Hugo Marsan salue « Des yeux pour mourir » dans Le Monde des Livres

zordan2.JPGSous les pavés, le vide
 
Quatre jeunes écrivains talentueux en prise directe avec la sinistrose de notre temps
(…)
Des yeux pour mourir, premier roman de Laurence Zordan, raconte crûment la destinée d’un moudjahidin, narrateur d’un récit terrifiant. L’auteur abandonne toute subjectivité, s’abandonne, yeux grands ouverts, à l’évocation d’une histoire aux antipodes de la sienne. Son récit cruel, souvent insupportable, nous suffoque – hélas ! – par son esthétisme.
Rythme et écriture, parfaitement cohérents, nous entraînent là où nous refusons d’aller, en Afghanistan, à l’écoute d’un tortionnaire. Il raconte son enfance fusionnelle avec sa mère, leur séparation (le père tranche d’un coup de poignard le sein auquel l’enfant n’en finit pas de s’abreuver d’un unique amour), et son rejet définitif des femmes.
Il s’immerge dans la violence des hommes, conscient de sa monstruosité, dans une double fidélité paradoxale à ses parents : « Je faisais comme ma mère qui m’ouvrait délicatement les lèvres pour y glisser son mamelon ; à ceux que je torturais, je prenais délicatement la tête pour que ma douceur les ouvre à la cruauté. »

Patricia Lemariey écrit sur « Des yeux pour mourir » dans La Dépêche du Midi

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Des yeux pour mourir
10.02.05
Publié aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, Des yeux pour mourir est le premier roman de Laurence Zordan dont Patricia Lemariey a souhaité vous parler cette semaine.
 
« Venge-moi ! Quitte pour cela à user tous tes ongles, à perdre tous tes doigts ! Oui, c’est la traduction de ce cri, compréhensible de moi seul. C’est à moi que s’adresse le râle du supplicié. Vous vous étonnez de ce qu’un bruit de gorge, aussi peu articulé, soit une phrase construite et logique, presque élégante. Pour vos oreilles si charitables de défenseurs des Droits de l’Homme, seules les majuscules de la pitié sont audibles et pas ce minuscule message de haine, échappé péniblement d’une bouche à l’agonie. Je suis le seul à percevoir la grandeur de la scène que vous avez cru enfermer dans une cassette vidéo clandestine. L’homme torturé était un taliban et j’étais son tortionnaire. Il n’appelle pas à la vengeance contre moi, mais par moi. Je suis son légataire universel, son exécuteur meurtrier et son exécuteur testamentaire. »
 
« Telles sont les premières lignes de l’ouvrage de Laurence Zordan, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ena, agrégée de philosophie, heut fonctionnaire et spécialiste des questions de sécurité et de géostratégie » présente Patricia Lemariey, professeur d’histoire et géographie.
 
Publié aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque, le décor de ce premier roman est rapidement campé. Les paysages sont beaux, l’homme l’est aussi. Dans cet ouvrage qui se déroule en Afghanistan, ce pays, comme la torture, y sont décrits et vécus avec passion par un personnage de récit vraiment peu ordinaire. Celui qui parle ainsi est moudjahidin. De son amour quasi fusionnel avec sa mère en passant par ses choix politiques, cet homme, le narrateur, semble jouir de tout dans une violence exacerbée. »
 
« Je faisais comme ma mère qui, dit-il, m’ouvrait délicatement les lèvres pour y glisser son mamelon ; à ceux que je torturais, je prenais délicatement la tête pour que ma douceur les ouvre à la cruauté. »
 
« Terrible non ?, interroge Mme Lemariey. Par delà le plaisir de faire et voir souffrir, le narrateur veut faire ressentir au lecteur l’inhumanité de la cruauté, via l’écriture belle et pourtant féroce de Laurence Zordan qui nous interpelle et nous pousse ainsi au plus loin de nos retranchements en faisant reculer régulièrement les limites du supportable » commente notre lectrice.
 
« Je suis le guetteur, le Guetteur de l’Abomination. Je vais vous raconter l’histoire de mon regard, de mes paupières et nous passerons un marché en nous regardant face à face » invite le narrateur.
 
« Difficile de résister à cela. Sans morale, cet ouvrage est pourtant très bien écrit« , constate Mme Lemariey. Des yeux pour mourir touche forcément et captive malgré nous. D’une manière ou d’une autre, il nous concerne. On aimera ou on détestera. On ne pourra peut-être pas aller au bout de ses 174 pages. Mais c’est un livre qu’il faut avoir lu si on veut comprendre l’histoire du monde et le rôle, c’est selon, que les hommes ont joué et y jouent encore, malheureusement.
 
 

« Les Notes bibliographiques » remarquent Laurence Zordan (07.02.05)

Zordan Laurence.
Des yeux pour mourir
Ce premier roman très troublant a été écrit par une énarque, haut fonctionnaire, spécialiste des questions de sécurité et de géostrategie. C’est la vie d’un moudjahidin, « tortionnaire de talent » pendant la guerre d’Afghanistan, racontée par lui-même. Issu d’une terre torturée par le vent et le froid, séparé avec barbarie d’une mère fusionnelle au sein de laquelle il a bu la haine, éduqué par un père cruel, il est d’un érotisme empêché et exacerbé et commet des sévices d’un raffinement diabolique. Au terme du récit de son itinéraire et de ses choix politiques, il conclut : « je m’exerce, par le verbe, à l’ablation de votre sens critique. » Comme il le fait de l’ablation des paupières.
 
Dans l’ambiguïté où se côtoient horreur et esthétique, en deçà de toute éthique, ce livre, presque insupportable, d’une belle écriture, « poésie de la cruauté », exprime, plus qu’il ne dénonce, l’indicible réalité. D’une puissance troublante, c’est un génial hurlement d’alarme qui force à garder les yeux grands ouverts sur les perturbations mentales de toute une société. Plus efficace que de longs discours. (FR)

« Le bébé » de Marie Darrieussecq, lu par Lio

portrait_de_lio_image_diaporama_portrait.jpgLio
interprète
Le bébé
de Marie Darrieussecq

Réalisé en public au Studio des Champs-Elysées
Mise en scène : Marc Goldberg – Musique : Laurent Cirade

1 CD – 18 €
“ « J’écris pour définir, pour décrire des ensembles, pour mettre à jour les liens : c’est mathématique. J’écris pour renouveler la langue, pour fourbir les mots comme on frotte des cuivres – le bébé, la mère : entendre un son plus clair. Ce n’est pas la naissance du bébé qui déclenche ces pages, c’est l’existence d’autres livres et d’autres phrases – toutes faites ou étincelantes. Les questions qu’elles posent sont parfois si justes que l’adrénaline éclate dans ma poitrine, une envie d’écrire aussi violente et neuve qu’enfant, quand je croyais que ce n’était pas permis. » Marie Darrieussecq.

333250.jpgDétails :
De situations cocasses ou tendres à la stupéfaction et à l’émerveillement devant cet être étrange et fragile, vorace et bruyant, dont les besoins impérieux structurent le quotidien en courtes tranches de temps, le livre comme la pièce réparent une injustice qui fait du bébé l’objet de très nombreux discours sans qu’il le soit jamais de la littérature. La mère et le bébé, l’auteur et son sujet, l’interprète et son texte… La légèreté et la drôlerie se doublent ici d’une sourde inquiétude, intime : «J’écris pour éloigner de mon fils les spectres, pour qu’ils ne me le prennent pas : pour témoigner de sa beauté, de sa drôlerie, de sa magnificence ; pour l’inscrire dans la vie comme on signe une promesse. »