Le transgenre : une réalité de souffrances pour l’entourage aussi – le témoignage de Malédicte (« Les enfants inutiles ») lu par Wukali

L’ Ardenne (et non les Ardennes, nous sommes en Belgique) peut être un lieu enchanteur quand on a 6 ans comme Éléonore. Elle ne ressemble pas à Diane, sa sœur ainée,  Éléonore est vive, curieuse, adore les mystères de la nature qu’elle s’efforce de découvrir. Et puis, il y a François le petit dernier, le porteur d’un chromosome Y comme se plait à dire la mère. Un grand regret son ancienne maison au-dessus du bureau de poste tenu par son grand-père, mais ils vivent maintenant à la campagne, lieu de toutes les découvertes. Le père est inspecteur de police, la mère institutrice. La mère, passe son temps à faire la sieste et se transforme régulièrement en une sorte de Folcoche1 pour ses filles. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les parents sortent peu et reçoivent encore moins. De fait, une sorte de chappe de silence, de non-dits pèsent sur cette famille. 

Éléonore grandit, connait les premiers émois de l’amour et tandis que Diane s’oriente vers une carrière musicale, elle devient architecte. Et un jour, elle apprend ce que ses parents ont toujours caché à leurs filles : leur père ne s’est jamais ressenti comme un homme, il a toujours pensé être une fille. Mais la pression sociale, son physique l’ont obligé à se cacher, à jouer un rôle qui lui pesait de plus en plus. Leur mère le savait depuis toujours et a tout fait pour qu’il se sente être l’homme qu’elle aimait. Parfois, elle le laissait s’habiller en femme. De fait, Éléonore prend conscience que les trois enfants n’ont été conçus que pour qu’il endosse le rôle de père dans tout le sens masculin du terme. L’obsession du troisième enfant était là que pour montrer au géniteur qu’il portait en lui le fameux chromosome Y, que tout en lui n’était pas que féminin. Et comme les enfants n’ont pas rempli leur mission vis-à-vis de leur père, leur mère les rejette car devenus en quelque sorte « inutiles ».

Il lui aura fallu attendre 40 ans et deux maternités pour qu’ Éléonore puissent répondre aux questionnements de son enfance.

Par ce roman au sujet pour le moins inhabituel, Malédicte aborde le problème du transgenre. Pour une fois, ce n’est pas la personne concernée qui est au centre du récit, mais un membre de la famille, ce qui permet de percevoir les effets dans l’entourage. Que de dysfonctionnements ! Que de vies brisées ! Quel avenir pour des enfants perçus non pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils doivent être, pour remplir la mission qui leur a été confiée au moment de leur conception. Il faut une grande personnalité pour arriver à se bâtir.

Un sujet d’actualité qui fait beaucoup, beaucoup parler, mais une réalité pour certains, une réalité de souffrances qui déteint sur leur entourage.

Valérie Gans, écrivain et éditrice digne d’être dans Causeur !

Valérie Gans, une autre voix est possible

Valérie Gans publie « La question interdite », un roman pas franchement #MeToo

Valérie Gans, une autre voix est possible
La romancière Valérie Gans. DR.

Valérie Gans publie un nouveau roman, La question interdite, dans lequel elle dénonce les dérives du féminisme et le tribunal des émotions. La romancière a également fondé sa propre maison d’édition, Une autre voix, pour lutter contre le wokisme qui gangrène la littérature actuelle.


Dans La question interdite, Valérie Gans nous plonge dans une société où la vérité est sacrifiée sur l’autel du conformisme. Ce roman audacieux raconte l’histoire d’Adam, un vidéaste accusé à tort de pédocriminalité par Shirin, une adolescente manipulée par sa mère. À travers ce récit, Gans met en lumière les dérives du féminisme contemporain, du wokisme et de la justice médiatique, rappelant les dangers d’un tribunal populaire où l’émotion prime sur la raison.

Loin de minimiser la gravité des véritables crimes, Gans interroge cette tendance inquiétante à juger et condamner sans preuve, sous l’influence des réseaux sociaux et des foules hystériques. Elle rejoint ainsi des penseurs comme Jürgen Habermas, qui affirme que la démocratie ne peut survivre sans un espace public pour la discussion rationnelle. Ce roman appelle à réhabiliter la nuance et la raison dans une société de plus en plus polarisée, où la suspicion remplace l’investigation et où la condamnation publique est instantanée.

Une autre voix : un engagement littéraire audacieux

Pour défendre la liberté de penser, Valérie Gans a fondé sa propre maison d’édition, Une autre voix. Ce projet incarne une rébellion contre la censure et le conformisme idéologique qui dominent l’industrie littéraire actuelle. Gans y prône la diversité des opinions et des récits, s’opposant à l’autocensure qui se généralise et à l’emploi de sensitivity readers.

Le manifeste d’Une autre voix est clair : il s’agit de redéfinir l’espace littéraire en brisant les carcans imposés par les dictats sociaux et idéologiques, et en défendant une littérature authentique, sans compromis. Cette maison d’édition milite pour un retour à la liberté d’expression, sans censure et sans déformation de la réalité.

L’effet de meute : quand la foule prend le pouvoir

L’un des thèmes centraux de La question interdite est l’effet de meute, ce phénomène où l’individu se dissout dans une foule assoiffée de justice expéditive. Gans illustre comment la société actuelle, avide de coupables, se précipite de juger et de condamner avant même que les faits ne soient établis, un lynchage médiatique que Durkheim et Bourdieu auraient décrit comme la nouvelle forme de violence symbolique.

A lire aussi: Anatomie d’une descente aux enfers

Cette dynamique est amplifiée par les réseaux sociaux, où chacun peut, en quelques clics, participer à la destruction d’une vie. Adam devient ainsi la victime d’une « chasse aux sorcières » moderne, son destin brisé par une accusation infondée. Gans démontre ici les ravages d’une justice populaire qui ne laisse aucune place à la défense ou à la nuance.

Wokisme et cancel culture : la nouvelle inquisition

Valérie Gans ne cache pas son scepticisme envers le wokisme, qu’elle décrit comme une nouvelle forme d’inquisition. Dans ce contexte, l’idéologie dominante impose une pensée manichéenne, un contrôle permanent des idées et des mots, comme Orwell le décrivait dans 1984. Ce carcan idéologique, qui se cache derrière des apparences de justice sociale, menace la liberté d’expression et étouffe le débat.

Dans La question interdite, la manipulation de Shirin par sa mère incarne cette dérive : la fausse accusation est acceptée non pas en raison de preuves, mais parce qu’elle correspond aux normes sociales en vigueur. Michel Foucault, dans Surveiller et punir, alertait sur les dangers d’un contrôle total des idées. Gans dépeint un monde où la vérité n’a plus de place et où le doute est criminalisé.

Le féminisme face à ses excès

Si Valérie Gans questionne les dérives de certains courants féministes, elle ne rejette pas le mouvement dans son ensemble. À travers le personnage de Shirin, elle montre les dangers d’une victimisation systématique qui essentialise les rôles de bourreau et de victime. Ce discours fait écho aux critiques d’Élisabeth Badinter, qui, dans Fausse route, dénonçait les excès d’un féminisme radical, source d’incompréhensions entre les sexes.

Gans appelle à une autocritique salutaire du féminisme, afin de préserver sa pertinence. En posant la question dérangeante : « Et si ce n’était pas vrai ? », elle rappelle que le féminisme, comme toute idéologie, ne doit pas être au-dessus de la critique.

Une société sous surveillance : la mort de la vérité

La question interdite offre une vision dystopique d’une société où chaque interaction est surveillée, où la suspicion est devenue la norme, et où les relations humaines sont soumises à une transparence totale. Gans anticipe ainsi une société du contrôle social, où chacun est jugé non sur ses actes, mais sur la perception subjective de ces derniers, une situation qui rejoint les théories de Byung-Chul Han dans La société de la transparence.

Cette omniprésence du jugement public détruit la confiance et pousse à l’autocensure. Gans montre à quel point ce climat délétère empêche toute véritable communication et paralyse les relations authentiques.

Un appel à la révolte contre le conformisme

Malgré la noirceur de son récit, Gans laisse entrevoir une lueur d’espoir. Vingt ans après les faits, Shirin, rongée par le remords, tente de rétablir la vérité en publiant un message sur les réseaux sociaux. Si ce geste n’efface pas les injustices commises, il symbolise la quête inlassable de la vérité, un combat que Camus jugeait nécessaire, même s’il est souvent vain.

La question interdite est un appel à résister à la tyrannie de la pensée unique et à réhabiliter la nuance et la liberté de penser. Valérie Gans, avec ce roman et à travers sa maison d’édition, incarne un engagement contre la censure sociale, médiatique et éditoriale. Elle nous invite à retrouver le courage de questionner les certitudes et à défendre, coûte que coûte, la liberté d’expression.

Une rencontre-débat avec Valérie Gans et ses auteurs est organisée jeudi 28 novembre 2024 dès 19h à l’hôtel la Louisiane 60 rue de Seine, Paris 6e. Inscriptions par sms au 06 84 36 31 85 

La question interdite, de Valérie Gans, Une autre voix, 2024

« La Question interdite » de Valérie Gans fait réfléchir les Bretons !

Il faut du courage pour prendre le risque d’ouvrir une nouvelle maison d’éditions en 2024, triste époque où les livres se vendent chaque année de moins en moins. Valérie Gans a se courage. Mieux ! Sa démarche engage une hardiesse combative face à la redoutable adversité de la bien-pensance progressiste et libérale. Une Autre Voix aborde tous les sujets sociétaux sans jamais verser dans la pensée unique.

Un livre… Une histoire… Un propos…

Galéjade… Baratin… Boniment… Quel que soit le nom qu’on lui donne, un mensonge coure toujours plus vite que la vérité, à tel point que « ne pas mentir » est un axiome dont les parents se prévalent auprès des enfants, et seulement auprès d’eux, nulle part ailleurs ; ainsi ne demande-t-on jamais sérieusement à un adulte de dire juste la vérité, puisqu’aucun ne peut honnêtement affirmer qu’il ne ment jamais. Et diable ! que la vie serait triste sans mensonge. Dans La question interdite, Valérie Gans raconte précisément l’histoire d’un mensonge. Les nez s’y allongent au fur et à mesure des contrevérités… L’hypocrisie s’installe… L’imposture prend forme… Ce que l’auteur résume en ces termes (page 157) : « … la seule [question] qui devrait nous intéresser, est : qui est cette fille qui ose mettre en cause tout ce pourquoi, depuis deux décennies, nous nous sommes battues ? Qui est-elle pour semer le doute sur la vérité grâce à nous avérée (…) que les hommes sont des prédateurs ? Et qu’il faut s’en méfier, au lieu d’essayer de leur trouver des excuses ! » 

En outre, depuis MeToo, la question souvent posée au sujet des hommes est : Et si c’était vrai ?… Jamais, ou trop rarement : Et si cela était faux ?…  A l’heure numérique, montrer du doigt ne suffit plus, il faut désormais accuser en multipliant les jets de pierres lancées sur les réseaux sociaux. Et ! Bien entendu. Ne surtout pas laisser la partie adverse se défendre. Page 204 : « Mais je ne comprends pas, demande Pauline. Si il n’y a rien eu entre lui et vous, s’il ne s’est rien passé, pourquoi l’avez-vous dénoncé ? (…) À cause de la honte. Ce n’est pas lui qui m’avait agressée, c’est moi… Vous comprenez ? » Les femmes comprendront peut-être. Et encore ! Les hommes beaucoup moins. Ils sont plus bruts – ne pas confondre avec brutaux – et ont du mal à mentir en mettant la (fausse) raison de leur côté. Au reste, aucun homme n’a assez de mémoire pour réussir dans le mensonge, en tout cas pas aussi bien que les femmes car…

Les cinq dernières pages

… contrairement aux idées reçues, les plus grands mensonges sont féminins. A commencer par celui d’Iseult au préjudice de Tristan qui, par jalousie – c’est presque toujours le cas ! –  lui fait croire que le bateau en approche arbore une voile noire et non une blanche… Notons également les faussetés de Cassandre… Et celles d’Apaté, déesse mineure du panthéon grec, elle est toutefois l’un des pires maux contenus dans la boîte de Pandore… Puis la duplicité de Cléopâtre vis-à-vis de Marc-Antoine… Sans oublier Scarlett O’Hara, menteuse éhontée pour obtenir gain de cause avec l’homme de ses convoitises… Allez ! Une dernière. Pas des moindres. Ève Lecain sous la plume de Frédéric Dard dans C’est toi le venin ; peut-être le plus gros mensonge de la littérature francophone… Point commun avec La question interdite : Ne manquez pas les cinq premières pages… Et ne racontez surtout pas les cinq dernières…

Où ? … Quand ? … Comment ? …

Le propre d’une chronique littéraire n’est pas de raconter par le menu l’histoire dont elle parle. Juste inciter à sa découverte. La question interdite est un pavé, non seulement dans la mare des publications actuelles, mais aussi et surtout dans l’eau saumâtre de cette rentrée littéraire. Peut-être un renouveau. Ou pas. Le lecteur jugera. Pour se faire, il faudra commander le livre directement aux éditions Une Autre Voix. En effet. Afin d’éviter que les ouvrages partent au pilon et n’alimentent la gabegie de l’édition, Une Autre Voix a choisi de contourner le système de diffusion traditionnel. C’est pourquoi – tout au moins pour le moment – aucune de leurs publications n’est disponibles en librairie. Tout s’achète en ligne. Et Surtout ! Ne manquez pas les cinq premières pages… Ne racontez pas les cinq dernières… Bonne lecture.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Octobre 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

La question interdite, un roman de Valérie Gans aux éditions Une Autre Voix – 207 pages – 31,00 Uniquement en vente ici 

« quatre contes légers et longs en bouche » de Jean-Jacques Dayries sur Saint Barthélemy

Jean-Jacques Dayries, Petits contes philosophiques de Saint-Barthélémy

Quand un homme d’affaires prend l’avion pour passer d’un continent à l’autre, le temps lui paraît long. Après avoir épuisé ses messages, ses rapports à lire, son courrier, il ne lui reste plus que les films insipides de la culture globish. Certains préfèrent utiliser leur temps de cerveau disponible à plus utile : par exemple écrire des contes ou des nouvelles.

L’auteur, administrateur de sociétés après en avoir dirigé une, s’y essaie avec bonheur dans ce petit recueil, publié par amusement. Le plaisir à les écrire se ressent à leur lecture, soutenu par les aquarelles fraîches de Caroline Ayrault.

Ce sont quatre contes légers mais dont la profondeur ne se ressent qu’après lecture. Ils sont « longs en bouche », comme on le dit d’un cru. Le premier évoque le baptême de l’île caraïbe de Saint-Barth, le second l’acculturation d’un iguane par la délicieuse nourriture importée jetée par un modèle femelle de luxe venue retrouver sa taille anorexique qui fait si bien sur les photos, le troisième est la vision du futur d’une tortue îlienne, le quatrième sur un caillou blanc porte-bonheur.

Cristoforo voulait épater le monde et ne pas faire comme tout le monde. Ce pourquoi il a cherché les Indes ailleurs : vers l’ouest et non vers l’est. Savait-il que la terre était ronde ? Il n’a trouvé la première fois que des îles, pas d’or ni d’épices. La seconde fois, en 1493, il s’est émancipé de son maître roi d’Espagne pour nommer une île du nom de son frère Bartolomeo. Lequel est « un fainéant de première classe [qui] y serait parfaitement heureux ». Une île au sol sec où les plantations ne sauraient prospérer, mais où une anse protège les bateaux, aujourd’hui port franc au carburant détaxé. Ainsi fut nommée Saint-Barth, 10 000 habitants dont l’ex-doyenne de l’humanité Eugénie Blanchard – et l’auteur. Cette collectivité d’outre-mer des Antilles françaises est aujourd’hui un paradis de milliardaires (dont Laurence Parisot, Harrison Ford, Beyoncé, Mariah Carey, Bill Gates, Warren Buffett, Paul Allen, la famille Rothschild – et Johnny Hallyday, en son temps). La température y oscille toute l’année entre 22° et 31° mais la fiscalité y est plus douce. Comme quoi d’un mal (pas d’or) peut surgir un bien (attirer l’or)…

Delicatissima fait référence à un saurien des Antilles, l’iguane nommé ainsi pour ses probables qualités gustatives. L’auteur retourne le compliment en faisant de l’animal un gourmet. Il est hélas soumis à la tentation de la nourriture mondialisée via une touriste de passage qui jette les fraises et les pains au chocolat cuisinés pour elle et qu’elle ne mange pas, pour maigrir. Ce gaspillage de la belle profite à la bête, laquelle se languit néanmoins de ces mets au point de délaisser la production locale. Comme quoi la mondialisation est un mal qui fait désirer ce qu’on n’a pas et qu’on est incapable de trouver localement ou de produire.

Autre réflexion écologique sur le futur de l’île, avec Carbonaria, une tortue philosophe. En observant les gens, les nantis qui viennent se poser sur l’île, elle imagine ce que sera Saint-Barth dans cinquante ans : une horreur. De grands immeubles, de gros bateaux, un essaim d’hélicos, une piste de jets rallongée. « Mais avec un grand souci de protéger la nature », ironise l’auteur. Des réserves de faune endémique préservées et nourries pour les touristes, un court de tennis au-dessus de Shell Beach, un grand champ d’éoliennes pour l’électricité indispensable aux 80 000 habitants prévus… Ou comment changer un paradis en clapier, en l’enrobant des vertes paroles du greenwashing.

Quant au caillou blanc, il fait rêver, comme tout porte-bonheur. Mais le petit Arawak qui l’a le premier donné, en échange d’une lame de fer, a préféré le réel au rêve, un instrument utile à un objet fétiche. L’Arawak est l’indigène premier de l’île : il pratique l’utilitarisme sans le savoir, préférant le rot au fumet, comme Rabelais.

(A noter pour une réédition que taureau ne s’écrit pas « toreaux » p.22 lorsqu’il s’agit d’animaux pour la corrida)

Jean-Jacques Dayries, Petits contes philosophiques de Saint-Barthélémy, 2018, Roche / Fleuri éditeur, 65 pages, €17,96

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jean-Philippe Bozek séduit « Le Contemporain » avec sa trilogie sur les Dubrule-Mamet

Une épopée familiale au cœur de l’Histoire : « Paul et Suzanne » de Jean-Philippe Bozek

■ Jean-Philippe Bozek.
 
Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culturel.

Jean-Philippe Bozek nous offre avec Paul et Suzanne : Histoire de la Famille Dubrule-Mamet, Tome 1 – Les Aïeux 1800-1931 une fresque historique ambitieuse qui plonge le lecteur dans l’intimité d’une famille d’industriels français, du début du XIXe siècle jusqu’à la Grande Dépression. Consultant en entrepreneuriat, coach de dirigeants et biographe d’entreprises, Bozek met à profit son expérience de plus de trente ans dans le domaine entrepreneurial pour détailler les dynamiques internes et externes qui ont façonné cette lignée entrepreneuriale.

Titulaire d’un Master II en sciences de gestion, option entrepreneuriat, il a consacré toute sa carrière professionnelle à l’entrepreneuriat. À 39 ans, il est devenu coach de dirigeants et d’entrepreneurs, formé à l’école Transformance fondée par Vincent Lehnardt. Son expertise, centrée sur l’identité profonde et intime des chefs d’entreprises et la façon dont leur univers psychotique personnel influence leur appréhension du monde, transparaît dans chaque page de cet ouvrage. Parmi ses publications précédentes chez Eyrolles, on compte Coacher les entrepreneurs, transformer leur rêve en réalité et Le Bonheur d’Entreprendre, de Novotel à Accor, une formidable aventure humaine. Ces ouvrages témoignent de son engagement à partager son savoir et ses expériences pour inspirer et guider les entrepreneurs de demain. C’est avec cette même passion et cette même rigueur que Bozek aborde l’histoire de la famille Dubrule-Mamet.

I. Une saga industrielle captivante

Comparé à d’autres œuvres de même acabit, telles que Les Thibault de Roger Martin du Gard, Paul et Suzanne se distingue par son ancrage dans la réalité industrielle et son approche didactique de l’histoire économique. Là où Martin du Gard explore les dilemmes moraux et philosophiques d’une famille bourgeoise, Bozek se concentre sur les défis et les triomphes d’entrepreneurs visionnaires.

II. Les racines d’une dynastie

Le prologue « Deux frères en voyage » et la première partie intitulée « Les Ancêtres » jettent les bases de cette épopée familiale. Bozek décrit avec minutie les origines de la famille, depuis la Révolution française jusqu’au début du XXe siècle. Les chapitres « De la fonderie au peignage », « La filature de Bruges », et « Le tissage du Canteleu » retracent les débuts modestes mais prometteurs des Dubrule-Mamet.

Ces sections rappellent les écrits de Pierre Bourdieu dans Les Héritiers, où l’auteur examine comment les ressources économiques et culturelles se transmettent et se transforment au fil des générations. Bozek, cependant, adopte une perspective plus narrative et moins théorique, rendant son récit accessible et engageant pour un large public.

III. Le tournant des grands-parents

La deuxième partie, « Les Grands-Parents », constitue le cœur de l’ouvrage. Elle commence avec « Exposition Internationale des Industries Textiles », marquant l’entrée de la famille sur la scène internationale. Bozek explore ensuite les effets dévastateurs de la Première Guerre mondiale dans « La Grande Guerre », montrant comment le conflit a bouleversé les vies et les fortunes des Dubrule-Mamet.

Le chapitre « De père en fils » met en lumière la succession et la transmission des valeurs et des savoir-faire, un thème central également exploré par Honoré de Balzac dans La Comédie Humaine. Là où Balzac se penche sur les intrigues et les ambitions individuelles, Bozek préfère souligner la persévérance collective et l’adaptation face aux adversités.

IV. La question mémorielle au XIXe siècle

Bozek ne se contente pas de relater les événements historiques et économiques ; il s’attarde également sur la question mémorielle, essentielle pour comprendre l’identité et la continuité des Dubrule-Mamet. Au XIXe siècle, la mémoire collective et individuelle joue un rôle crucial dans la formation de la conscience nationale et familiale. Les commémorations des grandes batailles, les monuments aux morts, et les récits familiaux sont autant de moyens par lesquels les générations successives s’approprient et réinterprètent leur passé.

À l’instar des travaux de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective, Bozek montre comment les Dubrule-Mamet ont intégré les événements marquants de leur époque pour forger leur identité et justifier leur position sociale. Chaque succès industriel et chaque épreuve surmontée devient un élément constitutif de leur récit familial, légitimant leur place dans l’histoire nationale.

V. Une rencontre déterminante

Le dernier chapitre, « La rencontre », se concentre sur l’union de Paul Dubrule et Suzanne Mamet en 1931, scellant le destin de deux lignées industrielles. Bozek excelle dans la description des dynamiques personnelles et professionnelles qui ont conduit à cette alliance stratégique. Cette approche rappelle les travaux de Simone de Beauvoir, notamment Les Mandarins, où les relations personnelles sont indissociables des ambitions politiques et intellectuelles.

Bozek nous offre ici une conclusion provisoire riche en promesses pour les tomes suivants, où l’on peut anticiper la poursuite de l’exploration des défis de l’entrepreneuriat familial à travers les bouleversements du XXe siècle.

VI. Une destinée exceptionnelle : Paul Dubrule fils

Paul Dubrule, fils de Paul Dubrule et Suzanne Mamet, né en 1934, est le cofondateur avec Gérard Pélisson de Novotel, devenu le groupe Accor en 1967. Cette entreprise est aujourd’hui un des plus grands groupes hôteliers au monde. Le succès de Paul Dubrule fils témoigne de l’héritage entrepreneurial transmis de génération en génération, évoqué avec profondeur par Bozek. Cette success story moderne s’inscrit dans la continuité des valeurs et de la vision initiées par ses ancêtres, illustrant parfaitement la persistance et l’adaptation familiale à travers les siècles.

VII. Une leçon d’histoire et de persévérance

Paul et Suzanne 
est un ouvrage remarquable par la richesse de sa documentation et la fluidité de son écriture. Jean-Philippe Bozek réussit à rendre vivants les enjeux économiques et sociaux de plusieurs générations, tout en offrant un panorama saisissant de l’histoire industrielle française.

En comparaison avec d’autres œuvres historiques ou familiales, Bozek se distingue par son approche pédagogique et son souci du détail. Paul et Suzanne n’est pas seulement un livre sur une famille ; c’est une véritable leçon d’histoire et de persévérance, qui trouvera sans doute une place de choix dans les bibliothèques des passionnés d’histoire et d’économie.

Avec ce premier tome, Bozek pose les bases d’une trilogie qui s’annonce déjà comme un incontournable pour comprendre les dynamiques entrepreneuriales et familiales à travers les âges. À l’instar des Buddenbrook de Thomas Mann, Paul et Suzanne capture l’essence d’une époque tout en offrant des enseignements universels sur la transmission, l’innovation et la survie face à l’adversité.