Réécouter l’émission de Lorène Majou sur le roman « Entre deux mondes » de Gilles Cosson
Catégorie : ACTU Gilles Cosson
Gilles Cosson, Entre deux mondes
C’est un roman d’époque où un grand journaliste, époux de journaliste, fait le bilan de sa vie plus ou moins ratée à l’occasion d’un accident de voiture. Il a bien réussi dans sa carrière, assez bien dans son couple, y a ajouté une maîtresse peu exigeante, mais il a eu deux enfants. Et c’est là le drame de l’époque : la transmission.
Sa femme Fanny et lui n’ont pas voulu d’enfant tout de suite pour privilégier leurs carrières. Ils ont eu Flore sur le tard sans avoir vraiment le temps de s’en occuper. Sa maîtresse Frédérique a voulu un enfant de lui en toute indépendance et elle a eu Martin, voulant le garder pour elle sans qu’il le reconnaisse, et il ne s’en est jamais senti le père. Évidemment, l’hypocrisie de l’égoïsme a fait qu’ils ont tu chacun aux enfants leur position. Mais vient l’adolescence… Période critique, où l’on se cherche, veut savoir d’où l’on vient et qui vous a fait, se révolte contre ce qui est. Évidemment, les parents de part et d’autre sont en-dessous de tout, murés dans leur égoïsme hédoniste issu de la « grande » libération de 68 où rien ne comptait plus que le moi je personnellement.
C’est donc le drame. Sans le savoir, les ados tombent amoureux l’un de l’autre, le 16 ans avec la 14 ans, Martin avec Flore. Car évidemment les deux parents ont tenu à ce qu’ils se connaissent, parlent de leurs trucs d’ados entre eux. Ils ont l’intention de « leur dire », mais ce n’est jamais le bon moment, ils tardent, ils laissent faire, ils sont englués dans le faux-semblant. Absolus comme le sont souvent les ados, Martin ne va pas l’accepter. Le père aura donc tout perdu : sa femme qui le quitte, sa fille qui lui en veut, sa maîtresse qui ne veut plus le voir, et le seul fils qu’il n’a pas su aimer.
Cette histoire de famille, un peu caricaturale, sert à illustrer un propos politique : rien ne va plus, la morale se perd, la religion ne soude plus la société. En bref, c’est la décadence de l’Occident sans Dieu et de l’individualiste hédoniste. Au fond, Poutine a raison, à cet Occident immoral et « pédophile » il leur faudrait une bonne guerre, et lui la leur sert toute cuite via l’Ukraine. L’auteur en appelle à un sursaut autoritaire, il rêve de la reprise en main de la France par un descendant de l’empereur, faute de Bourbons en état, une « reconquête » (le mot est cité nommément). Un propos à la Zemmour sur l’identité française contre la dilution dans l’immigration incontrôlée et l’islam conquérant qui grignote un poids politique croissant en profitant des faiblesses niaises des chrétiens qui adorent tendre l’autre joue.
Son Reverchov est un politicien plus sexy que Zemmour, plus rationnel et moins guignol, une sorte de libéral botté plus que confit en pétainisme xénophobe, mais le message est clair. Le roman est entrelardé de chapitres glosant sur la politique intérieure, la faiblesse des présidents « après le troisième successeur de De Gaulle », sur la géopolitique avec l’emprise des GAFAM (dont l’auteur oublie le M) et les manigances du KGB/FSB (dont l’auteur inverse les lettres en SFB). Il cite Lévi-Strauss (qu’il écrit Lévy…) et le Tibet (qu’il écrit Thibet, à la façon XIXe siècle). Il marche vers la Sainte-Baume mais n’est guère attiré par le christianisme, sinon par son empreinte culturelle historique. Où veut-il donc en venir ?
Le problème des romans moralisateurs est qu’ils sont non seulement contingents et passent rapidement avec les années, mais que la psychologie des personnages est réduite à la caricature afin de prouver une thèse. Son journaliste éditorialiste à la Philippe Tesson ne pense guère par lui-même, sans cesse à aller interroger l’un ou l’autre pour savoir ce qu’il doit croire ; sa musicienne jalouse de son indépendance n’est pas assez maternelle pour se désirer en mère célibataire. Si Flore est assez réaliste en 14 ans rebelle, elle parle cependant avec des termes de Normale Sup plus que du collège ; quant à Martin, en quête de père, il n’a pas su trouver un modèle masculin comme le font tous les garçons élevés par une mère seule. Afin de filer la métaphore poutinienne, son milieu artiste aurait pu lui faire rencontrer un Mentor qui l’aurait pris sous son aile, non sans quelque désir « pédophile » pour forcer le trait. Cela aurait souligné le propos moraliste.
L’auteur, Polytechnique, docteur ès Science économique, Master MIT, passé dans l’industrie puis au directoire de la banque Paribas, a été un fan des voyages sportifs à vocation spirituelle dans le Hoggar, en Laponie, autour de l’Annapurna, au Tibet central, dans le Pamir russe, le Zanskar, la Patagonie, le Yukon et l’Alaska, l’Islande… Il a suivi le Mouvement Européen avec Jean-François Poncet, Jean-Louis Bourlanges, Anne-Marie Idrac et Pierre Moscovici. Il a écrit dans Valeurs actuelles, le Figaro, le Nouvel économiste, et parlé à Radio Notre-Dame. Il semble chercher encore sa voie, une voie pour la France, et livre son message politique sous la forme d’un essai romancé. il a eu trois enfants que l’on espère épanouis et autonomes malgré le monde qu’il a bien contribué à créer en ses 86 ans d’existence.
Gilles Cosson, Entre deux mondes, 2023, Les éditions de Paris Max Chaleil, 123 pages, €15,00
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com
Gilles Cosson « Entre deux mondes » dans Wukali : « la rencontre individuelle autour de la résilience, celle de l’homme meurtri et celle de la société qui va trouver la solution pour surmonter ses problèmes »
Entre deux mondes de Gilles Cosson, attention à l’équilibre
Un journaliste politique, le meilleur dans sa profession, écouté, voire consulté par les hommes politiques, respecté par tous pour sa droiture, son honnêteté, sa vision de la société. Mais qui est-il vraiment ? Car c’est aussi un solitaire qui se ressource régulièrement dans de grandes randonnées à pied, le plus souvent seul, à la recherche de lui-même et de spiritualité. Il est marié avec la rédactrice en chef d’un grand magazine féminin et tout va bien dans son couple.
Mais un jour, il rencontre Frédérique, une talentueuse violoniste soliste, d’une grande beauté et d’une totale indépendance. Ils tombent amoureux et se met en place alors une liaison épisodique au rythme des voyages de la jeune femme. Mais nait de leur union, un garçon qui s’avère très vite être un excellent pianiste. De son union légitime nait aussi une fille. En grandissant, le jeune homme se montre attiré par toutes les théories d’extrême-gauche, essentiellement trotskistes, alors que la jeune fille penche vers le sociétal et la lutte écologiste. Elle est très douée indéniablement puisqu’à 14 ans c’est en lisant Paul Ricoeur que sa culture politique se forge !

En quelque sorte, une situation classique de l’homme à deux foyers, deux ménages. Mais Frédérique est assez intransigeante, elle ne veut pas que son fils connaisse son père, aussi le héros n’a que le statut d’un des amis de la violoniste. Mais on finit par dire aux deux enfants qu’ils ne sont pas si uniques qu’ils ne le croyaient ce qui va entraîner un drame irréparable. La narrateur va frôler la mort, mais, grâce à son meilleur ami, il arrivera à faire preuve de résilience.
Parmi les personnages secondaires se trouve le jeune Reverchov, rejeton de Russes blancs aux idées plutôt originales puisqu’il milite pour la restauration de l’empire (de l’empire pas de la royauté). Bien que sceptique, le narrateur l’aide à se faire élire député en Corse, et lui donne une couverture médiatique non négligeable. Et c’est là que le lecteur peut être quelque peu « dérangé » par les idées de Reverchov. En fait un anti-islamique plus que primaire qui ne connaît strictement rien à la culture musulmane si ce ne sont les lieux communs ne portant que sur la minuscule minorité wahhabite, assez proche des thèses des suprématistes, etc, en résumé un Zémour bonapartiste.
Ces idées ne sont-elles pas celles du narrateur, voire de l’auteur ? Il faut dire que l’auteur insiste, revient souvent sur le danger de l’Islam et le narrateur a cette phrase qui ne veut rien dire : « Raverchov fait un bon constat mais apporte de mauvaises solutions ». C’est dire qu’il est d’accord avec des faits, indéniables, mais sortis de leur contexte, pas mis en perspective et ne faisant l’objet d’aucune analyse intégrant la complexité des situations. Un vrai grand éditorialiste de presse écrite, à mon avis, éviterait ce genre d’attitude qui est devenu en revanche, la norme dans les « blogs » des réseaux sociaux ou dans les médias « politiques » qui ne cherchent pas à faire réfléchir les citoyens mais à les embrigader derrière leurs théories. Même s’il se dit en désaccord avec la solution (le rétablissement de l’empire) il n’aide pas moins le jeune homme dans sa carrière politique.
Un autre personnage interpelle aussi, un vieux sénateur de Dordogne, très Troisième république, plutôt très sympathique. Ainsi rencontre-t-il, par l’intermédiaire du narrateur, Raverchov pour mieux essayer de le comprendre. Soit, et c’est tout à fait normal. Mais à la fin, il commence à penser aux moyens de le récupérer, de le polir pour qu’il soit plus « présentable ». Je me trompe peut-être, mais je vois là, comment dire, une critique de la politique parlementaire dans laquelle les anciens pour garder leurs prébendes vont tout faire pour « récupérer » les jeunes et profiter de leur renom. Et eux, pour continuer, seront obligés de se modérer. La politique est donc une machine à broyer les idées et le parlementarisme ne fonctionne que comme ça.
Tout cela, bien sûr, n’est pas clairement dit, mais vu la structure de ce roman, je trouve (mais je peux me tromper), que c’est sa trame, enfin l’une des deux trames. Et si je vais encore plus loin, les deux trames peuvent se rejoindre : la rencontre individuelle autour de la résilience, celle de l’homme meurtri et celle de la société qui va trouver la solution pour surmonter ses problèmes souvent fantasmés et revenir à une sorte d’âge d’or encore plus fantasmé. Aux lecteurs de se faire une idée.
Entre deux mondes
Gilles Cosson
Les éditions de Paris. 14€
Illustration de l’entête. Photo Frickr