Le Contemporain soutient le roman humaniste et sensible de Maxim Schenkel

Un roman pour réenchanter la paix : Maxime Schenkel ou l’espoir en héritage

■ Maxime Schenkel.
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culture.

Un jour, nous vivrons ensemble, le premier roman de Maxime Schenkel, publié par les éditions Une autre voix, surprend, émeut et interroge. Par son titre d’abord, promesse d’un avenir pacifié dans une région fracturée par des décennies de conflits. Par son auteur ensuite, trentenaire autodidacte, ancien footballeur devenu écrivain par idéal. Par sa matière enfin, brûlante entre toutes : l’histoire d’une famille palestinienne sur trois générations, confrontée à l’exil, à la guerre et à la persistance de l’espoir. Ce récit romanesque, à la fois pudique et engagé, évite les pièges de la simplification idéologique pour offrir une fresque sensible, inspirée d’une vérité historique souvent occultée.

 

Le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Trois générations palestiniennes à la lumière de l’Histoire et du fracas de l’actualité

Il faut du courage, aujourd’hui, pour écrire un roman sur la Palestine. Non un pamphlet, non un tract, mais un roman au sens le plus fort du terme : un récit d’hommes et de femmes, d’amour et d’exil, de chair et de mémoire. C’est ce que parvient à faire Maxime Schenkel, jeune auteur de 32 ans passé par les terrains de football avant ceux de la littérature, dans Un jour nous vivrons ensemble, premier roman publié chez Une autre Voix, maison résolument hors des sentiers battus. En trois générations — Hassan, Amine, Ali — l’auteur retrace, à hauteur d’homme, le long désastre d’un peuple jeté hors de l’Histoire, et pourtant toujours debout, comme ce jeune garçon renversé mais triomphant sur la couverture.

De Tantura à Gaza, la tragédie continue

À l’origine, il y a un village : Tantura village côtier au sud de Haïfa, sur la côte méditerranéenne, où les jours paisibles de la Palestine mandataire sont balayés par la Nakba. Nous sommes le 23 mai 1948, lendemain de noces entre Hassan jeune Palestinien de 21 ans et Fatima qu’il épouse à la veille d’une tragédie : l’irruption de la Haganah, milice juive devenue l’embryon de Tsahal, qui massacre les villageois dans une opération de “nettoyage” restée taboue pendant des décennies. La mer est calme, les visages sont radieux, mais déjà, au large, gronde la Haganah, future armée israélienne nourrie aux idéaux du sabre et du droit divin. Le massacre est un fait historique longtemps nié, aujourd’hui partiellement reconnu. Hassan, épargné par miracle, fuit avec sa jeune épouse vers la France, terre d’exil qui devient terre d’accueil. Il y ouvre une épicerie en Normandie. Mais son cœur reste là-bas, entre les citronniers de Tantura et les plages de son enfance…

Maxime Schenkel exhume ici un épisode longtemps refoulé, documenté par l’historien Teddy Katz et reconnu depuis par certains témoins israéliens. Cette mémoire de sang hante le roman et lui donne sa profondeur tragique. “La vérité ne change pas selon nos capacités à l’accepter”, écrivait Aldous Huxley : c’est précisément ce que rappelle Schenkel, en convoquant la douleur fondatrice de la Nakba.

Des exils et des silences.

Réfugiés en France grâce à l’aide d’un ami français, Hassan et Fatima s’installent en Normandie. Ils y reconstruisent leur vie, sans jamais oublier leur terre perdue. La mort de Fatima précipitera la révélation du passé à leur fils Amine, élevé comme un petit Français. C’est lui qui, adulte, retourne “au pays” pour comprendre, pour revendiquer une appartenance, pour aimer aussi — Lina, Palestinienne de Naplouse, avec qui il aura un enfant, Ali. Le silence des pères, les non-dits familiaux, la transmission brisée : tels sont les fils souterrains du récit. Comme le note l’écrivain Édouard Glissant, “l’identité n’est pas une essence, c’est une relation”. Schenkel le montre avec subtilité, dans les heurts et les liens tissés entre générations et territoires.

Un roman-miroir du conflit d’aujourd’hui

Ce qui frappe, c’est combien ce roman résonne avec les images qui, depuis le 7 octobre, saturent nos écrans : attentats, bombardements, enfants mutilés, maisons rasées. L’histoire d’Amine, fils d’Hassan, revenu étudier à Naplouse dans les années 1980, rejoint celle des activistes d’hier et des journalistes d’aujourd’hui. Fondateur d’un journal clandestin, il résiste, comme tant d’autres, à la colonisation rampante de la Cisjordanie. Sa femme Lina le quitte par peur, son fils Ali est envoyé en France, nouvelle boucle de l’exil. Mais Ali, à son tour, repart : c’est une génération qui ne renonce pas, même blessée, même amputée. À Gaza, ville martyre de cette année 2023, il cherche sa mère disparue, rencontre la guerre et la lumière, tombe amoureux d’une Israélienne. C’est cette tension inextricable entre l’histoire et le présent, entre le feu et l’amour, que Maxime Schenkel saisit avec une justesse inattendue.

Une écriture sans prétention au cœur pur

La langue de Maxime Schenkel est simple, parfois maladroite, mais toujours habitée. Elle a cette sincérité brute des premiers livres, où chaque mot porte une part de vérité personnelle. Certains tics de style trahissent une formation autodidacte, mais n’enlèvent rien à l’intensité du propos. Ce qui compte ici, c’est le souffle, l’élan moral, la volonté de dire l’indicible. À la manière d’Albert Camus dans L’Homme révolté, Schenkel oppose à l’injustice non pas la vengeance, mais la dignité : “Résister, c’est participer à la reconstruction d’une humanité plus juste et plus tolérante.” Ce refus du cynisme traverse le livre comme un fil rouge. Maxime Schenkel écrit sans afféterie, parfois avec naïveté, souvent avec sincérité. L’idéalisme affleure à chaque page mais c’est justement cette innocence, proche du Tintin humaniste, qui fait vibrer le livre. Il y a du Si tous les gars du monde… comme l’écrivait Paul Fort dans cette fresque où les peuples, à défaut de s’unir, s’étreignent un instant avant de sombrer à nouveau dans l’histoire sanglante. On pourrait reprocher à l’auteur quelques facilités comme une simplification des rapports religieux mais on sent un écrivain qui cherche, qui creuse, qui s’indigne.

Un engagement sans dogme

Schenkel se défend d’une posture partisane. Loin de la rhétorique indigéniste ou des raccourcis de certains partis, il choisit la voie difficile du romanesque pour faire entendre la voix palestinienne. Sans nier les souffrances du peuple juif ni légitimer la violence terroriste, il s’interroge : que reste-t-il d’un peuple qu’on refuse d’accueillir, même dans les pays frères ? Il pointe aussi le cynisme des grandes puissances, le rôle ambigu des États arabes, la résignation des consciences occidentales. “C’est un livre de paix”, affirme-t-il. “Un cri lancé dans le vacarme des armes, pour rappeler que raconter peut encore sauver.” À l’heure où les bombardements ravagent Gaza, où le dialogue semble impossible, ce roman apporte une voix différente, sans posture, sans leçon, mais avec une espérance ardente.

Une mémoire contre l’effacement

Ce roman n’est pas neutre, et il ne le prétend pas. Il rappelle que la Nakba est pour les Palestiniens ce que la Shoah fut pour les Juifs : une déchirure fondatrice, une blessure intransmissible. Et de même que l’État d’Israël s’est bâti sur le traumatisme, les groupes armés palestiniens — OLP, Fatah, Hamas — sont nés d’un refus de disparaître. Que Schenkel évite de citer ces noms dans son roman n’est pas une faiblesse, mais un choix : il préfère la lignée à la faction, la filiation au drapeau. Il raconte les hommes, pas les doctrines. Les femmes surtout, magnifiques : Fatima, Lina, Sara, figures de résistance et d’amour, mères courage dans une guerre d’hommes.

Un espoir fragile, mais tenace

Dans une actualité où le débat sur le conflit israélo-palestinien est souvent manichéen, hystérisé, voire censuré, Un jour nous vivrons ensemble arrive à point nommé. Ce n’est pas un traité de géopolitique, c’est une main tendue. Dans un monde où l’on dresse des murs, Maxime Schenkel esquisse un pont. Modeste, incertain, vulnérable — mais un pont tout de même. Un pont entre les pères et les fils, entre les juifs et les arabes, entre le passé et demain. Un roman comme une pierre blanche dans la nuit.

Rendre justice par la fiction

Un jour, nous vivrons ensemble n’est pas un roman parfait, mais il est nécessaire. Il a la clarté des débuts, la sincérité des âmes justes. Il dit les douleurs enfouies, les ruptures intimes, les conflits hérités, et surtout l’envie de vivre, malgré tout. L’image de couverture, celle d’un adolescent palestinien bondissant entre deux rochers, résume le livre : l’équilibre instable d’une jeunesse qui refuse de tomber, même au bord du gouffre. C’est là tout le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Tolérance, compromis, bienveillance dans « Un jour, nous vivrons ensemble » le premier roman de Maxim Schenkel

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble

Hassan, Amine, Ali, trois générations qui se succèdent, Palestiniens bouleversés par la guerre entre Israël et le proto-état palestinien, formé (comme hier Israël, on l’oublie trop avec la Haganah) par les groupes armés, OLP, Fatah et Hamas. Hassan, né en 1927, a coulé des jours heureux à Tantura, village sur la côte méditerranéenne près de Haïfa. Les pères partaient à la pêche, les femmes cultivaient les légumes, les enfants jouaient libres dans les champs et sur la plage.

Survient 1948, la création d’un État artificiel décidé par l’ONU, Israël, sur les ruines du mandat britannique. Les Arabes ne l’acceptent pas : ils sont « chez eux » et occupent les terres. Certes, les Juifs ont souffert du nazisme et du soviétisme et il est légitime qu’ils aient un État, mais pas au point de régner en vainqueurs et de chasser les Palestiniens de leurs maisons, leurs villages, leurs terres. C’est pourtant ce qui se produit. Les régimes arabes alentour entrent immédiatement en guerre contre le nouvel état juif, ce qui le radicalise. Ils ne veulent plus être les moutons que les dominants conduisent à l’abattoir. Ils se veulent dominant à leur tour, traitant les dominés comme on les a traités en Europe : massacres, expulsions, déportations.

C’est ce qui arrive au village de Tantura ce 23 mai 1948, malencontreusement attribué à Israël par le plan de partage de l’ONU. Hassan a 21 ans. Il est amoureux de son amie d’enfance Fatima, avec qui il a joué sur la plage avant de découvrir à 17 ans qu’il veut l’épouser. Par crainte de l’avenir, les familles repoussent sans cesse le mariage, jusqu’au 22 mai. Voilà les deux jeunes enfin unis, ils sont heureux, c’est la fête. Mais à la nuit arrivent les soldats de la Haganah, organisation paramilitaire des Juifs de Palestine, saboteurs et terroristes contre les Anglais jusqu’à la création de l’État, où elle s’est fondue dans l’armée. Ivres de leur victoire, ils tuent ces « Arabes » qui veulent les empêcher de s’implanter sur cette terre que Dieu leur a donné (Dieu à toujours bon dos). Un soldat israélien miséricordieux, opposé à cette violence gratuite contre des civils désarmés, n’hésite pas à loger une balle dans la tête de ses copains déchaînés pour inciter Hassan et Fatima, les jeunes mariés, à fuir.

Et les voilà partis, traumatisés, vers un camp de réfugiés au nord du pays. Grâce à Gérard, un ami français qui voyageait beaucoup avant la Seconde guerre et était tombé amoureux de la Palestine, le couple obtiendra deux visas pour la France. Ils s’installeront en Normandie, pays où vit l’auteur, dans un village près de Saint-Lô où Hassan tiendra une épicerie après avoir œuvré dans le bâtiment pour la reconstruction après le Débarquement, et Fatima cuisinera dans le restaurant du village après avoir été employé de cantine. Ils finiront par faire un enfant, Amine, élevé comme un petit français, obtenant le bac.

Mais Fatima meurt d’un cancer alors qu’Hassan désirait ardemment revenir dans « son pays », la Palestine, dont les odeurs et le climat lui manquaient, ainsi que la convivialité arabe. Cela ne se fera pas. C’est Amine, adulte à 18 ans, qui force son père à parler, à dire ce qui s’est vraiment passé et pourquoi ils se sont exilés en France. C’est Amine qui décidera en 1980 d’aller en Palestine/Israël pour y suivre des études de lettres et vivre « chez lui », à Naplouse. Il rencontrera Lina, sœur de son ami Ahmed, ils tomberont amoureux, se marieront en 1987, juste avant l’Intifada, et auront un fils, Ali. Mais Amine est un révolté, il ne peut s’empêcher de provoquer les colons juifs, de se battre avec eux. La famille de sa femme est expulsée, leur maison rasée au bulldozer ; les Israéliens sont impitoyables avec les résistants à leur occupation qu’ils appellent « terroristes ». Pourtant, Gaza et la Cisjordanie étaient des territoires destinés aux Palestiniens, selon l’ONU. Amine crée un journal imprimé pour raconter ce qui se passe, ses actions, sa résistance ; il a du succès. Sa femme prend peur, elle le quitte et entre en clandestinité, laissant l’enfant à son père, qui va bientôt l’envoyer en France auprès de son propre père, Hassan, pour le protéger.

Ali, troisième génération, devient infirmier à Caen, il côtoie Sara, juive israélienne française, infirmière comme lui, et en tombe amoureux. Il décide d’aller sur la terre de ses ancêtres pour découvrir ses racines, ses cousins et chercher sa mère qui l’a abandonné. Sara comprend. Issue d’une famille juive libérale habitant Tel Aviv, elle est pour la cohabitation des deux peuples, pas pour la guerre. Ils s’aiment et pensent obscurément que les mariages mixtes permettront peut-être de créer cet État mélangé où, en Israël, juifs et arabes vivront en paix. La réalité est plus cruelle que les rêves, Ali s’en rendra compte à Gaza, bombardée après le pogrom du Hamas le 7 octobre. Car le roman va jusqu’à aujourd’hui, reliant l’histoire au présent. Il retrouvera sa mère, qui se terre, recherchée par le Hamas (dont le nom n’est jamais cité) et le Shin Bet (pas plus) pour avoir refusé de commettre des attentats, mais convoyé des armes. Ali sera blessé, perdra peut-être ses jambes, se mariera à Sara. Et puis… tentera de créer un avenir sur les ruines du passé.

C’est le premier roman d’un jeune auteur de 32 ans auparavant footballeur, complètement autodidacte mais curieux du monde et de ses habitants. « J’aime m’enrichir chaque jour intellectuellement grâce à des aventures, des expériences, des lectures, des rencontres qui me stimulent, qui me secouent et qui me font réfléchir », dit-il sur le site de son éditeur, Une autre voix, nouvelle maison d’édition destinée à contrer la censure implicite du politiquement correct ambiant.

C’est un beau roman une belle histoire. L’auteur dit s’être beaucoup documenté. Il écrit fluide, avec parfois des tics d’époque répétés à satiété, comme ce « mutique » sorti de la psychologie de magazine, alors que « muet » ou « sans voix » serait plus juste (le mutique a une incapacité à parler, le muet seulement une volonté provisoire de se taire). Il fait preuve d’un idéalisme de cœur pur à la Tintin, qui marche toujours quand on regarde les choses de loin. « Si tous les gars du monde… » – mais comment ? Physiquement, le jeune auteur ressemble d’ailleurs un peu à l’adolescent reporter du Petit Vingtième.

Mais il fait l’impasse sur les religions, ce qui est inexplicable, car les Palestiniens sont musulmans et croyants parfois fervents, les Israéliens sont juifs pratiquants et pour certains fanatiques, les chrétiens humanistes ne sont pas absents non plus. Il fait l’impasse aussi sur la « solidarité arabe », qui a manqué cruellement aux Palestiniens depuis la guerre perdue de 1967. La Jordanie comme l’Égypte, ou même l’Arabie saoudite, la Mecque de la religion musulmane, refusent absolument d’accorder une place aux déplacés, empêchant les plaies de se cicatriser, par des camps, décrétés « provisoires » depuis plus de soixante ans.

La photo de couverture est symbolique, bien choisie. Elle montre un adolescent palestinien ivre de vie sur une plage. Il est à la fois tout retourné (par l’histoire), en position acrobatique (face à la puissance d’Israël), mais prouvant son énergie (en équilibre entre deux rochers dangereux). Tolérance, compromis, bienveillance – il n’attend que cela, le jeune être. Raconter une histoire permet de faire connaître, de faire vivre, et peut-être d’influer sur les opinions pour qu’enfin une solution de paix soit trouvée.

Maxim Schenkel, Un jour nous vivrons ensemble, 2025, édition Une autre voix, 313 pages, €34,00, e-book €13,50

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