Littérature engagée : Angela Davis / Mac Kinnon

davisa_a.jpgAvant de vous souhaiter un excellent week-end – et de peut-être avoir la joie de recevoir votre visite dimanche vers 17 h 30 à notre stand au Marché de la Poésie, Place Saint-Sulpice (du champagne vous sera offert pour arroser notre double Prix Coup de coeur de l’Académie Charles Cros) – je tiens à diffuser l’information sur deux de nos traductions les plus « engagées » de féministes américaines. Qui ont le mérite de ne jamais laisser leurs lecteurs indifférents, d’être à l’origine de débats d’idées, de stimuler les sensibilités militantes, de susciter des polémiques fécondes entre les « archi-pour » et les « archi-contre »…

v4ih4e86.jpg« Femmes, race et classe » d’Angela Davis est réédité par les éditions Des femmes (publication outre-Atlantique en 1981, première traduction aux éditions Des femmes en 1983).

L’originalité de ce livre est d’observer le féminisme du siècle dernier et le féminisme contemporain à la lumière des luttes d’émancipation du Peuple noir. Pour cette militante révolutionnaire, race, classe et sexe, même combat ! La liberté des trois viendra de leur union.

– Catharine A. Mac Kinnon avec « Ce ne sont que des mots » continue après « Le Féminisme irréductible » (Des femmes, 2005) à s’attaquer aux violences sexuelles faites aux femmes, et notamment à la pornographie. Avocate à la Cour Suprême, Mac Kinnon traite la dichotomie Egalité / liberté d’expression sous son aspect le plus juridique (Rappelons qu’elle est docteure en droit et en sciences politiques). Il s’agit d’une première traduction d’un ouvrage américain datant de 1983.

Catharine MacKinnon raconte l’histoire de sa publication aux éditions Des femmes

Texte de Catharine MacKinnon recueilli dans le catalogue des trente ans des Editions Des femmes :

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Catharine A. MacKinnon
 
Après un quart de siècle d’écriture, mon premier livre en français est Le féminisme irréductible, publié en 2005 par les Editions des femmes.
Parmi mes travaux, figurent entre autres, Sexual Harassment of Working Women, qui conceptualise le harcèlement sexuel en tant que discrimination fondée sur le sexe (Yale, 1979) ; Toward a Feminist Theory of the State, qui fonde une philosophie et une doctrine sur le féminisme, basées sur la sexualité en tant que construction sociale (Harvard, 1989) ; Only Words (Harvard, 1993), qui soutient que la pornographie promeut activement l’inégalité et viole les droits humains ; In Harm’s Way : The Pornography Civil Rights Hearings (avec Andrea Dworkin), qui présente des témoignages publics attestant des dommages causés par la pornographie ; et tout récemment, Women’s Lives, Men’s Laws (Harvard, 2005), réunissant une sélection d’articles et de communications depuis 1980, qui élaborent une théorie positive du droit axée sur l’égalité des sexes. Des études bibliométriques récentes placent mes ouvrages au cinquième rang des travaux juridiques rédigés en anglais les plus cités. Une grande partie d’entre eux peuvent être lus en espagnol, en japonais, en allemand et même en letton ou en hongrois. Jusqu’à ce jour, pratiquement aucun d’eux n’était disponible en français.
 
Au milieu des années 90, un éditeur français m’a déclaré que les Français « ne s’intéressaient pas » aux sujets que je traitais, en particulier les abus sexuels, ajoutant : « Et votre langue est tellement violente ! » (il défendait la pornographie en tant que « littérature » et « jouissance »). J’ai été choquée de trouver les oeuvres complètes de Freud et de Lacan dans une librairie de femmes, mais pas une ligne d’Andrea Dworkin ou de Diana E.H. Russell. De surcroît, critiques et détracteurs semblaient toujours trouver un éditeur pret à publier leurs présentations inexactes, leurs falsifications et leurs contrevérités concernant mes activités et mes opinions. On s’empressait de traduire en français les attaques dont je faisais l’objet pour les mettre en avant et les citer abondamment. Le monde francophone pouvait lire ce qui prétendait rendre compte de l’ensemble de mon oeuvre et de ma personne, alors qu’il ne pouvait tout simplement pas me lire.
 
Antoinette Fouque a brisé le mur du silence en me donnant une voix en français. Qui plus est, elle a eu l’intégrité et la patience vigilante de faire en sorte que la traduction rende la vérité du texte de sorte que la voix soit essentiellement la mienne. Aucune langue n’exprime de manière adéquate la réalité des femmes – c’est ce que les féministes françaises ont été les premières à mettre en évidence. C’est vrai de la langue de tous les jours, et plus encore de la langue de la philosophie et du droit. L’approche classique qui consiste à traduire les idées plutôt que les mots ne fonctionne pas véritablement quand les idées n’existent pas déjà dans la langue d’arrivée (ni dans aucune langue) et que pour l’auteur chaque mot compte précisément ; et quand une grande partie des idées tient à la façon dont elles sont formulées – en conjuguant langue ordinaire et théorie de haut niveau, en travaillant à plusieurs niveaux et sur plusieurs couches de sens à la fois, en commençant et en terminant délibérément les phrases et les paragraphes par certaines articulations, en créant de nouvelles métaphores, en jouant sur les mots, les sons, les colorations émotionnelles et le rythme pour entrer en relation avec le lecteur et conférer profondeur et intensité. Ajoutez à cela que le français est une langue pure alors que l’anglais est un mélange, un collage, une langue métissée aux sources multiples et par conséquent aux teintes variées, structurellement ouverte aux changements et aux usages non conventionnels, et vous vous trouvez confronté à un défi, un rébus, un casse-tête, voire un cauchemar de traduction. Et que l’auteur connaisse un peu le français ne fait que rendre la tâche un peu plus difficile.
Face à cette véritable gageure, la clairvoyance d’Antoinette fouque qui a fait prévaloir la qualité sur la rapidité, son respect du texte et l’attention portée par sa formidable équipe de traduction à l’exactitude et aux nuances, sont tout ce qu’un auteur pouvait souhaiter. L’intrépide Catherine Albertini, avec l’aide d’Emily Blake, a enclenché le processus. L’inspirée Michèle Idels, qui n’a jamais capitulé ni traité la moindre tournure de phrase comme indigne d’attention, l’a mené vaillamment à son terme. Conscientes que l’intégralité de ce qui est écrit dans une langue ne saurait être exprimé dans une autre, ces femmes miraculeuses se sont attachées à s’en rapprocher le plus possible. Chacune d’entre elles a mon éternelle gratitude pour ce que les Editions des femmes ont donné aux femmes, et pour ma reconnaissance en France en tant qu’auteur.

C.A.M.

« Ce ne sont que des mots » de Catharine A. Mc Kinnon

femin31395.jpgMacKinnon.jpgCe ne sont que des mots
Catharine A. McKinnon

Traduit de l’américain par Isabelle Croix et Jacqueline Lahana.

Office 28/09/2006

Ce ne sont que des mots réunit trois articles, « Diffamation et discrimination », « Harcèlement sexuel et harcèlement racial » et « Égalité et liberté d’expression ». L’auteure analyse la façon dont la pornographie, aux États-Unis, est protégée par le premier amendement de la Constitution : en la considérant comme une forme d’expression, c’est-à-dire comme une pensée, des « mots » et non des actes, les juges en font non un acte de discrimination, mais une parole diffamatoire. Or, dans la pornographie se joue un rapport de forces dissymétrique où la femme est dominée, et ce qui est en jeu alors, ce n’est pas « que des mots », c’est un acte de discrimination réel (l’auteure nous rappelle en effet que, au delà du terrible contexte dans lequel les films sont fabriqués, le visionnage de ces films a des conséquences catastrophiques).
Dans le premier article « Diffamation et discrimination », Catharine A. McKinnon rappelle qu’à l’origine, l’amendement garantissant la liberté d’expression avait été mis en place pour défendre la liberté d’expression des communistes (soupçonnés de menacer la sécurité du gouvernement). Or les pornographes, protégés par le premier amendement, se trouvent en fait du côté du pouvoir, et non du côté des opprimés. Le deuxième article, « Harcèlement sexuel et harcèlement racial », compare ces deux types de harcèlement, et analyse le subtil glissement interprétatif qui permet de transformer le harcèlement, acte discriminatoire, en opinion, protégée au nom de la liberté d’expression. Le troisième article, « Égalité et liberté d’expression », met en lumière le conflit qui existe aux États-Unis entre la législation sur l’égalité et la législation sur la liberté d’expression, la seconde occultant bien souvent la première.

Catharine A. McKinnon, docteure en droit et en sciences politiques, avocate à la Cour suprême, est l’une des grandes figures du féminisme américain. Ses nombreux ouvrages (dont Le Féminisme irréductible, publié en 2005 aux Éditions Des femmes-Antoinette Fouque) s’attaquent aux violences sexuelles faites aux femmes, et notamment à la pornographie.