Saisons de culture vous invite à l’odyssée culinaire de Yezza Mehira

La cuisine des âmes nues, nouvelles et recettes

Par Yves – Alexandre Julien

Une odyssée culinaire à la rencontre de 13 femmes entre sociologie et féminisme 

C’est un voyage sensoriel unique que nous fait vivre Yezza Mehira à travers les pages de son ouvrage intitulé « La cuisine des âmes nues ». Ce livre captivant invite le lecteur à un périple culinaire inoubliable, où chaque recette est une porte ouverte vers une nouvelle culture, une nouvelle histoire. Inspiré par les rencontres de l’auteur avec des inconnus , ce livre est bien plus qu’un simple recueil de recettes, c’est une véritable renaissance gastronomique.

Les fondations de la rencontre 

Dans « La cuisine des âmes nues », chaque plat est le fruit d’une rencontre, d’un échange entre l’auteur et des personnes rencontrées au hasard de ses pérégrinations. Cette approche rappelle le travail novateur du chef René Redzepi, célèbre pour ses expéditions culinaires à la recherche d’ingrédients inattendus. Tout comme Redzepi, qui a parcouru les régions les plus reculées à la recherche de nouvelles saveurs, l’auteur de ce livre nous offre une expérience culinaire authentique, où l’essence même de la rencontre se retrouve dans chaque bouchée. Cette approche évoque également les voyages culinaires du romancier Anthony Capella, dans son livre “La cuisine des péchés ”. Il écrit : “Dans chaque plat se cache une histoire, dans chaque saveur se dissimule un voyage. C’est en partageant la table avec des étrangers que l’on découvre le véritable sens de la cuisine.”

Battre les œufs et ouvrir son esprit …

Dans la cuisine, tout comme dans la vie, il y a des conseils qui vont au-delà de la simple préparation des aliments. Prenez par exemple le conseil de l’auteur  de battre les œufs fort pour obtenir une omelette bien baveuse. Cela peut sembler anodin, mais cela révèle en réalité une leçon profonde sur l’importance de l’engagement et de l’énergie que l’on met dans nos actions. Comme le souligne le philosophe Alan Watts : “Lorsque nous faisons quelque chose, faisons-le avec tout notre être, avec toute notre énergie. C’est là que réside le secret de la vie pleine et enrichissante.” Battre les œufs avec force, c’est embrasser pleinement le processus culinaire, c’est se donner entièrement à la tâche, sans retenue ni hésitation. De la même manière, dans notre vie quotidienne, nous devrions aborder chaque expérience avec cette même intensité, cette même détermination à savourer chaque moment et à en tirer le meilleur parti. En battant les œufs avec vigueur, nous nous ouvrons à de nouvelles possibilités, à de nouvelles perspectives sur le monde qui nous entoure. Et qui sait, peut-être que cette simple action dans la cuisine nous permettra de découvrir des horizons insoupçonnés dans notre propre existence.

L’art de la fusion 

Chaque recette de « La cuisine des âmes nues » est un témoignage de la capacité de la cuisine à transcender les frontières géographiques et culturelles. L’auteur maîtrise l’art délicat de la fusion, mêlant des ingrédients et des techniques culinaires provenant de différents horizons. Cette approche rappelle le travail visionnaire du chef Nobu Matsuhisa, qui a révolutionné la cuisine japonaise en intégrant des influences sud-américaines. De la même manière, l’auteur nous offre des plats qui défient les conventions et éveillent nos papilles à de nouvelles sensations, tout en honorant la diversité des cultures rencontrées. Dans son roman “Comme de l’eau pour le chocolat”, Laura Esquivel explore également les thèmes de la fusion culinaire et de la transcendance à travers la cuisine. Elle écrit : “Dans chaque plat, je verse un peu de mon âme, un peu de mon histoire. Et dans chaque bouchée, je goûte le monde.”

Le voyage comme une école de cuisine 

À travers les pages de « La cuisine des âmes nues », le lecteur découvre que voyager est bien plus qu’une simple exploration géographique, c’est aussi une école de cuisine à ciel ouvert. En s’immergeant dans de nouvelles cultures, l’auteur apprend de nouvelles techniques, découvre de nouveaux ingrédients et perfectionne son art culinaire. Cette démarche rappelle le parcours du chef Anthony Bourdain, qui a fait de ses voyages une source d’inspiration pour sa cuisine. Comme Bourdain, l’auteur de ce livre nous montre que la véritable essence de la gastronomie réside dans la découverte et le partage, et que chaque voyage est une opportunité d’enrichir notre savoir culinaire. Dans son livre “Carnet de voyage culinaire ”, Michael Booth écrit : “Chaque cuisine est un chapitre de l’histoire, chaque recette est un poème. Voyager à travers les saveurs du monde, c’est découvrir l’essence même de la vie.”

La magie du chiffre 13 : mythologie en cuisine  

Dans la mythologie grecque, le chiffre 13 est chargé de significations profondes et souvent contradictoires. D’une part, il est associé à la déesse Héra, protectrice du mariage et de la famille, car elle est la treizième divinité à avoir été invitée au mariage de Thétis et de Pélée. D’autre part, il est également lié au dieu Hadès, seigneur des Enfers et représentant de la mort et de la fin des cycles. Ainsi, le chiffre 13 incarne à la fois la fertilité et la création, mais aussi la transformation et le renouveau.

Dans le contexte de la cuisine, le chiffre 13 prend une signification particulière. Il symbolise l’abondance, la plénitude et la richesse des saveurs. Dans “La cuisine des âmes nues », la présence de 13 femmes, chacune apportant sa propre contribution culinaire, évoque cette idée d’abondance et de diversité. Comme les 13 divinités de l’Olympe, ces femmes incarnent différentes facettes de la gastronomie, chacune offrant un éventail unique de saveurs et de traditions.

De plus, le chiffre 13 est souvent considéré comme un nombre de chance dans de nombreuses cultures à travers le monde. Dans la cuisine, il peut être interprété comme un présage de bonheur et de prospérité. Chaque recette de “La cuisine des âmes nues » est une offrande à la fortune, un rituel culinaire destiné à apporter joie et satisfaction à ceux et à celles  qui les dégusteront.

Ainsi, à travers la symbolique du chiffre 13 en cuisine, nous sommes invités à reconnaître la richesse et la complexité de l’expérience gastronomique. Chaque plat, chaque ingrédient, chaque geste culinaire est chargé de sens et de significations, nous reliant ainsi aux mystères de la mythologie et à la magie de la création culinaire.

Le féminisme culinaire : révolution dans les casseroles 

Dans “La cuisine des âmes nues » l’exploration culinaire va au-delà de la simple préparation de repas ; elle incarne également une forme de rébellion contre les normes traditionnelles de genre. Cette approche résonne avec les idées féministes qui ont longtemps cherché à réclamer une place légitime pour les femmes dans la sphère culinaire. Comme le souligne l’écrivaine et activiste culinaire Charlotte Druckman : “La cuisine a longtemps été considérée comme un domaine réservé aux femmes, mais cela ne signifie pas que leur travail y a été reconnu ou valorisé de manière égale.” De la même manière, dans son livre “Cuisiner : Un récit d’amour et de rébellion ”, l’auteure et critique culinaire Kim Severson explore les liens entre la cuisine et le féminisme, affirmant que “cuisiner peut être un acte de rébellion, une façon de revendiquer sa place dans un monde dominé par les hommes.” Ainsi, « La cuisine des âmes nues » représente non seulement une célébration de la diversité culinaire, mais aussi une affirmation du pouvoir des femmes dans le domaine de la gastronomie, où leurs voix et leurs talents sont enfin reconnus et célébrés.

Sociologie du goût 

“La cuisine des âmes nues ” nous invite à réfléchir à la sociologie du goût, à la manière dont nos préférences culinaires sont influencées par notre environnement social et culturel. En mettant en lumière les traditions culinaires de différentes communautés à travers le monde, l’auteur nous montre que le goût est bien plus qu’une simple sensation gustative, c’est aussi un reflet de notre identité et de notre histoire. Cette approche rappelle les travaux du chef Massimo Bottura, dont les voyages à travers l’Italie ont inspiré sa cuisine avant-gardiste, mettant en valeur les traditions tout en les réinventant pour les générations futures. De la même manière, “La cuisine des âmes nues” nous offre une nouvelle perspective sur le lien entre alimentation et culture, nous invitant à explorer ces liens à travers le prisme de la cuisine. Dans son roman “My life in France”, Julia Child écrit : “La cuisine est bien plus qu’une simple nourriture pour le corps, c’est une nourriture pour l’âme. Chaque plat raconte une histoire, chaque recette évoque un souvenir. C’est à travers la cuisine que nous nous connectons les uns aux autres, que nous partageons nos joies et nos peines, nos rêves et nos désirs.”

Dans un monde où le temps semble filer à toute vitesse, où les moments de pause et de contemplation se font rares, “La cuisine des âmes nues ” offre un refuge, un havre de paix où chaque recette est une invitation à ralentir, à savourer, à réfléchir. À travers ces pages empreintes de voyages, de rencontres et de saveurs, ce livre nous rappelle que la cuisine est bien plus qu’une simple nécessité quotidienne ; c’est un art, un langage universel qui transcende les frontières, les différences, les mythologies .

En découvrant les histoires de ces 13 femmes à travers leurs recettes, nous plongeons dans un univers riche en couleurs, en textures et en arômes, où chaque plat est le récit d’une vie , où chaque bouchée est chargée d’émotions. De la fusion audacieuse des ingrédients à la délicatesse des gestes culinaires, chaque page de ce livre est une ode à la créativité, à la générosité et à l’amour.

Alors que nous refermons ce livre, nous sommes invités à nous poser des questions, à réfléchir sur nos propres voyages, sur nos propres rencontres. Quelles saveurs avons-nous encore à découvrir ? Quelles histoires avons-nous encore à partager ? Et surtout, comment pouvons-nous utiliser la cuisine comme un moyen de créer des liens, de briser les barrières et de célébrer la diversité ?

À travers “La cuisine des âmes nues”, nous sommes transportés dans un monde où les frontières entre les cultures s’effacent, où les différences deviennent des atouts, où la cuisine devient un pont entre les peuples. Que ce livre soit le début d’une aventure culinaire sans fin, où chaque plat est une promesse de découverte et d’émerveillement. À table, et que le festin commence !

Editions de la Zitourme

Invitation 20 mars 2024 autour de Yezza Mehira avec Fabrice Pataut, Gautier Battistella, Gilles Brochard : Littérature et cuisine

Invitation Soirée littérature et cuisine le 20 mars 2024

Yezza Mehira et Guilaine Depis vous invitent à une inoubliable soirée Littérature et cuisine 
 
Mercredi 20 mars dès 18h30 à l’Hôtel la Louisiane 60 rue de Seine 75 006 Paris
 
inscription par sms : Balustrade 06 84 36 31 85
 
Yezza Mehira fait son miel de l’intimité des femmes. Les saveurs accrochées à ses souvenirs de la Méditerranée à la Goutte d’or se font nouvelles littéraires. Avec elle, tout devient comestible et désirable. Elle s’est immiscée par la porte de la cuisine dans des cœurs de femmes venant de Tunisie, du Liban, d’Egypte, en somme d’un ailleurs aux saveurs orientales.
 
Avec les recettes de son premier livre, La Cuisine des âmes nues à déguster sur place, et des conversations-plaisirs avec :
 
Philosophe, chercheur au CNRS (philosophie du langage)Prix de la nouvelle de l’Académie Française (Trouvé dans une poche (Buchet/Chastel, 2005). Fabrice Pataut a vécu plusieurs années à Los Angeles avant de publier un premier recueil, puis un premier roman, Aloysius (Buchet/Chastel, 2001). Son roman En haut des marches (Seuil, 2007) fait l’objet d’une adaptation théâtrale. Dernière parution : Les beaux jours (Héliopoles, 2022). Son travail a été reconnu du Monde au Figaro, de Libération à France Culture…
 
Gautier Battistella considère que « la cuisine est le langage du monde ». Scénariste, goûteur, et amoureux de tout ce qui s’admire ou se met en bouche. Quinze ans au Guide Michelin, voilà qui vous éduque un palais ! Il publie des romans chez Grasset : Un Jeune Homme Prometteur (2014) et Ce que l’homme a cru voir (2018). Avec Chef (Prix Cazes 2022, adaptation en cours pour la télévision), il trouve un sujet susceptible de flatter son goût pour les belles lettres et les plats mijotés. Il travaille à son prochain opus, ainsi qu’à un roman graphique consacré à un chef célèbre.
 
Gilles Brochard

est l’auteur de plusieurs livres sur le thé dont Un thé chez les tigres (P.G.de Roux), Cuisine d’altitude (Verlhac Edts), Guide secret des tables politiques (Verlhac), journaliste gastronomique, littérature et art de vivre, il collabore à Radio Notre Dame, Valeurs actuelles, Voyage de Luxe et Service littéraire….

 

Yezza Mehira par Emile Cougut dans Wukali

Yezza Mehira par Emile Cougut dans Wukali

Il arrive que parfois dans un roman, on finisse par trouver quelques recettes de cuisine. On pense bien sûr aux livres d’Aurélie Foucher qui se terminent généralement par quelques recettes des spécialités de l’île de Groix, à Michelle Barrière dont l’œuvre vous incite à cuisiner des plats allant du Moyen-Âge à notre époque, ou encore le succulent Livre de recette de la série noire, car dans les romans policiers : on mange et souvent très bien. Mais, je n’ai pas le souvenir qu’au fil de mes lectures avoir trouvé une recette de cuisine qui serve de fil conducteur à une nouvelle. Et c’est exactement ce que fait Yezza Mehira dans La cuisine des âmes nues publié par la courageuse petite maison d’éditions de la Zitourme.

Toutes s’ouvrent par une recette, ce qui nous en fait 13 en tout. 13 recettes provenant du pourtour Méditerranéen, en incluant la blanquette de veau, car ce plat symbole de notre pays, est aussi Méditerranéen vu l’emplacement géographique de la France. Certaines comme l’omelette internationale (à base d’herbes) ou les amuse-bouches des amants, n’ont pas « signatures » géographiques, alors que d’autres (la fenkata, le baba Ganoush ou la kamounia, entre autres) sont issues d’endroits, de pays bien identifiés.

Alors ces recettes? Comme d’habitude, leurs lectures titillent mes papilles gustatives et j’en essaie quelques unes. Elles sont toutes d’une remarquable simplicité et le résultat est à la hauteur de la sensualité qui se dégage de ces nouvelles, mais c’est ma seconde partie.

Après, nous sommes essentiellement dans une cuisine du Sud ou de l’Est Méditerranée, ces endroits où les épices sont reines (parfois un peu trop), et savoir les utiliser parfaitement, savoir trouver les équilibres, les dosages qui ravissent le palais demande, de fait, des années de pratique qu’un simple occidental gascon, hélas n’a pas ! ( Pleurons, pleurons NDLR). Mais il n’empêche que j’ai mangé grâce à Yezza Mehira une excellente soupe de pois chiche.

Les nouvelles nous font voyager de la Libye à l’Espagne (et l’Histoire numéro 1 n’est pas sans faire penser à Lucià Etxbarria, cette autrice débordant de talent), de l’Égypte à la France, de la Syrie à la Tunisie). Toutes sont des histoires de femmes : soumises, révoltées, victimes de sociétés patriarcales qui les corsètent jusqu’à être mises dans un moule qui les étouffe. Toutes se réfugient, s’expriment à travers la cuisine, le lieu où elles sont les maîtresses incontestées, le lieu où, de fait, elles peuvent s’exprimer, créer, dévoiler leurs vraies personnalités.

Ces nouvelles s’adressent à nos cinq sens d’où la sensualité (dans le sens étymologique du terme) qui s’en dégage.

Avec son style limpide, dans lequel pas un mot n’est de trop, juste à sa place, Yezza Mehira nous entraîne dans des lieux où, quelque soit le contexte parfois difficile ou oppressant, l’âme humaine trouve à s’épanouir.

« La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros » (Argoul sur « La cuisine des âmes nues » de Yezza Mehira)

Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues

Ce sont treize nouvelles entrecoupées de treize recettes de cuisine, dont le sommaire est rappelé judicieusement au début. Des nouvelles des femmes du Maghreb et du Proche-Orient où les hommes sont dominants, de par la religion d’Allah. Le seul travail bien vu de la femme, en ces coutumes, est de faire des enfants et la cuisine.

Les enfants n’ont pas leur place dans ces nouvelles où l’auteur invente des personnages qui lui ressemblent. Née en Tunisie, elle est arrivée à Paris à 2 ans et a été élevée à la Goutte d’or, quartier célébré par Michel Tournier. Elle a étudié les lettres et les langues germaniques et travaillé comme une Occidentale d’un pays démocratique libéral dans les grandes entreprises. Et pris ses aises en Suisse, où la fiscalité est moins socialiste.

La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros. Quand les deux sont en conjonction, le paradis est sur la terre et dans les âmes. Mais une seule nouvelle sur treize parvient à ce nirvana – lors d’un second mariage, cette fois consenti. C’est que les familles s’en mêlent, prises dans le milieu social où tout le monde s’épie et cancane. L’arabe tunisien a même deux mots pour désigner ces potins : le glak et le gotlak, moment de sociabilité du matin entre femmes, entre petit-déjeuner et ménage.

La « plus belle femme du monde » cuisine avec plaisir pour son mari, tout en se faisant belle. Elle séduit par l’apparence extérieure et par les saveurs intérieures. Mais elle finit par s’apercevoir que son mari n’aime que ses abords corporels et ses résultats culinaires ; il est resté au fond ce petit garçon égocentré que toute mère méditerranéenne couve jusqu’à la fin de sa vie. La « soupe de pois chiche » (recette en prime) est comme le lait de la mère, une douceur de chaque soir. Lorsque le cancer lui ôte un sein, « la plus belle femme du monde » est déchue pour son époux. Elle se rend compte alors que c’est elle-même qu’elle aime, et pas son époux. « J’étais l’aimant de ma propre vie ». Si son mari ne l’avait pas épousé, il n’aurait pas eu cette existence paisible et goûteuse. Comme quoi le vrai mariage est la conjonction de deux êtres qui se sentent complémentaires et assurent leur bonheur personnel l’un par l’autre.

Quant à l’énigmatique « SoniaK2Tataouine », au pseudo tout droit sorti d’un réseau social, a-t-elle existé ? Une nouvelle lui rend hommage. Toutes deux du sud tunisiens, toutes deux réussissant leur « cursus » (drôle de mot technocratique) à Paris, toutes deux rêvant du bon job qui paye bien, et sur le point de réussir. Mais… « Tous ces chocs culturels en pleine figure ». L’immigration, même à la seconde génération, n’est pas un parcours de tout repos. « Nous ne savions pas vivre comme eux. Mais nous le voulions tellement » p.73. Donc, à la fin des études, la fugue de chez les parents tunisiens, restés traditionnels ; puis le chantage affectif à la « mort de la grand-mère », le mensonge utile et permis – la taqiya – et le mariage arrangé, au bled, où il ne fallait surtout pas revenir. Dès lors, la prison à vie. La famille, le milieu, les traditions, la religion.

A quoi cela sert-il d’émigrer ?

Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues, 2023, éditions de la Zitourme (micro-édition de Zoug en Suisse), 144 pages, €13,00 – non référencé sur Amazon

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

« La force des femmes qui échappe aux hommes », Yezza Mehira dans la revue littéraire Souffle inédit

Yezza Mehira

par Margaux Catalayoud

dans Souffle inédit

La cuisine des âmes nues de Yezza Mehira

Par Margaux Catalayoud

Que les Éditions de la Zitourme soient remerciées pour leur première publication – il n’y en aura qu’une tous les neuf mois, le temps qu’un bébé grandisse – : La cuisine des âmes nues, Recettes et nouvelles de Yezza Mehira. Le ton est donné par la maison d’édition, il s’agira de patienter, de savourer les mets, délices pour la bouche et le cœur de cette autrice qui fait son miel de l’intimité des femmes, de celles qui tournoient en cuisine.

Vous avez dit littérature ?

Chaque recette de cuisine est reliée à une nouvelle, et dans chaque nouvelle émerge ça et là l’histoire de cette recette telle un indice sur la vie des personnages, une entrée dans leur charme de femmes fait de détails et d’observations délicates. Les lecteurs et lectrices se surprendront probablement à apprécier la poésie des recettes, le rythme des impératifs et les sonorités amusantes des divers ustensiles. L’autrice donne à entendre la petite musique du Cake d’amour que Michel Legrand inventa pour le film de Jacques Demy, Peau d’âne. Les protagonistes du livre seraient au moins aussi belles que Catherine Deneuve. Au fond, la forme questionne l’art, à quels mots peut-on refuser ce qui fait littérature ? Cet art du banal nous apprend à regarder, à lire, à écouter et à sourire. La littérarité du quotidien et de la nécessité des recettes engage le décorum des nouvelles sur la voie de la modestie, modestie et lucidité des femmes, modestie et précarité des ménages. La beauté des mots en version originale tels que « fifla », « gozo » ou « fenkata » sont autant de realia qui enchantent les oreilles curieuses.

Exotisme et intimité universelle

A l’origine de ces multiples récits : le voyage en méditerranée de Yezza Mehira. Elle s’est immiscée par la porte de la cuisine dans des cœurs de femmes venant de Tunisie, du Liban, d’Egypte, en somme d’un ailleurs aux saveurs orientales qui ravira les nostalgiques de l’orientalisme, quoiqu’ici, les couleurs sont authentiques et dures. De fait, il est notamment question de mariage forcé, de guerre, de refus du rôle de la femme au foyer. Les femmes tentent de modeler leur quotidien selon la tradition, avec ceci en plus de ladite tradition qu’elles veulent du plaisir, souvent leur propre chair communie avec celle qu’elles préparent pour elles seules ou un foyer. Elles apprennent à faire le jeu de la féminité et même à être une « salope » si bon leur semble. L’écriture, malgré la complexité des situations évoquées, se veut naïve, au sens littéraire, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de candeur, laquelle est empruntée à quelques femmes pleines de dignité dont l’autrice trace un portrait détourné. D’ailleurs, certaines lignes sonnent comme un dialogue dont on peine à imaginer la subtilité de l’interlocuctrice-narratrice qui écrit cependant à la première personne. Les confidences apparaissent naturelles et simples, de celles qui content un passé qui les ont façonnées en stoïciennes, entre autres choses.

Érotisme

Les scènes quotidiennes qui découlent sur les grands bonheurs et grands malheurs des femmes donnent l’espace à l’autrice d’y développer toute leur sensualité qui émane de leur proximité. La question de l’écriture féminine ne fait pas de doute : aucune sorte de male gaze ne point. Tout devient comestible et désirable ; une femme ressent ceci « Et c’est comme ça que j’ai eu l’idée de mes recettes intimes. Des petits amuses-bouches raffinés à mélanger avec notre amour. Et quand tout s’est arrêté, j’ai commencé ma troisième vie de femme, avec la satisfaction d’en avoir été une. » Une autre raconte une séance masturbatoire qui n’excitera pas le ou la potentiel.le libineux.se. La femme est multiple, mouvante, tout le contraire du mystère féminin perpétuellement évanescent, elles cherchent à se saisir certes, mais l’acuité qui les gouverne les responsabilise. Les héroïnes comme en elles-mêmes sont juste douées pour la vie. Elles ont du goût, veulent leurs goûts. C’est peut-être cette force qui échappe aux hommes.

Le livre

Souffle inédit