« Cher Voltaire » dans Paris-Match – Par Gilles Martin-Chauffier (13 au 19.12.07)

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Paris-Match du 13 au 19 décembre 2007

LA CHRONIQUE DE GILLES MARTIN-CHAUFFIER

Le magazine « Time » annonce la mort de la culture française. Vieux refrain : c’était déjà le leitmotiv des lettres de madame du Deffand à Voltaire. Qu’importe ! Chez nous, on peut bien dire que tout va mal pourvu qu’on le dise bien.

« Time », le bréviaire hebdomadaire de l’Amérique à vocation universelle, s’inquiète de l’état de la culture française. A lire le magazine, elle agonise. Le seul film français dont ses journalistes ont entendu parler ces derniers temps est « Ratatouille », un dessin animé produit par le studio hollywoodien Pixar. Notre littérature, nos films, nos peintres les déçoivent. Paris n’est plus le centre du monde. A force d’être gavés de subventions, nos artistes n’ont plus à se soucier de qualité. Tout cela n’est pas faux, et le spectacle des cash-flows aphrodisiaques de Disney et de Time Warner rappelle que leur cinéma et leurs chansons ont bien plus de succès que les nôtres. Mais quelle importance ?

L’aigle américain jugeant le coq français, cv’est un peu le moineau sceptique sur le charme du papillon. Contrairement à ce que semble croire « Time », on n’aime pas tant la France pour ses artistes que pour la manière, respectueuse et désinvolte, avec laquelle nous les traitons. Dans le monde entier, l’année commence en janvier sauf chez nous, où la rentrée a lieu en septembre, car c’est l’automne qui lance l’actualité culturelle. La France ne prétend plus régner par sa littérature ou sa musique, mais par une certaine douceur de vivre. Si, demain, nous sommes le dernier herbivore au milieu des fauves, tant mieux.

De toute manière, pas de panique, on se donnera toujours l’importance que le reste du monde nous refusera. La puissance militaire et l’éclat culturel d’Athènes ont duré un siècle et ceux de Rome mille ans, mais c’est toujours la Grèce qu’on cite en premier. La France charme moins par ses livres et ses toiles que pour le N°5 de Chanel, les berges de la Seine, ses terrasses de café, son foie gras et les illuminations de Noël de l’avenue Montaigne. Ici, le premier des arts, c’est l’art de vivre. Et si, chez nous, plein de gens veulent en faire le moins possible et être assistés, cela prouve que le bon sens reste vivace dans nos parages. Si on avait attendu qu’une des fourmilières américaine, allemande ou chinoise ait inventé les matelas, on dormirait encore par terre. Que les plumes de « Time » ne se tourmentent pas pour nous. Sur le fond, nous sommes entièrement d’accord avec elles. Il y a des siècles qu’à chaque génération nos auteurs annoncent la mort de l’esprit français. Si certains en doutent, ils n’ont qu’à lire la correspondance de madame du Deffand avec Voltaire. Un petit chef d’oeuvre de perversité intellectuelle à notre façon.

Elle tient un salon dans le couvent Saint-Joseph où elle occupe les anciens appartements de madame de Montespan. Il règne à Ferney sur un vaste domaine et une immense fortune. Il se dit mort et enterré au fond des Alpes et elle prétend écrire du fond de son tombeau, mais leur faiblesse est herculéenne et ils reçoivent sans cesse toute l’Europe à leur chevet. Ensuite, ils s’écrivent pour parler de tout sans pontifier sur rien et chacun sourit jusqu’aux cheveux quand il reçoit une lettre de l’autre. C’est que la France de leur temps passe un encore plus sale quart d’heure entre leurs lignes que la nôtre dans « Time ». A les lire, il n’y a plus de grâce dans les livres, le goût est perdu, l’esprit sentencieux prospère, l’opéra est indigne, la facilité a disparu, tout est à la glace, même la licence n’a plus de gaieté. Si la nation a déjà été plus malheureuse, elle n’a jamais été aussi plate. Lui n’aime plus que l’Ancien-Testament, Virgile et Pascal. Elle regrette Cicéron. Les contemporains les impatientent, Rousseau les sort de leurs gonds mais le fait est là : ils ont du goût, de l’imagination, de l’esprit et de la culture. Ces deux vieillards acariâtres sont un élixir de charme assassin, même si le fleuve de leur méchanceté déroule sans fin ses méandres. C’est aussi ça la France : avoir du génie dans les moments insignifiants et mettre de la futilité dans les grands débats. On lit « Time » et on se dit que le trône de la France est devenu minuscule. On relit Voltaire et on redécouvre que petit trône ne signifie pas petit roi. Si l’Amérique nous trouve intellectuellement indignes d’être le Q.g. du monde, tant pis. Paris se contentera d’en être le salon. Comme toujours.

« Cher Voltaire. La correspondance de Madame du Deffand avec Voltaire », éd. des Femmes-Antoinette Fouque, 574 pages, 22 euros

Voltaire / Du Deffand dans Livres Hebdo du 5 octobre 2007

deffand_madame.jpg41I8dtH7W%2BL.jpgVoltaire, Du Deffand Marie

Cher Voltaire : la correspondance de madame du Deffand avec Voltaire / présentée par Isabelle et Jean-Louis Vissière – Nouvel. éd. – Paris, Des femmes – Antoinette Fouque, 2007

Lettres échangées de 1759 à 1778 permettant de restituer la vie quotidienne des deux personnages et fournissant un témoignage sur la génèse et la diffusion de l’oeuvre voltairienne. Constitue également une chronique de la vie littéraire, politique et philosophique de cette période.

Br. 22 E

« Cher Voltaire » de Madame du Deffand (Correspondance)

deffand_madame.jpg« Cher Voltaire » de Madame du Deffand (correspondance) – édition de Isabelle et Jean-Louis Vissière

Réimpression (première édition : 1987).

Office 06/09/2007

Un magnifique épais livre rose (ma couleur préférée, vous aurez pu le deviner grâce au papier peint de mon blog… ) tout nouveau tout chaud (pas tant que ça niveau érotisme ! pas de fausse joie !) qui aurait pu s’appeler « Lettres d’une Marquise et d’un Philosophe »… Madame du Deffand, la fameuse égérie et épistolière, au salon prestigieux où s’élaborait la pensée des Lumières, était selon Gabriel Matzneff dans « Maîtres et Complices », l’un des écrivains préférés de Cioran.

Un fragment de cette correspondance :
Mme du Deffand : « Aimez-moi un peu ; c’est justice, vous aimant, je pense, tendrement. »
Voltaire : Tout ce que je puis faire […] c’est de vous aimer de tout mon coeur, comme j’ai fait pendant environ cinquante années. […]

Mme du Deffand (1696 ou 97-1780) est connue comme l’une des femmes les plus spirituelles du Siècle des Lumières. Contemporaine des philosophes, amie de Voltaire qui est l’un de ses favoris, son salon réunit les esprits les plus éclairés de Paris. Parallèlement à cette vie mondaine, elle entretient une vaste correspondance avec ses amis les plus chers.

La première édition de ce livre, en 1987, réunit pour la première fois les lettres qu’échangèrent de 1759 à 1778 la marquise du Deffand et Voltaire, ces amis de longue date, ces deux grandes figures du scepticisme et de la liberté d’esprit.

Cette correspondance commence alors que les deux épistoliers ont dépassé la soixantaine ; elle prend fin avec la mort de Voltaire. Tandis que Voltaire affirme : « je suis mort au monde », sa correspondante lui répond : « je ne le suis pas encore ; il est vrai qu’il ne s’en faut de guère ».
Mais ces épistoliers d’exception plaisantent de tout, même de la vieillesse et de la mort, avec une grande élégance : la vivacité et la fantaisie de leur écriture ne cessent de démentir le pessimisme de leurs propos.

Le premier intérêt de ces lettres est bien sûr de restituer pour nous la vie quotidienne de ces deux grands personnages. Elles fournissent par ailleurs un témoignage irremplaçable sur la genèse et la diffusion de l’œuvre voltairienne : en effet, Mme du Deffand exige de recevoir en avant-première toutes les productions voltairiennes, qu’elle lit ensuite en suite en public, qu’elle fait circuler autour d’elle… Enfin, c’est toute la vie littéraire, politique et philosophique d’un quart de siècle qui défile sous nos yeux. Affinités et hostilités, querelles entre écrivains (notamment, la fameuse « guerre encyclopédique »), portraits, plus ou moins élogieux ou satiriques, des grandes figures de l’époque.

Cette correspondance est le fruit d’une admiration réciproque, et même d’une véritable complicité, telle que leurs lettres en viennent à se ressembler : deux styles qui se ressemblent, des convictions partagées, mais aussi les mêmes doutes, les mêmes interrogations, parfois la même mélancolie.

Cette édition, réalisée par Isabelle et Jean-Louis Vissière, spécialistes du Siècle des Lumières, est une édition d’une grande qualité : une large présentation introduit les lettres, et un appareil de notes d’une grande clarté permet d’éclairer toutes les allusions implicites des deux épistoliers.

La correspondance de Madame du Deffand et Voltaire (un travail de Isabelle et Jean-Louis Vissière)

vissiere.jpgQuand nous avons publié, aux Editions Des femmes, des lettres de Madame du Deffand ou des articles de Madame de Girardin, il s’agissait de personnalités connues et appréciées – même si leurs oeuvres ne figuraient dans aucun catalogue de librairie. Le cas de Madame de Charrière est tout à fait différent. (…)
 
Nous avons été éblouis par la qualité des textes : il y avait là un témoignage d’une richesse exceptionnelle sur la Révolution française. Comme la commémoration de 1789 approchait, nous avons pensé qu’il fallait commencer par là. Avec le soutien des associations néerlandaise et suisse, nous avons publié, sous le titre Isabelle de Charrière, une aristocrate révolutionnaire, un volume qui a été salué par la critique. Dans Le Nouvel Observateur, Mona Ozouf lui consacrait une page, illustrée d’un portrait de l’écrivaine.
 
Lors du grand colloque de Toulouse sur les femmes et la Révolution, Isabelle de Charrière a fait l’objet de diverses communications, mais surtout sa pièce L’Emigré a été mise en scène sous forme de lecture à plusieurs voix.
(…) Depuis 1989, Isabelle de Charrière a conquis le statut d’écrivain à part entière et même d’écrivain classique. Ses romans, sa correspondance avec Constant d’Hermenches et Benjamin Constant ont été réédités, si bien qu’elle intéresse maintenant les universités françaises et américaines. Il existe plusieurs thèses sur elle. Nous saisissons volontiers l’occasion de rappeler que les Editions Des femmes ont été, ici, à l’origine d’une véritable résurrection.
 
I. et J.-L. V.
 
 
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Madame du Deffand et Voltaire

Voici, pour la première fois réunies, les lettres qu’échangèrent de 1759 à 1778, la marquise du Deffand et Voltaire, ces amis de longue date, ces deux grandes figures du scepticisme et de la liberté d’esprit. Voltaire s’y montre un vieillard faussement modeste,  » mort et enterré entre les Alpes et le Mont Jura « . et la Marquise de conclure en faveur de  » l’immortalité de l’âme « , en voyant ce mort si vivant !… Un échange épistolaire éblouissant, plein de saveur, d’élégance, de facétie, de vie.

Cher Voltaire
Edition de Isabelle et Jean-Louis Vissière
575 p. – 22 € – 1987 Réédition 2007
 » Je ne vous ai envoyé Madame, aucune de ces bagatelles dont vous daignez vous amuser un moment. J’ai rompu avec le genre humain pendant plus de six semaines ; je me suis enterré dans mon imagination ; ensuite sont venus les ouvrages de campagne, et puis la fièvre. Moyennant tout ce beau régime vous n’avez rien eu ; et probablement n’aurez rien de quelque temps. Il faudra seulement me faire écrire, madame veut s’amuser, elle se porte bien, elle est en train, elle est de bonne humeur, elle ordonne qu’on lui envoie quelques rogations ; et alors on fera partir quelque paquet scientifique ou comique, ou philosophique, ou historique, ou poétique, selon l’espèce d’amusement que voudra madame, à condition qu’elle le jettera au feu dès qu’elle se le sera fait lire. « 
Voltaire
 » … Savez-vous ce qui vous arrivera si vous ne m’écrivez pas ? Je vous tiendrai pour mort et je ferai dire des messes pour le repos de votre âme dans tous les couvents de jésuites ; je vous ferai louer, célébrer, canoniser… Vous êtes le plus ingrat et le plus indigne des hommes si vous ne répondez point à l’amitié que j’ai pour vous, et si vous ne vous faites pas une obligation et un plaisir d’avoir soin de mon amusement. « 
Marquise du Deffand