Tristan Hordé, le premier à avoir rendu compte de sa lecture de notre Hypatie ! (3 mai 2010, e-litterature.net)

hy.jpg

Hypatie d’Alexandrie – Maria Dzielska

préface de Monique Trédé,
éditions des femmes / Antoinette Fouque, nouveauté 2010

lundi 3 mai 2010, critique par Tristan Hordé

Sur ©e-litterature.net

Hypatie d’Alexandrie est devenue héroïne du grand écran sous les traits de Rachel Weisz dans le film Agora (présenté à Cannes en 2009) du réalisateur espagnol Alejandro Amenábar, qui raconte l’histoire de la philosophe et mathématicienne. En France, le premier à la sortir de l’oubli est un grammairien connaisseur de l’Antiquité, Gilles Ménage, qui publia en 1690 Historia Mulierum philosopharum [Histoire des femmes philosophes]. Le sujet a été repris et développé en 2006 par Éric Sartori avec son Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle : Les filles d’Hypatie. Ce titre donne à Hypatie un rôle de pionnière et on attendait qu’un livre lui soit consacré, qui reprenne minutieusement le peu d’éléments dont on dispose à son propos, textes anciens et correspondances. Il ne suffisait pas de les citer, mais de les comparer et de les analyser en relation avec ce qui peut par ailleurs être connu de la vie politique et des conflits de l’époque.

Maria Dzielska a reconstruit en partie la vie d’Hypatie et analysé la manière dont on a reconstitué sa biographie depuis le XVIIIe siècle. Sa beauté et sa jeunesse ont été constamment louées, elle a été perçue à la fois comme « un symbole de la liberté sexuelle et du déclin du paganisme (et, avec lui, de la disparition de la pensée libre, de la raison naturelle et de la liberté d’expression). » La réalité est différente et plus complexe.

Hypatie, née vers 355 et morte en 415, devint, comme son père Théon, mathématicienne et astronome (elle aurait peut-être mis au point l’édition de l’Almageste de Ptolémée), et elle enseigna aussi la philosophie. Ses disciples faisaient souvent de longs voyages pour former auprès d’elle une communauté intellectuelle, issus de Syrie, de Lybie ou de Constantinople (maintenant Istanbul). Elle était appréciée pour ses qualités morales, menait un train de vie modeste et n’eut probablement jamais de relations sexuelles ; « toutes nos sources, écrit Maria Dzielska, s’accordent à la présenter comme un modèle de courage éthique, de vertu, de sincérité, de dévouement civique et de prouesse intellectuelle. » Dévouement civique : elle était sollicitée pour conseiller les autorités d’Alexandrie ou impériales.

hypatia.jpgPourquoi une telle femme a-t-elle été massacrée par les chrétiens ? À partir de 414, le conflit entre le patriarche Cyrille et le préfet romain Oreste, laïc, s’exacerba, les autorités ecclésiastiques cherchant à empiéter sur le pouvoir politique ; Hypatie, dont l’influence était importante, s’opposait à la mainmise des religieux sur les affaires laïques. Le bruit fut répandu qu’elle était une sorcière, ce qui scellait son sort tant était forte la peur de la sorcellerie : en mars 415, des hommes de Cyrille l’attaquèrent, « la tuèrent à l’aide de « tessons de poterie » […], traînèrent son corps hors de la ville […] avant de la brûler sur un bûcher. »

Hypatie n’a pas été victime d’une campagne contre les païens, non seulement parce qu’elle n’avait pas marqué de sympathie pour les cultes païens, mais aussi parce que les chrétiens s’en prirent d’abord aux juifs avant de combattre la pensée païenne. Après elle, la philosophie grecque, les mathématiques et l’astronomie ne disparurent pas à Alexandrie : « Jusqu’à l’invasion arabe, des philosophes continuèrent à expliquer l’enseignement de Platon, d’Aristote […] et des néoplatoniciens. » Par ailleurs, Hypatie fut d’une certaine manière récupérée par le christianisme : il semble que la plupart de ses qualités ait été versée à la légende de Catherine d’Alexandrie.

Maria Dzielska apporte un point de vue nouveau sur Hypatie et, en outre, étudie dans le détail le statut de ses disciples, ce qui permet de restituer la composition du milieu intellectuel d’Alexandrie dans la dernière partie du IVe siècle ; ces disciples, riches, puissants — et seulement masculins —, occupaient tous de hautes fonctions. Ce travail savant, si nécessaire à la connaissance de l’Antiquité tardive, ne fait donc pas que mettre au jour, comme l’écrit Monique Trédé dans sa préface, « la figure complexe d’une éminente intellectuelle, en un temps où l’hellénisme jette ses derniers feux. » On regrettera seulement que la traduction, à partir d’une version anglaise, soit parfois approximative.

Tristan Hordé