Lise et lui, de Michèle Ramond (haute littérature)

Présentation par l’auteur de Lise et lui (des femmes-Antoinette Fouque, 2008)
de Michèle Ramond

04295a88a25b6ea0bf3d35107e8c2e03.jpg Dans ce livre qui est un peu un roman, un peu aussi une fable, avec sa morale, une morale incertaine, comme nos lectures de l’enfance, je m’adresse au lecteur de façon très pressante. Ce n’est peut-être pas évident, du moins au début, dans le premier chapitre, « Lise écrit »,
parce que mes personnages ont des noms mythologiques, Cyrus, Parysatis, et que j’utilise des souvenirs d’anciennes lectures que mon projet ravivait, Hérodote, Euripide… Mais il ne faut pas que ces noms incantatoires détournent le lecteur de mon livre, ils nous emmènent dans un ailleurs où les malheurs d’aujourd’hui sont rendus, par déplacement, bien discernables car ils remontent à la nuit des temps.

Toujours les femmes et les enfants sont les laissés pour compte d’une société guerrière et misogyne, celle-la même que dénonce Antoinette Fouque dans ses écrits et dans ses interventions et contre laquelle nous sommes nombreux à nous révolter. Ces noms exotiques où tous les temps historiques se mélangent contribuent aussi à créer un effet de flou et de diatribe et parfois aussi d’extase, tout cela se combine avec la « folie » d’écrire de Lise, mon héroïne avec qui je suis sûre de m’identifier, même si rien n’est prémédité. Les chapitres plus
contemporains et plus réalistes (« Louis ce héros » ou « Une nuit de Louis ») sont l’autre face du livre, sa face masculine mais également bonne et généreuse. Ainsi il y a l’écriture sous influence de Louis et l’écriture sous influence de Lise, c’est une écriture androgyne toute concentrée sur des valeurs humaines et qui tente un combat désespéré contre les forces obscures d’un monde masculin au sens meurtrier de ce terme, un masculin qui a expulsé le féminin de lui. Cependant Lise et lui n’est pas un texte idéologique, il s’agit bien d’une fiction
poétique et aussi un peu romanesque, même si cette fiction a aussi une éthique. On ne sait pas trop (moi non plus) quelle est la relation de Lise et de Louis, parfois le texte laisserait supposer qu’ils ont un lien de parenté, mais ce peut être une parenté toute symbolique, la parenté de l’homme et de la femme, tous deux issus de la même argile. Je suis Lise, et Louis Langlois est l’homme selon mes vœux, il est donc moi aussi d’une certaine façon. D’où, sans doute, l’humour mitigé de tendresse que je ressens de plus en plus au fil de mes multiples
relectures de ce lien à la fois fraternel et érotique qui reste, pour moi aussi, très mystérieux. Si Louis est l’homme bon dont l’action de résistance et la pensée révolutionnaire, vaguement marxiste, devraient épauler la révolte de Lise, la comprendre et la compléter, il y a dans
le livre une autre figure masculine, celle du tyran ancien et moderne, toujours le même finalement à travers les époques, qui conduit le monde, de façon de plus en plus visible et irréparable, à sa perte.

C’est lui qui porte le nom de Cyrus dans le premier chapitre, à qui s’adressent les lettres d’invectives et de supplication de Lise. Il y aurait donc, face à Lise qui représente la femme, son idéal de justice et de paix mais aussi son impuissance, ses blocages et sa folie, deux figures masculines, la bonne (Louis Langlois, le résistant, le prolétaire combattant et utopiste) et la mauvaise emblématisée par le tyran Cyrus. Et Lise navigue entre ces deux figures sans jamais les faire coïncider mais sans jamais parvenir vraiment à les disjoindre, d’où la grande ambivalence de tout le texte qui supporte le grand malaise des femmes dans la société actuelle, même dans les pays dits développés et démocratiques. La visibilité de Louis est brouillée par la trop grande puissance du tyran auquel nous pourrions donner beaucoup de noms. Cyrus c’est la domination masculine, le capital, le goût du pouvoir, l’appât immodéré du gain, l’absence de scrupules, le patriarcat, le monde global, l’immoralisme étendu à toutes les pratiques même à l’intervention humanitaire et au droit d’ingérence qui renoue avec les vieilles pratiques coloniales, la misogynie même chez les femmes, tellement le modèle masculin du pouvoir est prégnant pour tous. Finalement nous pouvons dire que Lise et Louis se battent contre le même monstre, peut-être sans le savoir, et sans que le texte non plus le sache. Chacun se bat avec ses armes propres, lui avec les idéaux de la vieille lutte ouvrière, avec ses discours enflammés et ses actions de résistance, elle avec ses écritures lyriques et ses diatribes, avec ses rêves et ses métamorphoses nocturnes, avec son culte des ancêtres. Cependant ils ne se rencontrent jamais, c’est une des énigmes de ce texte mystérieux. Pourquoi puisqu’ils semblent s’aimer ? Le fait est qu’ils alternent dans le livre bâti selon ce rythme à deux temps, Lise ET lui. La rencontre est tragiquement éludée, empêchée, probablement à cause de l’effet nocif, sur eux deux, du tyran. Le tyran est toujours cet ordre mondial meurtrier, incarné et promu par des hommes qui ne sont pas les alliés fraternels et amoureux de la femme mais des fratries guerrières et nocives qui viendront bientôt à bout de toutes les ressources de la terre et de ses habitants, de toute la matière humaine et vivante que nous voudrions tant honorer et protéger. Et pourtant. Il y aurait bien pourtant, si nous lisons le texte de près, une rencontre, son désir ou son ébauche, dans le dernier chapitre du livre « Lise la prose » où Lise devenue la métaphore de la prose absorbe en elle son héros, fait sien l’écrivain combattant où l’on reconnaîtra certainement Louis Langlois. Ce dernier chapitre, de tonalité mixte, est le seul à faire fonctionner ensemble, dans une même coulée textuelle, Lise et son double masculin héroïque.

Certes cet épilogue est tout en suggestions, rien n’y est formulé de façon directe, tout est voilé et secret, mais on devine malgré tout qu’un changement a eu lieu dans le propos initial du livre et qu’une rencontre est projetée, pour plus tard, si le monde le permet. Le permettra-t-il ? On ose l’espérer.

La revue Aréa a aimé Alice ! (Gérard-Georges Lemaire), n°16, printemps 2008

girard.JPGhttp://www.areaparis.com/

Revue trimestrielle d’art contemporain.

Area(s), l’art pour le monde, s’interroge sur les situations de l’art qui, ces 50 dernières années, ont ouvert d’autres perspectives.
Une relecture des oeuvres qui aidera à montrer que l’art est toujours une source de débats autour de des problèmes de la société.

Caprices de ville numéro 16 printemps 2008 20 euros

Homoparentalité : Christophe Girard et Emmanuel Pierrat, Mercredi 16 avril, 18h30 (Rencontre rare !!!)

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Aux éditions Des femmes, nous aimons Paris et nous exécrons la censure. Voilà pourquoi nous serons fières et enchantées de recevoir ce mercredi 16 avril dès 18 h 30 entre nos murs l’un des artisans essentiels du rayonnement de la première, Christophe Girard, accompagné de l’auteur du Livre Noir de la seconde, Emmanuel Pierrat. (Seuil, février 2008)

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Antoinette Fouque ayant toujours été du côté de la liberté, elle prouve une fois supplémentaire, en accueillant ces deux hommes de gauche, victorieux aux Municipales et côte à côte dans le progrès, pour un débat autour de l’homoparentalité sa grande ouverture d’esprit, son courage à briser les tabous et son extraordinaire éveil à toutes les questions politiques de son temps. (notez d’ores et déjà la sortie le 24 avril prochain de Penser avec Antoinette Fouque, recueil de textes de onze intellectuels/écrivains/universitaires aussi célèbres que différents les uns des autres sur l’écho de la pensée d’Antoinette Fouque dans leurs vies et oeuvres respectives… Je vous en reparle très vite. Pour les demandes urgentes, merci de me contacter 06.84.36.31.85)

d8cbbf465beefddc2ac22f3365c75f51.jpg L’idée de départ de cette prometteuse réunion, à laquelle tout le monde est le bienvenu, mercredi soir, fut certainement l’essai de Christophe Girard, Père comme les autres (Hachette Littérature, mai 2006) – la première confession intime d’un homme politique d’envergure nationale à poser avec force les termes d’un débat qui nous concerne tous.

b768cf5fd6360b03b6dbeaee64e0aa11.jpg Quant à Emmanuel Pierrat, il est spécialiste de ses questions, et notamment depuis sa préface de La folle histoire du mariage gay (Daniel Garcia, Flammarion, octobre 2004).

A l’Espace des Femmes, au 35 rue Jacob, au bout de l’allée fleurie, métro Saint-Germain des Prés, vous avez donc l’opportunité exceptionnelle de les rencontrer tous les deux sur le thème « Quel espoir pour les nouvelles familles ? », de les écouter dialoguer, de les observer confronter leurs points de vue et de vous mêler à leur débat sur les parents du futur !! Un verre de vin vous sera offert à l’issue de la conversation.

Merci de diffuser l’information de cette soirée à tous ceux de vos contacts potentiellement intéressés/concernés par le sujet.

Christophe Girard, que l’on ne présente plus, mais dont on peut suivre l’actualité sur son blog http://christophe-girard.over-blog.org/ a aussi publié un joli roman, La défaillance des pudeurs (Seuil, mai 2006)

Son ami et autre élu parisien, Emmanuel Pierrat http://www.cabinet-pierrat.com/ est peut-être actuellement l’avocat le plus médiatique du milieu de l’édition. Il enseigne le droit d’auteur et de la communication, à l’Université de Paris XIII. Il dispense également un cours sur la littérature érotique (cf Son livre de la littérature érotique, Chêne, octobre 2007) à l’Institut National de Formation de la Librairie. Outre ces activités, il tient des chroniques juridiques dans plusieurs périodiques, dont Livres Hebdo.

A très vite, n’oubliez pas de prévenir vos ami(e)s ! Amoureuses des hommes, amoureuses des femmes, amoureux des hommes, amoureux des femmes et même pas amoureu(ses)x du tout, venez partager vos rêves sur le difficile métier de parent (quelle que soit sa libido !)….

A bientôt,

« Les Gardiens du silence » de Claudie Cachard

cachard.jpgClaudie Cachard
Les Gardiens du silence
260 p. – 17,50 € – 1989

La psychanalyse n’est condamnée ni au conforme, ni au déclin. Elle est, à ce jour, l’une des approches les plus attentives et respectueuses du psychisme humain. Il importe de souligner alors que se font des choix qui engagent l’avenir de l’espèce.
Au fil du temps, nul n’évite les épreuves qui font partie de l’ordinaire des vies. Deuils et ruptures, maladie et mort à venir, folie aussi, écartée et méconnue d’être si proche, présente au cœur même de chacun. Certains, quant à eux, ont vécu le pire dans leur chair. Soumis à l’horreur inventée par des hommes pour l’imposer à d’autres.
Quand l’Insensé domine, les Gardiens du Silence sortent de leur réserve et se révèlent à l’œuvre, sans mot dire. Ce livre qui leur est consacré, pour tenter de les entendre et de les écrire, n’est pas réservé aux seuls initiés. Il associe le souvenir à l’invention, la réflexion à l’autobiographie, la dimension  » clinique  » aux données socio-politiques pour envisager  » des zones entourées d’interdits, de réticences profondément enracinées ». Nul n’aime entrevoir des proximités entre deuil et volupté, meurtre et trésor, création et psychose grave. Nul ne tient à envisager de trop près de quoi il retourne, aux confins de soi-même, là où se nident les ressources troublantes et fondamentales qui contribuent à maintenir sa propre existence. « 

Texte de Juliet Mitchell écrit pour le catalogue des trente ans des Editions Des femmes

jmitchell.gifQuand je repense à mes premières rencontres avec Psychanalyse et Politique et les Editions Des femmes, c’est comme si je me plongeais dans les brumes de temps étranges où je vois briller des points lumineux. En février 1970, des femmes sont venues de Paris à l’un de nos ateliers du Women’s Liberation de Londres.
Nous avons discuté. Début 73, c’est moi qui suis venue à Paris avec Rose Delmar pour participer à un séminaire d’Antoinette autour d’une lecture critique de Lacan.
J’étais très admirative. Je me souviens encore bien de ce dont nous avons parlé, des visages et des corps, mais j’ai oublié les noms des femmes du groupe.
C’est à ce moment-là que nous avons entendu parler du projet de la maison d’Edition Des femmes. J’ai écrit une introduction à Psychanalyse et féminisme que je venais de terminer. J’espérais que celle-ci pourrait rendre compte de ce que se devaient mutuellement des femmes qui travaillaient au même moment sur les mêmes questions. C’était cela aussi la sororité.
Je suis très fière d’avoir été publiée par les Editions Des femmes, et vraiment ravie et impressionnée de piuvoir célébrer leur trentième anniversaire. C’est un extraordinaire accomplissement.
Félicitations et merci !
J.M.

ISBN-978-2-7210-0521-2_1.jpgJuliet Mitchell
Frères et soeurs
Sur la piste de l’hystérie masculine

Traduit de l’anglais par Françoise Barret-Ducrocq, 384 p. – 32 € – 2008
Le livre traite avec une très grande érudition puisée dans l’anthropologie, la psychanalyse et les grands mythes de la littérature occidentale, de l’histoire universelle de l’hystérie. Cette analyse amène l’auteure a reconsidérer de façon radicale la construction du psychisme telle qu’elle a été présentée jusqu’ici, à proposer une lecture différente du complexe d’Œdipe et à affirmer la nécessité de prendre en compte les relations horizontales entre celles et ceux qui se trouvent en situation de frères et sœurs, qu’il existe ou non un lien biologique entre eux. Juliet Mitchell ne propose à aucun moment de substituer cet axe horizontal à l’axe vertical, mais souhaite prendre conjointement en compte ces deux axes, dont la mise en relation ouvre de nouvelles perspectives….
En démontrant le caractère universellement possible de l’hystérie, elle réhabilite un diagnostic qui permet de mieux comprendre, non seulement certains dysfonctionnements du psychisme humain, mais aussi la relation entre pairs.

Juliett Mitchell, née en 1940 en Nouvelle-Zélande, a participé à la fondation du Women’s Liberation Movement et a été coéditrice de la New Left Revue anglaise. Psychanalyste et universitaire, elle est professeure à Cambridge (Grande-Bretagne), où elle enseigne sur le thème « Genre et société ». Elle a publié de nombreux ouvrages, traduits dans plusieurs langues, dont L’Âge de femme et le best-seller Psychanalyse et Féminisme, parus en langue française, aux Editions Des femmes -Antoinette Fouque

 

Décolonisation : confrontez vos points de vue avec Hélé Béji et Claude Imbert, mardi 8 avril 18h30 à l’Espace des femmes, 35 rue Jacob !!

Chers admirateurs de Hélé Béji de726c229d60ec45e08bc125445e0971.jpg , j’ai le plaisir de vous inviter ce mardi 8 avril dès 18h30 (Espace des Femmes, 35 rue Jacob – au bout de l’allée de camélias – Paris 6e) à une rencontre exceptionnelle autour de l’un des récents ouvrages ayant le plus « marqué » Antoinette Fouque en ce début d’année : « Nous, décolonisés » (Arléa, 2008).

f89bd6b0e053b7343a593c82d7f12282.jpg A son tour, à la suite de son amie Wassyla Tamzali au même endroit l’automne dernier, Hélé Béji sera la Reine de la conférence. Son Roi d’un soir sera Claude Imbert, puisque l’éditorialiste du Point a accepté avec enthousiasme de mener la danse de l’entretien portant sur cette décolonisation – et en particulier sur les humains qui en sont les bébés – dialoguant avec la belle auteure dont l’intelligence l’a ébloui.

Merveilleux hasard que cet engouement profond et simultané de la femme de gauche (Antoinette Fouque) et de l’homme de droite (Claude Imbert) pour le même trésor philosophique et historique : Nous, décolonisés. 2d46b8855f721ec918564791511662a1.jpg Complicité du Destin qui a fait en sorte, le roublard, que les deux m’évoquent avec ferveur la sortie de ce livre dans l’intervalle d’une même matinée.

Bien entendu, si vous lisez cette annonce, c’est sûrement parce que vous avez déjà manifesté votre goût éveillé pour le travail de votre Tunisienne préférée.

Je vous remercie par avance de transmettre l’invitation de l’Espace des Femmes au maximum de vos connaissances. Car les grains de sable, rapprochés les uns des autres, constituent l’infini. J’espère que vous assisterez à ce débat, suivi d’une dédicace et d’un traditionnel cocktail, dans un nombre et avec la passion corrélés à l’intérêt du thème développé. Les interventions du public seront non seulement bienvenues, mais au-delà désirées, pour faire de cette soirée politique un inoubliable moment de partage dans le respect des différences, de l’écoute et de la construction.

Je vous dis à demain, à très très très vite, et vous laisse un complément d’information sur le sujet en guise de post-scriptum (sur le livre « Nous, décolonisés », sur Hélé Béji, sur Claude Imbert… Piochez !), quelques alléchantes photos en pièces jointes et l’annonce de la prochaine soirée programmée à l’Espace des Femmes : mercredi 16 avril, (même heure 18h30-21h30 tout compris, même principe) avec comme autres « stars » politiques Christophe Girard et Emmanuel Pierrat… Rien que ça ( ! )

Bisous, main tendue, doigts écrasés, sourire, éclat de rire, regard, génuflexion, etc (Cochez la case de votre choix )

Guilaine Depis, attachée de presse de l’Espace des Femmes, 06.84.36.31.85

La décolonisation est la forme la plus instinctive et la plus avancée de la liberté. Elle est l’avant-garde de toutes les libertés. Mais elle est la plus malheureuse de toutes, car elle n’a pas tenu ses promesses. J’avais annoncé que je ferais mieux que les Européens mais, un demi-siècle après, je ne sais toujours pas où j’en suis, si j’avance ou si je recule, si je suis un primitif ou un moderne, un sauvage ou un civilisé, si j’aime la patrie ou si je l’exècre. Suis-je encore le jouet de forces extérieures qui me dépassent ? Ou bien est-ce moi qui précipite ma perte par mes erreurs et mes aveuglements ? Mais j’ai beau me chercher des excuses, elles ne me convainquent pas. Quoi, encore victime, moi ? Non, c’est trop facile. Je ne suis plus cet objet hébété, inconscient, subissant les effets sans être pour rien dans les causes, dépouillé de ses facultés de penser et d’agir. Je ne suis plus sous tutelle. Je suis souverain.

D’emblée, Hélé Béji donne le ton : « liberté » est le maître mot de sa brillante analyse sur la fin du colonialisme, l’Indépendance et la démocratie dans son pays, la Tunisie – qui est ici parangon de tous les jeunes États ayant gagné leur indépendance de haute lutte dans les années 1950-1960. Si, parmi les causes des errements et des incuries des « jeunes pays », elle n’oublie pas les crimes et les injustices des ex-puissances coloniales, ce sont surtout les responsabilités de ces jeunes nations qu’elle entend stigmatiser dans cet essai.

Comparant l’état actuel de son pays avec les rêves et les espoirs qui ont alimenté les diverses luttes anticoloniales, Hélé Béji constate à quel point les ambitions des « combattants de la liberté » ont été déçues.

Après son remarquable travail sur la place de la femme dans le monde musulman moderne (Une force qui demeure, Arléa, 2006), Hélé Béji prend de la hauteur et étend son analyse à l’ensemble des jeunes États, refusant de voir une fatalité dans leurs dysfonctionnements. Elle met ainsi en évidence les responsabilités des intellectuels et des politiques, et, entre la maîtrise d’un passé assumé, une pratique tolérante de la religion, l’instauration d’une « laïcité » originale et réellement démocratique, elle ouvre la voie à quelques perspectives capables d’apporter des solutions aux problèmes de ces jeunes nations.

Quoi que nous fassions ou que nous pensions, nous, décolonisés, la liberté est désormais l’air invisible que nous respirons sans nous en rendre compte. Maladive ou vigoureuse, elle est déjà en nous, même si nous ne la voyons pas. Fantôme insaisissable sorti d’un monde devant lequel nous nous sentons impuissants et chétifs, elle exige un courage dont il faudra bien que nous trouvions un jour la force. Elle est là, même si nous détournons le regard pour ne pas la voir. Elle est un devoir dont nous nous acquitterons vis-à-vis de nos enfants, même si nous ne l’avons pas reçue de nos ancêtres. L’héritage n’est pas seulement quelque chose qui remonte du passé, c’est un bien qui dévale du futur.

acf0a4dd808f95a763be4ec4097e500d.jpg Hélé Béji est née à Tunis en 1948. Agrégée de lettres modernes, elle a enseigné la littérature à l’Université de Tunis, puis a occupé un poste de fonctionnaire international à l’UNESCO. Elle a fondé en 1998 le Collège international de Tunis. Elle est l’auteur de plusieurs livres dont Le Désenchantement national, essai sur la décolonisation, Maspéro 1982, L’Œil du jour, roman, Nadeau, 1985 et L’Imposture culturelle, essai, Stock, 1997. Elle a également collaboré à de nombreux ouvrages collectifs sur le tiers-monde et sur les questions du monde arabe.

Françoise Barret-Ducrocq, enseignante, traductrice, MLF et amie

Texte de Françoise Barret-Ducrocq recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :

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Octobre 1975 : elle a de longs cheveux noirs, un visage enthousiaste, je revois cette étudiante, ravie d’être allée, sur mes conseils, rue des Saints-Pères dans cette librairie où, « pour une fois », disait-elle, les livres de femmes étaient à l’honneur.
Chaque début d’année, chaque génération d’étudiantes allait faire la même découverte, puis très vite s’habituer, et finalement trouver naturel d’évoluer au milieu de ce concert de voix féminines comme il n’en existait, alors, nulle part en France.
Pas une aujourd’hui n’a oublié, j’en suis sûre, la joie qu’elle avait eue à longer les rayonnages, à s’arrêter, à saisir entre ses mains les livres de Sibilla Aleramo, Juliet Mitchell, Lidia Falcon, Eva Forest, Erin Pizzey, Julia Kristeva, François d’Eaubonne, Simone Benmussa, Angela Davis ou encore ceux de Xavière Gauthier, Sylvia Plath, Chantal Chawaf, Hélène Cixous, Anaïs Nin, Virginia Woolf… Tant de textes, tant de voix aussi. Ah ! les beaux moments passés à écouter Fanny Ardant ou Catherine Deneuve faire vivre Balzac ou Sagan !
En créant la librairie et la maison d’Edition Des femmes, Antoinette Fouque, la première, a eu l’imagination et la force, de penser une nouvelle manière de prolonger la geste des femmes qui depuis le XIXème siècle luttent contre la discrimination dont elles sont victimes. En même temps qu’il s’agissait pour elle de publier celles qui dans le monde entier combattent leurs droits, elle a réuni en un lieu la preuve tangible de la capacité créatrice des femmes non seulement en littérature mais aussi en peinture, en sculpture, en architecture.
Courage de la fondatrice et de celles qui travaillaient à cette entreprise et s’appliquaient à « faire surgir tout ce qui a été interdit, refoulé, occulté » de l’univers féminin.
A l’université, le best-seller, c’était Du côté des petites filles d’Elena Gianini Belotti, magistrale analyse du conditionnement social qui, dès leur naissance, forge chez les filles les prétendus caractères de la « féminité ». Malgré les innombrables pages publiées depuis sur le sujet, l’ouvrage n’a rien perdu de sa vigueur et de sa pertinence. Pour évoquer la douce servitude dans laquelle les filles sont tenues, les éditrices avaient choisi, comme couverture de l’ouvrage, un chromo sur lequel trois petites filles vêtues de longues robes de mousseline rose, coiffées d’encombrants chapeaux, jouent sur une vaste pelouse. Le petit groupe forme contraste avec l’espace de liberté derrière lui dont ces enfants ne profitent guère. Tout l’esprit des Editions Des femmes se trouve là, dans cette description fine d’une réalité navrante d’injustice.
Après le point de vue de l’enseignante, celui de la traductrice. Je ne reviendrai pas sur l’importance théorique de Psychanalyse et féminisme de Juliet Mitchell, ni sur celle du livre de Sheila Rowbotham Conscience des femmes, monde de l’homme que j’ai eu le plaisir de traduire de l’anglais pour les éditions Des femmes. Je me contenterai d’évoquer la chaleur et l’intelligence des échanges qui, pendant ce travail, ont prolongé ceux que nous avions amorcés à Oxford, lors de notre premier voyage avec Antoinette, en février 1970 quand, au nom du MLF français, nous étions intervenues à la première assemblée nationale du Women’s Lib.
 
F.B.-D.