Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues
Ce sont treize nouvelles entrecoupées de treize recettes de cuisine, dont le sommaire est rappelé judicieusement au début. Des nouvelles des femmes du Maghreb et du Proche-Orient où les hommes sont dominants, de par la religion d’Allah. Le seul travail bien vu de la femme, en ces coutumes, est de faire des enfants et la cuisine.
Les enfants n’ont pas leur place dans ces nouvelles où l’auteur invente des personnages qui lui ressemblent. Née en Tunisie, elle est arrivée à Paris à 2 ans et a été élevée à la Goutte d’or, quartier célébré par Michel Tournier. Elle a étudié les lettres et les langues germaniques et travaillé comme une Occidentale d’un pays démocratique libéral dans les grandes entreprises. Et pris ses aises en Suisse, où la fiscalité est moins socialiste.
La sensualité se révèle dans la gastronomie et s’épanouit dans l’éros. Quand les deux sont en conjonction, le paradis est sur la terre et dans les âmes. Mais une seule nouvelle sur treize parvient à ce nirvana – lors d’un second mariage, cette fois consenti. C’est que les familles s’en mêlent, prises dans le milieu social où tout le monde s’épie et cancane. L’arabe tunisien a même deux mots pour désigner ces potins : le glak et le gotlak, moment de sociabilité du matin entre femmes, entre petit-déjeuner et ménage.
La « plus belle femme du monde » cuisine avec plaisir pour son mari, tout en se faisant belle. Elle séduit par l’apparence extérieure et par les saveurs intérieures. Mais elle finit par s’apercevoir que son mari n’aime que ses abords corporels et ses résultats culinaires ; il est resté au fond ce petit garçon égocentré que toute mère méditerranéenne couve jusqu’à la fin de sa vie. La « soupe de pois chiche » (recette en prime) est comme le lait de la mère, une douceur de chaque soir. Lorsque le cancer lui ôte un sein, « la plus belle femme du monde » est déchue pour son époux. Elle se rend compte alors que c’est elle-même qu’elle aime, et pas son époux. « J’étais l’aimant de ma propre vie ». Si son mari ne l’avait pas épousé, il n’aurait pas eu cette existence paisible et goûteuse. Comme quoi le vrai mariage est la conjonction de deux êtres qui se sentent complémentaires et assurent leur bonheur personnel l’un par l’autre.
Quant à l’énigmatique « SoniaK2Tataouine », au pseudo tout droit sorti d’un réseau social, a-t-elle existé ? Une nouvelle lui rend hommage. Toutes deux du sud tunisiens, toutes deux réussissant leur « cursus » (drôle de mot technocratique) à Paris, toutes deux rêvant du bon job qui paye bien, et sur le point de réussir. Mais… « Tous ces chocs culturels en pleine figure ». L’immigration, même à la seconde génération, n’est pas un parcours de tout repos. « Nous ne savions pas vivre comme eux. Mais nous le voulions tellement » p.73. Donc, à la fin des études, la fugue de chez les parents tunisiens, restés traditionnels ; puis le chantage affectif à la « mort de la grand-mère », le mensonge utile et permis – la taqiya – et le mariage arrangé, au bled, où il ne fallait surtout pas revenir. Dès lors, la prison à vie. La famille, le milieu, les traditions, la religion.
A quoi cela sert-il d’émigrer ?
Yezza Mehira, La cuisine des âmes nues, 2023, éditions de la Zitourme (micro-édition de Zoug en Suisse), 144 pages, €13,00 – non référencé sur Amazon
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com