Le regard de Dana Ziyasheva, auteure de « Choc » : Gaza, Ukraine : cannibalisme et mercenariat en temps de guerre

Gaza, Ukraine : cannibalisme et mercenariat en temps de guerre

Le massacre de Boutcha en Ukraine, le bébé israélien au four dans le conflit du Moyen-Orient, ces actualités tragiques invitent à s’interroger sur l’étendue du Mal. La reporter de guerre franco-kazakhe Dana Ziyasheva, nous offre avec son premier roman « Choc » un voyage troublant dans l’obscurité du mercenariat et du cannibalisme de guerre.

Entreprendre – Gaza, Ukraine : cannibalisme et mercenariat en temps de guerre

Dans un récit aussi saisissant que dérangeant, Dana Ziyasheva nous conduit dans les méandres obscurs de l’itinéraire de François Lefebvre, un jeune homme qui oscille entre le patriotisme, le mercenariat, et finalement, le cannibalisme de guerre. « Choc », le premier roman de l’auteur

L’histoire nous entraîne de la station de métro « Les Halles » à Paris au Cap de Bonne-Espérance, en passant par la Birmanie, décrivant un parcours tumultueux à travers les zones de conflit qui ont marqué les années 1990. L’enquête de terrain de Dana Ziyasheva nous immerge dans l’histoire complexe de François, entre son passage au sein du 11ème Choc, unité secrète de la DGSE, et son basculement dans le monde du mercenariat. Ces choix morbides soulèvent des questions sur la nature humaine en temps de guerre et l’impact de l’endoctrinement.

L’œil du lecteur 

Le lecteur ne peut qu’exprimer à l’évidence sa fascination pour « Choc », saluant la minutie de Dana Ziyasheva dans la reconstitution du parcours du héros. Malgré la lourdeur du sujet, le récit fascine par son objectivité, invitant le lecteur à comprendre les motivations de l’anti-héros. Une expérience riche en émotions et en adrénaline, recommandée aux amateurs d’univers militaires et historiques.

Anthropophagie et guerre : Des racines troublantes de l’humanité à l’écho de la guerre moderne

L’anthropophagie, trace obscure de l’histoire humaine, se dessine à travers les âges comme une manifestation extrême de la violence. Marylène Patou-Mathis, préhistorienne éminente, met en lumière des signes de cannibalisme chez les Néandertaliens il y a 78 000 ans, marquant ainsi une des premières occurrences de cette pratique.

Au fil des siècles, la fascination pour la guerre s’est inscrite dans la mémoire collective, trouvant son écho chez d’éminents écrivains. Jean-Claude Guillebaud, dans « Le tourment de la guerre », revisite les travaux de Gaston Bouthoul, fondateur de la polémologie, soulignant l’aspect de fête suprême et d’orgie sacrée associé à la guerre. Des écrivains tels qu’Ernst Jünger et Maurice Genevoix, avec leurs œuvres respectives « Orages d’acier » et « Ceux de 14 », capturent l’essence de la guerre et son attrait inexplicable.

La transition des « guerres des princes » aux conflits plus démocratiques est explorée à travers l’œuvre de Jean-Claude Guillebaud. Il identifie Hippolyte de Guibert comme le précurseur de la « guerre des peuples », prévoyant avec inquiétude le passage de la noblesse à la nation entière dans les conflits : levée en masse en 1793, conscription obligatoire en 1798.

Le lien entre l’anthropophagie et la guerre, au cœur de « Choc » de Dana Ziyasheva, trouve ainsi sa résonance dans cette exploration des racines obscures de l’humanité et de l’évolution de la guerre. Les citations de Bouthoul, Jünger, Genevoix et Guibert soulignent l’attrait paradoxal de la guerre, sa dimension de fête et son évolution au fil du temps.

Le regard des experts : Entre psychiatrie et criminologie 

Cet ouvrage fait référence à un fait divers réel et mérite outre la caméra-stylo de l’auteur un éclairage scientifique au delà du récit lui même.

Les réflexions des experts en psychiatrie et criminologie apportent une analyse de choix sur les aspects psychologiques et sociologiques de l’affaire François Lefebvre. « Choc » est une fenêtre ouverte par laquelle le lecteur peut explorer non seulement l’histoire d’un individu, mais également les dynamiques complexes qui peuvent conduire à des choix extrêmes en temps de conflit. Le regard des experts (Catherine Dupont, psychiatre renommée ; Isabelle Moreau, psychiatre spécialisée dans les traumatismes liés aux conflits et le professeur Jean-Michel Leroux, criminologue de renom) renforce le caractère inquiétant et réaliste de ce récit, posant des questions fondamentales sur la nature humaine et ses interstices scabreux.

L’héritage d’aventuriers littéraires : Dana Ziyasheva et ses prédécesseurs intrépides 

Dana Ziyasheva, auteur, scénariste et réalisatrice kazakhe primée à plusieurs reprises, livre ici un récit qui repose sur vingt-cinq années d’expérience en tant que journaliste, reporter TV, et membre de l’UNESCO. Son immersion de sept ans dans la vie de François Lefebvre souligne son engagement envers les sans voix qu’elle défend.

En tant qu’auteur et aventurière dans l’âme, elle s’inscrit dans la lignée d’écrivains audacieux qui ont eux-mêmes mené des enquêtes périlleuses pour donner vie à des héros hors du commun. Des écrivains tels que Ernest Hemingway, Ryszard Kapuściński et Hunter S. Thompson ont tous embrassé le risque de la vie réelle pour dévoiler les vérités cachées derrière les histoires qu’ils racontaient.

La connexion Hemingway 

Ernest Hemingway, célèbre pour son style concis et son goût pour l’aventure, a traversé des frontières pour écrire des romans tels que « Pour qui sonne le glas » et « Le Vieil Homme et la Mer ». Comme Dana Ziyasheva, il était intrigué par la vie des individus confrontés à des situations extrêmes, et son œuvre reflète l’effort pour comprendre la nature humaine à travers des expériences intenses.

Kapuściński et l’immersion totale 

Ryszard Kapuściński, souvent considéré comme le père du journalisme littéraire, a parcouru le monde pour des ouvrages comme « Le Négus » et « La Guerre du football ». Sa capacité à s’immerger totalement dans les réalités qu’il explorait se regarde aussi dans l’approche de Dana Ziyasheva. Kapuściński a écrit sur des zones de conflit, des régimes autoritaires, tout en partageant des observations qui transcendaient le simple reportage.

L’esprit « Gonzo »de Thompson 

Hunter S. Thompson, figure emblématique du journalisme « gonzo » , a plongé dans le chaos avec des œuvres comme « Hell’s Angels » et « Las Vegas Parano ». Son style subjectif et immersif, tout comme celui de Dana Ziyasheva, offre une vision personnelle des événements, transcendant les limites entre le narrateur et la réalité.

Dana Ziyasheva, en suivant les traces de ces grands écrivains aventuriers, incarne une tradition littéraire où l’auteur devient lui-même explorateur. Son courage à s’aventurer sur le terrain, au risque parfois de sa vie, pour dévoiler les facettes cachées de l’histoire du héros, évoque une liaison profonde avec ces prédécesseurs qui ont changé la manière dont nous percevons le monde à travers leurs écrits. C’est dans cette lignée d’intrépidité littéraire que « Choc » trouve son essence, dévoilant une réalité interpellante tout en portant l’héritage de ces aventuriers de la plume.

« Choc » et intersections politiques, scientifiques et littéraires 

« Choc » se révèle être bien plus qu’un simple roman d’espionnage. C’est une exploration audacieuse des côtés les plus sombres de l’âme humaine en temps de guerre, mêlant réalité et fiction de manière captivante. L’auteure réussit à dévoiler la complexité des choix moraux dans des circonstances extrêmes, invitant les lecteurs à réfléchir sur la nature humaine et les conséquences de la violence. Ce roman transcende le simple récit pour devenir une porte d’entrée vers une multitude de réflexions politiques, scientifiques et littéraires :

 Politiques en question 

Des ouvrages tels que « Le choc des civilisations  » de Samuel Huntington ou « Le nouveau contrat mondial  » de George Packer pourraient fournir des perspectives sur les dynamiques de pouvoir et les conséquences des conflits internationaux.

Interrogations scientifiques 

Des ouvrages comme « On Aggression » de Konrad Lorenz ou « The Lucifer Effect » de Philip Zimbardo pourraient éclairer la compréhension des comportements violents en temps de guerre.

Au delà de la pensée littéraire 

Des classiques comme « Apocalypse Now » de Joseph Conrad ou « Heart of Darkness » de Francis Ford Coppola peuvent enrichir la discussion sur les thèmes de la moralité et de la déshumanisation.

Septième Art : “Choc” par Xavier Dolan, un mariage d’intensité et de profondeur 

L’idée d’une adaptation cinématographique de “Choc” par Xavier Dolan laisse imaginer une synergie naturelle entre le récit intense de Dana Ziyasheva et le style singulier du réalisateur canadien. Les thèmes inquiétants, les conflits intérieurs et la recherche de vérité présents dans le roman font miroir avec la palette cinématographique émotionnelle et viscérale de Dolan, telle qu’observée dans des films tels que “Mommy” et « Juste la fin du monde »

Le penchant de Dolan pour explorer la complexité des personnages et leurs luttes intérieures toutes en nuances trouve un écho dans l’histoire tourmentée de François Lefebvre.

Xavier Dolan est reconnu pour son approche formelle innovante et son utilisation audacieuse de la cinématographie. “Choc”, avec ses multiples lieux géographiques et son exploration des clairs-obscurs offre un terrain fertile pour les expérimentations visuelles. Les flashbacks, les voyages à travers différents pays et les moments de tension intense pourraient être traduits à l’écran de manière saisissante par le talent du réalisateur.

Des zones d’ombre demeurent 

En suivant la tradition de journalistes littéraires courageux, comment cette œuvre s’inscrit-elle dans le paysage actuel de la littérature engagée ? Les réflexions de Susan Sontag dans « Regarding the Pain of Others » ou les écrits de Joan Didion dans « Salvador » peuvent offrir un éclairage sur le rôle de l’écrivain comme témoin des zones d’ombre de la société.

Dana Ziyasheva ouvre une porte vers une exploration profonde des réalités humaines, historiques, politiques et scientifiques incitant chacun à se plonger dans des questionnements essentiels pour mieux comprendre un monde indéniablement protéiforme.

Yves-Alexandre JULIEN
Journaliste

Dana Ziyasheva dans L’Hebdo Bourse Plus 1224

Littérature

Hebdo Bourse Plus n°1224

Yannick URRIEN

Choc…

Dana Ziyasheva : « Les Ukrainiens ont vraiment eu tort de faire confiance à Zelensky. »

Dana Ziyasheva : « Les Ukrainiens ont vraiment eu tort de faire confiance à Zelensky. »

Le parcours de Dana Ziyasheva est hors du commun. Née au Kazakhstan, où elle a passé toute sa jeunesse, elle a connu l’Union soviétique. Elle a ensuite été journaliste dans des zones sensibles puis diplomate à l’UNESCO, ce qui l’a amenée à vivre en Corée du Nord, en Irak et en Amérique centrale. Aujourd’hui, Dana habite à Los Angeles, où elle écrit et corrige des scénarios pour les géants du cinéma et les grandes plateformes de vidéo à la demande. Son expérience dans des pays sensibles, au contact des services secrets, est évidemment précieuse pour Hollywood.

Elle vient de publier « Choc », un livre sur un mercenaire français, François Robin. Brillant latiniste, catholique pratiquant, élève officier des commandos d’élite de la DGSE, puis mercenaire dans les zones grises post-guerre froide, il a été mis en examen pour « homicide et cannibalisme » en 1996, avant de mettre fins à ses jours.

« Choc » de Dana Ziyasheva est distribué sur Amazon.

Kernews : Vous êtes originaire du Kazakhstan et vous vivez à Los Angeles, où vous écrivez des séries d’espionnage pour Hollywood. Vous avez connu l’Union soviétique pendant votre enfance. Ensuite, vous avez vécu en Irak et en Corée du Nord, puisque vous étiez spécialiste des zones de conflit, en tant que journaliste, mais aussi en tant que diplomate à l’UNESCO. La Corée du Nord reste toujours le pays le plus secret au monde…

Dana Ziyasheva : Effectivement, on ne peut pas tous aller en Corée du Nord. Par exemple, mes collègues de l’UNESCO originaires du Japon ou des États-Unis, ne pouvaient pas entrer en Corée du Nord. J’ai pu avoir l’autorisation d’aller y travailler, parce que je suis originaire du Kazakhstan. C’était vraiment une expérience intéressante. Les travailleurs des Nations Unies étaient complètement isolés. J’étais suivie en permanence par les services secrets nord-coréens et j’avais un guide et un chauffeur pour m’accompagner pendant toutes mes visites, donc pour m’espionner aussi. Je ne pouvais pas bouger sans être accompagnée. Il n’y avait pas beaucoup de voitures en Corée du Nord, maintenant il y en a davantage en raison du soutien de la Chine, mais j’étais parfois la seule à circuler en voiture dans toute la ville. J’ai de la peine pour le peuple de Corée du Nord. J’ai vu leurs souffrances, j’ai vu la force de la propagande, parce que c’est un pays complètement fermé. Il n’y a que quelques bribes d’informations qui arrivent. Les gens vivent toujours dans ce sentiment que la guerre de Corée n’est pas terminée. Leur leader est plus que leur dieu : c’est le soleil et, le jour de son anniversaire, c’est le jour du soleil, tous les Coréens doivent venir vénérer leur leader. C’est maintenant une dynastie et c’est assez spécial. Cela n’a rien à voir avec le communisme. C’est l’autoritarisme total, c’est la dictature totale, avec tous les attributs d’une royauté. J’ai vraiment souffert pour le peuple de Corée. Il y a aussi quelques éléments communs avec le système socialiste. Par exemple, tous les intellectuels, notamment les journalistes, doivent donner un jour de leur semaine au travail collectif. Les journalistes doivent aller chaque samedi travailler dans les champs pour récolter des patates. J’ai connu cela au Kazakhstan, mais ce n’était pas aussi rigide. On pouvait quand même respirer à l’époque de l’Union soviétique, il y avait de l’art et plein d’activités. En Corée du Nord, les gens ne peuvent pas se déplacer, ils doivent attendre un autobus pendant deux heures, ils n’ont pas le droit d’utiliser une bicyclette, pour ne pas bouger. Dans les magasins, j’ai retrouvé les mêmes produits que nous avions au Kazakhstan au cours des dernières années de l’Union soviétique.

Ensuite, il y a eu Bagdad sous Saddam Hussein. Le cliché est inverse, on était très frappé par le dynamisme de cette ville. En plein embargo, les magasins étaient largement approvisionnés et les restaurants étaient nombreux…

Je n’ai pas la même image, car j’étais au Kurdistan. Mais c’est vrai, à Bagdad il y avait énormément de vie. Malheureusement, il y avait parfois des coupures d’électricité. Les gens résistaient à cet embargo que j’ai trouvé injuste. Je suis toujours du côté du peuple. On punit les dictateurs, qui ne subissent pas les sanctions. Il y avait une vraie vie et une grande liberté à Bagdad et, chaque fois que je revenais du Kurdistan, venir à Bagdad, c’était une bouffée de liberté. À l’inverse, au nord de l’Irak, au Kurdistan, tout était très contrôlé par les clans de Massoud Barzani. C’était une région laïque, mais les femmes n’avaient pas le droit à grand-chose et elles devaient respecter des règles très strictes.

Votre livre raconte l’itinéraire d’un mercenaire français recruté par la DGSE, qui a sombré dans le cannibalisme…

Je n’utiliserai pas le terme de sombrer. J’ai dû expliquer comment cela est arrivé dans la jungle de Birmanie. Il venait de perdre la guerre, il était affamé et il y avait une pression psychologique énorme du côté de l’armée birmane. C’est un peu différent de quelqu’un qui décide de goûter la chair humaine. J’ai écrit ce livre pour comprendre comment ce jeune homme, qui était mercenaire, s’est retrouvé accusé de cannibalisme. À la fin, il s’est suicidé. C’est un travail d’enquête de sept ans, partout dans le monde, pour comprendre, et j’ai établi ce lien entre cannibalisme et suicide. Dans la guerre, il y a toujours beaucoup de psychologie. L’homme change pendant une guerre. On voit cela aujourd’hui en Ukraine. On a vu cela en Bosnie et en Irak.

Quel est le lien entre la guerre et le cannibalisme ?

Tout dépend des cultures locales et je ne pense pas qu’un mercenaire en Croatie ou en Bosnie va se mettre à manger des soldats tués. À l’inverse, chez les Karens, François Robin a été initié à cette pratique parce que c’était une coutume locale à travers les chasseurs de têtes. Ces gens mangent le foie de leur ennemi pour s’approprier leur vaillance.

Dans certaines tribus africaines, on mange le cerveau d’une personne pour s’approprier son âme…

Oui. Et les Vikings vidaient les crânes de leurs ennemis pour s’en servir pour boire du vin. Au Kazakhstan, les Khan faisaient cela aussi, à savoir boire de l’alcool dans le crâne de son ennemi.

Vous évoquez aussi la guerre en Ukraine en expliquant qu’une mauvaise paix vaut mieux qu’une bonne guerre. D’ailleurs, même dans les affaires, on dit souvent qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès…

Absolument. Chaque fois que je revenais de Bagdad dévastée à Amman, qui était un paradis pour les touristes, je pensais à cela. Je pense que l’Ukraine est au bord de la désintégration. La Pologne peut récupérer une partie du territoire, et il y a aussi la Hongrie qui s’intéresse à d’autres parties, tout comme la Russie. J’ai de la peine pour les Ukrainiens, mais pas pour Zelensky et pas pour Zaloujny. Je suis allée plusieurs fois en Ukraine, je connais les Ukrainiens du Donbass et je connais ceux des autres régions. Malheureusement, ils vont perdre leur pays à cause de ces différences, car ils n’ont jamais réussi à se réconcilier. Les Ukrainiens ont vraiment eu tort de faire confiance à Zelensky.

Vous habitez à Los Angeles et vous avez l’information en provenance des médias américains. On a le sentiment qu’ils sont beaucoup plus libres que les médias français, qui nous cantonnent dans une seule analyse possible… 

Oui. Quand je regarde les émissions françaises avec les prétendus experts ukrainiens, dès que quelqu’un dit quelque chose qui ne va pas dans le sens de Zelensky, les autres interlocuteurs n’acceptent pas une autre version. Tout le monde doit chanter la même chanson et répéter toujours les mêmes choses à la télévision. J’ai de la peine pour le public français, qui est obligé d’écouter les mêmes choses en permanence. Ces gens sont nourris par l’information en provenance de Kiev et, dès que quelqu’un dit quelque chose de différent, il ne peut plus parler.

Vous avez côtoyé de nombreux membres des services secrets dans différents pays. La plupart sont-ils des analystes qui essayent d’apporter la meilleure information possible sur une situation dans une zone ?

Dans mon livre, je décris le coup d’État aux Comores et je montre cette division au sein de la communauté du renseignement français. Quand ils arrivent aux Comores pour le coup d’État, ils se demandent entre eux qui a bien pu financer cette opération et qu’elle était la nature du feu vert. La communauté du renseignement français n’est pas unie, du moins dans les pays que je décris dans mon livre. J’ai consulté plusieurs anciens de la DGSE qui ont lu le livre et corrigé certains éléments. C’était une enquête longue, difficile, dangereuse et onéreuse. Quand je suis allé en Birmanie, j’ai dû me déguiser en réfugiée Karen et j’ai dû partir avec la guérilla à travers les montagnes. Mais j’ai grandi près des montagnes au Kazakhstan, donc je suis habituée.

Cette histoire peut-elle faire l’objet d’un scénario pour Hollywood ?

Pourquoi pas… Mais je ne suis pas comme Bernard Henri Lévy, quand il écrit « Qui a tué Daniel Pearl ? », il parle surtout de lui. Il est allé au Pakistan, il a frappé à une porte, personne ne le lui a ouvert… Personnellement, j’ai enquêté en Bosnie, aux Comores, au Sénégal, à Bangui, tout cela pour mettre en valeur mon personnage. C’est une œuvre littéraire, mais on ne peut pas inventer des choses, c’est pourquoi j’ai dû faire une réelle enquête en contactant des mercenaires. Ce qui compte, ce n’est pas moi, mais mon héros.

Aujourd’hui, les guerres actuelles peuvent-elles créer d’autre François Robin ?

Absolument. Il n’est pas spécifique à l’époque. Il y avait d’autre François Robin dans la guerre de Constantinople. C’est une figure éternelle, celle d’un jeune idéaliste qui veut vivre des sensations incroyables et fortes. Mais il finit par se perdre. Il n’arrive pas à contrôler ce qui se passe autour de lui, mais aussi en lui. Aujourd’hui, il y a des François Robin en Ukraine, et des deux côtés.

Votre expérience doit être très précieuse pour Hollywood…

Cela dépend. Ici, il y a d’autres règles et la propagande américaine veut mettre en avant d’autres choses, notamment les expériences purement américaines.

« Ce roman-récit d’un mercenaire blanc ravira ceux qui rêvent de combats et d’exotisme » sur « Choc » de Dana Ziyasheva

Dana Ziyasheva, Choc

Le choc, c’est celui du 11ème Choc, le régiment des opérations spéciales françaises ; c’est aussi celui des parents qui ne voyaient pas leur fils dans les commandos ; c’est enfin celui (relatif) du public face à des photographies particulières… Tout commence en effet par des tirages d’appareil photo jetable confiés par un jeune homme à une boutique de la station Les Halles à Paris. Le laborantin effaré aperçoit des cadavres éviscérés, des morceaux de chair humaine dans les mains de soldats asiatiques, et un jeune Blanc qui rit derrière eux. Il prévient la police ; le client est arrêté, interrogé. Il minimise : il était avec des soldats Karen en Birmanie, c’est la coutume là-bas de manger le foie et le cœur de ses ennemis. Mais le Journal du Dimanche en fait un article sur le Blanc cannibale…

Ce « roman » est tiré d’un fait divers cité par le JDD en 1996, dit-on car il n’a pas laissé de traces sur le net : un certain François Robin devenu mercenaire en Birmanie. L’autrice, Française originaire du Kazakhstan, ex-reporter télé dans son pays puis ex-diplomate Unesco, aujourd’hui scénariste à Hollywood, raconte « après sept ans d’enquête », en plus de cinq cents pages touffues et un peu longues, au vocabulaire parfois étrange, les errances d’un fils de la petite-bourgeoisie de Troyes, patrie des andouilles, un certain François Lefebvre, devenu mercenaire au plus offrant.

Élevé dans une famille catholique sans histoire avec une mère effacée, un petit frère dans les jupes de maman et un père sportif et sans alcool, le jeune François choisit l’armée dans ce qu’elle offre de plus ardu, les commandos des services spéciaux. Après le bac, malgré l’ire paternelle, il entre dans la formation à la dure du 11ème régiment parachutiste de choc destiné à former les commandos du groupe action du SDECE, devenu DGSE. Ce régiment a été dissout en 1993 par les socialistes après la première guerre du Golfe. Le gamin de 18 ans qui intègre la formation est tout fou, fana mili comme on disait alors, malgré son bac littéraire-langue A2. Il rêve plus d’en découdre que de patrie, plus de fraternité et de famille que de massacre. Il n’est pas psychopathe mais plutôt sans limites.

Il ne sait pas se tenir. Pour aller contre son père qui ne boit pas d’alcool, il se saoule et, en permission après l’entraînement où il est bien placé dans la sélection, il pille un tronc d’église par désœuvrement et rosse les gendarmes venus l’arrêter. Il est donc viré du centre d’entraînement du 11ème Choc à Margival, qui ne tolère pas de soldats qui n’ont pas de conduite. Son ami et compagnon d’armes Olivier a lui aussi été viré, mais pour avoir dans sa famille un oncle gauchiste. La soldatesque ne tolère aucune déviance à la ligne.

François est donc sur le carreau, orné de ses pectoraux impressionnants et de sa carrure d’athlète, possédant à la perfection l’art du combat à mains nues et expert en tir de précision. La violence de son entraînement a lessivé toute personnalité en lui : il n’est qu’un outil aux mains de ses commanditaires. Il est embauché par une entreprise de sécurité – d’extrême-droite comme il se doit. Il fait aussi des piges auprès du DPS de Jean-Marie Le Pen. Au Département protection sécurité, beaucoup sont d’anciens militaires ou policiers. François est jeune et il s’en fout. Il est pour les Blancs et contre les racailles, c’est tout.

Lorsqu’il a l’opportunité d’aller exercer ses talents en Bosnie, il n’hésite pas ; il se retrouve côté musulman contre les Serbes orthodoxes, Blanc contre Blanc. C’est cela la géopolitique, les luttes claniques, les egos des chefs. Puis il est appelé par ses copains en Birmanie où la guérilla Karen ne cesse de tailler des croupières à l’armée birmane dans le nord-est du pays. C’est là que les deux adolescents soldats de 15 et 16 ans sont tués à l’arme blanche puis dépecés par les Karen qu’il accompagne. Naïf et stupide, il prend des photos. Il ira ensuite aux Comores en septembre 1995, participer à un énième coup d’État sous les ordres de Bob Denard qui croyait au soutien des Services avec un « feu orange », mais qui s’est trompé car la Françafrique sous Mitterrand ressort plus du niais Papamadit que du décati Jacques Foccart. En bon mercenaire sans foi ni loi, Bob Denard ne tenait pas plus que ça à « la patrie » : catholique de souche, il s’est converti au judaïsme au Maroc, à l’islam aux Comores. François, lui, est plus simple : il ne croit à rien. « La guerre établissait son identité : François était un mec qui faisait un travail dur. Il était donc un dur. Les rares individus au courant de son activité le respectaient. Malgré l’échec de Margival, il avait réussi à se caser dans une niche, se stabiliser dans une strate, sans compromettre ses rêves » p.221. Son ami Olivier a au moins une vision romantique de la vie qu’il faut croquer à pleines dents sans songer au lendemain. Pas François – il n’est rien, qu’une coque vide qu’on remplit, un bel outil prêt à servir qui le veut.

Il passe dix-huit mois de prison en France à la suite du raid aux Comores mais pour cannibalisme en Asie et en profite pour tuer un codétenu avec une dose qui lui a été donnée par un adversaire de foot ; il est reconnu comme un caïd. Lorsqu’il sort, car il est relaxé faute de « parties civiles », son CV ne permet pas de l’engager à nouveau dans la sécurité, le Front national désirant devenir « respectable ». Désespéré par le déménagement de la fille qu’il avait baisée et rebaisée avant de partir en mission, et qu’il avait dans la peau, solitaire, abandonné des siens, il se suicide en janvier 2000 en se tranchant la gorge puis, comme ce n’était pas suffisant, d’une balle de calibre 11.43 dans la tête. Il avait 28 ans.

Ce roman-récit d’un mercenaire blanc ravira ceux qui rêvent de combats et d’exotisme, tout en leur montrant quand même le vide intérieur qu’il faut développer pour devenir ce robot tueur, ce professionnel de la guerre sans aucune conviction autre que celle de ceux qui le payent. François a aimé tuer ; il pensait qu’il y avait trop de monde sur terre, notamment dans les pays du sud. Mais il aimait surtout la technique pour abattre, l’alignement de la mire sur le fusil, la belle mécanique des armes, le tir parfait.

S’il avait attendu quelques mois, la seconde guerre du Golfe après le 11-Septembre l’aurait probablement rappelé, avant l’Afghanistan et l’Irak puis, aujourd’hui l’Ukraine. Il y a toujours du travail pour les bons professionnels de la guerre qui ne croient en rien.

Dana Ziyasheva, Choc, 2023, autoédition Amazon, 502 pages, e-book Kindle €4,99

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