Francine Keiser et Alain Schmoll racontent leur reconversion professionnelle réussie sur Radio Notre Dame

Réécoutez l’émission : https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/13-06-2023/

Comment gagner le pari de la reconversion professionnelle ?

13.06.23

Francine KEISER, ancienne avocate, elle a fondé et créé « Francini_K », une marque de prêt à porter de luxe conçue au Luxembourg, produite en Europe.

Alain SCHMOLL, après avoir mené une carrière de dirigeant et de repreneur d’entreprises, il a créé un blog littéraire et publie des critiques sur Babelio sous le pseudonyme d’Archie. Il a écrit des ouvrages de fiction : « La trahison de Nathan Kaplan » est son quatrième roman.

Thierry DUBOIS, s’intéresse depuis plus de 30 ans à l’évolution de l’être humain depuis les origines ainsi que les découvertes sur le fonctionnement du cerveau. Coach de cadres et dirigeants depuis 20 ans, il développe sa compréhension de la réussite par son travail sur les talents qu’il utilise comme clé de succès dans ses accompagnements. Il a édité chez Eyrolles, en 2015, et réédité chez Gereso en 2022 « A la découverte de mes talents »

Entreprendre met à l’honneur Alain Schmoll : de dirigeant d’entreprise à écrivain auto-publié

Alain Schmoll, de dirigeant d’entreprise à écrivain auto-publié

On dit qu’aujourd’hui, excepté dans certaines niches, le livre se vend mal. On dit aussi que les romans à chaque rentrée littéraire, sont de plus en plus nombreux, excepté à la rentrée de l’automne 2022.

Les éditeurs, depuis le confinement, reçoivent des records exceptionnels de manuscrits sauvages envoyés par la poste. Pourtant, les mauvais chiffres de vente et la profusion de livres n’empêchent pas certains écrivains sur le tard, d’écrire passionnément des romans, et de les publier à compte d’auteur, après une vie professionnelle bien remplie, loin de la littérature et du petit cercle germano-pratin. C’est le cas d’Alain Schmoll, qui a déjà quatre livres autoédités à son actif, et qui bâtit, lentement mais sûrement, une œuvre dont il est à la fois l’auteur et l’éditeur. Rencontre avec cet écrivain en herbe, dans un monde éditorial nouveau, où des auteurs sans éditeurs parviennent tout de même à diffuser leurs livres grâce aux évolutions des techniques de l’impression et du livre numérique.

Marc Alpozzo : Votre place dans le monde des lettres est atypique, c’est le moins que l’on puisse dire. Vous avez d’abord mené une carrière de dirigeant et de repreneur d’entreprises, puis vous avez commencé à écrire sur le tard. Vous êtes l’auteur déjà de quatre romans, dont le dernier La trahison de Nathan Kaplan, est un roman que vous auto-publiez, comme les trois précédents. Par quel chemin êtes-vous arrivé à la littérature et à l’autoédition ?

Alain Schmoll : J’ai achevé mon premier roman quelques semaines avant mes soixante-dix ans, sur le tard, comme vous dites. Écrire des romans n’avait jamais fait partie de mes objectifs ni même de mes rêves. Ce sont les circonstances qui m’y ont amené. J’ai toujours aimé écrire et j’ai beaucoup écrit tout au long de ma carrière de dirigeant dans le BTP, un secteur dont vous conviendrez qu’il est très éloigné de la littérature. Mais écriture ne signifie pas forcément littérature. Quand vous managez une entreprise, vous devez partager vos projets et vos stratégies avec des collaborateurs, des clients, des partenaires, des financiers. Il faut les séduire, les faire adhérer, obtenir leur engagement. J’ai alors pour habitude d’écrire, en cherchant les mots les plus justes et les plus percutants, pour donner vie à ces projets, à ces stratégies. J’ai ainsi beaucoup écrit, avec quelque succès et toujours avec du plaisir… Revenons à la littérature. J’aime les romans, mais j’avais peu de temps pour en lire, seulement pendant les vacances. Afin de rattraper le temps perdu, je lisais alors trop et trop vite, sans donc en profiter pleinement. Pour y remédier, je me suis mis, après chaque roman, à en écrire la critique, puis à la publier sur un blog. J’y ai pris goût et je le fais sans discontinuer depuis huit ans, avec aujourd’hui plus de trois cents critiques à mon actif. Ce faisant, j’ai pu observer les bonnes pratiques et les moins bonnes dans l’écriture d’un roman. Un jour, j’ai eu envie d’essayer moi-même. C’est ainsi que je me suis mis à écrire mon premier roman, La tentation de la vague. Je précise qu’il a été édité de façon traditionnelle, à la différence des trois suivants, pour lesquels on peut parler d’autoédition, un mot que je n’aime pas trop. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

M. A. : Votre nouveau roman s’inspire d’un fait divers, qui a été publié en février 2021 dans l’hebdomadaire Marianne, par Laurent Valdiguié, et qui risque fort de rebondir dans l’actualité de 2023 quand l’enquête sera terminée. Or, précisément, cela porte sur des révélations sur les barbouzes de la DGSE et de la franc-maçonnerie et sur le projet d’assassinat d’une coach de Créteil. Pourquoi avez-vous choisi de vous inspirer d’un fait divers pour votre nouveau roman ?

A. S. : Les événements que j’imagine dans mes romans prennent tous place dans un quotidien contemporain ou récent. J’ai pris l’habitude de les mêler à de vrais événements de l’actualité. Dans La tentation de la vague, je m’étais inspiré des affrontements sur les ZAD, ainsi que des mésaventures d’un grand groupe laitier. Pour Les moyens de son ambition, j’avais été choqué de découvrir l’existence de réseaux mettant en relation des étudiantes désargentées et des hommes d’affaires d’âge mûr. Il y a quelques mois, je tombe sur ce fait divers incroyable, où le burlesque côtoie le tragique, ce qui est le propre même du romanesque. Une affaire où des pieds-nickelés se font arrêter par la police dans des conditions rocambolesques, déclarent qu’ils sont des agents de la DGSE et racontent une histoire improbable d’espion du Mossad. Les révélations qui s’en suivent dans la presse sont elles aussi sidérantes. J’ai eu l’envie immédiate d’en utiliser quelques épisodes, autour desquels j’écrirais ma propre fiction, qui deviendra La trahison de Nathan Kaplan.

M. A. : Vous êtes un auteur auto-publié. Or, vous savez que dans le milieu littéraire, c’est assez mal vu. Pourtant, vous assumez parfaitement ce choix. Avez-vous tapé toutefois à des portes de grandes maisons d’édition avant de vous lancer dans cette périlleuse entreprise ?

A. S. : Mon premier roman, La tentation de la vague, a été publié par un éditeur. Je dois dire que c’est gratifiant pour l’ego, c’est une forme de reconnaissance. C’est aussi l’entrée dans une zone de confort. L’éditeur s’occupe de tout, vous tient au courant avec déférence. En même temps, il y a comme une dépossession. Par exemple, ce n’est pas vous qui déterminez le prix de votre livre. Le mien a été fixé à 23 €. Absurde ! C’est le prix auquel sont vendus les romans des auteurs de grande notoriété. Aucune chance pour un néophyte d’en diffuser beaucoup à ce prix-là ! A l’égard des amis qui l’achètent pour vous faire plaisir, c’est même gênant. Évidemment, mon livre s’est très peu vendu, d’autant qu’il avait été publié sans communication. L’année suivante, j’ai à nouveau sollicité des éditeurs pour un deuxième roman, Les moyens de son ambition. C’était en avril 2020, en plein confinement Covid. Rappelez-vous, les gens aspergeaient les colis de désinfectant et les ouvraient avec des gants. Je croyais bien faire en adressant mon tapuscrit par mail. Un éditeur, l’un des plus grands, m’a répondu qu’il ne le lirait pas, parce qu’il restait attaché au manuscrit papier, et de toute façon, sa maison n’aurait pas d’activité tant que durerait le confinement… Passons, c’était juste une anecdote cocasse. Je n’ai rien contre les éditeurs. Ce sont des professionnels, ils ont des objectifs de rentabilité. Pas évident pour eux de les atteindre en publiant des auteurs pas ou peu connus. Même chose pour les libraires. Ce sont des commerçants, ils doivent vendre et leur intérêt est de privilégier dans leurs boutiques les ouvrages qui ont le plus de chance de faire du chiffre. Mais moi, écrivain néophyte, il faut bien que j’avance, même si la filière édition-librairie ne m’est pas favorable ! Alors je n’oublie pas que je suis au départ un entrepreneur. Pour reprendre le thème final de mon premier roman, La tentation de la vague, je ne me rebelle pas contre le système, j’adopte juste une solution innovante en décidant d’éditer moi-même mes romans. Tant pis si ça me fait mal voir par ceux qui cherchent à protéger des positions établies.

M. A. : Comment passe-t-on d’une vie de dirigeant accompli à celle d’un écrivain auto-publié ? J’imagine que votre lectorat est encore assez confidentiel ? Comment faites-vous pour toucher votre public ? Est-ce que vous proposez votre roman en plusieurs formats, papier, numérique, etc ? Quel est le quotidien d’un écrivain auto-publié ?

A. S. : J’ai la chance de voir aujourd’hui mon entreprise dirigée avec talent par mes deux fils, ce qui m’a permis de me replier peu à peu dans un rôle de président non exécutif, avec du temps pour l’écriture et l’édition de mes livres. J’avais d’abord choisi une plateforme d’autoédition proposant d’accompagner les auteurs tout au long du processus de confection du livre : son format, sa mise en page, sa couverture, sa communication de lancement. Aujourd’hui, je maîtrise seul toutes les étapes du processus, pour le livre broché comme pour le livre numérique, puisque mes romans paraissent dans les deux formats. Je travaille sur une plateforme Amazon, dont je manie moi-même les outils. Je m’assure juste la collaboration d’une graphiste pour la couverture et d’une attachée de presse. J’utilise aussi le système proposé par Amazon pour mettre en valeur mes livres sur son catalogue en ligne, une démarche marketing très ciblée, puisqu’elle s’adresse spécifiquement à des personnes qui cherchent à acheter des livres. J’ai une excellente attachée de presse, qui m’aide à être présent sur les réseaux sociaux et les blogs littéraires. Pour un auteur comme moi, il est toutefois difficile d’élargir son public, car il est malheureusement presque impossible d’avoir accès aux pages littéraires des grands médias. Mais je suis patient, persévérant, obstiné. Je prends beaucoup de plaisir à écrire et à éditer mes livres. Je vais donc continuer.

M. A. : Sur le plan économique, j’imagine que cela demande de se monter en auto-entrepreneur ? Est-ce que vous parvenez à rentrer dans vos frais ? La partie technique et administrative ne pèse-t-elle pas trop sur l’auteur que vous êtes ? Généralement on voit l’écrivain comme un homme qui écrit. On le voit moins en éditeur, commercial, etc ? Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui voudrait s’auto-publier ?  

A. S. : Voilà pourquoi je n’aime pas le mot autoédition, il ramène à celui d’autoentrepreneur, avec ses connotations d’amateurisme, de précarité, d’illégitimité. Oui, c’est un statut juridique qu’on peut adopter pour éditer ses livres, mais il y a d’autres possibilités. A chacun de voir selon sa situation personnelle. Il faut surtout être clair sur ses objectifs. Moi, j’écris des romans, des ouvrages destinés à apporter du divertissement, des sensations, des émotions, des surprises aux personnes qui les liront, et accessoirement à passer quelques messages. Puis, en tant que romancier qui édite ses propres ouvrages, je m’astreins à considérer le futur livre dans sa globalité, un « produit fini » à fabriquer à partir de feuilles de papier de format à déterminer, sur lesquelles sera imprimé un long texte affiné avec rigueur, à mettre en page harmonieusement, sans oublier des images de couverture, etc. Je devrai aussi en fixer le prix de vente, en prenant en compte à la fois les prix du marché et les coûts de production. Même raisonnement pour le livre numérique. Ça parait complexe, c’est assez passionnant. Maintenant, est-ce que je rentre dans mes frais ? Non, mais j’espère bien un jour y parvenir. Je considère que j’investis à long terme.

M. A. : Est-ce que votre statut d’auteur auto-publié a été bien reçu dans votre entourage ? Les gens ne vous reprochent-ils pas finalement de vous publier de manière illégitime ? Je me souviens d’une époque, bien révolue aujourd’hui, où l’on moquait les auto-publications, ou les écrivains édités à compte d’auteur, dans une maison d’édition aujourd’hui disparue qui s’appelait La Pensée Universelle. Ce qui représentait une belle arnaque, souvent.

A. S. : Dans les milieux littéraires, il est probable qu’on ignore mon existence et peut-être ne me jugerait-on pas digne d’en faire partie. Dans mon entourage, j’explique ma démarche et on semble la comprendre. J’explique aussi que mon système permet de proposer un roman de trois cents pages comme La trahison de Nathan Kaplan à moins de 12 €. S’il était publié par un éditeur, on le trouverait au double ou presque. Je présente la version numérique à moins de 4 €, les éditeurs proposent les leurs autour de 15 €. J’ai des lecteurs qui apprécient mes livres et qui les lisent systématiquement. Des amis sont contents de me signaler de bonnes critiques sur les réseaux sociaux et sur les blogs. Après la publication de quatre romans, je n’ai pas le sentiment qu’on me trouve illégitime. Je précise que mon système n’est pas ce que l’on appelle l’édition à compte d’auteur. Celle-ci est la pratique de maisons qui proposent d’éditer votre livre moyennant finances, à payer d’avance, avec parfois, dit-on, des résultats décevants ou inachevés. Ça peut en effet prêter à sourire. Encore que Proust lui-même ait publié Du côté de chez Swann à compte d’auteur.

M. A. : De plus en plus de gens écrivent, au point de submerger les éditeurs de manuscrits qu’ils ne parviennent même plus à lire. Amazon propose des publications en ligne dans son catalogue, avec des conseils techniques pour transformer son fichier en format e-pub. Vous utilisez vous-mêmes Amazon, dites-vous. Ne croyez-vous pas que ce soit un danger pour le livre à terme ? Cette profusion de titres ne met-elle pas en danger la pérennité du livre ? Est-ce que ce n’est pas un risque dans l’avenir, de ne trouver que des gens qui écrivent et trop peu qui lisent ?

A. S. : La plupart des gens qui écrivent lisent assidûment. En revanche, les lecteurs sont très peu nombreux à écrire. Il y aura donc toujours plus de lecteurs que d’écrivains. Mais c’est vrai que les éditeurs sont submergés par les manuscrits. Bien sûr qu’ils ne peuvent pas tous les publier ni même les lire. Les libraires se plaignent eux aussi de la surproduction de livres. On a donc un système éditeurs-libraires qui assume de ne pas pouvoir absorber tout ce qui s’écrit. Il fait un tri et élimine une partie de ceux qui écrivent. Mais ces derniers ont le droit de s’exprimer et c’est mieux de s’exprimer en écrivant un livre qu’en jetant des mots à l’emporte-pièce sur les réseaux sociaux. Il existe plusieurs plateformes d’autoédition, dont Amazon que j’utilise. Elles n’ont pas de stratégie éditoriale, mais elles bloquent les publications qui ne cadrent pas avec leurs règles éthiques et leur politique de qualité. Alors je ne vois pas le danger, surtout en ces temps de concentration financière dans l’édition. D’ailleurs, le système actuel de l’édition fait-il le maximum pour développer l’accès à la lecture ? Je trouve choquant que les éditeurs publient les e-books avec un discount moyen de 25 % sur le prix du livre broché, par exemple à 15 € au lieu de 20 €. C’est beaucoup trop cher. Car si un livre broché est coûteux à fabriquer et à acheminer, le coût de réalisation et de transmission d’un livre numérique est proche de zéro. Les versions numériques de mes romans sont en vente entre 3 et 4 €.

M. A. : Pour Roger Chartier, le texte électronique pourrait signer un repli définitif, car ce ne sont plus les lecteurs qui vont au livre mais le livre qui va aux lecteurs (avec le livre électronique, on peut désormais lire sans sortir de chez soi). Ne pensez-vous pas que cette liberté nouvelle que confère le texte électronique ne brouille néanmoins les rôles ? 

A. S. : Le livre évolue, la lecture poursuit son histoire. On peut voir la publication numérique comme un moyen d’introduire clandestinement dans les esprits des informations justes ou fausses, des idées bonnes ou mauvaises, des incitations à l’action pertinentes ou déplacées. C’est déjà le cas avec les blogs, les réseaux sociaux et la presse numérique. Les programmes politiques distribués sur les marchés disparaîtront au profit d’e-mails, avec les antivirus comme seuls filtres. L’invention de l’imprimerie avait probablement suscité le même genre de craintes.

M. A. : Quel est votre sentiment sur ce monde qui se profile, et dans lequel on trouvera peut-être bientôt une édition sans éditeurs, selon la formule d’André Schiffrin ?

A. S. : En matière de diffusion des savoirs et des idées, il est certain que l’éditeur et sa politique éditoriale sont essentiels. Le principe peut être mis à mal lorsque les actionnaires cherchent à imposer une autre politique éditoriale ou exigent des rentabilités maximalistes à court terme. C’est déjà largement le cas dans les médias. Pas sûr qu’il y ait menace pour le genre de romans que j’écris. Les critiques littéraires des blogs et des réseaux sociaux s’exprimeront et feront le tri. De toute façon, le risque de l’entreprise sans entrepreneur existe partout. Dans ma vie professionnelle, j’ai toujours privilégié la notion de développement dans la durée, qui exige d’arbitrer entre d’un côté l’évidente obligation de rentabilité, garante de l’indépendance, et de l’autre les ambitions qualitatives, sociales, sociétales, environnementales, citoyennes, dont l’entrepreneur idéaliste et optimiste que je suis estime qu’elles seront profitables à long terme.

Propos recueillis par Marc Alpozzo

Lettres capitales fait un grand entretien d’Alain Schmoll sur son inspiration littéraire

Interview. Alain Schmoll : Je revendique avoir imaginé en partie ce que je raconte dans « La trahison de Nathan Kaplan »

 

Comme le laisse bien l’entendre son titre, le roman d’Alain Schmoll La trahison de Nathan Kaplan (CIGAS, 2022) promet une action trépidante et un suspens à la mesure d’un promesse narrative construite avec aisance et une agilité bien marquées. Les personnages bien esquissés ne manquent pas de retenir l’attention du lecteur habitué à ce type de polars qui mélangent avec aisance des réalités du monde diplomatique, politique, de la sureté de L’Etat, de l’espionnage et de la concurrence ardue des affaires.

Avant même d’ouvrir votre roman, une chose retient notre attention sur le genre dont fait partie votre roman. Vous l’identifiez dès la première de couverture comme un livre « imaginé d’après un fait divers récent ». Plus loin, cette fois dans la Mise au point de la fin, vous parlez « d’articles publiés dans les magazines d’information ».  Compte tenu de ces détails, pourriez-vous nous dire comment avez-vous réussi comme auteur à passer de ces informations brutes, venant du quotidien, à la rédaction de ce roman dont vous ne niez pas l’existence d’une partie fictionnelle concernant l’intrigue, par exemple ?

Loin de le nier, je revendique avoir imaginé en partie ce que je raconte dans La trahison de Nathan Kaplan, qui est mon quatrième roman. Trouver l’inspiration dans un fait divers n’est pas une innovation. C’est un procédé courant auquel nos grands auteurs du XIXe siècle avaient eux-mêmes eu recours dans des romans célèbres. Ce qui varie d’un ouvrage à l’autre, c’est la ligne de frontière entre la fiction et la réalité. Vous avez le cas Truman Capote et son enquête minutieuse afin de reconstituer, dans De sang-froid, un fait divers criminel au plus près de la vérité. Parmi les romanciers actuels, vous avez Pierre Lemaitre, qui installe ses fictions dans des contextes de faits divers oubliés, un trafic de cercueil au lendemain de la Première Guerre mondiale, le scandale des piastres en Indochine à la fin des années quarante, les tempêtes de décembre 1999. L’affaire d’où je suis parti illustre parfaitement un propos de Barthes sur le sujet : « Voici un assassinat : s’il est politique, c’est une information, s’il ne l’est pas, c’est un fait divers ». Tout commence par l’arrestation rocambolesque en banlieue parisienne de deux individus, qui déclarent être des agents de la DGSE, le service secret français de renseignement ; ils auraient eu pour mission d’éliminer un agent du Mossad, le fameux service secret israélien. Alors, événement politique ? Après des révélations sidérantes dans la presse, il s’avère qu’il ne s’agit que d’un authentique fait divers, où se côtoient le sordide, le burlesque et le tragique, ce qui est le propre même du romanesque. J’ai eu aussitôt l’envie d’écrire une intrigue fictive autour des éléments factuels de cette affaire, tels qu’ils ont été révélés.

Qu’en est-il cette fois de vos personnages ? Comment sont-ils nés, selon quels critères dramatiques – des bons et des méchants, des durs et des fragiles, etc. –, pour qu’ils puissent incarner ce que l’on appelle dans le cinéma des « caractères », capables d’incarner des typologies humaines ?    

Tous mes personnages sont fictifs. L’ossature du fait divers réel, conservée dans le roman, reposait sur la rencontre de deux réseaux s’étant trouvé des intérêts mutuels et ayant pris l’habitude de contracter. D’un côté des commanditaires, de l’autre des exécuteurs. D’un côté des notables prêts à débourser des sommes importantes pour se débarrasser de personnes en travers de leur chemin, de l’autre des militaires subalternes affectés à un établissement de la DGSE, prêts à jouer les hommes de main moyennant finance. Pour mon intrigue, il me fallait un meneur dans chaque réseau, un personnage disposant de crédibilité, de charisme, capable de convaincre les autres de s’engager avec lui. C’est ainsi que j’ai créé Sylvain et Tiburce. En même temps, pour la vaste intrigue sentimentale que j’envisageais autour du fait divers, il me fallait un homme et une femme. Comme il avait été question d’un espion du Mossad, j’ai imaginé un personnage susceptible d’incarner une ambiguïté : Nathan Kaplan. Le personnage de Virginie est plus neutre, au début du roman en tout cas.

Passons, si vous le permettez, à l’intrigue de votre roman. Plusieurs lignes traversent son récit. Essayons de les analyser ensemble. La première est celle du monde des affaires, un milieu dur où la réussite se conjugue avec le courage, les compétences et le risque. Deux générations semble se retrouver face-à-face : celle des anciens patrons comme Michel Déclair (vous parle même d’une « époque Michel Déclair !), et celle de la nouvelle génération, de Virginie Déclair et de Nathan Kaplan. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet qui vous fournit de par sa nature un excellent matériau romanesque, n’est-ce pas ?

Pour élaborer l’intrigue et afficher Nathan Kaplan comme un homme lié à l’Etat d’Israël, il m’a fallu remonter à près de trente ans en arrière, à la décomposition de l’Union soviétique et à une émigration massive des Juifs russes en Israël, avec à la clé, un vaste programme de construction de logements. J’ai fait de Nathan Kaplan un jeune ingénieur ayant alors saisi l’opportunité de participer activement à ce programme. J’ai ensuite profité de ce que, depuis cette époque, certains professionnels du BTP ont considérablement évolué et intégré des technologies numériques de plus en plus complexes ; ils sont aujourd’hui des opérateurs internationaux maîtrisant la réalisation et l’exploitation d’unités industrielles sophistiquées, comme des infrastructures militaires. Nathan Kaplan avait habilement développé son activité en ce sens et cela l’éloignait de l’entreprise de ses débuts, dont le savoir-faire se trouvait menacé d’obsolescence.

Mais dans les affaires, il n’y a pas que les bons patrons. Il y a, par exemple, un François Gurnier qui est loin de suivre cette voie. Que veut dire ce modèle dont il est inutile de souligner le caractère antagonique, atypique même, à moins qu’il ne soit pas un cas isolé dans ce monde cruel ?

Il y a des profils dominateurs et péremptoires. Ces hommes ou ces femmes estiment que tout leur est dû, ne doutent jamais de rien, se croient tout permis. Leur aplomb confine à l’irresponsabilité. Il en existe dans tous les milieux sociaux et, pour répondre à votre question, aussi chez les patrons. Ils n’anticipent pas les aléas susceptibles de survenir et quand ils sont confrontés à des obstacles imprévus, ils cherchent à les franchir en force, en usant d’expédients dont ils n’évaluent pas les conséquences. Ils ont raison sur tout, ne mettent jamais en cause leur responsabilité, voient des complots partout et tout est toujours la faute des autres. Vous en connaissez certainement…

Et puis, il y a les affaires louches dans lesquelles trempent plusieurs de vos personnages, comme ceux du Club des Milles Feux. N’entrons pas trop en détails – laissons aux lecteurs le plaisir de faire leur connaissance. Une question, quand même pour savoir comment les situer dans l’échelle de la corruption ? Franchement, ils ont l’air un peu ignorant, voire idiot, vous ne trouvez pas ?

Le schéma est pourtant assez courant. A la tête du club de tir, il y a des hommes qui savent très bien ce qu’ils font et qui n’ont pas de scrupules. Ils excellent à manipuler des personnes qui rencontrent des difficultés et qui se laissent entraîner dans des aventures qu’elles auraient dû avoir la jugeote d’éviter. C’est aussi le cas des petits sous-offs de la DGSE. Il est vrai que la naïveté et la crédulité sont toujours étonnantes, surtout chez des gens d’apparence respectable et responsable. Regardez, dans l’actualité, combien ils sont à se laisser tenter par des propositions d’investissements mirifiques, qui sont autant d’escroqueries. La répétition des exemples malheureux pourrait servir de mises en garde ; mais non, ça marche toujours.

La nouvelle génération d’hommes d’affaire fait preuve de beaucoup plus d’ingéniosité et de volonté d’entreprendre. À quoi son dus à la fois leur succès et leurs défaites ? Prenons ici deux exemples : celui de Virginie et de Nathan.

Sur tous les marchés, dans tous les métiers, la roue tourne. À chaque génération émergent de jeunes entrepreneurs avec un regard neuf, un talent original, de l’ambition, de l’imagination. Ils exploitent des opportunités auxquelles leurs aînés n’avaient pas pensé, pratiquent un mode de management dans l’air de leur temps. Puis ils vieillissent, sont à leur tour dépassés par des plus jeunes. A la fin du roman, Nathan explique d’ailleurs que le cycle est en voie de s’achever pour lui. A quoi doit-il sa réussite professionnelle ? Sans entrer dans les considérations d’un traité de stratégie d’entreprise, on imagine sa détermination permanente à se tenir au plus près des attentes de ses parties prenantes, une préoccupation qu’il a fait passer avant sa vie privée ; c’est son problème, à lui de l’assumer. Virginie, pour sa part, se sent prisonnière d’une sorte de devoir moral, mais son métier ne l’intéresse pas ; logiquement, elle a du mal, mais elle tient le coup ; c’est une femme de sa génération, mais elle a du ressort. Enfin Sylvain se place plutôt dans la filiation d’un Rastignac ou d’un Bel-Ami, un modèle qui ne se démode pas ; ce qui le motive, ce sont les coups d’éclat rapides et l’argent facile ; ses succès lui tournent la tête et l’amènent à se lancer aveuglément dans des projets qui ne sont plus à sa portée.

L’intrigue policière prend une telle importance que nous aurions pu commencer notre discussion avec celle-ci, autant dans l’évolution de l’enquête que dans la pertinence avec laquelle vous construisez leurs portraits. Quels ont été les codes que vous avez suivis/inventés pour créer vos personnages ?

Pour le processus de l’enquête, j’ai repris les codes de la réalité. Les policiers partent de données brutes, qu’ils constatent et entendent : une tentative de meurtre, l’implication de la DGSE. La hiérarchie est alertée. L’affaire passe du niveau local à la Brigade Criminelle régionale, puis met aux prises les ministères de l’Intérieur et de la Défense. Mes personnages de policiers sont totalement fictifs. Le rôle principal est tenu par un officier de police trentenaire d’origine algérienne. Il a pour adjointe une séduisante jeune femme qui le fait un peu fantasmer, comme toutes les femmes qu’il croise, mais c’est un homme intelligent, droit, équilibré ; il est marié, père de famille et il mène son enquête avec sang-froid et lucidité.

En face des bons personnages – polar oblige – il y a les méchants : des commanditaires et des hommes de main. Ne disons rien de tout cela. Juste vous demander pourquoi les avoir choisis de manière un peu surprenante dans la DGSE, ce qui crée une double intrigue entres des hommes aux mentalités différentes et des services différents, Police et Armée.

Les événements déclencheurs de l’affaire se sont déroulés comme je les décris, avec l’implication de militaires de la DGSE. Vous avez raison, c’est surprenant, parce que la DGSE, c’est la Direction générale de la Sécurité extérieure et elle n’est pas censée intervenir sur le territoire national. Mais les faits sont têtus et c’est ce qui rend la vérité romanesque. L’instruction judiciaire de cette affaire est toujours en cours et il est probable qu’elle n’est pas facilitée par les divergences entre les façons de faire de la Police judiciaire et celles des services de renseignement de l’Armée.

Comme dans tout polar qui se respecte, le problème de l’amour est très présent. La manière dont naissent et évoluent ces relations laissent ressortit une dose importante d’humanisme de votre part. Il y a une gravité qui entoure vos personnages, dans leur désir de bonheur et dans leur confrontation aux traditions – je pense par exemple à Nathan. Alors, l’amour pour vous, penche-t-il plutôt vers le bonheur retrouvé ou plutôt vers la quête d’un bonheur impossible mais nécessaire ?

Les histoires d’amour impossible ont été le terreau de nombreux romans, qui montrent qu’en général elles se terminent mal. Alors amour et bonheur sont-ils compatibles ? Je pense que des opportunités d’amour heureux se présentent un jour ou l’autre. Il faut savoir en reconnaître une et la saisir au bon moment, à l’encontre éventuel d’obstacles, de principes ou de programmes élaborés d’avance. En énonçant cela, j’ai une pensée pour le héros de Yasmina Khadra, dans son magnifique roman Ce que le jour vaut à la nuit ; adolescent, il gâche le reste de sa vie en n’osant pas enfreindre une promesse qui n’avait pourtant pas lieu d’être. Dans mon roman, Nathan laisse passer les années et quand il se libère, il est peut-être trop tard. L’histoire que je raconte s’arrête là. La suite appartient aux lectrices et aux lecteurs ; ils imagineront ce qu’ils voudront.

Et, enfin, pensez-vous qu’il est impossible de réussir dans la vie sans trahir ceux qui nous sont proches, par obligation parfois, souvent sans le vouloir ? Qu’est-ce que la réussite pour vous et jusqu’où peut-elle exiger de celui qui la veut, qui la rêve à faire des compromis, des choix douloureux, égoïstes ? Est-ce que cela justifie la violence ?

Réussir sa vie, pour moi, c’est mener à bien des projets, dans différents domaines, familial, professionnel, culturel, sportif, etc, à condition qu’ils soient suffisamment ambitieux pour être difficiles à atteindre, mais pas trop pour être irréalistes. Bien sûr, il faut parfois adapter ces projets en cours de route, par pragmatisme, lucidité, honnêteté vis-à-vis des autres et de soi-même. Est-ce trahir ? Quand j’entends des gens se plaindre d’avoir été trahis – c’est un message qu’on entend souvent dans les sphères politiques –, je me dis : peut-être ne trahissons-nous que ceux qui comptent abusivement sur nous, ou qui se font des illusions sur nous. A nous de mettre les choses au point en temps utile pour que ce ne soit pas le cas.

Propos recueillis par Dan Burcea

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan (CIGAS, 2022), 300 pages.

« Enlevé et bien construit », le dernier roman d’Alain Schmoll « La trahison de Nathan Kaplan »

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan

C’était en 2020 à Créteil (Val-de-Marne) Marie-Hélène Dini, une coach d’entreprise, a échappé à une tentative d’assassinat de plusieurs barbouzes de la DGSE, qui ne les avait en rien mandatés pour cela. Ils agissaient dans les faits en milice privée pour arrondir leurs fins de mois et mettre un peu d’action dans leur vie terne. Vous pouvez écouter l’heure de la crème lorsque Jean défonce Richard tous les jours de 14h30 à 15h sur retélé (il faut bien rire un peu). Plus sérieusement, vous pouvez aussi le lire sur Capital.fr.

Alain Schmoll, repreneur d’entreprises, s’est lancé dans l’écriture et choisit ce fait divers pour imaginer un roman policier. Tous les personnages sont sortis de son imagination et pas du fait ci-dessus, mais c’est une belle histoire. L’intrigue encore jamais vue à ma connaissance est bien découpée en scènes qui alternent les années et hachent le temps pour composer une trame assez haletante.

Nathan Kaplan est juif, comme son nom l’indique, et il est pris dans les rets de sa culture et de ses traditions. Ce pourquoi, malgré son intelligence et sa capacité d’affection, il va trahir celle qu’il aime et qui l’aime, chacun étant pour l’autre la femme et l’homme « de sa vie » comme on dit.

Il est sorti de Polytechnique et est embauché dans une entreprise du bâtiment qui prend son essor à l’international. Doué et avec un carnet d’adresses fourni au Moyen-Orient, Nathan développe la société. La fille unique du patron, que son père veut voir reprendre l’entreprise sans qu’elle en ait le goût, tombe amoureuse de lui et ils baisent à satiété. Mais, au bout de sept ans (chiffre biblique symbolique) lorsqu’elle lui propose le mariage, il élude. Sa mère veut qu’il épouse une Juive pour faire naître de petits Juifs car « l’identité » ne se transmet que par la mère dans cette culture archaïque qui ne savait rien de l’ADN et dont la seule « preuve » était l’accouchement. Attaché à sa mère, puis à sa culture, Nathan s’éloigne : c’est sa « trahison ».

Dès lors, rien ne sera plus comme avant. Il se met à son compte et réussit dans un domaine parallèle, ce qui incitera un milliardaire américain à lui racheter pour un montant sans égal. Parallèlement, la société qu’il a quittée périclite lentement, le père disparu, les ingénieurs planplan, le commercial Sylvain Moreno plus frimeur qu’efficace. La fille renoue avec Nathan, désormais libre car divorcé de sa femme rigoureusement juive et de sa société cédée. Il consent à reprendre le flambeau du commercial, évinçant par son aura celui qui est dans la boite comme dans le lit de la fille.

Il imaginera donc de faire éliminer ce concurrent gênant en faisant croire qu’il est « un espion du Mossad (le service secret Action israélien) qui prépare un attentat pour faire accuser les islamistes ». Il s’arrangera donc avec une connaissance qui tient un club de tir privé dans une forêt discrète d’Île-de-France et qui met en relation des gens hauts placés avec qui peut les servir. Patrick Lhermit, le propriétaire de ce Club des Mille Feux, met donc en contact Sylvain Morino et Jean-Marc Démesseau, un instructeur DGSE qui se fait appeler Tiburce dans la meilleure tradition de pseudos des espions. Lequel Tiburce, qui se dit commandant alors qu’il n’est que juteux chef, engage comme comparse un jeune arabe de banlieue (donc hostile aux Juifs sionistes) fasciné par les armes (donc apte à l’action de menaces) et qui rêve d’intégrer la DGSE.

Nul ne sait pourquoi les deux hommes « planquent » toute une nuit devant le domicile de Kaplan sans savoir s’il est là ou non, au prétexte qu’il sort en vélo tous les matins. Pourquoi ne pas être venus au matin ? Ils veulent lui foncer dessus en Land Rover à pare-buffle pour faire croire à un accident. Mais, à rester pour rien la nuit durant, ils ne manquent pas de se faire repérer par un quidam qui passe pour faire pisser son clebs et les trouve suspect dans ce quartier cossu où tout ce qui est étrange se repère. Fatale erreur !

Le lieutenant Mehdi Mokhdane enquête, jusqu’à Cercottes, le centre d’entraînement du service Action de la DGSE. Il mettra vite hors de cause l’institution militaire mais pointera combien le menu fretin des soldats de maintenance et de garde, qui se nomment entre eux « les manants », est frustré de ne pas être reconnu tandis que les aristos de l’action ont tous les honneurs. D’où la tentation d’agir par soi-même et hors des clous.

C’est enlevé, bien construit, apprend beaucoup sur le monde interlope et sans pitié des affaires internationales – en bref se lit avec plaisir.

Alain Schmoll, La trahison de Nathan Kaplan, 2022, éditions Ciga, 297 pages, €11.90 e-book Kindle €3.99

Un autre roman d’Alain Schmoll déjà chroniqué sur ce blog

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Paul Sunderland excellent lecteur d’Alain Schmoll pour le site « Mauvaise nouvelle »

De l’anarchiste à l’anarque

Par Paul Sunderland 

Ouvrage: La tentation de la vague
Auteur : Alain Schmoll

Editeur : L’Harmattan

« J’ai compris que le pouvoir de changer le monde n’appartiendrait qu’à celui qui saurait dompter les vagues, les dresser à sa main, les conduire comme un guerrier mène sa monture à la victoire. J’ai compris surtout que ce guerrier n’existait pas, que nul prophète, nul combattant, sur cette terre, ne pourrait jamais maîtriser la puissance destructrice de la nature. J’ai compris que mes défis de nageur n’étaient que des jeux d’enfants, que ma fascination pour la vague ultime n’était qu’une chimère et que tout détruire dans l’idée de tout reconstruire n’avait pas de sens. »

Deux hommes que bien des choses séparent vont voir se rejoindre leurs destinées. Werner est ce qu’on appelle un fils de famille. Beau, riche, oisif, célibataire, il rechigne à reprendre en main la grande entreprise familiale spécialisée dans la filière fromages lorsqu’il apprend que son père est malade et ne pourra guérir. Romain est un activiste d’ultra-gauche formé dans les milices castristes. Très épris de sa camarade de lutte Julia, il organise une manifestation officiellement écologique dans une ZAD de la province française. Mais dans un contexte d’affrontements avec les forces de l’ordre en présence, un homme meurt. Comment cet événement est-il arrivé ? Comment son onde de choc va-t-elle impacter les protagonistes ?

Commençons par le plus évident : ce qui se tient à la surface du texte. La tentation de la vague est un thriller efficace et bien ficelé parce qu’on sait d’où on part mais on ne sait pas où on va et, en plus, peut-être surtout, on ne sait pas par quel chemin on va s’y rendre. Cela tient en partie au fait qu’Alain Schmoll parvient à planter des décors convaincants et facilement saisissables, crédibles dans un contexte francophone. Rappelons en effet qu’un récit à suspense n’est pas sommé d’avoir une origine américaine. (Oui, « récit à suspense » est bien un équivalent de « thriller »!) Dans ce cadre, la vague peut-être perçue comme une métaphore de l’Histoire. Cette Histoire, nous voulons ou ne voulons pas l’affronter. Être tenté par la vague, chez les uns et les autres, peut s’apparenter au surf : il s’agit soit de suivre la vague, soit de se laisser emporter (et détruire) par elle. Suivre le mouvement de l’Histoire, participer à ses révolutions : Romain, sur cette voie, se tient d’abord en arrière, dans la position du stratège. Cherche-t-il ensuite, sous le poids de certains impondérables, à jeter son froc aux orties ? Quant à Werner, nous le voyons à un moment nager à contre-courant des vagues artificielles d’une piscine : son Histoire semble l’appeler, qui le pousse vers l’héritage de l’entreprise paternelle. Lutte-t-il en fait pour maintenir son existence de bobo désœuvré, rester à l’abri du temps qui tout emporte ?

Werner et Romain doivent résoudre ce problème d’un blasonnement pas encore abouti malgré les apparences. Bien qu’ils soient adultes, ils ont encore à apprendre, ce qui donne à l’intrigue, outre son suspense savamment distillé, les couleurs d’un roman de développement (Entwicklungsroman). À ce point précis de notre lecture, essayons de prendre une direction un peu moins évidente que les considérations qui précèdent : les différents personnages de La tentation de la vague, au fond, n’en constituent qu’un, celui qu’on appelle l’anarque, et c’est à son épiphanie que nous assistons dans le roman d’Alain Schmoll.

« Anarque » fait référence à un type d’individu décrit par l’écrivain Ernst Jünger (1895 †1998) dans une série de textes, Passage sur la ligne (1950), Traité du rebelle (1951) et Eumeswil (1977). Il s’agit de l’anarchiste passant de la domination des autres (ou de ce désir) à la domination de soi-même. Ce faisant, s’il y parvient, il ne lutte plus pour infléchir le cours de l’Histoire, il vit dans l’Histoire sans être prisonnier des conditionnements de celle-ci. La lutte contre la vague devient, en quelque sorte, une marche sur les eaux. À bien y regarder, certains protagonistes du roman d’Alain Schmoll réussissent l’épreuve, d’autres non, mais ces différentes résolutions ne sont peut-être que des facettes d’un même processus vécu simultanément. C’est un peu iconoclaste : nous nous amusons à quitter délibérément la trame linéaire, chronologique de l’intrigue, nous détricotons La tentation de la vague pour assister au surgissement alchimique d’un être conquérant car centré, non pas égocentré. La lecture n’est plus linéaire, elle est sphérique, mais, bien entendu, si nous souhaitons nous en tenir à une approche conventionnelle, l’auteur nous laisse toute latitude pour cela.

Se posera pourtant la question de savoir si ce dernier a ou non conscience de la tradition qu’il véhicule. S’il n’en a pas conscience, on a presque envie de dire : ce n’est pas grave, et même tant mieux car cela illustre une fois encore les remarquables ruses de l’esprit qui souffle où il veut, y compris sur un pays désormais privé d’échine littéraire, y compris sur ce qui semble de prime abord une étude romancée d’un engagement social et rien de plus, publiée chez un éditeur connu pour pondre au kilomètre. Il est passé par ici (Jünger), il repassera par là (Schmoll). Dans le cas contraire (et l’auteur de la présente note ne connaît pas la réponse), eh bien, on pourra dire qu’il a de bonnes lectures et qu’il a parfaitement compris ce qui se passe autour de nous. Quelles sont les forces réellement mises en jeu dans le désir de révolution ou la direction d’un grand groupe industriel ? De quelles scories devons-nous purger notre être, quelle houle devons-nous surmonter (allégorisées sous forme d’adversaires dans l’intrigue) afin de parvenir au plein exercice du pouvoir éclairé ? « Connais-toi toi-même », c’est dit depuis longtemps. Le talent d’Alain Schmoll est d’avoir exprimé cette recherche dans un contexte où bien des forces se liguent pour ne nous faire scruter que la surface des choses. La tentation de la vague est par conséquent une lecture recommandée.