« Un petit livre intelligent et sans jargon qui fait penser et dit sur le bonheur plus que des bibliothèques entières » (sur Emmanuel Jaffelin)

Emmanuel Jaffelin, Célébrations du bonheur

Un court essai philosophique sur le bonheur, écrit de manière très accessible avec nombre d’exemples pris dans l’actualité, la littérature, le cinéma. Trois parties ponctuent l’ouvrage : 1. Le malheur, 2. L’heur, 3. Le bonheur. L’heur est un terme qui veut dire « chance ». Il peut être mauvais (malheur) ou bon (bonheur). L’heur, du latin augurium (présage), est ce qui nous arrive, à nous de le considérer positivement ou négativement.

Car – et c’est là le message du livre –  » l’intelligence consiste à anticiper les événements qui vont t’arriver, non à les ignorer. Dans le premier cas, ta tristesse est moindre puisque tu avais prévu l’événement ; dans le second cas, ta tristesse est renforcée par ta naïveté te faisant croire que cela aurait dû ne pas se produire et par ta mauvaise foi affirmant, pour mieux te mentir à toi-même, que ce qui t’arrive est une injustice. » Autrement dit, il ne sert à rien de se prendre la tête pour ce qui nous arrive, si l’on n’y peut rien. C’est au contraire s’enfoncer dans le malheur que d’adopter le statut (à la mode) de victime. Il s’agit plutôt de rester positif et de poursuivre sa vie en acceptant ce qui s’est passé comme un fait auquel on ne peut rien changer.

Vaste programme pour les mentalités effrayées, panurgiques et limitées de nos contemporains !

Le malheur vient de ne pas accepter le réel et de s’illusionner sur le « comme si » d’une Justice immanente. « Osons cette hypothèse : la manie de l’être humain post-moderne de se vivre comme un Ego n’est-elle pas responsable de son malheur ? » La réponse est OUI.

La faute en est, outre aux personnalités affaiblies par l’éducation indigente, la mode inepte et les soucis quotidiens, aux faux espoirs fournis par la science et par la technique depuis le XIXe siècle.  » La science mit l’humanité en confiance : elle produisit régulièrement de nouvelles découvertes et développa des applications techniques modifiant le quotidien de l’être humain ». D’où l’utopie du transhumanisme et la cryogénisation des corps au cas où. Mais toute découverte a son revers car nous ne serons JAMAIS dans un monde parfait, ce Paradis des mythes du Livre. L’énergie nucléaire a fourni de l’électricité plutôt propre et pas chère – mais aussi des bombes, des accidents et des déchets. La médecine a accru l’espérance de vie – mais aussi les années de vie dépendante, indignes et souffrantes (d’autant que le droit de mourir volontairement n’est toujours pas accordé en France aux personnes conscientes qui en manifestent la volonté, sur l’inertie des interdits catholiques !). Notons que l’auteur cède à cette confusion courante entre « espérance de vie » (à la naissance) et durée de vie moyenne ! Contrairement au mythe, les hommes préhistoriques ne mouraient guère plus jeunes qu’il y a un siècle ! Seuls les progrès de la médecine depuis quelques décennies ont amélioré la fin de vie et fait reculer les décès des bébés ou des femmes en couche.

« Ce qui est bizarre chez les citoyens actuels ne vient pas du progrès de leur espérance de vie : il provient de leur angoisse de mourir ». Plus la science et la médecine reculent l’âge probable du décès, plus l’angoisse croît, ce qui ne fait pas le bonheur des gens. D’où probablement cette crispation sur « l’âge de la retraite » que le gouvernement voudrait (rationnellement) augmenter, à l’image des pays voisins, mais que les salariés refusent (irrationnellement), par crainte de ne pouvoir « en profiter ». Cette « angoisse de la mort est bien plus forte que lorsque les religions régnaient et nourrissaient les âmes », note avec raison l’auteur. Comme s’il fallait « croire » pour mieux vivre, en méthode Coué pour l’élan vital. Après tout, il existe bien un effet placebo des l’homéopathie et des « miracles » de Lourdes…

Mais les humains (des trois sexes +) sont peu armés pour la logique. « Lorsque tu fondes la mort de ton enfant ou de ton conjoint sur la maladie, tu cherches une cause à la mort, voire un responsable ; tu refuses au fond d’être toi-même res-ponsable, c’est-à-dire capable de répondre de la mort de ce proche. Attention : être responsable ne veut nullement dire « coupable ». La responsabilité signifie ici que tu comprends et acceptes les événements qui arrivent parce que tu les as anticipés. Tu réponds donc des événements avant qu’ils arrivent et, lorsqu’ils arrivent, tu les accueilles. «  Trouver une cause, un coupable, mandater un bouc émissaire de tous les péchés, est un réflexe atavique – mais inutile et vain. Condamner un « méchant » ne fera pas revenir l’assassiné, ni accuser « le gouvernement » de ne pas vacciner, puis de trop vacciner, puis d’obliger à la vaccination lors d’une pandémie sur laquelle personne ne sait grand-chose. C’est se défouler pour se faire plaisir, et se dédouaner de ses propres responsabilités.

« Le mal est un « possible » et non une exception. En considérant cet acte criminel comme une exception, la victime se trompe logiquement : elle prend ce qui arrive comme une anomalie. Or le vol, le viol et le crime sont aussi normaux que l’accident, la maladie et la mort de vieillesse. En les déclarant normaux, ces événements ne sont nullement valorisés : ils sont seulement considérés comme des réalités que nous devons anticiper. » La norme veut dire que cela arrive souvent. Le malheur est culturel : notre société moderne refuse la mort, l’accident, le viol et les ennuis, tout simplement parce que la mathématisation du monde des savants et des technocrates lui a assuré que tout était calculable, donc prévisible, donc évitable. Mais le malheur survient et « la douleur morale n’est pas une souffrance dans la mesure où elle ne provient pas du corps, mais de l’âme : elle est l’effet de notre imagination qui considère qu’un événement aurait dû ne pas arriver. »

Dès lors, écrit l’auteur sagement, « pour essayer de ramener les citoyens dans la réalité, il convient de distinguer le méchant et le malheur. Le premier pratique le mal et finit, la plupart du temps, beaucoup plus mal qu’il a commencé. Le second, en revanche, n’est pas une réalité : il est une interprétation de ce qui nous arrive et dont nous attribuons la responsabilité à un méchant ou à la nature. »

Si le livre n’en parle pas (pour ne pas fâcher les élèves dans l’Education nationale et les classes du prof ?), le terrorisme est ici clairement visé. Il profite de l’interprétation que les Occidentaux font de ce qui leur arrive, il veut les sidérer, les angoisser – en bref les terroriser pour mieux imposer sa loi arbitraire et étroitement religieuse. Mais, « si le méchant réalise que nous sommes au-dessus de ce qu’il a fait, il ne comprendra bien sûr pas notre force, mais il finira par constater sa faiblesse face à l’indifférence que nous éprouvons pour lui.  » Survivre et poursuivre dans nos pratiques, nos coutumes et nos valeurs est le meilleur antidote au terrorisme (sans parler bien-sûr de la traque policière et des représailles militaires si besoin est).

Le sage accompagne la réalité avec intelligence. « Inversement, celui qui est rivé à ses désirs ne voit rien arriver et ignore, au fond, qui il est : il n’est ni un moi, ni un ça, ni un surmoi. Il est un non-sage. » Autrement dit étourdi ou crétin ; c’est-à-dire un fétu de paille au vent, qui se laisse ballotter par la mode, les dominants qui passent et les circonstances qui viennent. Donc un con – un connard ou une connasse pour suivre la pente genrée de l’auteur.

Contrairement aux croyances les mieux ancrées, ni l’amour, ni l’argent, ni la santé ne font le bonheur. L’amour est un mot-valise qui comprend le désir, l’affection, la tendresse, la charité ; seul le don permet le bonheur, mais ni l’envie, ni la jalousie, ni la possession, ni le fusionnel. Combien se sont suicidés par amour déçu ? L’argent révèle la nature humaine, cupidité et égoïsme – au cœur de sa famille, de son conjoint et de ses amis. « La générosité par l’argent n’a pas d’odeur et ne sent pas l’amour. » Combien se sont suicidés parce que la richesse éloigne des gens et ne « paye » pas l’amour ? « Pourquoi les riches ne sont pas mécaniquement heureux et les pauvres mécaniquement malheureux ? La réponse est bien sûr liée au bonheur qui découle de l’esprit, d’un équilibre intérieur de la personnalité, autrement dit d’une force de l’âme. Dès lors, si un riche est heureux, il doit son bonheur à sa richesse spirituelle, non à sa richesse matérielle. « 

Les apparences ne sont pas la réalité, pas plus que l’habit ne fait le moine. « Ce que tu prenais pour des biens – gloire, richesse et santé – ne sont que des préférables et qu’il est nécessaire que tu t’intéresses à la liberté si tu veux sortir de l’indifférence pour atteindre le Bonheur. « 

Le bonheur, justement. Citant le film Quatre mariages et un enterrement, l’auteur conclut : « Contrairement aux coups de foudre, le bonheur est à la fois capable de s’adapter au réel et de résister au temps et aux difficultés. «  Le bonheur n’est pas un but mais une récompense de ses actes.

Le désir est une excitation, une tension qu’il faut résoudre en la déchargeant. Il n’est pas un état de bonheur mais une libération du désir pour retrouver, le calme, l’équilibre ». « Les buts raisonnables et sensés que tu atteins génèrent du bonheur là où les buts irrationnels et excités engendrent plaisirs ponctuels et conséquences négatives ». Baiser ne fait pas plus le bonheur que devenir riche.

Les stoïciens avaient avancé dans la voie de la sagesse, Montaigne les a repris, et de nos jours entre autres André Comte-Sponville et Clément Rosset« Marc-Aurèle était empereur, Sénèque était sénateur et Epictète était esclave. Mais ce qui les rendait heureux, tenait moins à leur situation sociale qu’à leur sagesse.  » Le stoïcisme, étudié jadis dans les classes, est aujourd’hui vulgarisé sous forme de bouddhisme à l’usage des bobos et bobotes dans les « stages » de méditation et de « développement personnel ».  Ils apprennent, avec l’exotisme du storytelling marketing de la sauce mercantile yankee, ce qu’est le bonheur acheté en kit. Selon l’auteur, qui ne les cite pas, « il y a dans la liberté (stoïcienne) une capacité à anticiper les événements te permettant de les accueillir sans pour autant penser que tu en serais la cause. Lect-rice/eur, tu sculptes ta liberté en mettant en œuvre ton pouvoir d’accepter ce qui arrive. «  A noter l’écriture inclusive adoptée sans raison par Emmanuel Jaffelin ; elle est très agaçante à l’usage, n’apporte absolument RIEN au propos et ne montre aucun respect pour le lecteur dont elle limite les sexes à deux seulement ! C’est une fausse galanterie qui gêne l’œil pour obéir à une passion passive – celle de la mode – et se soumettre à une colonisation – celle des Etats-Unis.

Chacun est déterminé par ses gènes, sa famille, son milieu, sa religion, son pays et sa race. Nul n’est libre, pas même le plus puissant ou le plus riche. Même Trump ou Poutine n’ont pas fait ce qu’ils ont voulu, pas plus qu’Hitler ou Mao. Mais il y a un domaine dans lequel le destin n’intervient pas : la pensée de chacun. Il s’agit de « positiver » ! Par exemple, à propos de la mort d’un proche : « tu t’ouvres à nouveau sur la réalité pour voir son immensité et son infinité afin de raisonner et te dire que la vie de la personne qui vient de mourir était un miracle puisque tu aurais pu ne jamais la connaître. »

Ni maître et possesseur de la nature, ni pure Volonté de réaliser l’Histoire, mais la fin de la démesure et de l’orgueil de Fils de Dieu. « La personne qui renonce à maîtriser le monde, accepte en revanche de se maîtriser elle-même, ce qui donne lieu à une sagesse. En suivant ce but – la sagesse, Sophia – le sage a pour récompense le bonheur  » – avis à ceux qui ont la prétention de « changer le monde » au lieu de le connaître. En général, ils aboutissent à des catastrophes…

Au fond, « trois moyens nourrissent la sagesse : d’abord bannir l’espérance (qui fait souffrir) ; ensuite, ne pas regretter le passé ; enfin vivre ici et maintenant. » C’est tout simple ! Cela veut dire bannir les illusions, qu’elles soient sur l’avenir ou le passé, et même au présent. « La vertu ne consiste donc pas à suivre un idéal hors du monde ou une réalité transcendante : elle est cette vue exacte que la raison a de la nature et de nous-mêmes.  » La nature n’est pas celle des écolos mais le cosmos lui-même et son ordre, dont les mathématiques les plus poussées ne nous donnent encore qu’une vague idée. Cette nature « est une réalité dont nous ne sommes pas les maîtres, mais dont nous pouvons anticiper les phénomènes, non pour la transformer comme le fait superficiellement la technoscience, mais pour forger notre âme. » Sagement dit.

Mais qui touchera peu de monde, même s’il le faudrait : « dans la civilisation de l’égo, de l’égoïsme, de l’égotisme et du tout-à-l’égo qui caractérise notre civilisation au XXIe siècle, il est difficile d’expliquer à une personne que son MOI est une fiction et une invention de sa culture ». Je corrigerais en « sous »-culture, tant l’emprise de la mode et des mœurs anglosaxonnes imbibent les mentalités et les comportements, allant jusqu’à singer ce qui n’a rien à voir avec notre propre culture : Halloween, le puritanisme exacerbé, la haine entre hommes et femmes, la grande prosternation envers les cultures « dominées » et toutes les imbécilités à l’œuvre dans les universités américaines.

Un petit livre intelligent et sans jargon qui fait penser et dit sur le bonheur plus que des bibliothèques entières. Il remet les pendules à l’heure sur les mots, leur définition et ce qu’est véritablement le bonheur – qui ne résulte que de la sagesse.

Emmanuel Jaffelin, Célébrations du bonheur, 2020, Michel Lafon 2021, 176 pages, €12.00 e-book Kindle €9.99

Wokisme – la guerre des mots par Emmanuel Jaffelin

Wokisme : la guerre des mots

Par Emmanuel Jaffelin, Philosophe

Monsieur n’est pas d’hier, ni Madame ni Mademoiselle.

De Monsieur, Madame et Mademoiselle, il y a des choses à dire.

Le premier remonte à 1314, il s’écrit « Monsor » et est la contraction de l’adjectif possessif « Mon » et du nom commun « Sieur »qui, lui-même, est une abréviation de « Seigneur ». Monsieur donne Mister en british et constitue un mystère pour la réflexion.

Madame, au moyen âge, était le titre réservé aux seules femmes de chevaliers, puis à la Femme du Roi, voire à celle de son frère.

Quant à Mademoiselle ou Ma Demoiselle, le mot vient du bas latin « domnicella »qui désigne la maîtresse de maison et implicitement le mariage consommé et la reconnaissance d’un titre : la domina dominait donc socialement  la servante ( ancilla ou serva) ! Quelle gène que ce nom dans une société égalitariste qui vise à traquer et éliminer les mots pouvant colporter une hiérarchie sociale.

Mademoiselle est donc un substantif qui fut éliminé en France des termes administratifs en 2012 et remplacé à l’oral par « Madame » (Appeler Madame» une adolescente âgée de 14 ans est aussi pertinent que d’appeler « chien » un chiot âgé de un mois ! Mais il faut donc désormais considérer tous les individus par l’espèce à laquelle ils appartiennent!). A dire vrai, dès le XVIIIpost-révolutionnaire, le terme Demoiselle fut maltraité, celle-ci tombant de son piédestal, perdant son statut social et ne désignant plus que la fille, voire, au dix-neuvième, la prostituée ! A noter qu’au Moyen âge existait le terme « Damoiseau » désignant le Gentilhomme qui n’était pas encore armé « chevalier ».

Ainsi, après avoir critiqué et annulé tous les Seigneurs de la société post-révolutionnaire, leurs termes furent réappropriés civilement et distribués à tous les citoyens, étrangers à la Noblesse, mais en tant que signe de respect civil et social détaché officiellement de leur origine nobiliaire. Dans son Dictionnaire Philosophique, Voltaire anticipe donc, un quart de siècle avant la révolution française, cette évolution de l’abréviation masculine : « Pour terminer ce grand procès de la vanité, il faudra un jour que tout le monde soit Monseigneur dans la nation, comme toutes les femmes, qui étaient autrefois Mademoiselle, sont aujourd’hui Madame[1]. »

Autrefois on jouait aux Dames. Avec le wokisme, on joue aux Dames, aux Messieurs et aux Demoiselles considérés comme des nomina non grata à bannir ! La vie sociale est devenue un jeu de mots soit-disant  pratiqué pour guérir des maux sociaux ! En réalité, il s’agit d’une guerre des mots qui génèrent d’autres maux : ceux d’une civilisation de plus en plus déstabilisée de l’intérieur par des minorités. Et une civilisation aussi dominée par de » telles minorités file un mauvais coton : celui de la décadence. Monsieur, l’Occident agonise. Son Iel lui survivra-t-il ?

Devons-nous passer du Monsieur au Mons-Iel ?

Notre Père qui êtes aux Cieux

Que ton Iel soit sanctifié ?

Emmanuel Jaffelin
auteur de Célébrations du Bonheur (Michel Lafon, 2021), Apologie de la Punition (Plon, 2014), Eloge de la Gentillesse (Bourin 2010, Pocket 2016)


[1]– Voltaire : Dictionnaire Philosophique, article « Cérémonie », 1764

L’échec de Macron signe-t-il la fin de la 5e République ? par Emmanuel Jaffelin

L’échec de Macron signe-t-il la fin de la 5e République ?

Photo Pool/ABACA

Par Emmanuel JAFFELIN, Philosophe, conférencier, auteur de Célébrations du Bonheur (Michel Lafon, 2021), Eloge de la Gentillesse (François Bourin, 2010) et Apologie de la Punition (Plon, 2014).

En relisant Aristote, je redécouvre la classification que le philosophe (384-322 av.J.C) faisait des régimes politiques dans son livre les Politiques[1] . Un premier classement, des régimes politiques rationnels, va ainsi du bon au mauvais, c’est-à-dire de la Monarchie à la Démocratie en passant par l’Aristocratie. Un second classement montre comment la première triade peut dégénérer en une seconde : la Monarchie peut dégénérer en Tyrannie, l’Aristocratie en Ploutocratie et la Démocratie en… Anarchie ! 

Résumé des classements :

1ere triade politique: Monarchie- Aristocratie- Démocratie

2e triade politique: Tyrannie- Ploutocratie- Anarchie

Relisons la vie politique Française de 1958 à 2022 : d’abord le gaullisme est un mouvement politique qui régénère la République en la faisant passer de la IVe à la Ve et en redonnant au Président un pouvoir quasi-monarchique, certes discret, mais patent. Ensuite le socialisme  de1981à1995 «sous» F. Mitterrand et de 2012 à 2017 «sous» F. Hollande.

Disons que ces 19 ans de pouvoir socialiste correspondent à une légère décentralisation du pouvoir (accroissement du pouvoir des régions et des départements) qui rapproche donc ce type de Gouvernement de l’Aristocratie aristotélicicienne consistant à partager le pouvoir parmi une élite (donc au P.S. parmi des … élus) et non plus à en laisser le monopole au président (occupant, symboliquement et de manière non reconnue, la fonction de roi). Enfin au 3e millénaire, de 2017 à 2022, puis de 2022 à 2027, le passage à un jeune président élu dont personne ne sait (même lui-même) s’il est à droite, à gauche ou au centre. Un président purement opportuniste qui fait donc glisser la France, au pire, dans l’Anarchie, au mieux, vers la Démocratie[2] !

Pensons désormais au maître philosophique d’Aristote, un certain Platon qui, dans sa Lettre VII raconte qu’il avait eu, lorsqu’il était jeune, l’intention de se consacrer à l’activité politique, mais qu’il fut déçu par la tyrannie des Trente puis par la restauration de la Démocratie et qu’il se tourna avec bonheur et lucidité vers la philosophie et la sagesse, activité et but qui lui apparurent les seuls capables d’apporter des remèdes aux maux de la cité (polis).

La conclusion de Platon est claire : « Le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que la race de ceux qui, dans la rectitude de la vérité, s’adonnent à la philosophie n’aient accédé à l’autorité politique ou que ceux qui sont au pouvoir dans les cités ne s’adonnent véritablement à la philosophie, en vertu de quelque dispensation divine [3]». Par conséquent, sans philosophie, la politique tend vers le chaos !

Macron fit donc l’inverse de Platon : ne trouvant pas dans la philosophie un chemin vers la vérité[4], il se rua vers la politique comme chemin de la vraisemblance. Et, contribuant à la décadence des partis politiques, il profita du chaos plus qu’il ne rechercha l’ordre.

Ainsi, étant réélu comme président de la République, force est de constater que Macron est le premier président de la  Cinquième République élu ou réélu qui perd les élections législatives dans la foulée de l’élection présidentielle et qui fait donc plonger la République vers un changement de régime.

Si Macron n’était que l’expression d’un mouvement financier, il est aisé de comprendre que, sous sa présidence, la république soit passée de la démocratie à la ploutocratie[5] (régime des riches). Mais les pauvres ont pris conscience de cette injustice à la suite de sa réélection et n’ont pas validé celle-ci par celle des parlementaires (les députés) de son parti politique, La République en marche » qui devrait être rebaptisée « la république en chute[6]» ! Telle est l’issue de cette république traitée de manière micronscopique !


[1]– Livre écrit entre 330 et «323 avJC. et, publié notamment en France en GF (1990)

[2]il ne faut certes pas confondre la démocratie antique, qui est un régime où le peuple dirige l’Etat-Cité., et la démocratie moderne où le peuple est (plus ou moins bien)représenté par des élus.

[3]– Platon, Lettre VII  , 326a/7 – b4

[4]– Il échoua au concours de l’Ecole Normale Supérieure et se rabattit sur une autre école, l’ENA, qu’il supprima !

[5]Ploutocratie vient du grec antique : de Proutos, dieu de la richesse, et de kratos, le pouvoir.

[6]– Avec 234 sièges obtenus, sur 577. La République en marche n’obtient pas la majorité de 289 sièges.

Emmanuel JAFFELIN
Philosophe, conférencier, auteur de Célébrations du Bonheur ( Michel Lafon, 2021), Eloge de la Gentillesse (François Bourin, 2010) et Apologie de la Punition (Plon, 2014).

La France s’infantilise-t-elle ou s’américanise-t-elle ? par Emmanuel Jaffelin

La France s’infantilise-t-elle ou s’américanise-t-elle ?

Par Emmanuel Jaffelin, philosophe

Tribune. Après deux crimes en série aux Etats-Unis en mai, la France a vécu cette semaine un assassinat « à l’américaine ».

USA first : Mardi 24 mai 2022  à  Uvalde au Texas, un homme de 18 ans est entré dans une école primaire et y a tué 19 enfants et deux adultes, puis a été tué par la police. Et, le samedi 14 mai avait eu lieu à Buffalo (Etat de New York), dans un supermarché, une fusillade raciste ayant fait 10 morts (en majorité des afro-américains) et classant ce crime dans la rubrique « raciste ».

Apparemment, aucun rapport entre ces deux crimes et le meurtre d’une jeune fille de 13 ans retrouvée poignardée hier, mercredi 8 juin 2022, en France (Saône et Loire) !

D’abord, il ne s’agit pas d’un crime en série ; ensuite, le meurtre n’a pas eu lieu avec une arme à feu ! Ces deux points, une fois relevés, force est de croire qu’il est très distinct des crimes américains, mais en réalité, mieux vaut la peine de reconnaître deux autres points: le premier indiquant qu’un enfant(ou un jeune) peut tuer un enfant ; le second montrant que dans ce monde post-moderne le passage à l’acte et l’absence de rétention des pulsions est le fruit d’un laxisme éducatif et d’une société qui ne veut plus punir ses enfants. Bien sûr, l’enfant arrêté, s’il s’avère à l’origine du crime, sera puni, même si un mineur ne peut être condamné à la prison à perpétuité ( au maximum, il peut l’être à une durée de 20 ans). A force de sacraliser les enfants , notre société feint de les aimer, mais risque de banaliser leurs crimes (sans parler du fait qu’ils sont utilisés par les dealers de drogue qui connaissent la mollesse de la justice à leur encontre).

Après avoir interdit le mardi 2 juillet 2019 la gifle et la fessée que pratiquaient les parents envers leurs enfants, la France macronienne est rentrée dans le rang et devenue le 56e pays à interdire ce geste défini comme une violence, mais non compris comme un signe d’amour et un sens de la norme. L’idée de cette loi est de faire entrer le droit à tous les niveaux de l’être humain et de ne pas reconnaître aux parents une autorité physique sur leurs enfants nés d’un acte physique[1]. Reste à espérer que le droit ne permettra pas à la Justice d’accuser les parents d’être co-responsables du crime commis par leur(s) enfant(s). Ce monde, qui préfère le droit (le pénal) à la morale (la punition), nous introduit à l’im-monde.

Souvenons-nous : Qui bene amat, bene castigat ( qui aime bien, châtie bien) ; et : « L’Enfer, c’est l’absence de punition » ( Kenizé de Kotwara).

Moralité : en ne sanctionnant plus physiquement les enfants, la France s’infantilise et s’américanise ; car, même si les Etats-Unis n’ont pas interdit la fessée, ils autorisent le port d’arme aux enfants et ils ont technologiquement développé la relation humaine au virtuel et à l’image, ce qui explique que de nombreux enfants ne fassent plus la distinction entre le virtuel et l’actuel, Platon dirait : entre l’image et le réel[2].

Emmanuel Jaffelin
Auteur de l’Eloge de la Gentillesse (François Bourin, 2010, Pocket), de l’Apologie de la punition (Plon, 2014), Célébrations du Bonheur (Michel Lafon, 2021)


[1]– sauf dans le cas de la procréation assistée

[2]– le réel est le monde des idées chez Platon, idées qui ne sont pas des représentations mentales par lesquelles nous définissons les idées (Descartes inclus) : selon Platon,  les idées sont les êtres constitutifs de la réalité.

Actualitté met Emmanuel Jaffelin à l’honneur (merci à Etienne Ruhaud)

Une nouvelle voie vers le bonheur pour Emmanuel Jaffelin

Le développement personnel connaît actuellement un essor incroyable. En témoignent les rayons de nos librairies. Chacun y va de sa proposition pour réussir, être épanoui, mener une bonne vie, devenir riche et célèbre, rester au mieux de sa forme. Aucun de ces coachs, de ces auteurs à succès, ne semble pourtant répondre à la question première : qu’est-ce que le bonheur ? Et en quoi le fait d’acquérir toujours plus ou de vivre de plus en plus longtemps, pourrait nous permettre d’y accéder, de le rendre durable ? Par Etienne Ruhaud.

ActuaLitté

Soumis à l’angoisse de la mort, mais aussi à la crainte du déclassement, nos contemporains cherchent parfois le bonheur là où il ne saurait résider, ou se trompent de direction… 

Face au malheur

Nous sommes souvent stupéfaits lorsque des personnes au faîte de la gloire, de la réussite, se suicident. De fait, qu’est-ce qui rend heureux ? Et pourquoi tant d’hommes, ou de femmes, pourtant favorisé(e)s par le sort, ne semblent pas comblé(e)s ?

Peut-être convient-il d’abord de définir ce qu’est le bonheur, en quoi il consiste. Partons, en premier lieu, du constat suivant : la technoscience ne nous a pas nécessairement rendus heureux. L’espérance de vie s’est considérablement allongée et pourtant nous n’avons jamais autant craint la violence, la disparition.

La plupart d’entre nous ne croit plus en l’au-delà, et de fait nous ne nous consolons plus en espérant aller au Ciel. Longtemps admis, le décès d’un enfant constitue ainsi un drame, alors que cela s’inscrit dans l’ordre des choses. Beaucoup cèdent pourtant au sentiment d’injustice. Comment, dès lors, accepter le réel, accepter précisément le deuil d’un être cher, jeune ? 

Dans un premier temps, admettons que ce que nous nommons « mal » (la mort prématurée, le viol, le meurtre, la vieillesse, etc.) n’a rien d’exceptionnel, mais constitue une possibilité. Possibilité que nous devrions, dans l’absolu, accueillir avec détachement, dans la mesure où nous n’avons aucune prise sur le temps.

Inévitable, la souffrance physique et/ou la maladie peut ainsi générer du malheur, ou, paradoxalement, du bonheur. Tout dépend en réalité de notre état d’esprit, comme nous le montre l’exemple de Stephen Hawking : affrontant une sclérose latérale amyotrophique, le physicien s’est concentré sur sa vie intérieure, intellectuelle, produisant ainsi de brillants postulats, devenant un savant reconnu.

Il en va de même quand le méchant nous attaque. Soit nous nous révoltons, et cédons à la passion, au malheur. Soit, tel le stoïcien Épictète, nous choisissons de demeurer fort, maître de la situation, tandis que notre agresseur, lui, reste en position de faiblesse, car esclave de ses (mauvaises) passions ou de la cruauté qui l’anime, qui le ferait alors tomber dans la passivité.

Qu’est-ce que l’heur ?

Ni bon, ni mauvais en soi, l’heur, qui désigne le moment, la chance, demeure purement fortuit. Surgit inopinément, l’heur du coup de foudre est ainsi lié au hasard. De même, les gagnants du Loto ont-ils simplement connu la chance, l’heur de cocher les bons numéros.

Toutefois ni l’heur du coup de foudre, ni l’heur du gain financier subit, ne sauraient nécessairement conduire ni au bon-heur, ni au mal-heur. Notre comportement peut faire de cet « heur », justement, quelque chose de positif, ou de négatif. Le coup de foudre peut ainsi mener à la dépression, au suicide, en cas de rupture, quand le fait de devenir subitement très riche peut faire perdre la tête, dépenser inconsidérément, être harcelé par son entourage. Seule une attitude rationnelle, raisonnable, détachée des passions, nous permettra d’envisager l’heur avec sérénité, et donc de le transformer, de le bonifier en quelque sorte.

Semblablement, s’il est préférable d’être riche, en bonne santé, ou de connaître la gloire, il ne s’agit guère de phases transitoires, contingentes. La santé, comme la jeunesse, comme la célébrité passent, s’éteignent, et un pauvre sera souvent plus heureux qu’un riche, un malade plus heureux qu’un sportif. D’où l’importance de garder une position détachée, d’admettre la fugacité, sinon la futilité de l’heur. 

Vers la liberté, vers la félicité

 Le désir, plus que la passion, peut donc mener au bonheur. Prisonnier de sa passion, par exemple de son coup de foudre, l’individu ne peut plus finir que par souffrir, et ne sera pas libre. Non obstant, il paraît très difficile de dominer l’heur, soit les évènements qui adviennent, et qui fondamentalement ne dépendent pas de nous, puisque nous sommes en réalité régis par des causes qui nous dépassent.

Dès lors, la félicité, le bonheur, ne consistent pas dans l’aversion à l’égard de tel ou tel heur (tel un tsunami, ou un cancer), ni dans le désir à l’égard de tel ou tel préférable (la gloire, la santé, etc.), mais bien dans la liberté, soit dans le fait de savoir que nous sommes déterminés, que tout est contingent.

Seule cette même liberté permet justement d’accepter ce qui demeure inéluctable, en étant conscient, et plus encore d’anticiper, afin de ne pas être surpris. Être libre, c’est donc, étrangement, se savoir déterminé et accueillir l’heur tel qu’il se présente, soit possiblement le transformer en bon-heur ou en mal-heur. En ce sens, le bonheur ne vient que de nous, de notre intelligence. 

Un essai pédagogique, accessible

Agrégé de philosophie, auteur de neuf ouvrages, dont certains vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, Emmanuel Jaffelin répond donc au pari initial, formulé dès l’introduction : tenter de comprendre ce qu’est le bonheur, et se donner les moyens d’y arriver. Dépassant les lieux communs, déployant une série de raisonnements complexes, mais relativement accessibles, l’auteur tente de fournir des réponses, en perturbant nos idées reçues, en bousculant nos schémas, nos habitudes. S’appuyant également sur une série d’exemples, situations concrètes ou souvenirs de lecture ou de films.

Emmanuel Jaffelin définit une voie exigeante, mais malgré tout à notre portée. Le ton est souvent familier, direct, le penseur tutoyant son lecteur, comme s’il s’agissait d’une simple discussion, ou comme s’il s’adressait à un ami. Plusieurs grands penseurs, sont également évoqués, enrichissant la réflexion du lecteur devenu complice, compagnon. Par-delà la vulgarisation, le désir de créer une philosophie populaire, Emmanuel Jaffelin signe là un livre vrai, riche, un vade-mecum.  

Emmanuel Jaffelin Michel Lafon
Célébrations du bonheur. Guide de sagesse pour ceux qui veulent être heureux
02/09/2021 175 pages 12,00 €