La Bretagne s’intéresse au livre d’Isée St John Knowles sur Coco Chanel

COCO CHANEL : UNE FEMME LIBRE QUI DÉFIA LES TYRANS

Avant d’être une marque de luxe, Chanel fut une femme au destin exceptionnel. Le biographe Isée St. John Knowles revient sur sa période la plus sombre, celle de son comportement sous l’Occupation. Un texte qui relativise bien des accusations outrancières.

 

Elle a tout inventé du vestiaire de la femme moderne. Les tailleurs gansés… L’accessoire devenu bijou… La tenue « liberté » pour les irrévérencieuses… Le sac à main tenu sur l’épaule… Les parfums numérotés… Et surtout une mode de vie, un style : le sien.  Que n’aura-t-on dit sur elle, digressé sur ses origines, sa sexualité, ses relations avec les Grands de l’époque : Cocteau, Picasso, Stravinsky, …  et, bien entendu, à propos de son attitude pendant la dernière Guerre Mondiale ? L’hostilité viscérale à laquelle se heurta Coco Chanel dès 1944 est aujourd’hui rarement apaisée par ses biographes, tant s’en faut, alors que la plus célèbre couturière au monde n’a jamais été condamnée pour fait de Collaboration ni quoi que ce soit dont son honneur de patriote eut pu rougir.

Une silhouette et un esprit

C’est l’histoire d’une orpheline de douze ans issue d’une famille de forains sans le sous. Élevée au fin fond de la ruralité corrézienne par des religieuses, Gabrielle va devenir Coco à force d’un travail acharné. Créatrice révolutionnaire, « Mademoiselle » enflamme le tout Paris où scintille les Ballets Russes de Diaghilev, les Grands ducs, Apollinaire et Colette. Chanel impérieuse,  Chanel féroce, mais aussi Chanel solitaire, blessée dans son enfance par l’abandon d’un père dont elle ne se remettra jamais. Et pourtant ! Royale… Généreuse…Impétueuse… La petite auvergnate devenue étoile de la mode se confronte à la vie comme si elle lui avait toujours souri. Devenue monstre sacré, elle s’inscrit dans son époque au point d’évoquer aujourd’hui encore, à un siècle de distance, les fameuses « années Chanel », celles qui enflammèrent Deauville, Biarritz et Paris durant les Années Folles. Chacune de ses créations déclenche à la fois scandale et engouement. Elle vit des passions tumultueuses avec, entre autres, un cousin du roi d’Angleterre, un neveu du tsar et un poète surréaliste. Autant de drames sentimentaux à répétition qui finiront par assécher ses sentiments et durcir son caractère. Chanel deviendra impitoyable et colérique.

Réfléchir à deux fois

À l’annonce de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Coco Chanel présente une collection « bleu-blanc-rouge » patriote, puis ferme subitement sa maison de couture pour la rouvrir quinze années plus tard, en 1954, elle vient d’avoir 71 ans. Entre les deux, on lui aura reproché tout et son contraire, à commencer par une poignée de main à Hitler alors qu’aucune photo ne l’atteste, et pour cause ! cette hypothétique rencontre avec le Führer n’a jamais eu lieu. Suivront des accusations d’antisémitisme, en particulier à l’encontre de la famille Wertheimer, propriétaire de ses parfums. La créatrice ne s’est guère privé de dire ce qu’elle pensait des deux hommes d’affaire avec lesquels elle eut maille à partir, et qui effectivement se trouvaient être juifs ; de là à y voir un antisémitisme structurel et systématique, peut-être est-il intéressant d’y réfléchir à deux fois, ce que fait Isée St. John Knowles dans Cette femme libre qui défia les tyrans.

Certes ! Il existe des témoignages imparables à son encontre. Citons, par exemple, la fois où Françoise Sagan, outrée de ses propos (considérés antisémites), quitta un dîner pour ne pas être à la même table. Idem en ce qui regarde les accusations d’entremise avec l’ennemi. Oui ! Collabo elle le fut, de fait, par ses actions et réactions puisqu’elle était impliquée dans les rouages que l’occupant souhaitait mettre en place. Ainsi, dès la première quinzaine de mars 1941, Coco Chanel appris par Josée Laval, fille de l’ancien vice-président du Conseil, que l’attaché d’ambassade allemand, Hans Günther von Dincklage, était responsable de l’internement de son neveu, André Palasse, lui aussi orphelin, et qu’elle avait pris sous son aile comme une mère. Dès lors, Dincklage exerça un infâme chantage sur la couturière. Le marché était simple. En échange de son ralliement à la cause nazie, elle obtiendrait la libération dudit neveu. Chanel refusa tout net.

Un document de « l’intérieur »

Riche de sources inédites et d’entretiens avec d’importants témoins ayant connu la créatrice, Isée St. John Knowles commente les nombreuses accusations face auxquelles biographes et journalistes sont en discorde : Innocente ou coupable ? L’auteur a enquêté, obtenu de nombreux témoignages de la part des proches de Gabriel Chanel et de tous ceux susceptibles d’éclairer une existence déformée par l’histoire. Un livre surprenant parce qu’inattendu, fort bien documenté de « l’intérieur » ; Chanel y vie, elle parle, et le lecteur respire entre les pages l’arôme du célèbre N°5 alors que son odeur continue d’envoûter… le monde entier depuis 1921.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Septembre 2023 – Bretagne Actuelle & Enez-Vriad Publishing

Coco Chanel : cette femme libre qui défia les tyrans – Un livre d’Isée St. John Knowles aux éditions C&C – 148 pages avec illustrations couleur – 49,00 €

Entretien croisé entre Christophe Barbier et Isée St-John Knowles sur Coco Chanel par Marc Alpozzo

Coco Chanel, collaboratrice réhabilitée ?

Isée St. John Knowles, Christophe Barbier et Marc Alpozzo

Entretien avec Christophe Barbier et Isée St. John Knowles

Christophe Barbier est à la fois un brillant journaliste et un excellent comédien. Il joue sur les planches le rôle de Paul Morand dans une pièce de Thierry Lassalle, Mademoiselle Chanel, en hiver (au Théâtre Passy), aux côtés de Caroline Silhol, qui incarne merveilleusement Gabrielle Chanel. Isée St. John Knowles bien de publier de son côté, un livre qui a pour vœu de rétablir la vérité à propos des activités de Chanel durant l’occupation Coco Chanel, cette femme libre qui défia les tyrans (Cohen et Cohen, 2022). Je les ai rencontrés à cette occasion, afin de faire le point sur cette période demeurant mystérieuse aujourd’hui encore.

Marc Alpozzo : Bonjour à vous deux, que ce soit la pièce Mademoiselle Chanel, en hiver, dans laquelle cher Christophe Barbier, vous interprétez Paul Morand en exil en Suisse aux côtés de Gabrielle Chanel, échappant aux épurateurs de la fin de la guerre, ou votre ouvrage cher Isée St. John Knowles, Coco Chanel, cette femme libre qui défia les tyrans (Cohen et Cohen, 2022), votre propos est moins l’élégance française et la mode que l’implication supposée de Chanel dans la Seconde Guerre mondiale, et sa personnalité profonde. Pourquoi cette tentative de réhabilitation ?

Isée St. John Knowles : D’abord, procédons-nous à une tentative de réhabilitation ? Cette pièce ne prêche aucunement la réhabilitation de Chanel. L’objectif poursuivi par l’auteur (Thierry Lassalle) était de composer un drame psychologique qui domine et parfois supplante l’histoire. C’est une pièce réussie qui mérite qu’on s’attarde sur les éléments qui la composent. D’emblée, il faut dire que ce drame repose sur une pure invention : Chanel ne s’est jamais confiée à Morand sur l’Occupation. Cela est de peu d’importance, d’ailleurs. Le livre de Morand L’Allure de Chanel[1] dévide des confidences totalement inventées par Chanel, puis réinventées par Morand. Autrement dit, ce livre ne revêt aucune valeur historique. En revanche, sa valeur marchande est indéniable. C’est un best-seller. Est-ce parce que Morand avait le don de faire jaser la langue française, comme le prétendait Céline ? Ne soyons donc pas en quête de réalité dans tout cela, car de réalité nous n’en trouverons guère. La pièce n’obéit pas aux règles de la reconstitution historique. Elle n’est pas pour autant une pure fiction. Je dirais simplement qu’elle s’appuie sur une assise historique fragile.

Christophe Barbier : Je partage cet avis. Il y a une matière humaine, psychologique, presque psychanalytique dans ces personnages. Ce sont des êtres humains dont l’auteur s’est saisi pour creuser et sculpter quelque chose tout en ambiguïtés, cependant la réalité historique n’était pas l’objet. Il ne s’agissait pas de refaire une autre enquête pour établir le vrai du faux et séparer le bon grain de l’ivraie. D’autant que les termes d’espion, collabo etc., appellent des définitions souvent gélatineuses, ce qui fait que l’on ne sait plus exactement à quel moment l’on commence une collaboration. Ensuite, est-ce que l’amour peut être une explication, voire une excuse pour des comportements, politiques, militaires ou autres ? Par ailleurs, si la réalité biographique importe peu, nous sommes ici dans le commencement de la construction du mythe Chanel, par elle-même, mais aussi par Morand, par le biais de ce livre, et enfin par la marque Chanel. L’empire Chanel va s’emparer de L’allure de Chanel pour en faire une sorte de manifeste officiel. Tout cela correspond donc, selon moi, à la construction du mythe, avec ce qu’il faut de mensonges pour faire un mythe, ce qu’il faut d’imagination, d’inventions et de raccourcis, mais aussi de vérités. Puis, il faut également mêler les deux génies : celui de l’existence de Chanel et le génie de l’écriture de Morand. C’est pourquoi ce livre s’est si bien vendu, et c’est ce qui a installé le mythe qui rend secondaire la question même de la vérité, sauf bien sûr pour les historiens et les journalistes dont c’est le métier, ou les enquêteurs s’il y avait eu un procès. Mais là, nous sommes dans un autre registre.

M. A. : Certes, mais il y a eu le livre d’Hal Vaughan, ancien diplomate américain, vétéran de la Seconde Guerre mondiale et journaliste qui, sans être ni historien ni chercheur à l’université, accusa en 2011, Coco Chanel d’avoir été, durant l’occupation, un agent nazi. Or, il se trouve que depuis, cette accusation de collaborationnisme lui colle à la peau, au moins auprès d’une partie de la population.

C. B. : C’est vrai.

I. St. J. K. : Je ne compte pas faire l’impasse sur ce point, mais auparavant, je me permets cette petite digression : je voudrais dire que l’écriture de cette pièce est un exploit. Elle présente des personnages complexes sans jamais les déshumaniser alors que l’auteur, Thierry Lassalle, ressent à leur endroit un insurmontable dégoût. Il s’agit là d’un tour de force pour un dramaturge. Ses portraits sont nuancés. On aurait pu se contenter de faire ressortir l’antisémitisme obsessionnel de Morand. Le dramaturge cependant ne l’a jamais dépouillé de son vernis, ce qui nous engage à entendre ce personnage, subtilement interprété par Christophe Barbier. Quant à Chanel, merveilleusement incarnée par Caroline Silhol, elle demeure certes souveraine, solitaire, cynique, mais toujours en proie à une inharmonie, à une discordance.

M. A. :  Cette pièce montre une Coco Chanel qui est un monstre d’égoïsme, un monstre de cruauté, ce qu’elle partage d’ailleurs avec Paul Morand, puis aussi, on a le sentiment que l’auteur a à cœur de déconstruire les personnages pour en découvrir leur humanité. C’est ainsi que l’on peut dire aussi que c’est une pièce qui vise à montrer l’humanité profonde et réelle des personnages. C’est pour cela que je dis que c’est une réhabilitation finalement, au moins dans le choix de peindre le portrait des personnages.

I. St. J. K. : Tout à fait. Un dernier mot, si vous le voulez bien, au sujet de cette discordance inhérente à la conception du rôle de Chanel ; discordance il y a, parce cette dandy baudelairienne qui se voulait libre et insoumise était devenue la cible des épurateurs « sauvages » qui l’ont contrainte à s’exiler. Or cette dandy ne pouvait s’accommoder d’aucune contrainte. Un tout dernier mot sur la mise en scène d’Anne Bourgeois. Elle nous fait replonger dans l’ambiance de l’époque, le prolongement des années folles, mélange de gravité saupoudrée de désinvolture.

C. B. : Je partage votre avis. La matière humaine, qui est la matière première du dramaturge, n’aboutit à aucune vérité, laissant à chacun sa subjectivité. On peut certes y trouver une réhabilitation, car on y voit des êtres qui souffrent, et donc on leur donne une sorte d’absolution. Certains spectateurs y trouvent au contraire une circonstance aggravante, car dans leur humanité on trouve de mauvais côtés : ils sont très orgueilleux, très égoïstes, ce qui n’excuse pas mais au contraire aggrave les choix politiques qu’ils ont pu faire. Il y a aussi ce moment très spécial, cet hiver 1945-1946, alors que de Gaulle quitte le pouvoir, la guerre étant terminée depuis moins d’un an; les deux personnages se disent que leur exil bientôt se terminera. Certes, ils n’y croient pas vraiment, mais ils voudraient s’en persuader. Ils espèrent rentrer très vite à Paris, et reprendre la vie comme avant, autrement dit leurs mondanités et leur place dans la société. Mais au fond d’eux, ils savent que cet exil durera. D’ailleurs il leur faudra faire un long chemin avant de retrouver la place qu’ils avaient autrefois dans la société, profitant de cette amnistie très généreuse de 1953, accompagnée d’une forme d’amnésie collective et volontaire, car on pensait qu’il fallait tourner la page pour que la France reparte. Cela aurait pu durer bien plus longtemps, cela aurait pu être bien plus grave pour eux, Chanel s’en tire bien mieux qu’Arletty ou Mary Marquet, Morand que Céline ou Brasillach. Donc, ils sont partagés entre le sentiment qu’ils ont eu de la chance dans leur malheur, et un désir de revanche, même s’ils comprennent qu’ils n’ont pas les moyens de leur revanche. On est dans cet entre-deux, ce méli-mélo de sentiments, dont il sortira une période d’attente plus longue que prévue. On le voit dans les petits monologues de fin, d’abord pour donner une conclusion aux gens qui ne connaissent pas l’histoire, mais surtout pour montrer la valeur du temps.

M. A. : Les rapports de Chanel avec les Allemands sont largement évoqués dans la pièce, notamment ceux avec le baron von Dinklage, officier nazi des services secrets. De quelles teneurs sont-ils réellement ? On a l’impression en voyant la pièce que Chanel est surtout rêveuse, une femme amoureuse qui se laisse porter par ses sentiments, et qu’elle est bien moins une collaborationniste que l’on a parfois voulu la décrire.

C. B. : Absolument pas collaborationniste, puisque le « ionniste » implique une réflexion et une pensée, voire une idéologie, or Chanel ne produit aucune thèse. Collabo, elle l’est de fait, car par ses actions elle est impliquée dans les rouages que l’occupant veut mettre en place et activer ; qu’elle soit naïve, qu’elle pense que le but qu’elle vise, que ce soit par rapport à son neveu ou la paix, tout cela la leurre complètement. Ajoutons encore à cela l’amitié, les sentiments qui sont chez Chanel une voilette devant les yeux, qui lui obstruent la lucidité politique qu’elle aurait pu avoir. Elle ne sera bien évidemment pas la seule. La nullité du jugement politique d’un Guitry sur les faits qu’il traverse, son interprétation sans cesse fausse d’une histoire qui le dépasse et qui va l’écraser, c’est tout aussi stupéfiant. Tout le monde ne peut être aussi lucide qu’un de Gaulle. Malgré cela, ou pour cela, l’histoire d’amour qui prouve sa sincérité, et la pièce l’illustre, en dépassant le temps de la guerre, mérite d’être racontée.

I. St. J. K. : Le seul problème, c’est que cette histoire d’amour s’est déroulée en 1934.

C. B. : En effet. Elle s’allonge, elle s’étire…

I. St. J. K. : Je ne suis pas sûr d’abonder dans votre sens. Cette relation amoureuse, en 1934, a été très éphémère, puisque tous deux, Chanel et Dincklage, entretenaient des attaches sentimentales respectives. Chanel, qui avait 51 ans, avait noué une amitié ambiguë avec Paul Iribe et Dincklage, de 13 ans le cadet de la styliste, abondait en conquêtes féminines.

C. B. : C’est pourtant un univers idéologiquement cohérent.

 I. St. J. K. : En apparence seulement, puisque cette cohérence s’appliquait essentiellement à l’essor de sa vie mondaine. Lorsque Dincklage impose sa présence dans la vie de Chanel en août 1940, elle est libre depuis la disparition d’Iribe. Et Dincklage s’acquittera parfaitement de la fonction de chevalier servant que lui assignera Chanel pendant sept mois. Dès la première quinzaine de mars 1941, Chanel apprend par Josée Laval, la fille de l’ancien vice-président du Conseil, que Dincklage était responsable de la capture et de l’internement du neveu de Chanel, André Palasse. Dès lors, Dincklage exercera sur Chanel un infâme chantage : moyennant son ralliement à la cause nazie, elle obtiendrait la libération de son neveu. Certes, elle ne céda pas au chantage. En revanche, si l’on revient à la période de 1945-1946, qui intéresse notre dramaturge, Chanel n’échappera pas à un second chantage, cette fois financier, auquel aura recours Dincklage. Conseillée par son avocat, René de Chambrun, qui avait épousé Josée Laval, Chanel se soumettra à ce chantage, faute de quoi Dincklage la menaçait de souiller sa réputation en répandant d’inqualifiables calomnies. Il lui fallut donc acheter son silence, ce qu’elle ressentit comme une suprême humiliation.

C. B. : Notre fiction est donc plus belle que la réalité.

M. A. : C’est à ce point précis que nous pouvons rebondir sur les accusations d’Hal Vaughan dont j’ai parlées plus haut, puisqu’il l’accuse clairement d’intelligence avec l’ennemi, et continue l’épuration d’une certaine manière.

I. St. J. K. : Vous avez parfaitement raison. Depuis 1944, l’hostilité viscérale, à laquelle se heurta Chanel, ne s’est guère apaisée, alors qu’elle n’a jamais été sanctionnée pénalement. En raison de ce ressentiment croissant, exacerbé par Hal Vaughan, il me paraît un peu imprudent de parler de réhabilitation.

C. B. : Je crois qu’il y a aujourd’hui Coco et Chanel. Le mythe Coco, la jeune femme, tous ses malheurs et mésaventures familiaux, ses histoires d’amour tragiques, ainsi que son génie créateur, et Chanel, avec les problèmes de business, et tous les conflits qu’elle a pu avoir, et cette affaire de collaboration. Les deux voyagent un peu en parallèle. On trouve des gens pour ne voir que Coco, les jeunes filles qui veulent faire de la mode, celles qui achètent le parfum, celles qui sont allées voir le film avec Audrey Tautou, et il y a ceux qui ne voient que Chanel, qui sont obsédés par cette matière historique controversée. On a réussi à installer comme cela les deux mythes, la marque Chanel arrivant à tolérer le second, qui ne lui est pas favorable tout en faisant prospérer le premier. C’est assez incroyable de voir dans toutes les publicités comment les jeunes femmes qui y sont mises en scène sont des femmes de liberté, d’indépendance, qui ne supportent aucune autorité masculine, et qui perpétuent ce que Coco était dans les années folles. Avec habileté, en ne jouant ni de la censure, ni de la pression, la marque a laissé prospérer le débat des historiens, peu favorable à Chanel. Au-dessus, en surplomb, il y a ce mythe très positif continuant de faire de Chanel un personnage qui fascine.

M. A. : Dans la pièce Chanel termine sa vie avec ce jeune maître d’hôtel qui est juif, ce qui peut paraître comme un pied de nez à l’histoire.

C. B. : Elle le rencontrera bien plus tard. Il y a là un raccourci de temps. Les coups de cœur de Chanel pèsent plus que tout le reste, ce qui l’absout d’une véritable hostilité idéologique. Ce qu’elle dit dans la pièce contre les Juifs relève de ce qu’elle ressent à propos de deux hommes d’affaires avec lesquels elle a maille à partir, et qui se trouvent être juifs. Mais il n’y a pas d’antisémitisme structurel et systématique chez Chanel, contrairement à Morand. Les êtres humains sont pour Coco beaucoup plus importants que les opinions politiques ou les croyances religieuses.

I. St. J. K. : Au stade décisif de cet entretien, je souhaiterais rapporter une confidence que vous aviez livrée, il y a quelque temps, sur Radio J. Vous aviez souligné que vous accordiez une importance considérable à la parole de la défense. Je m’autorise donc de cette confidence si bienveillante pour assurer maintenant la défense de Chanel. Revenons à cette poignée de main entre Chanel et Hitler, postulat livré en pâture au public par le dramaturge. Cette poignée de main n’a jamais eu lieu. Chanel n’a jamais rencontré Hitler. Alors, de deux choses l’une : soit on réagit en bon sartrien, et l’on se dit que le dramaturge assume sa responsabilité parce qu’il se sent libre de dire ce qu’il veut, de réinventer l’histoire, de se décharger de toute fonction heuristique, ou bien il y a une autre attitude qui serait celle de concilier l’art du dramaturge avec une exigence éthique. Quand on aborde le sujet de l’Occupation, nous ne sommes plus sur un terrain vierge. Il est brûlant. Il est piétiné par les préjugés d’un public désorienté, conditionné à penser que Chanel est coupable, un public manipulé par des procureurs autoproclamés qui se sont décerné le titre d’historiens. Dans ce contexte, le dramaturge peut subodorer sans peine le pouvoir émotif que détient cette poignée de main entre Chanel et Hitler. Il peut pressentir la répulsion instinctive qui va terrasser le spectateur. En un mot, il peut amener son public à haïr Chanel.

M. A. : La parole est à la défense.

C. B. : Merci. Dans le texte de Thierry Lassalle, il y a deux choses : d’abord une volonté de créer un obstacle insurmontable pour empêcher François de rejoindre Chanel. Il ne peut pas travailler pour Chanel, et pourtant il le fera. Son amour pour Chanel, sa fascination pour Chanel lui permettront de passer par-dessus la poignée de main à Hitler. De plus, le dramaturge ne dit pas qu’il y a eu cette poignée. Il le fait dire à Morand. Il y a là peut-être un mensonge, une extrapolation de la part de Morand, car il a reconnu en ce jeune maître d’hôtel quelqu’un de sagace, une sorte de disciple en qui il cherche une forme d’admiration, et il faut donc l’empêcher d’être absorbé dans une autre orbite que la sienne. Voilà pourquoi Morand cherche à discréditer Chanel en évoquant cette poignée de main. Mais cela ne marche pas, puisque le jeune homme a pris soin de lire les livres de Morand, pour se faire une idée, et accuse l’écrivain d’être le vrai raciste, passant alors du côté de Chanel.

I. St. J. K. : Dans la pièce, Chanel ne réfute pas l’imputation de Morand. Elle ne s’inscrit pas en faux contre cette poignée de main.

C. B. : Certes. « Sa main était molle et moite ». Mais Chanel l’aurait-elle nié ?

I. St. J. K. : Non seulement elle aurait récusé l’accomplissement de ce geste cordial à l’endroit d’Hitler, mais elle aurait éconduit Morand sur-le-champ, ce qui nous aurait privés du plaisir de vous entendre jusqu’au salut final !

C. B. : Pour établir les faits, il aurait fallu un procès. S’il y avait eu un procès de ces deux individus, il y aurait eu une vérité judiciaire. En échappant au procès, ils ont gardé un train de vie confortable dans l’exil, puis ils ont pu revenir et reprendre d’abord à bas bruit une vie mondaine, ensuite une place dans la société ; mais pour la Justice, le vrai et le faux n’ont pas été tranchés. On peut dire que cette pièce ne cherche pas l’objectivité par la vérité historique, ne serait-ce que pour des raisons dramaturgiques, mais elle recherche une forme d’objectivité par le culte de l’ambiguïté. Il y a toutes les facettes, toutes les couleurs des comportements, des émotions, et chaque spectateur peut retenir, dans les répliques, matière à trouver sympathique, attachant, pathétique, accablant, détestable, drôle, cynique, admirable tel ou tel personnage à tel ou tel moment. C’est ce qui fait la palette de la pièce, quelque chose d’intéressant à jouer, et à regarder. On sort de là en ayant une somme d’impressions qui font peut-être un jugement, une conviction, mais ce n’est pas du béton, si j’ose dire. Et comme nous comédiens, nous défendons nos personnages, je crois que les spectateurs ressortent de la pièce en voyant l’humanité complexe et fragile de ces êtres. Ce n’est pas forcément une circonstance atténuante pour ce qu’ils ont fait, mais cela montre la complexité des choix à effectuer quand on est dans des circonstances historiques tragiques.

Propos recueillis par Marc Alpozzo


[1] Livre de Paul Morand paru en 1976.

Isée St John Knowles « ravira surtout les passionnés, les initiés et ceux qui voudront entendre un autre son de cloche » d’après Actualitté

Coco Chanel, retour sur un destin qui fait polémique

Figure ambigüe, mais mondialement connue, Coco Chanel (1883-1971) demeure controversée. Accusée de collaboration, réputée acariâtre, tyrannique, la grande couturière aurait également intrigué et espionné pendant la guerre. Par Étienne Ruhaud.

Isée St John Knowles a voulu réhabiliter cette grande dame de la mode, sans pour autant passer sur toutes ses déviances, ni faire l’impasse sur certaines zones d’ombre. Un éclairage aux accents autobiographiques, souvent très éclairant, bien que (parfois) difficile à suivre… 

Fille d’un camelot et d’une couturière, Gabrielle Bonheur Chasnel naît, hors-mariage, à Saumur en 1883. L’ambiance au foyer semble être lourde. Épuisée par ses grossesses et le labeur, sa mère meurt en 1895, à l’âge de 31 ans. Dur, aigri, le père aurait alors placé Gabrielle et ses sœurs auprès de cousines germaines. Mythomane, l’adolescente s’invente une ascendance glorieuse, tout en apprenant (comme, avant elle, sa propre mère), la couture.

Isée St John Knowles reprend ici l’idée selon laquelle la future grande dame aurait grandi en orphelinat, ce qui n’a par ailleurs jamais été confirmé. Par la suite, Gabrielle Chasnel aurait vécu à Moulins, poussant la chansonnette devant les soldats, qui la surnomment « Coco ». Elle fréquentait le riche officier Etienne Balsan, amant éphémère et protecteur. Venue à Paris avec l’homme d’affaires anglais Arthur Capel (dit « Boy Capel »), elle apprend rapidement les usages du monde, et commence à confectionner de petits chapeaux ainsi que ses propres robes.

Boy Capel lui offre alors sa première boutique. Ambitieuse, inventive, travailleuse, Coco emploie sa cousine et sa sœur. Elle ouvre de nouveaux établissements, notamment en province, comme à Biarritz. Elle embauche bientôt plusieurs centaines d’ouvrières et impose un style nouveau, simple et élégant. La mort accidentelle de Boy Capel, en 1918, la laisse toutefois désemparée. 

Paradoxalement, le succès semble être au rendez-vous. Coco Chanel, qui s’est associée à la famille d’origine juive Wertheimer en 1921, vend des parfums. Elle connaît de multiples aventures, ce qui lui donne sans cesse de nouvelles idées, à l’instar de la « petite robe noire », en 1926. Lors de l’entrée en guerre, Coco licencie ses ouvrières. Les mauvaises langues prétendent qu’elles étaient trop revendicatrices à ses yeux. On pense également que les produits de luxe, se vendaient moins au cours du conflit.

Ayant adopté un antisémitisme « de circonstance », Coco Chanel veut se débarrasser des Wertheimer, qui possèdent l’essentiel des capitaux, et contre lesquels elle se bat depuis 1934, défendu par Maître René de Chambrun. Exilés aux États-Unis, ceux-ci ont cependant pris les devants, en « aryanisant » eux-mêmes leurs affaires, grâce à un proche de Vichy, Félix Amiot, devenu homme de paille. Entre 41 et 44, Coco qui vit au Ritz, a pour amant un certain Hans Günther von Dincklage (1896-1974), personnage trouble, attaché d’ambassade, espion pour le compte de l’Abwehr (soit les services secrets allemands).

Le couple aurait alors tenté de mettre en œuvre l’opération « chapeau de couture », soit de jouer sur les affinités de Coco Chanel avec les Westminster pour négocier un traité de paix entre le Reich et la Grande-Bretagne. L’opération échoue en 1943. Selon d’autres sources, Coco aurait aussi joué le rôle d’agent du M-16 britannique. 

Brièvement suspectée à la Libération, et passée en jugement, Coco est finalement laissée libre. Elle s’exile en Suisse, ne revenant à Paris qu’épisodiquement après avoir « raté » son retour dans la mode en 1954. Les Wertheimers, avec lesquels elle entretient toujours des rapports complexes, rachètent la totalité de la maison. Seule, aigrie, Coco décède en 1971 à l’âge de 97 ans. Elle repose à Lausanne.

Un livre baudelairien et … Familial

Né à Saint-Germain-des-Prés, ayant suivi des études de Lettres et de philosophie à l’université d’Oxford et ancien conservateur du musée Limouse des Fleurs du mal (à Roquebrune-Cap-Martin dans les Alpes maritimes puis à Chester en Angleterre), Isée St. John Knowles tente ici de réhabiliter Coco Chanel. Femme d’un grand égoïsme, au caractère détestable de l’aveu même de l’auteur, la couturière aurait été victime de plusieurs malentendus, de diverses calomnies.

Isée St. John Knowles pense que Coco, victime d’un parcours de circonstances, n’aurait jamais réellement, sincèrement collaboré, se faisant elle-même manipuler. En témoigne l’étrange pièce de théâtre intégrée à l’essai, et où nous voyons Coco se débattre, tenter de se justifier, en vain. Biographie enrichie par de nombreux documents d’archives, Coco Chanel constitue aussi un ouvrage autobiographique, puisqu’Isée St. John Knowles évoque son propre grand-père juif, sauvé in extremis de la déportation par Coco, qui l’aurait protégé.

Par-delà le drame familial, Isée St. John Knowles parle de son propre parcours. Historien de la société Baudelaire, sise rue Monsieur le Prince, et dont Coco fut membre, l’homme revient sur ses rencontres. Il ne s’agit donc nullement d’un essai froid, ou d’une simple tentative de réhabilitation, en opposition au livre mordant de l’Américain Hal Vaughan, ici abondamment décrié. Bien des pages sont d’ailleurs consacrées à la passion même de Coco pour Baudelaire. S’appuyant sur les notes du peintre Roger Limouse (1894-1995), lui-même sociétaire, Isée St John Knowles décrit longuement la passion de Coco pour les Fleurs du mal.

Issue d’un milieu modeste, donc autodidacte passionnée, la couturière aurait été inspirée par certains vers, comme en témoignent les robes « Harmonie du soir », « Le Cygne », ou encore « La beauté », photographiées et ici reproduites. 

D’aucuns trouveront peut-être l’ouvrage maladroit, cependant, ou réservé à des spécialistes, donc peu lisible. Il est vrai que la lecture demeure ardue, tant les références abondent. L’individu peu familiarisé avec l’univers propre à Coco et sa vie aura du mal à s’y retrouver, éprouvera un sentiment de flou face à un texte hybride, mêlant entretiens, théâtre, chronologies…

Coco Chanel, cette femme libre qui défia les tyrans est sans doute brouillon, mais richement illustré et préfacé par Gabrielle Palasse-Labrunie la petite-nièce de Coco. Il ravira surtout les passionnés, les initiés et ceux qui voudront entendre un autre son de cloche.

Publié aux éditions Cohen & Cohen dans la collection « Saint-Germain des Prés » dirigée par Isée St John Knowles en personne, l’essai constitue également un hommage au célèbre quartier littéraire, « royaume de ces héros romantiques qui surent donner à la liberté de pensée le sceau de la distinction et de la grandeur » (page 7). 

Un entretien de Isée St. John Knowles préfacé par Gabrielle Palasse-Labrunie pour défendre Coco Chanel

Coco Chanel était-elle vraiment antisémite et espionne pour les nazis ?

« Une forme d’hommage de la Société Baudelaire pour les cinquante ans de la mort de Coco Chanel »

Isée St. John Knowles, Coco Chanel

« Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences », disait Charles Baudelaire. En sa qualité d’historien de la Société Baudelaire, sise 26 rue Monsieur-le-Prince à Paris, l’auteur, oxfordien anglais et dramaturge né à Saint-Germain-des-Prés d’un grand-père juif, enquête. Il veut réhabiliter Gabrielle Bonheur Chasnel, dite Coco, née en 1883 hors mariage à Saumur. Placée à 12 ans avec ses jeunes sœurs auprès de cousines germaines de sa mère par un père aigri, elle apprend la couture et devient mythomane, s’inventant le passé et la famille dont elle rêvait. L’auteur reprend le mythe de « l’orphelinat » bien qu’il ne soit aucunement attesté.

Montée à Paris avec le fortuné Etienne Balsan, elle s’en lasse et s’éprend de « Boy », un Arthur Capel anglais, homme d’affaires qui la pousse à créer ses collections de chapeaux puis de modiste. Après 1918, le succès vient. Elle s’associe en 1921 avec les frères Wertheimer pour les parfums. Elle multiplie les amants, ce qui lui donne de nouvelles idées de mode. La célèbre « petite robe noire » date de 1926.

Quand la Seconde guerre mondiale éclate, elle ferme sa maison de couture et licencie ses quatre mille ouvrières, trop revendicatrices après le Front populaire affirment les mauvaises langues, mais peut-être surtout parce que les misères de la guerre et les délires nationalistes font mauvais ménage avec les futilités de la mode. Elle se consacre à ses parfums dont le fameux « N°5 » et tente d’user des nouvelles lois antisémites pour récupérer les droits que possèdent la famille juive Wertheimer. Mais ceux-ci, rusés et exilés aux Etats-Unis, ont fait passer la propriété aux mains de l’aryen Félix Amiot, qui leur redonnera après-guerre. Son antisémitisme d’alors est qualifié « de circonstance » par l’auteur parce qu’elle veut contrer l’aryanisation des affaires Wertheimer par un proche de Vichy.

De 1941 à 44, Chanel vit au Ritz, réquisitionné par la Luftwaffe, avec son amant allemand, le baron Hans Günther von Dincklage, qui émarge au renseignement militaire. Coco Chanel serait devenue espionne au service de l’Allemagne, selon des archives déclassifiées de la Préfecture de police de Paris. Elle aurait été chargée d’activer son ancien amant le duc de Westminster pour favoriser une paix séparée entre le Royaume-Uni et l’Allemagne lorsque cela commençait à sentir le roussi, en 1943. Elle aurait peut-être été agent double, servant aussi les Anglais du MI6 – en toute indépendance.

A la Libération, elle est brièvement interrogée par un Comité français d’épuration autoproclamé de FFI et laissée libre ; elle s’exile en Suisse. Elle ne revient à Paris pour rouvrir sa maison de couture que sur l’instance des frères Wertheimer qui veulent relancer leurs affaires de parfums. Elle meurt en 1971 à 87 ans, sèche et acariâtre, disent certains, en tout cas égocentrique, comme toujours. « Elle n’éprouvait aucun attachement pour autrui », cite l’auteur p.18. D’où ses invectives contre tout et tous.

Isée St. John Knowles se fonde sur les notes du peintre « baudelairien » Limouse à propos de Chanel. Il fait du dandysme la marque de fabrique de Coco, la femme libre qui défie les puissants et la moraline d’époque. « Sa volonté de ne dépendre que d’elle-même et de défier l’autorité de tous les protagonistes de l’histoire », dit l’auteur p.17. En bref, une féministe avant la lettre, vilipendée par le puritain yankee Vaughan dans une biographie biaisée par la moraline, la réprouvant de coucher « dans le lit de l’ennemi ».

Le livre, très illustré de documents et photos, se présente comme un collage en cinq parties baroques, la première sur les « années Saint-Germain » de Chanel 1924-37, la seconde sur « le temps de guerre », la troisième un « tableau synoptique 1939-44 », la quatrième une pièce de théâtre écrite par l’auteur sur Chanel « cette femme libre », etc. et la cinquième « un jaillissement de lumière dans les ténèbres » contant des anecdotes personnelles. Une forme d’hommage de la Société Baudelaire pour les cinquante ans de la mort de Coco plus qu’une œuvre circonstanciée d’historien.

Isée St. John Knowles, Coco Chanel – cette femme libre qui défia les tyrans, préface de sa petite-nièce, Cohen & Cohen éditeurs, Collection Saint-Germain-des-Prés inédit, 2022, 148 pages, €49.00

« Coco Chanel fait parler d’elle » par Pierre de Restigné (sur le livre d’Isée St. John Knowles dans wukali)

« Coco Chanel fait parler d’elle » par Pierre de Restigné

Avant même de lire ce livre,Coco Chanel- Cette femme libre qui défia les tyrans, magnifiquement illustré, il convient de bien le placer dans le cadre qui a présidé à sa publication (et non à son écriture, puisque, comme le dit l’auteur, Isée Saint John Knowles, la partie la plus importante en ayant été écrite il y a quelque temps ( il suffit de voir que la préface a été rédigée par Gabrielle Palasse-Labrunie, la petite-nièce de Coco Chanel, aujourd’hui décédée).

En effet, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Baudelaire, la société Baudelaire a décidé de faire paraître des ouvrages autour de ses membres les plus prestigieux, dont Coco Chanel, laquelle ne se retira qu’au denier moment alors qu’elle allait sûrement être élue à sa présidence. Ainsi, toute la thèse, de cet ouvrage est de démontrer que Coco Chanel, durant sa vie en général et l’Occupation en particulier, a agi en bonne baudelairienne, c’est à dire en dandy.

Ce que l’on peut reprocher à l’auteur, c’est de ne pas définir le concept même de « dandy ». Il faut dire que depuis Brummell,  il y a bien des ouvrages qui ont été écrits sur le sujet. Dans son acceptation très très large, il y a au delà de l’aspect vestimentaire  en rupture avec les canons de la société (les Incroyables et les Merveilleuses sous le Directoire étaient-ils des dandys?), des hommes et des femmes qui font montre d’une indépendance d’esprit par rapport aux « normes sociales », vouent un culte au « beau », tout cela avec un raffinement, un code des « bonnes manières » très développé. On ne peut pas dire que le mouvement punk est dandy !

Que Mademoiselle ait développé dans sa façon de vivre une certaine forme de dandysme, cela parait évident. Mais est-ce que sa façon de vivre, son guide spirituel, comme essaie de le démontrer Isée Saint John Knowles, fut le dandysme à travers la figure tutélaire de Baudelaire, cela peut prêter à discussion, tant la personnalité de Chanel fut complexe. Au moins, et même l’auteur le reconnaît de loin, les adjectifs qui la caractérisent le mieux sont égoïstefroidesans aucune empathiemégalomane et j’en passe. Une personne certaine de son génie et ayant développé une très très haute estime d’elle-même, avec l’idée qu’elle fait partie d’une élite. Cela n’est pas sans évoquer le pire aspect de la mentalité de l’aristocratie de la fin de l’Ancien Régime qui a empêché Louis XVI de réformer la monarchie et qui a beaucoup perdu avec la Révolution. Mais je m’égare !

Avant même de lire ce livre,Coco Chanel- Cette femme libre qui défia les tyrans, magnifiquement illustré, il convient de bien le placer dans le cadre qui a présidé à sa publication (et non à son écriture, puisque, comme le dit l’auteur, Isée Saint John Knowles, la partie la plus importante en ayant été écrite il y a quelque temps ( il suffit de voir que la préface a été rédigée par Gabrielle Palasse-Labrunie, la petite-nièce de Coco Chanel, aujourd’hui décédée).

En effet, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Baudelaire, la société Baudelaire a décidé de faire paraître des ouvrages autour de ses membres les plus prestigieux, dont Coco Chanel, laquelle ne se retira qu’au denier moment alors qu’elle allait sûrement être élue à sa présidence. Ainsi, toute la thèse, de cet ouvrage est de démontrer que Coco Chanel, durant sa vie en général et l’Occupation en particulier, a agi en bonne baudelairienne, c’est à dire en dandy.

Ce que l’on peut reprocher à l’auteur, c’est de ne pas définir le concept même de « dandy ». Il faut dire que depuis Brummell,  il y a bien des ouvrages qui ont été écrits sur le sujet. Dans son acceptation très très large, il y a au delà de l’aspect vestimentaire  en rupture avec les canons de la société (les Incroyables et les Merveilleuses sous le Directoire étaient-ils des dandys?), des hommes et des femmes qui font montre d’une indépendance d’esprit par rapport aux « normes sociales », vouent un culte au « beau », tout cela avec un raffinement, un code des « bonnes manières » très développé. On ne peut pas dire que le mouvement punk est dandy !

Que Mademoiselle ait développé dans sa façon de vivre une certaine forme de dandysme, cela parait évident. Mais est-ce que sa façon de vivre, son guide spirituel, comme essaie de le démontrer Isée Saint John Knowles, fut le dandysme à travers la figure tutélaire de Baudelaire, cela peut prêter à discussion, tant la personnalité de Chanel fut complexe. Au moins, et même l’auteur le reconnaît de loin, les adjectifs qui la caractérisent le mieux sont égoïstefroidesans aucune empathiemégalomane et j’en passe. Une personne certaine de son génie et ayant développé une très très haute estime d’elle-même, avec l’idée qu’elle fait partie d’une élite. Cela n’est pas sans évoquer le pire aspect de la mentalité de l’aristocratie de la fin de l’Ancien Régime qui a empêché Louis XVI de réformer la monarchie et qui a beaucoup perdu avec la Révolution. Mais je m’égare !

Coco Chanel
Coco Chanel au Ritz où elle demeurait

Isée Saint John Knowles écrit pour dédouanerCoco Chanel  des accusations portées par Hal Vaughan et concernant son attitude  pendant l’Occupation. Pour ce faire, il a reçu les confidences du peintre Roger Limouse, ami très proche de la modiste, président de la société Baudelaire, qui lui montre le résumé des carnets de guerre de Chanel sur son action durant cette période. Bon, il y aurait beaucoup à dire sur ces carnets qui ont disparu (espérons que comme les écrits de Céline, ils réapparaîtront un jour). Isée Saint John Knowles reconnaît lui même que le rapport de Coco Chanel avec la réalité est très aléatoire, je cite (page 88) : « la forme acquise par le travestissement chanélien de la vérité interpelle ». Cela étant posé, on peut avoir des doutes sur la fiabilité des susdits carnets. Ne sont-ils pas un plaidoyer pour se défendre si elle était vraiment inquiétée à la Libération et l’image qu’elle voulait donner à la postérité ? De plus, on peut se poser des questions sur le résumé de Limouse, très ami avec Chanel ainsi que ses autres témoins dont l’avocat de Chanel, René de Chambrun, le gendre de Laval, lady Diana Mosley, dont la fascination pour Hitler était aussi forte que celle de son mari, et j’en passe. Aucun d’entre eux qui pour le moins ont eu une attitude plus qu’ambiguë durant l’Occupation. Mais encore une fois passons !

Pour l’auteur, soit, son amant (et qui le restera bien après la guerre, alors que pour Isée Saint John Knowles, ils se haïssaient) Hans Günther von Dincklage était un espion allemand chargé des basses œuvres. Soit, elle a travaillé pour l’Abwehr, sous le nom de code Westminster, en référence au duc de Westminster, un ex-amant, lui aussi très proche des idées nazis, et surtout pour le général Walter Schellenberg, un proche d’Himmler, et elle s’est rendue plusieurs fois en Allemagne, en Espagne franquiste, etc. Mais, selon l’auteur, c’était elle qui les manipulait. Pourquoi ? Pour obtenir la libération de son neveu et garder les parfums Chanel. Garder pour la France, selon l’auteur, pour elle disent les autres historiens !

Ce n’est pas le sujet du livre, loin de là, mais l’attitude de Chanel est assez ignoble. Elle a pu créer les parfums Chanel grâce aux frères Wertheimer et elle ne détenait que 10% des parts. Quand ses associés ont été obligés de s’exiler, elle a tout fait pour récupérer leurs parts dans le cadre de l’aryanisation des entreprises. Mais ils avaient trouvé un « homme de paille », l’industriel Félix Amiot, un avionneur. Elle fera tout pour le dénigrer, mais en vain. Elle a été ignoble, non seulement contre ce dernier mais aussi contre ses anciens associés. Est-elle raciste et antisémite ? Malgré les dires, les écrits de la modiste, Isée Saint John Knowles dit que non, que ce n’était qu’une façon de se dissimuler, obligée par les circonstances. D’ailleurs, elle se targuait de n’avoir jamais dénoncé un Juif. C’est vrai, mais elle n’en a sauvé aucun, alors qu’Amiot des dizaines. Soit, elle a fermé ses ateliers dés le début de la guerre, refusant de travailler tant que les nazis seraient en France. Oui, c’est vrai, mais ne fusse pas une façon de se venger des grèves de 36 qu’elle n’avait pas appréciées ? Qu’a-t-elle fait pour les 4 000 personnes qui travaillaient pour elle ? Rien, strictement rien. Et sa fortune trouvait ses racines non dans la couture mais dans les parfums, d’où sa volonté de tout avoir et de ne pas partager.

Soit, elle ne fut « inquiétée » que durant deux heures à la Libération. Elle fut libérée selon certains grâce à l’intervention de Churchill, mais rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que le dossier, qui existe encore, ne fait aucune mention à son appartenance à l’Abwehr. Il n’est pas sûr que le destin de Chanel fut le même si cela s’était su à cette époque ! D’ailleurs se sentant menacée, elle finit par fuir en Suisse (sic). A la même époque Guitry fut plus poursuivi, bien qu’il ait refusé que l’on jouât ses pièces durant l’Occupation et qu’il a refusé d’aller en Allemagne ! Et ne parlons pas d’Arlety ! Mais avec ses doubles, voire triple jeux, Chanel avait des soutiens dans tous les camps et elle a su en jouer. Les Allemands auraient gagné, elle aurait été leur meilleure amie !

C’est Joséphine Baker qui est entrée au Panthéon, sûrement pas Chanel, et pour cause, d’un côté, l’honneur, le courage, l’abnégation, de l’autre le calcul, la mégalomanie et l’intérêt matériel personnel.

Une personne assez antipathique, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais comme Céline, cela n’empêche pas que dans son domaine, elle fut un génie. Le lecteur finit par se poser la question : vivre en dandy est-ce fait montre d’égoïsme et se croire supérieur au reste de l’humanité ?

Isée Saint John Knowles défend une thèse et c’est son droit le plus strict. Et c’est aussi tout à l’honneur de l’Histoire, c’est d’être remise toujours en cause, ainsi évolue-t-elle et est vivante. Et surtout, de nouveaux documents, de nouvelles archives sont mis à jour permettant ainsi de faire évoluer les connaissances. Avec Chanel, il y a encore bien du travail !

Pierre de Restigné, juriste et historien