yahoo.com 

Invitation débat-cocktail « Faut-il avoir peur de ChatGPT ? » 31 mai à 18h30 au 60 rue de Seine

Invitation

Balustrade vous invite à une grande soirée conférence-débat avec les journalistes et le public, suivie d’un cocktail
sur le thème « Faut-il avoir peur de ChatGPT ? »
Mercredi 31 mai 2023
A partir de 18h30 à l’Hôtel La Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris
Entrée libre sur inscriptions par sms 06 84 36 31 85 (nombre de places limité)
Contact presse : guilaine_depis@yahoo.com
avec les regards complémentaires de deux hommes qui bien souvent se rejoignent sur l’IA : 
le romancier Jean-Pierre Noté (« Tantièmes – un monde sanspuss ») 
et 
l’économiste Romain Kroës (« Surchauffe – L’inflation ou l’enflure économiste »)
 
Jean-Pierre Noté

a travaillé 17 ans pour une entreprise aérospatiale où il a dirigé la négociation de nombreux contrats internationaux dans plusieurs pays (Etats-Unis, Russie, Inde, Pakistan, Iran, Argentine, Israël et Egypte notamment) et a acquis une large expérience en matière de satellites, de lancements, de montages financiers avec des agences de crédit export et des banques. (…)

De 2010 à 2022, à la tête de sa propre société de consultance, il a aidé de nombreux gouvernements à acheter des systèmes d’observation ou de télécommunications par satellites à travers le Monde (Turquie, Indonésie, Emirats Arabes Unis, Qatar). 
En parallèle, Jean-Pierre Noté a enseigné au CNAM à Paris et à Pékin, à EUROMED à Toulon et dans plusieurs universités. 
Dans son nouveau roman « Tantièmes », féroce caricature du monde de la Big Tech, il imagine une privatisation des langues vivantes… Un juteux business assis sur une entreprise de traduction par l’IA, « Babel », dépassant rapidement le pouvoir des Gafam.
 
Romain Kroës suit des études techniques aéronautiques et découvre l’épistémologie.  Il fut d’abord commandant de bord puis instructeur, spécialiste des systèmes «intelligents» en automatisation dans l’aéronautique. 
Parallèlement, son engagement syndical l’a amené à s’intéresser à l’économie, particulièrement dans la recherche sur la productivité, les systèmes monétaires et le management. 
Ergologue spécialisé dans l’étude des rapports homme/machine et la philosophie des systèmes embarqués.
Il fut notamment élu au Comité d’entreprise d’Air France Europe, président de la commission économique, de 1992 à 1996. Il a aussi réalisé deux missions d’expertise aéronautique pour l’Union européenne, en Algérie (2005) et en Haïti (2008).
Dans son ambitieux essai « Surchauffe », il voudrait faire de la science économique un outil au service de la société et de l’écologie.

Romain Kroës, Surchauffe – L’inflation ou l’enflure économiste vu par Argoul

Romain Kroës, Surchauffe – L’inflation ou l’enflure économiste

L’économie dite « politique » est un enjeu de débat scientifique, politique et social. L’auteur y participe à 86 ans après une carrière de commandant de bord puis d’instructeur et surtout de syndicaliste. Il a publié au fil des années divers livres sur Les erreurs humaines 1992, Le capitalisme fin d’une histoire 1993, La perversion du capital 2007, Décrochage 2020, et Malades de la dette en 2021. C’est dire s’il se situe au niveau critique de la doxa ambiante. Il déclare lui-même avoir renoncé à présenter une thèse à l’université après que son directeur d’études lui ait dit qu’il sortait des rails. Comme il existe des artistes incompris, il existe des économistes incompris.

Le mérite de l’auteur est d’exposer sa thèse dans un livre accessible, sauf les annexes écrites en style mathématique. Lui introduit la rareté des ressources naturelles, donc l’écologie, dans le système économique, ce que la science économique est selon lui inapte à faire pour raisons « idéologiques ». Je laisse à l’auteur ce qualificatif, qui s’applique habituellement à tous ceux qui ne pensent pas comme vous, pour examiner plutôt ses arguments principaux.

« L’économie est avant tout un caractère du vivant en relation avec son environnement naturel », écrit-il. Comment ne pas être d’accord avec cela ? L’auteur prétend que l’économie qu’il appelle du terme vieillot « politique » oublie les échanges entre l’espèce et l’écosystème au profit des seuls échanges entre humains. Ce n’est pas tout à fait exact car les économistes d’aujourd’hui considèrent également les « externalités » de la production comme de la consommation.

Curieusement, l’auteur ne définit pas la productivité, pourtant au centre de toute économie. Le terme économie signifie en effet produire le plus et le mieux avec le moins, ce qui induit à la fois une notion de prix, une notion de marché une notion de rareté. La véritable écologie devrait donc être la plus productive possible en économisant comme une ménagère à la fois les ressources naturelles, les forces humaines, et les désirs illimités. Nous sommes bien d’accord là-dessus. Il semble qu’il y ait imprécision sur ce que l’on entend par « productivité » habituellement et ce qu’entend l’auteur.

Les ressources sont limitées et « l’exploitation de l’écosystème demande de plus en plus de travail par unité transformée » c’est ce que l’auteur appelle une « surchauffe sur les prix, connus sous l’appellation d’ailleurs discutable d’inflation » p.17. Mais cette inflation quasi métaphysique n’est guère mesurable. La hausse et le niveau des prix ont bien d’autres causes que la seule rareté des ressources naturelles. Il y a les salaires, il y a le marketing forcené, il y a les monopoles, il y a la guerre de la concurrence, et ainsi de suite.

Je ne vais pas discuter les quelques 200 pages du livre car il se trouve que je m’intéresse de moins en moins à l’économie. Ce n’est pas une science exacte mais une science humaine, ce que conteste aussi l’auteur en disant que toute science est « physique », jusqu’aux mathématiques mêmes qui forment avant tout des hypothèses. Je veux bien mais, à ce niveau hors du temps, il s’agit du sexe des anges. Les êtres humains font avec les instruments qu’ils ont à leur disposition, à commencer par leur cerveau qui est limité, induisant une certaine façon de penser due aux sens et à l’interprétation que les neurones peuvent en faire dans les circuits cérébraux.

Je préfère évoquer le cheminement de l’auteur et renvoyer à son livre. Il commence par la productivité, qu’il définit de façon assez abstraite par la limitation des ressources naturelles donc première cause de surchauffe « et d’inégalité » ajoute-t-il ; il poursuit par la machine qui ne remplace pas le travail humain ; la vitesse de la monnaie comme forme symbolique de la productivité ; les politiques monétaires, puis une série de chapitres sur les raisons pour lesquelles l’économie « échappe » à l’esprit scientifique. C’est intéressant à lire pour qui s’y intéresse. J’avoue que, dans le concret des actions tant des entreprises que de la finance, cela nous passe un peu au-dessus de la tête. Mais c’est un point de vue légitime qui peut être débattu.

L’auteur serait au fond pour la planification des politiques monétaires, la convertibilité or de la monnaie, un crédit libre d’intérêts et l’encadrement de la libre concurrence. Rien de très révolutionnaire et il semble que ce soit plus ou moins le chemin des économistes raisonnables – si l’on excepte le principal : la géopolitique.

Car l’auteur n’en parle pas, mais la course frénétique à l’avance technologique des États-Unis, et à la production de la Chine comme de l’Inde ou du Brésil, sont bien plus importants pour l’économie de la planète que la simple théorie. Le « capitalisme » et l’idéologie « du libéralisme » sont des boucs émissaires faciles. Les nationalismes et leur guerre féroce sont à considérer si l’on veut parler de véritable « économie » pour la planète.

Romain Kroës, Surchauffe – L’inflation ou l’enflure économiste, 2023, éditions Libre et solidaire collection 1000 raisons, 214 pages, €18.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Crash du vol Rio-Paris, réaction de Romain Kroës

Les faits : Airbus et Air France jugés non-coupables dans l’affaire du crash du Rio-Paris de 2009, dont le jugement a été rendu lundi au tribunal de Paris. Les deux entreprises étaient poursuivies pour homicides involontaires. Et à l’annonce du verdict, les familles des victimes ont été choquées.

Réaction de Romain Kroës :

AF 447

Premier juin 2009, un Airbus A330 d’Air France reliant Rio de Janeiro à Paris tombe dans l’Atlantique avec à son bord 228 passagers et membres d’équipage. Le procès s’est conclu en décembre 2022. Le verdict vient de tomber. En résumé : « des fautes, mais pas de coupables ». Les parties civiles vont introduire un recours. Elles sont justement en colère, car cette catastrophe n’est pas imputable à la fatalité. Par conséquent, il y a forcément une responsabilité à établir. Mais elle ne peut pas être établie.

La chute de l’appareil n’est pas due à la disparition des informations de vitesse, mais à l’impossibilité, pour les pilotes, de disposer d’une analyse de la situation ou de l’effectuer eux-mêmes, pendant 50 secondes qui furent cruciales. Et la cause de cette incapacitance est ce que l’on appelle « l’Intelligence artificielle ». L’attention des pilotes a été inutilement suspendue pendant cinquante secondes à la lecture d’un écran où l’information la plus importante est apparue trop tard. D’une part, pendant tout le temps où l’on reste suspendu à la lecture d’un écran on ne peut pas réfléchir. D’autre part, le logiciel remplaçait l’officier mécanicien, débarqué dans les années 1980, et les pilotes ne disposaient pas du moyen d’effectuer le diagnostic par eux-mêmes.

Le logiciel n’a pas été cité au procès, parce que le remplacement d’une intelligence humaine par un algorithme est encore universellement admis comme un « progrès ». Et les magistrats ne peuvent pas condamner une idéologie, surtout quand elle est dominante.

Romain Kroës, auteur de « Surchauffe – L’inflation ou l’enflure économiste »

Entretien avec Romain Kroës sur l’inflation, ou l’enflure économiste dans Entreprendre (auteur de « Surchauffe »)

De quoi l’inflation est-elle le nom ?

Entretien avec Romain Kroës.

De quoi l’inflation est-elle le nom ? C’est que Romain Kroës se donne pour but de nous expliquer dans un livre passionnant, Surchauffe, l’inflation ou l’enflure économiste, chez Libre & Solidaire, 2023. Je l’ai rencontré pour en savoir plus.

Marc Alpozzo : Vous êtes un ancien pilote de ligne, spécialiste des systèmes « intelligents » en automatisation, parallèlement intéressé par l’économie. Vous avez d’ailleurs publié en 2021 Malades de la dette (Libre & Solidaire). Vous publiez aujourd’hui, chez le même éditeur, Surchauffe, l’inflation ou l’enflure économiste. La surchauffe écrivez-vous, c’est « un terme financier qui désigne les périodes de grande tension sur les marchés, consécutives à la pleine utilisation des capacités productives ». Le résultat sera la hausse du coût de la vie, en d’autres termes, l’inflation. Comment expliquez-vous plus concrètement l’inflation aujourd’hui ?

Romain Kroës : En premier lieu, le mot « inflation » véhicule le présupposé selon lequel la hausse générale des prix serait la conséquence d’un gonflement de la masse monétaire en circulation. Selon l’économiste socialiste Thorstein Veblen, il aurait été inspiré, au début du siècle dernier, par l’invention de la chambre à air de Dunlop. D’où la hausse des taux d’intérêt, afin de réprimer la demande de crédits pour dégonfler la masse monétaire ou freiner son gonflement. Ce remède, qu’on a souvent assimilé à la saignée et au clystère des médecins de Molière, est universellement préconisé parce que la discipline économicienne n’a toujours pas dépassé le théorème empiriste de David Hume qui attribue la hausse des prix à un excès de demande par rapport à l’offre sur les marchés.

Des fluctuations instantanées de l’offre et de la demande sont effectivement observables dans les criées et les bourses de commerce, mais elles ne sont que la modulation oscillatoire d’une tendance lourde qui renvoie à l’exploitation des ressources naturelles. C’est à ce niveau que la demande excède l’offre, de deux manières. La première est la croissance démographique, la seconde la course managériale aux gains de productivité. Dans les deux cas, le rythme de nos consommations excède celui de la régénération des ressources. C’est évident pour celles qui ne sont pas renouvelables, mais c’est également vrai de celles qui se régénèrent selon des cycles naturels sur lesquels nous n’avons aucun pouvoir : l’air, l’eau, la terre, la mer et leurs provendes. Dégageant du gaz carbonique à un rythme qui excède celui de son absorption par la nature, nous provoquons « l’effet de serre » qui participe du réchauffement climatique. L’exploitation agricole et industrielle de l’eau, au-delà du rythme de son cycle naturel, épuise les nappes phréatiques. Les pollutions industrielles appauvrissent les cours d’eau, la surpêche menace la manne aquatique. La fertilisation artificielle des sols use l’épaisseur de l’humus.

Par le passé, ce déficit écologique était compensé par l’expansion planétaire de l’accès aux ressources. Cet exutoire est devenu évanescent. Tout excès du rythme de nos consommations se traduit aujourd’hui par un appauvrissement du potentiel des ressources renouvelables. Lorsque cet excès est dû à la croissance démographique, il peut être absorbé par l’appauvrissement d’au moins une partie de la population. Mais relevant de la course managériale aux gains de productivité, il n’a pas d’autre solution que l’appauvrissement du capital naturel qui constitue désormais l’unique source de la « croissance ». Or, l’appauvrissement du potentiel rallonge la période de sa reconstitution. Ce qui en vertu de la loi d’adaptation des flux se traduit par une chute de la productivité moyenne. Le chapitre 3 de mon livre Surchauffe en fait la démonstration et en apporte la preuve à l’échelle mondiale. Et c’est cette déproductivité moyenne qui constitue la cause structurelle de « l’inflation », par simple répercussion des coûts de production sur les produits finals.

Les économistes qui croient à la hausse des prix par l’inflation monétaire assimilent toute émission monétaire additionnelle à de la fausse monnaie. Ainsi ont-ils accusé le Quantitative easing d’avoir inondé la planète de dollars et d’euros, supposés responsables de l’inflation mondiale. Ils n’ont pas vu que ces émissions venaient au secours des banques menacées par des créances douteuses, et qu’elles revenaient en un clic à la Fed et à la BCE, pourvoyeurs des crédits en dernier ressort. Mais à la décharge des économistes mainstream, il faut reconnaître qu’il existe bien une quasi fausse monnaie émise directement sur les marchés sans passer par la mobilisation du travail : les balance dollars de la dette états-unienne. Encore n’exerce-t-elle aucune influence directe sur les prix. La production de fausse monnaie sur les marchés certes accroît artificiellement la demande relativement à l’offre, mais sa première conséquence est la diminution des stocks. La renouvellement des stocks s’en trouve accéléré, et cette accélération se répercute sur l’exploitation des ressources de base. La hausse des prix qui en résulte s’installe progressivement, au fur et à mesure du renouvellement des stocks. Dans ce cas également, par conséquent, « l’inflation » appert du fait de la tension sur les ressources naturelles, qui accroît les coûts de production répercutés sur les produits finals.

M. A. : Nous allons vers une automatisation du travail de plus en plus importante. C’est du moins l’ambition de demain, remplacer l’homme au maximum par la machine et les I.A. (Intelligence Artificielle). Au chapitre 2 de votre livre, vous semblez sceptique cependant, affirmant que « la machine ne remplace pas le travail humain ». Pourquoi ? Est-ce un projet si utopique que cela ?

R. K. : Nous voilà en effet confrontés à une utopie née au XVIIIe siècle avec le « règne des automates », exacerbée au XIXe par la Révolution industrielle et l’effroi ressenti devant la perspective de voir les machines prendre le pouvoir sur nous, puis devenue paroxysmique avec la prétendue « Intelligence artificielle ». Nous aurons beaucoup de mal à nous en libérer et, si nous y parvenons, elle aura quand-même fait beaucoup de dégâts. À commencer non par « la fin du travail », mais par son dépérissement qui peut signifier la fin de tout progrès.

Quand on se contente d’observer localement la captation par la machine d’un poste de travail, on ne voit pas qu’au même moment se créent ailleurs, quelque part sur la chaîne des transformations, d’autres postes de travail. C’est de cette myopie empiriste, que son nées les élucubrations universitaires sur « la fin du travail » dans les années 1980-1990. En réalité, la technologie déplace le travail, mais ne le remplace pas. Dans mon ouvrage, je donne l’exemple des compagnies aériennes croyant avoir tiré un bénéfice du remplacement de l’officier mécanicien navigant par le logiciel que leur proposaient les avionneurs, et qui se plaignent aujourd’hui du prix des appareils et de la maintenance du logiciel. Il y a tout simplement eu transfert de « valeur ajoutée », c’est-à-dire de travail, des exploitants vers les constructeurs.

En outre, ce déplacement a entraîné quelques conséquences tragiques, comme la chute du Rio-Paris d’Air France dans l’Atlantique en juin 2009, parce que le logiciel remplaçant l’officier mécanicien, confronté à une panne non prévue, n’a pas été capable d’informer à temps les pilotes sur son origine. Et l’on touche là à l’insurmontable limite et au véritable caractère de l’utopie en question.

L’IA est incapable d’affronter une information qui n’est pas déjà répertoriée dans sa base de données. Seul le cerveau humain dispose de cette faculté. À cette occasion, il peut, il est vrai, se tromper. Mais pas toujours. Quant à la machine, qui ne connaît pas l’erreur, elle rend son tablier. Ici se révèle le virus philosophique qui sous-tend l’utopie et, plus généralement, la mouvance intellectuelle dite « cognitiviste ». Il s’agit de la plus primitive des activités intellectuelles : l’exercice divinatoire. Les partisans d’une IA sans limites croient vraiment qu’en enrichissant sans cesse leurs bases de données ils vont épuiser le futur. Cela peut fonctionner pour les machines à laver, mais dans un domaine complexe la mémorisation du vécu n’a jamais de fin. Le logiciel qui remplace l’officier mécanicien doit être constamment mis à jour, certes en fonction de la prospective des bureaux d’étude, mais surtout à partir des occurrences imprévues finalement rencontrées. Et ce, avec un inévitable retard sur l’évènement. Le futur est inépuisable, et les auteurs de logiciels, comme les architectes des bases de données, ne seront jamais des devins.

À cette dérive philosophique, s’ajoute également une perversion encore moins sympathique : certains cognitivistes rêvent tout haut de créer, grâce à l’IA, un androïde doué de superpouvoirs et immortel. Une nouvelle version du culte du surhomme, qui ne dit rien de bon. Le fantasme de toute-puissance, auquel la civilisation doit constamment faire face, est en chemin de la subvertir.

Tout cela étant dit, beaucoup de réalisations de l’IA sont utiles comme, par exemple, son apprentissage « profond » de la gestion des différents réseaux. Mais appeler ces outils « intelligence », c’est croire qu’ils peuvent remplacer le cerveau humain, avec pour conséquence la panne de l’innovation que l’on observe depuis une trentaine d’années dans les domaines sociaux et économiques les plus sensibles. La raison en est fort simple : le progrès technique dépend du retour d’expérience, et seul le cerveau humain est capable d’affronter l’imprévu. L’IA ne remplacera jamais cette faculté. Elle est simplement le développement d’un ensemble d’outils que dans les années 1980 on appelait plus modestement « systèmes experts ». Revenons-y, s’il vous plait.

M. A. : Vous accusez la surchauffe d’être d’abord conjoncturelle, due aux conflits géopolitiques, puis structurelles, due à l’appauvrissement du potentielle des ressources et au réchauffement climatique. Quelle serait alors selon vous la stratégie managériale à échelle mondiale pour sortir de cet étau ?

R. K. : La stratégie managériale ne dispose de pouvoirs que dans la dimension structurelle de la surchauffe. Et ce, pour la simple raison qu’elle en est précisément la cause principale. J’ai précédemment mentionné deux facteurs de surchauffe : la croissance démographique et la course aux gains de productivité. La première échappe au management, mais la seconde constitue le vecteur résultant de tous ses leviers de commandes. La stratégie qui s’impose consiste donc tout simplement à en finir avec la course aux gains de productivité. Puisque le potentiel des ressources accessibles est désormais fini, la préservation de la part qui en est renouvelable exige une croissance nulle, associée à une productivité en harmonie avec les cycles naturels (ce qui suppose une croissance démographique également nulle).

Il faut donc en finir avec la course universelle à la productivité. Mais pour ce faire, nous devons surmonter deux obstacles majeurs : l’actuel modèle financier et l’Économie politique. Je mets une majuscule à cette dernière, pour en faire le nom propre d’une discipline déconnectée du réel. La minuscule la banalise, en laissant entendre qu’il existerait vraiment une économie politique. Or, il existe des politiques économiques, mais il n’existe pas d’économie politique. Cette appellation est un héritage des économistes classiques qui considéraient les ressources naturelles comme gratuites et illimitées. Ils circonscrirent alors leur étude aux relations et échanges au sein de la polis. Il y a à peine plus de vingt ans, ce postulat figurait encore en préambule des manuels à l’usage des étudiants. Il n’est plus explicitement formulé, mais demeure implicitement la base axiomatique de l’Économie politique centrée sur « le marché ». Or, c’est cette discipline hors-sol qui justifie et préconise, d’une part, la « lutte contre l’inflation » par la répression de la demande de crédit, et, d’autre part, la croyance en une croissance et une productivité illimitées.

Le second obstacle est le modèle financier, en ce qu’il impose la course concurrentielle au gain de productivité. Précédemment, j’ai mentionné la chute moyenne des performances à l’échelle mondiale, démontrée et prouvée statistiquement au chapitre 3. C’est cette circonstance qui impose un accès concurrentiel au gain de productivité. De part et d’autre d’une moyenne déclinante, il ne peut en effet en être autrement. Les entreprises qui y réussissent le font au détriment de celles que désavantagent leur taille et leur position dans la chaîne des transformations. Or, la durée de la période de réalisation du chiffre d’affaires, par quoi se mesure la productivité, est confrontée à l’agenda des échéances. Les entreprises qui se trouvent du mauvais côté de la moyenne risquent ainsi le surendettement ou la faillite, simplement parce que leur situation dans la chaîne est défavorable, aussi utiles voire indispensables que soient leurs productions. Mais ce n’est pas tout.

Le modèle financier offre un crédit à l’investissement qui est assorti d’un paiement d’intérêts. Or, l’investissement revient à l’identique en face des produits proposés à la vente. Cela signifie que les intérêts sont pris sur le principal de l’endettement initial. Si le taux de croissance est inférieur au taux d’intérêt, la monnaie globalement disponible ne couvre pas le principal de la dette générale. Le désendettement devient alors lui aussi concurrentiel. D’où la course à la croissance et à la productivité, sous l’empire de l’agenda des échéances.

L’aiguillon de cette nécessité est bien entendu volontairement ignoré, on peut même dire refoulé, car nous ne sommes pas enclins à admettre facilement notre dépendance aux contingences. On connaît l’adage : si nous ne contrôlons pas l’événement, feignons d’en être les instigateurs. Alors le supplice est magnifié. L’entreprise devient un navire dont le capitaine fixe l’horizon, flanqué d’un équipage à toute épreuve, rien moins chargé que d’une mission. S’il la réussit, c’est qu’il est du côté de « l’excellence ». Dans le cas contraire, c’est un « canard boiteux », le paresseux et mauvais gestionnaire que Cicéron vouait à la déchéance. En fait, le législateur le lave de tout opprobre, admettant ainsi implicitement le caractère normal des faillites non frauduleuses. Normal, parce que la « réussite » est concurrentielle, d’une concurrence inégalitaire.

Productivité et désendettement concurrentiels se trouvent également à l’origine de la « lutte des classes », disons plus simplement des conflits entre employeurs et employés. Une productivité déclinante signifie en effet un surcoût en travail. Mais le management, qui croit toujours à la productivité croissante, traduit ce phénomène comme un problème de prix du travail, et n’a d’ailleurs pas d’autre choix que de tenter d’y puiser, soit par contention des salaires, soit par réduction des effectifs à production inchangée. D’où le conflit entre le patronat et le monde syndical. Mettons de côté les entreprises du CAC 40, gouvernées par des mercenaires de talent dénués de scrupules, surpayés parce qu’adulés des actionnaires pour le profit desquels ils travaillent exclusivement. Le premier employeur, c’est l’ensemble de leurs sous-traitants et des autres PME et TPME. L’univers de cet ensemble est celui des mouches enfermées dans un bocal. Ôtez le couvercle, et il n’y a plus de conflits. Le couvercle, en l’occurrence, c’est le modèle financier.

Il repose sur la conviction que l’épargne se trouve à l’origine de l’investissement, autre héritage de l’empirisme humien. En réalité, c’est l’investissement qui permet l’épargne, ainsi que Keynes l’a démontré dans les années trente, tout simplement parce que l’épargne vient des rémunérations du capital et du travail, et que les rémunérations dépendent, directement ou indirectement, de l’investissement.

Le postulat de base du modèle financier débouche sur un paradoxe particulièrement éclairant qui a récemment défrayé la chronique jusqu’au sein de l’Assemblée nationale. Les contempteurs du « capitalisme » font valoir, d’une part, l’explosion des dividendes et, d’autre part, la stagnation de l’investissement. Ils en tirent la conclusion semble-t-il évidente, que les capitalistes sont des égoïstes qui refusent d’investir leurs profits. Leurs adversaires font valoir, à juste titre, qu’au contraire on observe l’investissement des dividendes sur les marchés financiers. Les deux constatations sont vraies. Il y a bien à la fois investissement de dividendes et stagnation de l’investissement.

Le paradoxe est une facétie du réel qui nous aide à dépasser les croyances. En l’occurrence, la première conclusion qui s’impose est que l’épargne tirée des rémunérations ne peut pas accroître globalement l’investissement. Et pourtant, elle s’investit. C’est qu’il y a deux catégories d’investissement : le nouveau, additionnel, et celui qui fut introduit additionnellement et continue de tourner, aux fins de continuité des productions. Ainsi l’épargne dispose-t-elle du seul pouvoir de réorienter l’investissement sur le cours de sa rotation, mais en aucun cas de l’augmenter. Pour accroître l’investissement, il faut une émission additionnelle de monnaie, de nos jours issue de la banque centrale. Les banques commerciales dépositaires des rémunérations peuvent multiplier les crédits, mais en séquence, pas simultanément. Quand un euro rentre à la banque, en apurement d’un crédit, il est immédiatement disponible pour un autre crédit. C’est-à-dire que le réseau bancaire gère le flux monétaire, mais que seule la banque centrale en alimente le stock. Cela conduit à considérer comme désormais parasitaire la rémunération du capital financier, mais exonère ses bénéficiaires du soupçon de pingrerie. Ils ne peuvent pas accroître l’investissement, parce que c’est techniquement impossible, sauf à s’endetter auprès du système bancaire.

M. A. : Vous dénoncez également dans votre livre la croyance en une productivité illimitée qui est une sorte de conséquence du fantasme de toute-puissance de l’Homme sur la nature, mais aussi sur ses congénères, puisque l’homme exploite l’homme pour augmenter ses profits. C’est d’ailleurs un des mirages des I.A. et du transfert d’une utopie aboutissant à un échec, selon vous, qui se matérialisera néanmoins à terme, par la robotisation des gens.

R. K. : Le remplacement du travail humain par les machines est globalement une utopie que dément la réalité d’un recours croissant à la main-d’œuvre à l’échelle mondiale. À cette échelle, le taux de chômage ne présente aucune tendance significative, oscillant bon an mal an entre 4 et 6%. Oui, l’utopie se heurte au démenti du réel. Alors, comme on ne peut pas globalement remplacer l’humain par des robots, on le robotise. Quand on ne peut pas implanter un algorithme dans un cerveau électronique en remplacement d’un humain, on l’impose aux yeux ou aux oreilles de l’humain sous la forme des « procédures » ou « protocoles ». C’est le résultat d’un véritable fanatisme de la part du management cognitiviste.

Dans le chapitre 2, je relate l’expérience exemplaire, à cet égard, d’un équipage d’Air France ayant eu à gérer une fuite de carburant non-maîtrisable, de nuit, au-dessus de l’Afrique, le 31 décembre 2020. Les pilotes avaient à leur disposition une procédure supposée couvrir cette occurrence. Mais le commandant de bord l’a interrompue à l’item qui imposait la coupure d’un réacteur alors qu’il n’y avait pas de risque d’incendie. L’équipage a mené à bien sa mission, qui s’est terminée sans encombre à l’aéroport de N’Djamena après de multiples violations de la procédure prescrite. Or, l’autorité aéronautique a vertement critiqué l’équipage pour n’avoir pas respecté une procédure qui prétendait dicter à l’avance le travail des pilotes en toutes circonstances, alors que le succès de la mission avait reposé sur sa transgression. Cette entrée en lice d’une administration publique en défense du primat de la procédure prescrite est particulièrement inquiétante, car c’est le signe que l’idéologie sous-jacente est devenue religion officielle.

De tels conflits sont appelés à se multiplier, dans tous les domaines où l’initiative des travailleurs est menacée. En 2020, lors d’un débat parlementaire, le chef de la majorité a prétendu qu’on aurait bientôt moins besoin de conseillers juridiques, grâce aux algorithmes. La médecine générale elle-même est menacée d’extinction par le développement algorithmique du diagnostic. On ne soignera plus les malades mais des maladies, et à la condition qu’elles soient répertoriées dans les bases de données.

L’hubris cognitiviste ne s’explique ni par le profit, ni par des conflits d’intérêts. C’est l’effet de la volonté de puissance nietzschéenne, que Freud nomme pour sa part fantasme de toute-puissance. La civilisation lui impose un filtre dès l’enfance, mais le filtre peut être défectueux ; ou bien certains individus le franchissent mal ou passent plus ou moins à côté. C’est notamment le cas des fanatiques d’une IA sans limites, qui parce qu’ils détestent leur impuissance croient la surmonter en endossant la tunique de Prométhée.

M. A. : Votre livre propose de sortir de la crise actuelle, en préconisant le renoncement à la toute-puissance, à la concurrence, et par la libération du travail. En quoi cela consiste exactement ? Ne pensez-vous pas que ce programme soit un brin utopique ?

R. K. : Le renoncement à la toute-puissance constitue le principe de base de la civilisation. C’est donc le moins, faute duquel l’humanité n’a aucun avenir. Quant à la concurrence, je ne nie pas qu’elle soit bénéfique si elle se cantonne à l’aspect qualitatif des produits économiques et sociaux, ainsi qu’aux activités sportives. Ce qui me paraît pervers et délétère, c’est la concurrence par les prix, qui résulte des contraintes du modèle financier. C’est en outre l’individualisme concurrentiel, qui s’affranchit de la nature et est en chemin de détruire les équilibres familiaux, sociaux et géopolitiques, sous l’imperium de la bannière arc-en-ciel et du nihilisme déconstructiviste. Au déficit écologique, s’ajoute ainsi un déficit culturel aussi dangereux, pour l’avenir de l’humanité, que le réchauffement climatique. Alors, est-il utopique de faire face à la régression économique et culturelle ?

Puisque la course concurrentielle au gain de productivité appauvrit le capital naturel, il faut de toute urgence l’interrompre. Puisque la ponction des intérêts impose un désendettement concurrentiel, il faut lui substituer un crédit payé d’un prix définitif à la livraison, comme n’importe quel autre service. Puisque la croissance est faite d’emprunts au capital naturel qui ne sont jamais restitués, il faut en finir avec elle. Puisque l’individualisme concurrentiel aggrave les inégalités et détruit le tissu social, il faut lui substituer la coopération et la solidarité. Puisque la ploutocratie s’est substituée à la « démocratie représentative », il faut disperser les empires financiers. Puisque la concurrence est devenue la motivation principale des formations politiques, il faut en finir avec le « régime des partis » ainsi que l’avait compris Charles de Gaulle ; mais en remplaçant l’élection du parlement par le tirage au sort. Puisqu’en raison de l’échec du remplacement de l’humain par la machine le management se venge en robotisant les individus, il faut imposer par la loi l’obligation de respecter l’autonomie et l’initiative des travailleurs. Le travail est une partie essentielle de l’existence. Il participe du développement de la personne. On n’a plus le droit d’en faire une torture, bien que telle soit l’étymologie de ce mot. Si ce « programme » est reçu comme étant « un brin utopique », la régression est inéluctable.

Propos recueillis par Marc Alpozzo