La condition de la femme au XVIIe siècle : entretien avec Claude Rodhain

La condition de la femme au XVIIe siècle : entretien avec Claude Rodhain

Le nouveau roman de Claude Rodhain se déroule au Grand Siècle, à la cour du Roi-Soleil. Au milieu des intrigues de la cour, il invente un personnage truculent en la personne de Louyse Buvard, qui est une femme moderne, émancipée, ambitieuse et très intelligente, et qui va se tailler une place de choix auprès du Roi. Ce fut l’occasion pour nous de revenir sur les débats de société concernant les femmes, notamment le mouvement #MeToo et tous les combats féministes qui inscrivent la femme dans ce nouveau siècle.

Marc Alpozzo : Cher Claude, L’ombre du Roi-Soleil est votre nouveau roman, paru aux éditions La Route de la Soie (2023), et c’est un livre parfaitement féministe, puisqu’il met à l’honneur une grande dame, placée dans l’ombre du Roi-Soleil, et lorsqu’on parle de l’ombre de ce grand roi, c’est peu dire tant sa stature pouvait impressionner, voire occulter les gens de son entourage. Pourtant, cette dame, Louyse Buvard, est une figure majeure de la cour du roi. C’est une femme qui s’est faite toute seule, sa mère est une empoisonneuse qui a connu le bûcher, alors que sa fille connaît les intrigues de la cour. Est-ce que votre héroïne est un personnage de fiction ? Quelles ont été vos sources d’inspiration et en quoi est-ce que cette figure peut être une inspiration pour les femmes modernes d’aujourd’hui ?

Claude Rodhain : Je pourrais, pour répondre à votre question sur les sources de mon inspiration, citer spontanément Julien Sorel, ce fils de charpentier – dénigré par son père et ses frères pour sa condition physique – devenu dans le roman de Stendhal – précepteur, clerc, puis secrétaire du marquis de la Mole, mais, au risque de vous surprendre, je me suis inspiré du parcours de  Charles,  le héros de mon précédent roman : « Le temps des orphelins », enfant abandonné au cours de la dernière  guerre, balloté d’orphelinats en familles d’accueil, de foyers en pensions, et devenu, à la force du poignet, ingénieur, avocat, professeur à HEC. À l’image de Louyse, orpheline après que sa mère est montée sur le bucher, Charles a bousculé son destin. Cent fois il est tombé, Cent fois il s’est relevé, fidèle à la parole de Confucius : « Notre plus grande gloire n’est pas de jamais tomber, mais de savoir nous relever chaque fois que nous tombons. » Charles est un modèle de la résilience et Louyse le pivot central de l’intrigue. Elle sert de prisme au regard anachronique féministe, quand les femmes étaient réduites à des rôles préconçus, sans voix, ni choix.

Vous nous proposez un roman historique. On est plongé en pleine période de Louis XIV, dit Dieudonné, qui rencontre Louyse Buvard (un personnage de fiction, donc), fille de Célestine Buvard, cette fameuse empoisonneuse. On est ainsi en plein Grand Siècle. Il est ébloui par sa beauté. Elle est la maîtresse de Nicolas Gabriel de la Reynie. Et c’est alors l’occasion pour vous de nous raconter la condition de la femme sous Louis XIV. Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce récit ?

Claude Rodhain : La beauté et la perspicacité de Louyse Buvard qui étonnent le Roi-Soleil. « Chère damoiselle votre première apparition à la cour est pour le roi un don du ciel. Corneille a dit un jour, « la beauté est une fleur fragile qui croit sans être semée. » « À vous voir madame, le poète était visionnaire. » J’aurais pu, pour étayer mon propos, me référer à Simone de Beauvoir – le Deuxième sexe – à Marguerite Duras ou Virginia Woolf— une chambre à soi — mais, au risque de vous surprendre à nouveau, je me suis inspiré de celle qui fût, et l’est encore de nos jours, la pionnière du féminisme en France : Olympe de Gouge. Qui pouvait mieux illustrer le parcours de Louyse que cette jeune révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle ? Née Marie Gouze, mariée contre sa volonté à l’âge de 17 ans, veuve l’année suivante, Olympe refuse de se remarier afin de rester libre de ses actes et de ses écrits. Cette jeune femme humaniste et révolutionnaire sera autrice de plus de 60 pamphlets mordants et de deux pièces de théâtre sulfureuses contre l’esclavagisme, notamment « Zamore et Mirza » ou encore « réflexions sur les hommes nègres ».

Libre, pétrie des idéaux des Lumières, Olympe ira jusqu’à rédiger un pastiche au féminin de la convention « des droits de l’homme et du citoyen » – « la convention des droits de la femme et de la citoyenne » – l’un des textes fondateurs du féminisme moderne – avec pour préambule : « femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits » et, pour article 1er : « la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. »

Opposée aux Montagnards et à leur chef, elle invectivera publiquement Robespierre : « la femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune… tu te dis auteur de la révolution, tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration… », ce qui lui vaudra de monter à l’échafaud et d’être guillotinée le 3 novembre 1793.  Le parallèle entre le parcours de Louyse et celui d’Olympe est saisissant. Toutes deux sont des femmes courageuses, opiniâtres et téméraires qui défendent, bec et ongles, la cause féminine et qui finiront, l’une et l’autre, sur l’échafaud pour avoir exprimé haut et fort leurs convictions. Olympe de Gouge est, et restera à jamais, le symbole de la défense du droit des femmes, de la reconnaissance du divorce, de l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort.

Votre héroïne est en terrain miné : elle évolue dans un monde d’intrigues, de mystères, de secrets d’alcôve, de coups bas, de superstition, et peut-être même de sorcellerie. Vous racontez aussi l’histoire d’une ascension phénoménale. Est-ce que ce personnage vous a été inspiré de personnes que vous avez connues et côtoyées dans votre carrière d’avocat ?

Claude Rodhain : Sous Louis XIV, la femme est perpétuellement enfant, ou considéré comme tel. Elle est mineure à vie. D’abord soumise à la tutelle du père, parfois du frère, plus tard du mari, elle est sous l’influence de ce que j’appellerais « la théorie phallocentrée ». La femme serait, selon certains auteurs : « une peine inéluctable, un mal nécessaire, le péril domestique. » Dans cet environnement violent la femme, mariée au gré des parentèles, n’a guère d’autre choix, pour se défaire du carcan phallocratique qui l’emprisonne, que le poison. D’où la psychose qui va s’installer durant près de 10 ans au cours desquels vont décéder d’illustres personnalités : le ministre, Hugues de Lionne, la duchesse d’Orléans, belle-sœur du roi, Mazarin… notamment. Seront soupçonnés Racine et le duc de Luxembourg.

Distillé à faible dose, le venin est indécelable et fait croire à une mort naturelle car la médecine n’est pas suffisamment avancée pour diagnostiquer la présence, ou non, de substances toxiques sur le corps d’un cadavre. J’ai longuement décrit dans un précédent roman « Le parfum des poisons » la psychose du poison sur la période s’étendant de 1676 à 1682. À la cour, où ordre et raison dominent, l’empoisonnement est considéré comme de la sorcellerie et un symptôme d’arriération. « La race, comme le sexe, ne doit pas être considérée comme une donnée biologique, mais comme une construction sociale discriminante pour contester l’égalité entre hommes et femmes », disait le roi. L’émancipation des femmes voulue un siècle plus tard par Olympe de Gouge est encore bien loin.

Vous mêlez dans votre récit à la fois la fiction et l’histoire. À travers plusieurs figures féminines, vous montrez, peut-être à la suite de Pierre Bourdieu, que le rôle des femmes à l’époque de Louis XIV était déjà fixé à l’avance. Est-ce une manière détournée de dire que la femme d’aujourd’hui n’est toujours pas émancipée du patriarcat ? Vous connaissez je pense les thèses du néoféminisme qui est parti en guerre contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la « domination masculine », notamment avec la masculinité toxique, l’emprise, le consentement, etc. Doit-on inscrire votre texte dans ce nouveau combat, ou dans le précédent, celui du féministe inauguré en France par Simone de Beauvoir et Antoinette Fouque ?

Claude Rodhain : Je crois que les autrices, telles Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme on le devient » – Françoise Giroud ou Gisèle Halimi, ont beaucoup compté dans l’émancipation du patriarcat. Le manifeste des 343 en 1971 pour le droit à l’avortement est un signe fort. Ce qu’on appelle le « néoféminisme » – philosophie qui soutient le concept d’une complémentarité entre homme et femmes, plutôt qu’une supériorité d’un sexe sur l’autre – n’est pas réellement nouveau. J’ai déjà parlé d’Olympe de Gouge au 18ème siècle, mais on pourrait remonter beaucoup plus loin, notamment aux préceptes de la Bible, Gen.2 « la femme est un partenaire égale à l’homme… Elle est sa contrepartie : une compagne et une amie qui le complète dans l’exercice de domination sur la terre. »

Dans la Lettre du pape Jean-Paul II aux femmes (1995e), le Saint-Père fait la promotion de ce qu’il appelle le « grand processus de libération de la femme ». Le mouvement » MeToo » a permis, lui aussi, de sensibiliser les consciences aux enjeux suscités par les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. De ce point de vue, ce mouvement a changé l’histoire et rendu le féminisme politiquement incontournable. C’est ainsi que de nombreuses lois récentes sont venues conforter le statut de la femme : « 2017, le délit d’entrave à l’IVG », » 2018, loi renforçant la loi contre les violences sexuelles et sexistes », « 2019, loi contre les violences au sein de la famille. » Mon récit s’inscrit dans ce combat

Je vois aussi, dans votre texte, un récit à contre-courant avec les modes d’aujourd’hui, puisque vous montrez bien que les rôles dans la société française, à la fois la société sous Louis XIV, mais aussi aujourd’hui, sont distribués à part égale, chacun campant le sien ; il est vrai que du temps du Roi-Soleil, la haute société, et notamment la politique, était essentiellement masculine, c’est moins vrai aujourd’hui, nous avions quelques semaines encore une Première ministre. Cependant, avec votre personnage principal, vous montrez qu’on trouve dans l’histoire, des femmes pour se frayer un passage au milieu de tous ces hommes, et surtout pour transgresser les principes et les règles des lieux de pouvoir. Louyse Buvard est intelligente, érudite, et elle joue de ses charmes, mais aussi de ses capacités à trouver des failles pour avancer ses pions et se faire une belle place dans ce monde encore très patriarcal. On a d’autres exemples de femmes, dans la littérature, de Madame de Lafayette, en passant par George Sand, ou encore plus proche de nous Colette, qui ont épousé les codes de cette société d’hommes afin de les subvertir et de se payer une bonne place au milieu de tous ces hommes. En réalité, votre héroïne est une insoumise. Pensez-vous que cela puisse exister encore, tant on a l’impression que la société aujourd’hui est pesante par ses normes morales et ses codes rigides ? Vous nous proposez un panorama de la condition de la femme au XVIIe siècle. En quoi est-elle bien différente de la condition de la femme au XXIe ?

Claude Rodhain : Oui, vous avez raison certaines femmes ont su par le passé se faire remarquer par leur intelligence et leur pugnacité, mais vous observerez que celles que vous citez, Madame de Lafayette et George Sand – née Amandine Aurore Lucile Dupin de Francueil – ne sont pas à proprement parler des femmes de basse souche. D’ailleurs bien d’autres femmes issues du milieu aristocratique, ont pu, et ont su, au cours des siècles, se frayer un chemin dans le dédale patriarcal des hommes. Je pense à Jeanne d’Albret, Marguerite de Valois, la marquise de Sévigné ou encore à Mme de Rambouillet et à Mme de Scudéry, féministe avant la lettre, qui déjà au XVIIe siècle, luttait pour l’égalité de la femme.

En réalité, peu de femmes de basse souche ont réussi, dans ces périodes reculées, à tirer leur épingle du jeu, hormis Olympe de Gouge dont j’ai parlé, Monique Wittig et peut-être Hélène de Cixous, née à Oran. Il me semble toutefois qu’il est plus aisé pour la femme d’aujourd’hui, fut-elle de condition modeste, d’accéder à de hautes fonctions. Vous avez cité Madame Elisabeth Borne 1ère ministre, fille d’une mère pharmacienne, mais on pourrait citer également madame Rachid Dati, née d’un père maçon. De nos jours, le statut de la femme n’est en rien comparable à sa condition sous Louis XIV. Nombreuses sont celles qui occupent aujourd’hui des postes clé dans des domaines aussi variés que le social – Marylise Léon à la CFDT – politique, madame Borne, Anne Hidalgo, Yaël Braun-Pivet, Rachida Dati… 39% de femmes siègent à l’assemblée nationale. C’est vrai aussi dans les médias, Léa Salamé, Anne-Claire Coudray, Hélène Resano et bien d’autres… Certes, tout n’est pas parfait, notamment en matière de parité de salaire, hommes-femmes, mais « L’ombre du Roi-Soleil » s’inscrit dans un monde intertemporel qui éclaire la condition des femmes à l’époque en miroir de notre époque contemporaine.

Propos recueillis par Marc Alpozzo
Philosophe et essayiste, auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres, 2014, et Galaxie Houellebecq et autres étoiles. Éloge de l’exercice littéraire, Éditions Ovadia (à paraître le 30 mars 2024). Contributeur à l’ouvrage collectif dirigé par Daniel Salvatore Schiffer, L’humain au centre du monde. Pour un humanisme des temps présents et à venir, Éditions du Cerf, (à paraître le 7 mars 2024).

« Le Jour où » de Claude Rodhain par Cendrine Genty sur Vivre FM

Cendrine Genty reçoit Claude Rodhain dans « Le jour où… ».

Le jour où Claude fait de sa mère, sa « mère imaginaire », son moteur de réussite, c’est ce qui va permettre à l’enfant qu’il est de se construire sa détermination. Celle lui permettant de pouvoir, un jour futur, dire à sa mère « Tu vois maman, je suis l’enfant que tu ne connais pas. Je suis l’enfant que tu aurais pu aimer. Je suis l’enfant que tu as abandonné. » 

Car à l’âge de deux ans, le petit garçon se retrouve à l’hospice publique. Nous sommes en 1941, en plein coeur de la seconde guerre mondiale, et pour Claude, c’est le début d’un chemin de vie où règnent les sévices, les brimades, les punitions. Où règnent l’absence d’amour, l’absence de présence. L’absence de bras, de tendresse. De réconfort

De foyers en foyers, jusqu’à la maison de correction à l’âge de 9 ans, Claude grandit avec une pensée qui le terrifie « s’il meurt, il finira crevé comme un chat crevé dans un caniveau avec personne pour venir chercher sa dépouille. 

Claude grandit. Plus que jamais déterminé à réussir pour, « un jour, faire danser sa maman dans ses bras ». 

Son ouverture à la vie, son ouverture aux autres, le mènent à vivre de très belles rencontre. Et de se construire une riche et passionnante vie professionnelle. 20 ans ingénieur. 20 ans avocat à la tête de son Cabinet spécialisé en propriété intellectuelle, Claude s’accomplit. Et s’épanouit dans l’écriture de romans et d’auto-fiction. Lui qui enfant, n’avait jamais connu la possibilité de lire des livres. 

A travers le récit de Claude, à travers le partage de son regard sur la vie, nous découvrons la puissance de chacun de nos choix. Comme lorsque tout petit encore, Claude, âgé d’à peine 10 ans s’évade de la maison de correction. Comme lorsqu’il ose dénoncer les mauvais traitements subis. Comme lorsqu’un beau jour, il découvre que sa mère est toujours en vie. Cette mère qu’il a tant imaginé. Tant rêvé. Tant fait danser dans ses rêves. A 50 ans, Claude peut la découvrir. Découvrir l’histoire de son abandon. 

Ou pas…

Des années plus tard, en direct dans « Le jour où… », Claude nous livre les coulisses de ses choix de vie. Le pourquoi, malgré un début de vie si difficile, il se sent profondément protégé par la vie. Aimé par elle aussi ! Lui qui l’aime tant. Et qui sait si bien la savourer 

Devenu papa il y a des années de cela, Claude en savoure chaque jour le bonheur. Et l’amour partagé 

« Le  jour où… » explore ces moments décisifs qui marquent nos vie. Subis ou choisis. Décidés ou inattendus. La vie extra-ordinaire de Claude nous plonge au coeur de ces instants précis qui redéfinissent nos destins. Et sculptent nos défis personnels… 

Claude Rodhain est l’auteur de 16 livres.

Son dernier livre actuellement en librairies : L’Ombre du Roi-Soleil aux Editions La Route de la Soie 

Saisons de culture a aimé « L’Ombre du Roi-Soleil » de Claude Rodhain

Par Etienne Ruhaud
Avocat honoraire, ancien ingénieur et écrivain, Claude Rodhain demeure essentiellement connu pour ses récits autobiographiques, parmi lesquels Le destin bousculé, publié en 1986. Également romancier, l’homme s’intéresse à l’Ancien Régime, et plus particulièrement aux petites gens, comme nous pouvons le constater à travers Fanquenouille (L’Harmattan, 2015), qui se déroule sous Louis XV. Ce nouveau livre se passe cette fois sous Louis XIV : Claude Rodhain y parle de la fameuse « affaire des poisons », déjà traitée dans Le parfum des poisons, paru trois ans plus tôt aux éditions City.
Une histoire qui commence (et qui finit) mal
Fille d’Ernestine, herboriste accusée d’empoisonnements, la jeune Louyse Buvard voit sa mère dénoncée par une voisine, puis torturée et enfin brûlée en place de Grève, en compagnie du père. Orpheline à quinze ans, Louyse quitte donc le village picard de Charonne pour Paris, où elle rencontre, suite à un malentendu, un certain Nicolas Gabriel de la Reynie, lieutenant des gardes, soit de la police, celui-là même ayant interrogé la mère. Méfiant, tout d’abord, puis conquis par les compétences de Louyse en matière de pharmacopée, séduit par ses beaux yeux, La Reynie tombe fou amoureux. Partageant désormais son lit, et donc sa vie, Louyse assiste aux terribles tortures infligées aux suspects. Marquée par un renforcement de l’absolutisme royal, la période est effectivement troublée : divers aristocrates conspirent contre le souverain, tentent de l’éliminer au moyen de potions, et donc font appel à Louyse, réputée pour ses talents. Soumis à la questions ordinaire puis extraordinaire, les inculpés passent rapidement aux aveux, avant d’être suppliciés. Présentée au souverain, Louyse devient vite la favorite, se trouve anoblie, jusqu’à son implication dans une ultime conjuration, liée au roi Charles II d’Angleterre. Enfermée au Châtelet, la désormais marquise de Tulle subit le même sort que Célestine.
Historique, érotique, féministe, fantastique ?
Roman d’inspiration historique, donc, L’ombre du Roi-Soleil met d’abord en scène une héroïne féminine, dont l’influence se fait sentir sur le plan politique ; entre autres lorsque Louis XIV résout de révoquer Fouquet, surintendant des finances et maître de Vaux-le-Vicomte, dont la splendeur inquiète, autant qu’elle irrite. De même, Louyse intervient pour améliorer la condition des esclaves. Enfin, la plupart des complots sont ourdis par des femmes, dans un univers traditionnellement dominé par la gent masculine. Pimenté par diverses scènes érotiques parfois intenses, notamment lorsque Louyse couche avec le lieutenant, le roman est en outre relativement violent. Claude Rodhain nous dépeint effectivement un Paris sale, marqué par une grande brutalité, dans les rapports humains, à commencer par l’usage de la géhenne, donc. Les rues sont envahies d’ordures, et les Français se battent. Tel est l’envers du fameux « siècle d’or ». Loin de louer un temps sans doute barbare, Claude Rodhain présente l’envers du décor. Inspiré par l’Histoire, l’avocat-auteur, tel qu’il se définit lui-même, fait un détour par le fantastique : Louyse et sa mère communiquent par-delà la mort, et Célestine guide sa fille, la conseille, à travers les épreuves.
Trop ambitieux ?
Varié, ambitieux, écrit dans un langage soutenu, le livre laisse toutefois une impression d’inachèvement, sinon de confusion. On se perd effectivement en intrigues secondaires, dont beaucoup demeurent irrésolues, et on finit par ne plus comprendre qui fait quoi, tant les personnages sont nombreux. La mort de Louyse est expédiée en quelques pages, mise en lien (assez maladroitement), avec la situation des protestants. Surtout, bien qu’il ne s’agisse pas d’un roman historique stricto sensu, de gros anachronismes sont à déplorer. Entre autres, lorsque le lieutenant de la Reynie cite Victor Hugo (1802-1885), ou lorsque certains concepts, évoquant directement le droit des femmes, sont plaqués sur un XVIIème siècle où la notion même de féminisme semble parfaitement inconnue, du moins dans sa forme moderne. Qui, à l’époque, parle de construction sociale, ou encore d’intégration sociopolitique (p. 15) ? D’autres éléments risquent de faire bondir les spécialistes. On est en droit de déplorer, aussi, quelques coquilles. Une relecture plus serrée, par un correcteur éditorial, se serait sans doute imposée. Soyons justes : les fautes ne sont pas si nombreuses, malgré tout.
Peut-être plus à l’aise dans le registre autobiographique, Claude Rodhain s’est construit SON XVIIème siècle. Non sans réserve, nous sommes prêts à le suivre dans ce voyage temporel. Notons qu’un certain travail sémantique a été réalisé, puisque l’auteur use de nombreux termes d’époque, dont certains nous paraissent aujourd’hui obscurs, oubliés. Enfin, et c’est une qualité, Claude Rodhain n’idéalise pas la période, souvent présentée de façon idyllique à travers films et récits. Nous ne saurions que l’en louer. Amoureux d’Histoire, parfois maladroit, l’écrivain se montre parfois extrêmement objectif, et réaliste, dans ses descriptions.
La Route de la Soie éditions 2023

Actualitté a adoré « L’Ombre du Roi-Soleil » de Claude Rodhain

Louyse Buvard, femme majeure à la cour de Louis XIV

L’Ombre du Roi-Soleil de Claude Rodhain, publié en septembre aux Éditions La Route de la soie, est ce que l’on appelle un roman historique. Cette classification bien commode pour les libraires ne nous sert guère présentement : il s’agit toujours d’écrire à partir du réel, de l’expérience. L’histoire de France est notre héritage, le roman historique est un moyen de ne jamais fixer l’histoire et de lui rendre son caractère toujours actuel. Par Margaux Catalayoud.

Ainsi donc, le romancier aguerri s’approprie avec son œuvre un épisode bien connu à la cour de Louis XIV et qui a concouru à la création de la chambre ardente ; mais il ne s’est pas agi, à la manière d’un roman policier, de résoudre cette affaire des poisons, l’auteur a plutôt mis l’accent sur le rôle majeur que les femmes ont joué dans le règne du Roi, créant alors le personnage fascinant de Louyse Buvard.

Une inconnue fictive devient marquise

En effet, la récente orpheline, Louyse Bouvard, qui vient de nulle part, s’est imposée à la cour, jusqu’à devenir marquise et plus encore… Les sombres péripéties qu’elle traverse sont le fruit d’un caractère extraordinaire dont l’audace est le pendant de l’atmosphère anxiogène.

Sa mère, empoisonneuse, a connu le bûcher et a laissé derrière elle une enfant dont on n’aura de cesse de conter la beauté et bientôt l’intelligence – de se frayer une voie dans un monde hostile où tout n’est que secret, suspicion, superstition. Les nobles trempent dans un trafic que le poison symbolise : qui assassine son mari, qui est jalouse de la nouvelle favorite du roi, qui voudrait se faire aimer, etc.

Ces manigances, aussi extravagantes semblent-elles, ne font aucun doute grâce à la précision historique de l’auteur. Tous les personnages principaux de l’affaire des poisons sont convoqués : la Bosse, la Voisine, la Vigouroux, Fontanges la Reynie, etc, l’auteur réussit avec beaucoup de délicatesse et de fluidité à rendre compte de l’épisode historique sans alourdir le récit.

Et la création, plutôt chiadée, du personnage féminin rend bien le romanesque d’une époque où l’on pouvait encore croire à la magie.

Un autre regard

Cette invention est, à proprement parler, l’œuvre de l’écrivain, c’est-à-dire qu’il joue grâce à Louyse, avec elle, à côté d’elle aussi. Le développement narratif la définit comme un être complexe et psychopompe ! De facto, les rapports mère/fille sont troublants car Louyse parle à feu sa mère aux moments cruciaux de sa montée au pouvoir.

Son ascension questionne d’ailleurs la trahison de son appartenance sociale. Comme Jeanne du Barry dans le film éponyme de Maïwenn, fille du peuple et maîtresse de Louis XIV, Louyse Bouvard nous laisse entrevoir un roi attentionné, à la mégalomanie intermittente, j’en veux pour preuve sa confession : « En privé, Louis se qualifie lui-même d’ignorant. A peine lui a-t-on appris à lire et à écrire et ce défaut de connaissance des choses communes de l’histoire, des continents, des fortunes du monde, des conduites et des usages, le fait souvent tomber dans les absurdités les plus grossières, mais il n’en a cure. Il préfère l’action à la connaissance et regarde le savoir avec dédain. »

En somme, L’ombre du Roi Soleil est un roman intelligent qui mêle fiction et histoire, jouant ainsi sur notre fantasme de la Cour et ses souterrains, révélant sans distance les rouages du pouvoir.

Thierry Gineste et Claude Rodhain sur « Est-il toujours possible de se remettre de ses blessures d’enfance ? »

Est-il toujours possible de se remettre de ses blessures d’enfance ?

Réécoutez l’émission en cliquant ICI

Benedicte Sillon, psychologue clinicienne et formatrice, elle est auteur de « Les blessures d’enfance – Les connaître, s’en remettre » (Mame, 2023)

Claude Rodhain, avocat honoraire, est l’auteur de plusieurs romans historiques, d’un thriller et d’une autobiographie. Son dernier roman est « L’ombre du Roi-Soleil » (La route de la soie Ed., 2023)

Dr Thierry Gineste, médecin spécialisé en psychiatrie et historien de la psychiatrie. Il est le co-fondateur de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse. Il est également l’auteur de nombreux travaux scientifiques portant sur la psychiatrie infanto-juvénile. Son dernier ouvrage est « Souviens-toi de moi dans les ténèbres » (Ed. L’Harmattan, 2023)