Jean-Marc Sylvestre accorde un entretien à Francis Coulon sur Atlantico

"Je suis pro-européen car l’Europe peut être un levier de notre réindustrialisation", estime Francis Coulon.

©EMMANUEL DUNAND / AFP

ATLANTICO BUSINESS

Après plus de trente ans passés chez Danone et LVMH, Francis Coulon, professeur dans de nombreuses écoles de commerce, s’est convaincu que la « philosophie utilitariste », chère aux fondateurs du courant libéral, permet aux entreprises non seulement de réussir à créer de la richesse, mais aussi de contribuer au bien commun.

Les vrais libéraux ne peuvent pas s’opposer au retour des grands projets européens pour sortir de la crise
entretien avec Jean-Marc Sylvestre

Francis Coulon a puisé, dans une expérience de plus de trente ans acquise dans deux des plus belles multinationales françaises, Danone et LVMH, la conviction qu’il fallait réveiller les travaux de Bentham, Stuart Mill ou Adam Smith, dans la mesure où ces auteurs libéraux ont explicité les recettes d’une création de richesse qui ne fait pas débat. Dans le monde entier, ce qui explique d’ailleurs que l’économie de marché, la mise en concurrence, est un modèle qui s’est imposé sur la planète toute entière, y compris dans les pays où l’organisation étatique n’est guère démocratique, comme la Chine ou la Russie, par exemple. Mais au-delà de ce constat évident, Francis Coulon est convaincu que la philosophie utilitariste, qui est à la base des idées libérales, se met ainsi au service du bien commun. Ce que beaucoup de politiques contestent parce qu’ils en sont restés à une culture de contradiction conflictuelle entre l’économie et le social.

Quand Antoine Riboud, le fondateur de Danone, essayait d’expliquer à ses pairs du CNPF, que l’entreprise ne peut fonctionner que sur un double projet : un projet économique et un projet social, il fut plutôt mal accueilli… et pourtant le succès de Danone lui a donné raison. Un demi-siècle plus tard, Francis Coulon vient nous expliquer que les sociétés développées ne sortiront de la crise dans laquelle elles sont plongées que si elles renouent avec cette philosophie utilitariste que la financiarisation a occultée. C’est sans doute le seul moyen de conjuguer les performances économiques dont nous avons besoin et les formes de la démocratie moderne.

Francis Coulon choisit là un exemple, celui de l’avenir de l’Union européenne. La semaine dernière, Emmanuel Macron a dit haut et fort ce que tout le monde soupçonne, à savoir que « l’Europe est mortelle », et pour éviter cette mort annoncée, on s’aperçoit que les hommes politiques sont assez démunis. Une solution, en revanche, que le président a esquissée : essayer de relancer des « grands projets industriels ». Mais si l’ambition peut paraître utopique à un moment de l’histoire où seule la notion de souveraineté suscite l’attention du plus grand nombre, on se trompe évidemment, car les industriels eux-mêmes ont intérêt à se retrouver ensemble pour affronter la concurrence mondiale et répondre aux grands défis de la technologie et de l’environnement. Francis Coulon est catégorique

Jean-Marc Sylvestre : Francis Coulon, sur quoi fondez-vous aussi catégoriquement cette conviction qu il nous faut revenir aux grands projets industriels ?

Francis Coulon : Ça y est ! Nous sommes en plein dans la révolution industrielle de l’intelligence. L’économie en 2035 sera profondément différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, et nous allons assister au franchissement d’une « frontière technologique », c’est-à-dire que nous allons voir la naissance de technologies de rupture inconnues aujourd’hui. La caractéristique de cette nouvelle économie est double : elle est « smart », s’appuyant sur le digital, la robotique et l’IA, et elle est « green » en étant partie prenante de la transition énergétique et écologique.

Ce mouvement, que l’on peut qualifier de « croissance verte », une phase de verdissement reposant sur une forte innovation, permettra l’émergence des produits de demain qui seront intelligents, sobres, décarbonés et préserveront nos ressources. Cette transformation demande de changer le modèle de management des entreprises dans un timing très serré. Passer à 100% de voitures électriques en 2035 nécessite de modifier les priorités stratégiques, les investissements, l’organisation et le financement des entreprises.

En quoi ces mutations obligent-elles les entreprises à croître toujours davantage ?

Cette transition demande une haute intensité capitalistique en termes de recherche, de développement, de création de sites industriels verts et ne peut être rentabilisée qu’en adressant le marché mondial. La taille est un élément clé dans ces technologies où la compétition est féroce, à l’image du marché des panneaux photovoltaïques, submergé par la Chine à travers un processus de dumping. Cette évolution va toucher de nombreux domaines : la micro-électronique et les technologies de l’information, les batteries, les énergies vertes, les transports, le bâtiment, les biotechnologies, puis au final l’ensemble de l’économie.

Cessons de croire que la France peut se battre seule dans un contexte aussi compétitif. Bien sûr, la France a des atouts, en particulier des champions mondiaux : Stellantis, Renault, Airbus, Safran, Total, Air Liquide, et des entreprises de haute technologie. Mais jouer européen c’est profiter d’un camp de base élargi à 16% du PIB mondial versus 3% pour la France seule. L’industrie de demain sera différente, plus collaborative, avec plus de mutualisation entre entreprises. Les nouvelles usines seront souvent des « giga-factories » plurinationales, telles que l’usine de fabrication de batteries ACC de Douai, une co-entreprise associant deux Français (Stellantis et Total Énergies) et un Allemand (Mercedes). Il y a aussi le domaine de la défense où il serait judicieux d’acheter des avions européens plutôt qu’américains et pour cela des projets européens seraient une bonne incitation.

Nous ne réussirons pas la réindustrialisation de la France en réintroduisant les activités d’hier, ni par des pratiques protectionnistes comme le rêvent les souverainistes, et notamment le Rassemblement National. Cette hypothèse est mortifère et reléguerait la France à une place de deuxième division à l’issue d’une politique keynésienne encourageant la dépense plus que l’investissement, allant donc à l’inverse de notre réarmement économique.

Ce redéploiement industriel nécessite des actions de grande ampleur qui seront plus efficaces menées collectivement à trois niveaux : approvisionnement en matières premières spécifiques dont l’offre sera inférieure à la demande dès 2030, maîtrise des technologies et financement. Il existe au niveau européen un programme PIIEC qui soutient les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun, ce qui est une véritable avancée, même si l’on peut souhaiter aller plus vite et plus fort.

Les entreprises d’un côté, les autorités européennes de l’autre ? Quel peut être le rôle de l’État français dans cette configuration ?

L’État français peut être utile en dépassant son rôle de régulateur pour se convertir en facilitateur (comme le font les USA et la Chine). Il doit soutenir les projets de croissance verte, à l’instar de son co-financement de la création d’une giga-usine de panneaux photovoltaïques à Fos-sur-Mer par CARBON, société lyonnaise. Mais les besoins de financement de tels projets sont énormes et il est clair que la proposition de « l’union des marchés de capitaux européens » permettra d’élargir l’offre de financement. L’Europe dégage chaque année 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire qui pourraient être utilisés pour promouvoir de grands projets stratégiques. Cela prendra du temps, nécessitera de converger, mais je crois que notre avenir demeure européen. C’est aussi au niveau communautaire qu’il peut y avoir des négociations avec la Chine et les pays émergents pour stopper les pratiques de dumping. Ce sera difficile, mais la France seule ne serait pas capable d’y arriver.

Je suis pro-européen car l’Europe peut être un levier de notre réindustrialisation. Concentrons-nous sur la croissance verte, mettons en œuvre des projets européens, utilisons la force de la finance européenne s’appuyant sur l’union monétaire dont on peut fêter le 25ème anniversaire. Back to the race !

Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva

Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva

Choc est inspiré de la vie d’un mercenaire français. Elle pourrait être au monde du mercenariat ce que Le bureau des légendes est à celui du Renseignement. Dana Ziyasheva y traite de la possibilité du mal en l’homme. Jusqu’où ?… Comment ?…  Avec qui ? … Et pourquoi ? … Déroutant !

Choc s’inspire d’une véritable histoire. Celle de François Lefebvre, 28 ans lorsqu’il se suicide après une cavale aux quatre coins du monde ; il fut un talentueux latiniste doublé d’un fervent catholique avant d’être élève officier des commandos d’élite de la DGSE, puis mercenaire dans les zones grises post-guerre froide, et enfin mis en examen pour « homicide et cannibalisme. » Mais qui était réellement François Lefebvre ?

Du roman à l’enquête 

Ce livre n’est pas seulement un roman. Plutôt une enquête nécessitant mille attentions. Le texte est saturé d’informations relatives à un monumental travail de recherches autour d’un homme dont on s’attend à ce qu’il soit un véritable psychopathe ; tant s’en faut, François Lefebvre est certes addict à la dopamine soldatesque, il n’en est pour autant pas le monstre que l’on imagine avant de découvrir sa vie qui – comme celle de tout un chacun – relève d’un point de bascule, c’est à dire d’un instant à partir duquel les choses seront différentes, sans possibilité de retour en arrière. Voilà précisément autour de quoi s’arcboute le travail de Dana Ziyasheva, lorsque la machine se met en branle pour changer notre destin à tout jamais.

Notre héros essayera de retrouver les chemins ordinaires. Sans succès. La réalité de la guerre… du combat… de l’attaque… couplée à l’inexorable montée de la violence, cette vérité-là prendra définitivement le pas sur toutes les autres, fascinante dans ce qu’elle offre de plus sombre. On pense aux soldats revenus du Vietnam ou d’Afghanistan et à leur empêchement d’oublier les nombreuses situations de guerre auxquelles ils furent confrontés. Ce qui s’est joué là-bas ne les a plus lâchés. Jamais. A commencer par les circonstances floues de certaines opérations, maintenues dans le secret des haut-commandements et de la politique.

La part des choses

Choc opère la jonction entre deux types de récits rarement accolés : d’une part, la fiction de guerre post-traumatique, dont la littérature et le cinéma américain nous abreuvent d’exemples ; de l’autre, le polar noir, guidé par quelques formes contemporaines de la fatalité que sont les déterminants inattendus, ce que l’on appelle « le facteur humain ». Ces éléments quasi mythologiques rapportent ici le paysage d’une masculinité en berne où les pères font défaut… où les frères s’égarent… et où les fils, tel François, errent seuls, essayant en vain de « faire famille » avec un entourage délétère. Reste alors la désillusion nourricière d’une des drogues les plus additives : l’adrénaline guerrière.

Après le point de bascule évoqué plus-avant, le second axe du livre révèle l’incapacité au retour dans la vie civile. Les hommes rentrés du front éprouvent souvent moult difficultés à reprendre pied dans leur « monde d’hier ». Les divorces se multiplient… Les abandons de famille… Le retour au travail est compliqué… Alors certains reprennent le chemin de la guerre : les uns leur place dans l’armée régulière, là où d’autres deviennent mercenaires. Dana Ziyasheva réussit à faire l’indispensable part des choses entre débauche et morale… entre dépravation et rachat spirituel… entre obscénité et décence…  Une narration prenante, terrifiante, surtout lorsque l’on sait que les horreurs (d’)écrites sont bel et bien réelles.

Véritable choc !

L’engagement absolu de François Lefebvre fascine. La force du récit amène le lecteur à vouloir comprendre l’impardonnable ; manière d’appréhender l’indicible en meublant l’espace vide de ce qui d’ordinaire est effacé des discours officiels. Car les livres doivent aussi – et peut-être surtout – être la recherche d’un format d’expression de ce qui ne peut se formuler oralement : le travail de l’auteur est de lutter contre les obstacles à dire l’impossibilité du réel lorsqu’il n’est pas concevable. Raconter demande un effort à tout le moins honnête. Dana Ziyasheva participe à l’exercice de cette honnêteté.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Avril 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

Choc, un livre de Dana Ziyasheva – 502 pages – 13,70€

L’écrivain Alexandre Arditti évoque par la fiction « L’assassinat de Mark Zuckerberg » prétexte pour parler du monde d’après

L’assassinat de Mark Zuckerberg, l’émergence d’un nouveau monde

Alexandre Arditti est un curieux personnage. Journaliste et éditeur de presse dans les loisirs et le voyage, il publie ces jours-ci son second roman, un polar moderne, qui récupère les méthodes du genre pour les subvertir et donné une critique sociale sans concession sur notre monde moderne ainsi que sur l’héritage des figures dont notre époque s’inspire largement. Rencontre.

NEW YORK, USA, 25. MAY 2020: Mark Zuckerberg silhouette, Facebook tittle on blue display in background.

Votre précédent roman, La conversation, parlait de la perte des illusions, du temps qui passe, de la transmission mais aussi du confinement durant la pandémie de 2020, et des dangers des nouvelles technologies. Celui-ci, L’assassinat de Mark Zuckerberg, commence par le meurtre de Mark Zuckerberg « d’une balle dans la tête ». C’est osé, non ?

Alexandre Arditti : En effet, je reconnais que le titre est pour le moins surprenant. Disons que cet assassinat fictif et très médiatique est le point de départ retentissant d’une histoire un peu folle autour de la société du tout-numérique et de ses dérives. L’émergence d’un nouveau monde qui vient nous interroger, parfois au risque d’ébranler nos certitudes. Sommes-nous aussi libres que nous le pensons ? Avons-nous encore la possibilité de nous opposer à cette évolution ? La course au progrès technologique doit-elle prendre le pas sur nos principes démocratiques ? Comment vivre dans ce monde ultra connecté et de plus en plus déshumanisé ? Mark Zuckerberg n’est ici qu’un symbole : ce n’est pas à proprement parler un personnage actif du roman.

Marc Alpozzo et Alexandre Arditti

Votre roman commence comme un roman policier : « La mort, c’est un peu mon métier. Je suis dans la police depuis l’âge de vingt-cinq ans […] ». Selon, la quatrième de couverture, c’est un thriller. Si, pourtant, les meurtres de personnalités se succèdent, ce sont donc les patrons d’Amazon, d’Apple, de Microsoft, et l’ex-président des États-Unis Donald Trump, Angela Merkel sans compter des attentats contre d’anciens dirigeants comme Nicolas Sarkozy, François Hollande, on en a presque une centaine. Votre roman, à double fond, est en réalité une critique sociologique de notre époque. Et vous ne semblez pas très optimiste. Est-ce que je me trompe ?

Pour traiter ce sujet, j’ai utilisé la forme d’un faux polar, en mettant aux prises un terroriste quelque peu idéaliste et parfois immature, avec un commissaire de la brigade criminelle en fin de carrière, désabusé et revenu de tout. Franck Travis, le terroriste (un clin d’œil au personnage de Travis Bickle dans le film Taxi Driver de Martin Scorsese), est membre d’une organisation baptisée « Table Rase » dont l’objectif est de s’opposer par tous les moyens au transhumanisme, et à la mise en coupe réglée de nos libertés individuelles au profit d’une société post-numérique où le progrès technologique imposerait un contrôle de plus en plus resserré de nos existences.

Cette organisation terroriste implantée dans plusieurs pays occidentaux a décidé de faire parler d’elle en s’en prenant à des personnalités iconiques du monde des affaires et de la politique. Il s’agit d’un huis clos un peu étouffant – où l’atmosphère peut rappeler le film Garde à vue de Claude Miller -, durant lequel les deux personnages échangent leurs différents points de vue et leurs arguments dans le cadre d’un interrogatoire de police qui durera toute une nuit. La forme et le fond de l’intrigue amènent forcément à noircir un peu le trait, mais les personnages évoquent aussi à tour de rôle leurs raisons d’espérer dans l’homme et notre modèle de société, si imparfait soit-il. Dans cette histoire, tout n’est pas tout noir ou tout blanc, on évolue plutôt entre différentes nuances de gris : comme dans la vie !

Vous abordez également le contrôle de la pensée d’une population, le flot continu d’informations soit publicitaires et indigentes, le capitalisme sauvage. Vous abordez des thèmes très actuels, et qui présentent les dangers de demain, notamment avec l’endoctrinement par le réseau, la polarisation des opinions, et notamment cette société de plus en plus matérialiste. Quelles sont les vrais enjeux de notre société que vous mettez en lumière ? Quels problèmes y voyez-vous ?

Je ne suis certainement pas anticapitaliste mais je crois que nous sommes tous amenés à nous poser ces questions. Nous sommes aujourd’hui continuellement soumis à une pression médiatique et publicitaire dont les réseaux sociaux sont la forme la plus déstabilisante. Car il faut bien nous l’avouer, même si l’on peut être critique avec cette nouvelle forme d’expression et de communication, nous en sommes aussi les parties prenantes. Ces questions ne concernent pas uniquement les jeunes générations. Nous sommes tous de près ou de loin – et de gré ou de force -, des utilisateurs de technologies numériques. Nous pouvons à la fois être dans le système et en dehors.

Quant aux réseaux sociaux, c’est l’idée que développe Travis dans le livre en les assimilant à un nouveau Big Brother, qui nous surveillerait certes, mais qui serait avant tout un businessman ! Car ne nous trompons pas : les grandes multinationales du numérique et autres Gafam sont avant tout là pour faire de l’argent. Finalement, c’est un simple business, même s’il touche de fait à l’organisation de nos sociétés et à nos vies intimes. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une réalité.

Vous abordez aussi les questions du transhumanisme et du wokisme. Votre enquête policière n’est pas qu’une simple enquête comme on les connait généralement, c’est aussi un questionnement de l’idéologie moderne, qui veut en finir avec l’ancien monde, et balayer tout ce que l’on a connu, et qui se dérobe aux nouvelles morales de la censure. On nous oblige à tous penser la même chose, et si l’on refuse, on est accusé de délit d’opinion. Quelle est donc la vraie question à terme ?

À l’origine de ce roman, je me suis un jour posé une question simple : « Que se passerait-il si une partie, même minoritaire, de la population se mettait soudainement à refuser cette société du tout-numérique ? À contester ce nouveau monde où la surveillance généralisée deviendrait la norme, et par extension où la liberté d’expression, les opinions divergentes, et toute complexité dans le débat public auraient disparu.

Une société dans laquelle on réécrirait les livres lorsqu’ils ne conviendraient plus à l’idéologie de l’époque, mais aussi où les individus seraient traités différemment selon leur couleur, leur religion ou leur sexualité. Même si cela part d’une bonne intention, c’est l’exact opposé des valeurs humanistes et universalistes qui ont fondé nos démocraties depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le fait qu’il existe actuellement un tel antagonisme dans les positions des uns et des autres dans le débat public, que ce soit en France ou dans le monde entier, était un point de départ idéal pour imaginer un roman !

Peut-on dire que Facebook et Instagram ne sont pas en odeur de sainteté dans votre esprit ? Mais avez-vous des profils sur ces deux réseaux sociaux. Et pourquoi ?

L’une des citations en ouverture du livre que j’ai empruntée à Jean d’Ormesson est celle-ci : « Méfiez-vous de l’évidence, elle passe son temps à changer ». Je ne suis pas du tout un adversaire des réseaux sociaux que j’utilise largement, même si c’est uniquement dans un cadre professionnel. Mais il n’est pas inutile de les questionner, voire de les critiquer.

Cette histoire est une fiction, une parabole, presque une dystopie. Nous faisons tous partie de ce nouveau monde. Comme tout être humain, je suis pétri de contradictions. A travers ce roman, mon intention n’est pas de donner des réponses, mais simplement de poser des questions.

Propos recueillis par Marc Alpozzo

Auteur de Galaxie Houellebecq (et autres étoiles). Éloge de l’exercice littéraire, Éditions Ovadia, 2024 et co-auteur de L’humain au centre du monde. Pour un humanisme des temps présents et à venir, Les éditions du Cerf, 2024.

« Non à la victimisation des femmes » : Interview de Valérie Gans dans Eléments

Valérie Gans : « Non à la victimisation des femmes »

Valérie Gans : « Non à la victimisation des femmes »

Souhaitons la bienvenue à une nouvelle maison d’édition : Une Autre Voix. Sa fondatrice, Valérie Gans, journaliste, chroniqueuse, critique littéraire, romancière, a franchi le pas en créant à l’été 2023 sa propre enseigne. Une gageure, d’autant qu’elle n’a pas l’intention de verser dans le discours victimaire et le fémininement correct en vogue. Tout le contraire. #MeToo ? Pas elle ! Exaspérée par le climat de chasse à l’Homme, elle est bien décidée à faire entendre « une autre voix »…

ÉLÉMENTS : Que diable allez-vous dans cette galère de l’édition ? Vous étiez jusqu’ici une romancière comblée, publiée par Jean-Claude Lattès, et une critique au Figaro Madame. Tout allait bien pour vous dans le meilleur des mondes possibles. Or voilà que vous vous jetez à l’eau, dans la fosse aux requins. Pourquoi ? L’édition mainstream surferait-elle trop sur la vague féministe et ne laisserait-elle guère de place aux femmes qui ne se présentent pas avec un cahier de doléances et un acte d’accusation contre les hommes ?

VALERIE GANS. J’étais comblée mais je n’étais pas libre. Au fil des ans, certains mots devenaient proscrits, certains sujets étaient interdits… Un jour mon éditrice, qui était pourtant une grande dame de l’édition, m’a même dit que je devrais m’inventer une histoire victimaire pour susciter l’empathie. En un mot, m’inventer un personnage autre que celle que je suis, juste pour « plaire », et par capillarité, pour vendre. C’était le début de cette mouvance grotesque de la victimisation, qui satisfait l’appétit voyeur de notre société, ce que j’appelle l’« ère victimaire ». La langue allemande a un mot extraordinaire pour qualifier un phénomène semblable : Schadenfreude. On se réjouit du malheur des autres. On ne s’intéresse aux autres que parce qu’ils souffrent. L’ont bien compris ceux qui font de la souffrance, réelle ou inventée, instrumentalisée, un fond de commerce.

Alors oui, il m’a semblé important, et même nécessaire, de larguer les amarres, toutes les amarres, et de construire mon propre vaisseau. Je n’ai rien d’une victime, je n’ai rien contre les hommes, ni personnellement ni idéologiquement. Je suis une femme libre, désireuse de faire entendre la voix de millions de femmes libres qui ont des choses à dire elles aussi, et qu’on ne laisse pas s’exprimer parce qu’elles ne sont pas des victimes. Et la voix des hommes aussi.

ÉLÉMENTS : Sur votre site, vous vous présentez comme « femme », « blanche », « cis », « mère de famille ». Tous ces termes – « femme », « blanche », « cis », « mère de famille », a priori hétérosexuelle (encore qu’aujourd’hui tout soit possible) – comptent-ils autant pour vous ou y en a-t-il un auquel vous êtes plus attachée et qui sera le propre de votre maison d’édition ?

VALERIE GANS. Ils sont tous aussi importants ! Même si je trouve consternant pour ne pas dire discriminant et même raciste, d’avoir à se déterminer aujourd’hui par sa couleur de peau, son genre et son inclination sexuelle, il semble qu’il faille désormais constamment asséner les évidences. Alors oui, femme, blanche, cis, mère de famille, hétérosexuelle, je suis tout cela à la fois et le revendique fièrement. D’une banalité déconcertante, me direz-vous, et là encore pas du côté des victimes. Mais Une Autre Voix, dont la philosophie est de ne discriminer personne, accueille aussi volontiers des hommes blancs hétérosexuels avec des pénis… et, j’ose l’espérer, ce qui va avec !

ÉLÉMENTS : Pourquoi « Une Autre Voix » ? Vous vouliez que cette voix soit « autre » ? C’est quoi, c’est qui cette « autre » ? Un éloge de l’altérité (ce que dit l’étymologie) ? L’autre pour un homme, c’est une femme, et réciproquement. Cette autre voix témoignerait-elle en faveur de la différenciation sexuelle ?

VALERIE GANS. L’«autre » d’Une Autre Voix est l’altérité. Et je dirais même plus : l’altérité de l’altérité. Aujourd’hui, avec les dogmes du wokisme, la théorie critique de la race, la théorie du genre et le pompon, cette grande fumisterie intellectuelle qu’est la théorie intersectionnelle, l’altérité est à sens unique : celui de la victime, de la minorité.

La mission que se donne Une Autre Voix est de faire entendre toutes les voix, en particulier celles que l’on fait taire, et qui sont nombreuses. Plus nombreuses peut-être… Et la voix du bon sens. Qui témoigne, entre autres, de la différenciation sexuelle. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux.

ÉLÉMENTS : Comment vous situez-vous par rapport à #MeToo, à #BalanceTonPorc, au wokisme, à la cancel culture ? Et comment se situera votre maison d’édition ?

VALERIE GANS. #MeToo et #BalanceTonPorc sont abjects, le wokisme et la cancel culture sont des fourvoiements intellectuels, voire des manipulations totalitaires dont je n’arrive toujours pas à comprendre qu’ils soient aussi suivis. C’est à croire que le bon sens, la nuance, la réflexion, l’observation même ont complètement disparu de notre civilisation.

Soljenitsyne disait : « Pour faire le mal, l’homme doit d’abord croire qu’il fait le bien. » C’est exactement ce qui est en train de se passer avec #MeToo, #BalanceTonPorc, le wokisme et la cancel culture ! On stigmatise les uns et les autres en les répartissant en deux ensembles : celui des oppresseurs et celui des oppressés. On les incite à la haine. On embrase les masses avec un discours victimaire, afin qu’elles prennent parti du côté des « minorités opprimées ». Et on efface socialement toute personne qui oserait prôner un avis contraire. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, ça marche ! Pire : cela a tellement pénétré les mentalités que d’aucuns vous diront aujourd’hui : « Le wokisme ? On n’en parle plus, il y a un retour en arrière ! » alors qu’il n’a jamais été aussi présent. Simplement, tel un virus, il nous a infectés, et poursuit désormais ses dommages de l’intérieur.

C’est, pour reprendre l’expression géniale de Mathieu Bock-Côté, le totalitarisme sans le goulag.

Pas de ça chez Une Autre Voix !

ÉLÉMENTS : Que vous inspirent toutes ces « affaires », de Polanski à Depardieu, en passant par dix autres mâles blancs de plus de 50 ans ?

VALERIE GANS. Une chasse aux sorcières. Et une manne économique.

Je m’interroge sur deux points : pourquoi la cabale ne s’applique-t-elle qu’aux personnalités connues et « bankables », et pourquoi, comme vous le soulignez fort justement, ne parle-t-on que des mâles blancs de plus de 50 ans ? Serait-ce à dire qu’eux seuls sont des prédateurs ? Ou que, selon les principes du wokisme ambiant, eux seuls sont des prédateurs politiquement et médiatiquement fustigeables ?

Souvent, je pense à toutes ces gamines qui se font violer jour après jour et dont on ne parle pas. Parce que leur malheur, à elles, ne rapporte rien à personne. Ne sont-elles pas les premières victimes du grand cinéma #MeToo ?

ÉLÉMENTS : Disant cela, vous n’ignorez pas qu’on ne manquera pas de vous accuser de servir la « domination masculine », pour ne rien dire de la violence masculine. Que répondrez-vous ?

VALERIE GANS. Ce n’est pas servir la domination – ou la violence – masculine que de faire preuve de discernement. Certaines « affaires » sont réelles, brutales et tout à fait dramatiques… mais ce sont rarement celles qui font la Une des journaux. Ces crimes n’ont généralement pour écho que le silence assourdissant des néo-féministes.

ÉLÉMENTS : La « voix » du féminisme – et un féminisme agressif et belliqueux – a fini par recouvrer la voix des femmes. C’est une frustration pour vous que ces féministes aient le monopole du discours féminin et en viennent à parler en votre nom ? Pourquoi ne vous reconnaissez-vous pas dans ce discours ? Que lui reprochez-vous ?

VALERIE GANS. Plutôt que de défendre les femmes de manière positive, ce qui était au départ la raison d’être du féminisme, en leur ouvrant la voie de l’éducation, de l’égalité dans l’entreprise, en leur donnant le droit de vote, etc., le féminisme aujourd’hui ne se construit que contre les hommes. Nous sommes là encore dans cette optique binaire de bons et de méchants, de victimes et d’oppresseurs.

C’est simpliste. Et pour nous, les femmes, c’est dégradant. C’est faire insulte à notre intelligence et à notre liberté que de nous reléguer constamment au rang de victimes. Les harpies du féminisme, tout comme les pleurnicheuses, desservent notre cause en voulant la défendre. Mais veulent-elles seulement la défendre, ou n’est-ce qu’un prétexte facile pour conspuer des hommes qu’elles haïssent ?

Le féminisme aujourd’hui a triste mine, en ce sens qu’il détruit plus qu’il ne construit, et ne grandit pas celles qu’il prétend défendre.

ÉLÉMENTS : Vous annoncez la sortie d’un roman, La Question interdite. Quel en sera le sujet ?

VALERIE GANS. Il est déjà en vente sur le site d’Une Autre Voix !

Inspiré de faits réels, La Question interdite raconte l’histoire d’un homme accusé par une jeune fille. Avant même d’avoir été jugé, acculé par des campagnes de haine tant dans la presse que sur les réseaux sociaux, il perd tout. Y compris la vie.

Vingt ans après et contrairement à ce qui se passe actuellement, à l’heure où des femmes dénoncent des histoires passées et souvent juridiquement prescrites, l’héroïne, au lieu d’accuser l’homme, va tenter de le réhabiliter et de défendre sa mémoire.

Prenant le contrepied de #MeToo, interrogeant la présomption d’innocence et le fait de pouvoir remettre en cause – ou non – la parole des femmes et des jeunes filles, ce roman devait être publié par mon éditeur historique. Pour une raison que j’ignore encore à ce jour, celui-ci a pris peur et s’est désisté.

N’étant pas le seul auteur confronté à cette omerta, j’ai décidé d’être libre et de ne dépendre de personne. Et de faire bénéficier de mon expérience et de cette liberté à tous les écrivains ostracisés par le wokisme ambiant.

Une Autre Voix est la voie de cette liberté.

Pour aller sur le site d’Une Autre Voix : www.uneautrevoix.com

France inter reçoit Josiane Balasko racontant « Mon manège à moi » d’Edith Piaf

Josiane Balasko raconte « Mon manège à moi » par Edith Piaf : réécouter ICI

Elle prête sa voix au nouveau podcast de France Musique « Le journal intime d’Édith Piaf ». Au micro de Frédéric Pommier, Josiane Balasko évoque un classique du répertoire de la chanteuse : « Mon manège à moi », chanson qui lui rappelle instantanément son enfance. (Rediffusion de l’émission du 6/6/2023)

Avec
  • Josiane Balasko Comédienne, réalisatrice, metteur en scène et romancière

Pourquoi a-t-elle choisi cette chanson ? Qu’évoque-t-elle pour la comédienne ?

Josiane Balasko nous raconte également sa rencontre avec la chanteuse.