Actualitté croit en « Vents contraires » de Jean-François Kochanski

Dans les méandres de la mentalité nipponne avec l’aviateur Ryo Kurusu

Méconnue en Occident, l’histoire de Ryo Kurusu (1919-1945) mort au combat uniforme japonais, a fait l’objet d’un livre au pays du Soleil levant. Ancien gestionnaire financier ayant parcouru les cinq continents, Jean-François Kochanski a décidé d’en parler à travers un livre particulièrement bien documenté, ouvrage passionné et sincère, hélas entaché par certaines maladresses. Par Étienne Ruhaud.

Construit au siècle dernier pour rendre hommage aux soldats tombés au combat, le sanctuaire tokyoïte Yasukuni fait l’objet de nombreuses polémiques en Asie, notamment de la part des pays ayant été occupés par le Japon. Jean-François Kochanski y a, quant à lui, connu une véritable révélation. Intrigué par le portrait d’un jeune militaire à l’allure européenne, l’homme a décidé d’en savoir davantage, jusqu’à s’installer sur place.

Né à Chicago, fils d’un ambassadeur nippon et d’une Américaine, Ryo— (Norman) Kurusu arrive au Japon à l’âge de huit ans, avec ses sœurs. L’adaptation n’est pas simple pour le jeune métis, tiraillé entre deux cultures, peu ou prou rejetées par certains camarades du fait de sa différence, et ce dans un pays hypernationaliste. « Les traits de mon visage me représentaient en intrus » (p. 51), constate l’écolier désabusé. Naturellement doué en anglais, aidé par un professeur d’origine alsacienne, le jeune yosomono (soit « étranger », ou « bâtard ») trouve peu ou prou sa place, néanmoins, alors même que les tensions montent dramatiquement entre Tokyo et Washington.

De son côté, son père, muté à Berlin, tente de maintenir coûte que coûte la paix (ce qui lui vaudra d’être amnistié par les Américains, après la défaite du Japon). Et c’est finalement contre l’avis de ce même père, mais avec l’aval de sa mère, que Ryo décide de s’engager pour l’Empereur, et non pour les États-Unis, en tant qu’élève-pilote. En butte à l’hostilité des instructeurs comme de ses condisciples, mais fort en sport (notamment à l’art martial du kendo), Ryo devient finalement le seul officier métis de l’armée, mais périt accidentellement, la tête tranchée par l’hélice de son propre avion, à vingt-quatre ans seulement. Il est encore aujourd’hui considéré comme un héros.

On ne peut qu’être frappé par l’exactitude du livre. S’appuyant sur des documents d’archives (dont certains confiés par la famille Kurusu), Jean-François Kochanski a reproduit des lettres intimes, des poèmes, des papiers officiels. Le dernier chapitre est ainsi purement documentaire, puisque l’auteur évoque les différentes hypothèses touchant la disparition de Ryo. De plus, tout est précisément daté, qu’il s’agisse des batailles ou des revers diplomatiques essuyés par les belligérants. À cela s’ajoute la dimension ethnologique même de l’ouvrage : Jean-François Kochanski nous emmène dans les méandres de la mentalité nippone, pour beaucoup opposée à la vision occidentale, en rivalité constante.

À la société traditionnelle japonaise quelque peu figée, dans laquelle l’individu s’efface au profit de la communauté holistique, répond l’individualisme américain, où la vie semble avant tout précieuse, comme en témoigne la présence de protections métalliques, sur les cockpits d’avion. De plus, Jean-François Kochanski n’hésite pas à employer des termes locaux, à expliquer certaines coutumes festives, nous plongeant dans le pays, l’époque.

Un roman psychologique et intimiste

Vents contraires ne constitue pour autant pas un essai historique froid et purement factuel. Si on excepte les derniers chapitres, le livre est tout entier écrit à la première personne. Nous explorons donc pleinement la psyché de Ryo, partageons ses angoisses, son sentiment de déracinement et ce permanent tiraillement, malaise identitaire. Métis américain dans une contrée fondamentalement américanophobe, le jeune homme est obsédé par ses contradictions, interrogeant ses propres parents, qui ont voulu faire de lui un Japonais.

Tantôt considéré comme un métèque, un faux national, tantôt parfaitement inclus (du moins en apparence), Ryo reste déboussolé, avant d’effectuer le choix radical cité plus haut : « j’étais pleinement japonais et ce pays était le mien » finit-il ainsi par dire (p. 171). Le titre du livre semble programmatique : emporté par des « vents contraires », l’officier Ryo éprouve bien des difficultés pour se poser. Représentant un avion sur fond de drapeau nippon ET américain, la couverture fait également sens : Ryo demeure à jamais un Asiatique enfermé dans un corps occidental, un mélange.

Il s’agit aussi d’un roman familial. Nous suivons le parcours du père, pacifiste contrarié, ainsi que celui de la mère, très durement affectée par la mort d’un fils aimé, et enfin celui des filles, sœurs de Ryo malmenée par l’Histoire, élevées dans un Japon en guerre, en proie aux restrictions, aux destructions. Usant d’un style sobre, parfois un peu scolaire, Jean-François Kochanski sait aussi se montrer lyrique, notamment lorsqu’il évoque les bombardements : « Tokyo couvert de bombes révélait la face difforme d’un être meurtri » (p. 161). Attaché à son pays d’adoption, tout en restant critique, Jean-François Kochanski paraît déplore ce conflit, cette incompréhension entre culture européenne et orientale, menant au pire.

Un problème d’édition…

Roman classique, sans surprise sur le plan stylistique ou narratif, roman sincère, Vents contraires est essentiellement desservi par un manque flagrant de relecture. D’énormes coquilles entachent le récit à chaque page, sinon à chaque ligne. À cela s’additionnent de nombreuses répétitions, qui rendent la lecture souvent laborieuse.

On déplore également l’utilisation d’une typographie peu adaptée, de caractères assez petits. En définitive, on sent que l’éditeur n’a pas réellement effectué le nécessaire travail de correction, et on le regrette, en attendant (qui sait ?), un second tirage dûment présenté… À l’heure où le Japon semble à la mode, le livre pourrait rencontrer un vrai succès.

« Vents contraires » dans Mauvaise nouvelle, par Maximilien Friche

Vents contraires, Jean-François Kochanski

Par Maximilien Friche 
7 mai 2023 20:00 

Voici donc l’histoire vraie de Ryo Kurusu, soldat de sa Majesté l’empereur du Japon… C’est en visitant le temple Yasukuni à Tokyo que Jean-François Kochanski tombe nez à nez avec le visage d’apparence occidentale d’un jeune officier parmi les soldats japonais morts au combat durant la Deuxième Guerre Mondiale. De cette énigme, après des recherches fouillées au Japon où l’auteur s’installe, sort Vents contraires. Si Ryo a l’allure occidentale, c’est qu’il est le seul métis illustre de cette armée, un métis qui illustre dans sa chair le conflit dans cette partie du globe. Son père est un ambassadeur japonais, sa mère est américaine et il est né sur le sol américain. Jean-François Kochanski nous raconte comment Ryo va devenir japonais, parce que ses parents ont tranché, décidé pour lui. Il découvre son pays à l’âge de 8 ans et y suit l’école et ses études bien souvent loin de ses parents et de ses sœurs qui vont à travers le monde au fil des nominations du père diplomate.

Vents contraires est un récit à plusieurs étages. Nous suivons d’abord la construction d’une identité, celle de Ryo, au cœur même de sa contradiction de naissance. « Ma vie se résumait à avoir été un être perdu entre deux mondes, juste incapable de retrouver son chemin. » On constate que Ryo va devenir japonais essentiellement parce qu’il le désire, et cette allégeance à sa patrie ne dépend d’aucune renonciation. Sa part américaine restera, même enfouie, au fond de lui comme un possible resté en germe.

Nous suivons ensuite cette étrange culture japonaise, si étrangère pour nous. L’auteur note le rapport ambigu déjà à l’époque des japonais vis-à-vis de l’Occident, « Le sentiment d’attraction et de répulsion ressenti par bon nombre de japonais vis-à-vis d l’Occident. » Ce sentiment contradictoire va jusqu’à se manifester dans cette déclaration de guerre violente : « La peur de s’ouvrir au monde, mêlée à la volonté d’y participer, se reflétait dans l’attaque de Pearl Harbor. »

La guerre est finalement un accélérateur d’identité pour tous et particulièrement pour Ryo. Plutôt que de suivre un parcours de diplomate comme on lui propose sous prétexte que sa connaissance des langues et des cultures ennemies pourrait être utiles, il choisit de devenir militaire. Il ne peut pas se permettre de suivre les pas de son père, il lui faut conjurer son statut de métis. Il veut être japonais, comme ses parents ont choisi pour lui, il veut être pleinement japonais. Dès lors, celui dont le visage, semblable à celui d’un acteur américain, se remarque tout de suite, revêt l’uniforme militaire, symbole de son appartenance au pays, l’habit fera de lui le « moine ». La formation donnée a pour but de « Réincarner le samouraï de jadis dans chaque soldat de l’Empereur ».

La tragédie, celle qui venait de leur enlever leurs lendemains, qui dissolvait tout, va se vivre dans la chair même du héros. « L’identité que père et mère avait désiré me donner ne pouvait prendre un autre chemin et combattre la nation m’ayant vu naître en était le prix. » Devenu pilote, il abat un avion ennemi, enlève la vie d’un homme, et il éprouve ce que la guerre fait de nous, il ressent ce soulagement dénué de toute humanité. « Si tout avait été différent, j’aurais pu être un des leurs. » se dit-il à deux reprises en son for intérieur où loge en gésine son identité américaine.

Jean-François Kochanski nous offre un récit à la fois historique et psychologique, voire spirituel au travers de Vents contraires. C’est un ouvrage documenté, parsemé de lettres échangées entre les protagonistes de cette tragédie. Heureuses familles qui s’écrivent ! Retenons l’amertume de cette tragédie : le père diplomate a échoué à préserver la paix avec les Etats-Unis, et c’est cet échec qui fera de son fils un héros de guerre mort au combat.

Vents contraires, Jean-François Kochanski, récit, AZ éditions, 18€

« la démarche de Jean-François Kochanski était estimable et méritait un meilleur traitement d’éditeur » pour Yozone

Vents contraires
Jean-François Kochanski
Éditions AZ / Content Publishing, biographie romancée, 199 pages, 18 €

«  Son visage ressortant au milieu des photos des autres soldats décédé (sic) durant la deuxième guerre mondiale me donna envie de raconter son histoire. »

L’histoire d’un livre est parfois brève : une étincelle, une fascination, une rencontre. Un exemple célèbre est celui de l’écrivain roumain Petru Dumitriu qui, dans les années soixante, tombe en arrêt devant le « Portrait d’un jeune anglais » ou « Portrait d’un homme aux yeux gris » attribué au Titien, et en tire un roman éponyme qui sera le premier tome d’une trilogie historique. Même fascination pour Jean-François Kochanski découvrant au temple Yasukuni, parmi les photographies des soldats japonais morts au cours de la Seconde Guerre Mondiale, le visage d’un jeune officier d’apparence occidentale. Il s’agit de Ryo Kurusu, né aux États-Unis d’un père japonais et d’une mère américaine, qui n’arrivera au japon qu’à l’âge de huit ans et mourra officiellement des suites d’une blessure contractée lors d’un combat aérien le 16 février 1945, mais sans doute, en réalité, décapité par l’hélice d’un autre appareil sur son terrain d’aviation.

Fasciné, Jean-François Kochanski rassemble, entre livres et articles, ce qui a déjà été écrit sur Ryo Kurusu et sur sa famille. Il complète cette documentation par des témoignages recueillis auprès de sa sœur et par l’étude de la correspondance entretenue par cette dernière avec son fils et son époux, ainsi que par la lecture des lettres envoyées par le jeune officier à son père. Ces compléments lui fourniront des éléments d’atmosphère familiale propices à la recréation romanesque de la vie de Ryo Kurusu, narrée à la première personne du singulier. Une recréation émaillée d’éléments d’origine, comme des extraits de lettres authentiques traduits du japonais par Emeric Leusie.

« Mon pays marchait vers le néant comme nul autre peuple. »

Une recréation riche en éléments historiques propres à ces périodes troubles de l’histoire, puisque le père de Ryo Kurusu, diplomate de carrière, fit partie en 1939 des signataires du Pacte entre le Japon, l’Allemagne et l’Italie – un pacte qu’il désapprouvait. Une vie familiale compliquée par un retour au Japon après une petite enfance passée en Europe, les absences d’un père au gré de ses affectations, les difficultés d’être à la fois américain et japonais dans un pays à la politique de plus en plus radicale, un nouveau séjour en Europe à l’âge de la majorité, les tensions croissantes dans la vie quotidienne au Japon alors que se dessinent les déterminants du conflit à venir sont ainsi décrits à travers la vision de Kurusu. Jusqu’au basculement mondial qui survient en 1939. Kurusu rejoint alors l’industrie aéronautique, puis se trouve incorporé et, en juin1942, voit sa candidature comme pilote être acceptée – le mois même du revers de la flotte japonaise à la bataille de Midway, étape clef de la défaite à venir et revers qui reste alors secret vis-à-vis de la population japonaise. Une ignorance de l’inéluctable qui le conduit à refuser un poste de diplomate et à poursuivre son engagement au service du Japon comme pilote d’avion de chasse, scellant ainsi son destin. Il pilote un chasseur japonais KI-43, examine des chasseurs capturés aux forces américaines et comprend peu à peu, mais trop tard, que le Japon recule et va perdre la partie. Les premiers bombardements américains sur l’île et la naissance, en octobre 1944, des unités kamikazes, sont des éléments particulièrement éloquents : le Japon refuse de voir se dessiner la défaite. Les bombardiers américains sont défendus par des chasseurs Grumann F6 Hellcat, premiers artisans de la supériorité aérienne américaine au-dessus des mers, qui effacent littéralement les chasseurs japonais du ciel. Ironie du destin, c’est par un accident sur son terrain d’aviation que Kurusu trouvera la mort.

Complété en fin de volume par la liste des sources de l’auteur, pour une part des documents privés de la famille Kurusu, pour une autre part des références bibliographiques qui permettront au lecteur anglophone d’aller plus loin, ce « Vents contraires » ne manque pas d’intérêt. Il permettra au lecteur de revivre un pan capital de l’histoire du vingtième siècle – un conflit dont on a tendance à ne plus connaitre que les grandes lignes – à travers une vision non occidentale. Une guerre vue par un perdant, un destin d’autant plus poignant que ledit perdant, américano-japonais situé sur une étroite ligne de crête entre les deux mondes, aurait très bien pu basculer dans l’autre camp, et qu’il s’en est sans doute fallu de peu, au gré de ses tribulations et de celles de son père diplomate, pour que cela soit le cas.

Des qualités, donc pour ce « Vents contraires », mais, fort malheureusement, négligence de l’auteur ou de son entourage mais surtout témoignage indiscutable de l’absence d’accompagnement éditorial des « éditions » AZ, le volume souffre fortement d’une absence de relecture. Les virgules sont placées au petit bonheur la chance, non seulement sans aucun sens du rythme naturel des phrases, mais aussi au mépris des règles élémentaires de la grammaire, assez souvent entre le sujet et le verbe, ou entre le verbe et le complément d’objet direct. On trouve des coquilles à toutes les pages, des confusions entre imparfait et passé simple, entre pluriel et singulier, des fautes d’accord, des erreurs de ponctuation. Et ceci jusqu’à la quatrième de couverture (sept lignes) avec “inspiré d’une histoire vrai“ (sic). Les éditions AZ apparaissent, il est vrai, particulièrement décomplexées vis-à-vis de l’orthographe. Pour l’anecdote, on peut lire sur leur site, dans la notice bibliographique de Peter Randa (quelques lignes), “Ses œuvres de science-fiction prennent pour la plupart place dans un univers futuriste où action et dilemme politique se conjuguent habillement pour former des intrigues qui restent plus que jamais d’actualité.” Nul doute que la notice « habillement » rédigée s’apparente à la posture et à la vêture, à la fois bohèmes et désinvoltes, de ceux qui affichent vis-à-vis des impératifs de la langue une indifférence et une décontraction absolues. On ne peut que regretter une telle attitude – quelques heures de travail auraient en effet suffi à rendre ce « Vents contraires » beaucoup plus lisible – car la démarche de Jean-François Kochanski était estimable et méritait un meilleur traitement.


Titre : Vents contraires
Auteur : Jean-François Kochanski
Couverture : Content-Publishing
Éditeur : AZ éditions / content publishing
Pages : 199
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : mars 2023
ISBN : 9782382101179
Prix : 18 €

Hilaire Alrune
21 mars 2023

« Vents contraires de Jean-François Kochanski aborde un aspect de l’histoire bien peu connu chez nous » dans Wukali

Si un jour  vous allez visiter le Yasukuni-jinja, ou sanctuaire Yasukuni 靖国神社 à  Tokyo, parmi toutes les photographies des soldats tués lors de la Seconde Guerre mondiale, l’une devrait attirer votre attention. Celle d’un officier (capitaine) qui se nommait Ryo Kurusu. En effet ses traits sont loin d’être asiatiques mais tout à fait occidentaux. Traître ? Sûrement pas, c’est bien un soldat japonais d’origine japonaise qui combattit pour les armées de l’empereur.

C’est la vie de cet homme que romance Jean-François Kochanski dans Vents contraires à partir d’une importante documentation dont des pièces d’archives de sa famille.

Ryo りょう (dont le prénom occidental était Norman) est né d’un père diplomate et d’une mère, Alice, américaine. Son père, Saburo さぶろう, était alors consul du Japon à Chicago. Il poursuivra sa carrière jusqu’à devenir ambassadeur à Berlin (c’est lui qui au nom du Japon signera la Triple Alliance avec l’Allemagne et l’Italie), c’est lui qui est missionné par le ministre des affaires étrangères (à peu prêt le seul membre du gouvernement japonais d’alors à vouloir la paix) qui est envoyé aux États-Unis comme ministre plénipotentiaire exceptionnel pour renouer les relations entre les deux pays, la veille de Pearl Harbor. Tout cela lui valu d’être inquiété à la fin de la guerre, mais il fut vite dédouané.

De l’union d’Alice et de Saburo sont né deux filles et un fils. Quand ils étaient jeunes, les enfants suivirent leurs parents au gré des affectations de leur père. Mais, au-début de l’adolescence, Ryo, sous la responsabilité de son oncle paternel, est placé dans un pensionnat. Il y fait de bonnes études, et, au lieu de suivre la voie diplomatique comme son père, il poursuit des études d’ingénieur aéronautique, tout en suivant une formation d’officier. Lors de la guerre, il est versé dans l’aviation, d’abord comme « testeur » des nouveaux modèles d’avion, puis comme pilote d’un chasseur. Il est décédé officiellement au retour d’une mission où il avait été mortellement blessé. De fait, Il a été décapité par une hélice, ce qui est nettement moins glorieux.

Dans ce roman, Jean-François Kochanski montre toutes les difficultés pour Ryo à démontrer son appartenance à la société japonaise, très raciste, avec son physique d’occidental. Pour se faire, il doit être toujours le meilleur, le plus fort, le plus nationaliste. Pour autant, on perçoit un homme tourmenté par le choix de ses parents : pourquoi ont-ils voulu qu’il soit japonais et pas américain ? Pour autant, il n’opère aucune recherche sur la culture américaine issue de sa mère qui, par ailleurs a embrassé totalement la culture de son mari. En quelque sorte, en se mariant avec Saburo, elle a fait un trait définitif, sans aucun retour possible, sur son passé. Et c’est donc tout à fait naturel que les enfants soient élevés comme n’importe quel japonais. Même la guerre ne la fait pas hésiter sur son choix, et, par voie de conséquence, sur ceux de ses enfants, dont Ryo.

Soit, il regrette de devoir combattre ses potentiels cousins, mais il se bat pour le « Japon éternel », contre cet Occident qui a humilié l’Asie en général et le Japon en particulier et dont le but (fantasmé, mais nous sommes dans les années 30) est la destruction de sa culture et de son art de vivre.

Au-delà des difficultés de s’intégrer dans une société quand on ne correspond pas aux standards « physiques » de celle-ci, Vents contraires aborde un aspect de l’histoire bien peu connu chez nous.

« Kurusu Ryo fut victime d’une xénophobie certaine au pays du Soleil Levant » sur « Vents Contraires » de Jean-François Kochanski dans « Le Dit des Mots » de François Cardinali

Entre deux camps

C’est une histoire oubliée que faire revivre Jean-François Kochanski dans Vents contraires : celle de Kurusu Ryo, fils d’un diplomate japonais et d’une mère américaine qui fut le seul officier métis à combattre au sein de l’armée de l’air nippone durant la Deuxième Guerre mondiale.
Des destins sont parfois compliqués. Ainsi le fut celui de Kurusu Ryo, comme le raconte dans son premier livre, Vents contraires, Jean-François Kochanski (ci-contre), une biographie écrite sous une forme romanesque. De fait, né aux États-Unis d’un père japonais et d’une mère américaine, le jeune Kurusu Ryo ne découvrit le Japon qu’à 8 ans. Malgré des relations empreintes de xénophobie, il fut le seul officier métis à combattre au sein de l’armée de l’air japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale où il perdra la vie.

Nourri de nombreux documents conservés par la famille du défunt pilote, et de livres déjà publiés Jean-François Kochanski redonne vie à ce jeune homme tiraillé entre deux cultures, et fils d’un diplomate important du Japon qui a œuvré dans des ambassades du monde entier : il fut même un temps l’artisan de la paix avant l’attaque soudaine de Pearl Harbor, ce qui lui vaudra certaines accusations après la défaite de son pays.

Au fil du récit écrit comme s’il s’agissait d’une confession du principal intéressé, on mesure à quel point Kurusu Ryo fut victime d’une xénophobie certaine au pays du Soleil Levant. Victime d’un geste hostile d’une jeune femme dans un parc l’été 1942, il se souvient : « Une forme de mépris m’avait continuellement questionné sur la place me revenant au sein de la société nippone. Une attitude dénuée de sens dont les raisons finalement m’importaient peu. Mais aujourd’hui, le Japon se devait d’être uni face à un ennemi commun. Le comportement de cette personne, se révélait être une insulte vis-à-vis de l’uniforme d’officier que j’arborais en ce jour. »

Hommage à un soldat blanc engagé dans l’armée japonaise par Jean-François Kochanski dans « Vents contraires » à l’honneur de L’Hebdo Bourse PLus

Littérature

Hebdo Bourse Plus n°1177

Yannick URRIEN

Vents contraires.

Jean-François Kochanski raconte une histoire incroyable qui nous permet de mieux comprendre le Japon, pays qui reste encore méconnu pour de nombreux Français. Ancien des salles de marché trésorerie de la BNP, l’auteur habite au Japon et son épouse est Japonaise. Il explique comment Kurusu Ryo, appelé Norman, fils d’un diplomate japonais et d’une Américaine, a vécu sa japonité au Japon pendant les années de nationalisme exacerbé de la Seconde Guerre mondiale. Né en 1919, Ryo-Norman a eu dix-huit ans en 1937, mais il n’a vécu au Japon qu’à partir de l’âge de huit ans. Nettement occidentale, son apparence gaijin (terme japonais utilisé pour désigner les étrangers au Japon) détonnait parmi ses pairs et, étant enfant, sa façon de parler aussi. Il a dû se battre pour pouvoir s’imposer. Ce qui est incroyable, c’est que les Japonais découvrent seulement aujourd’hui cette histoire : celle du seul « blanc » engagé dans l’armée japonaise.

En effet, de nombreux Français ignorent que le Japon est sans doute le pays le moins multiculturel au monde. De France, certains diront que c’est un pays fermé, d’autres penseront que c’est un pays xénophobe, si l’on se base sur nos critères. Jean-François Kochanski explique : « La notion de racisme au Japon est totalement différente, puisque les Japonais ont une autre forme de racisme. Par exemple, vis-à-vis d’une personne non japonaise, ils n’iront jamais dans des relations très profondes et, si la personne étrangère fait un acte offensant, les Japonais diront que ce n’est pas grave, puisque c’est un étranger qui ne peut pas comprendre le Japon… Il y a à la fois du respect, de la peur, de la crainte… C’est tout un mélange, puisqu’il ne faut pas oublier que le Japon est une île. Le pays s’est ouvert lors de l’arrivée des Hollandais et des Portugais, avant de se refermer sous l’ère des Tokugawa, puis de se rouvrir sous l’ère Meiji, à la fin du XIXe siècle. Il y a eu un choc, puisque le Japon a compris qu’il avait deux cents ans de retard sur le reste du monde. Ils ont vu les Américains arriver avec des canons et les Japonais n’ont pas compris ce qui s’est passé. Dans l’âme japonaise, on a à la fois la crainte et le respect des Occidentaux. Ils aiment l’art et la cuisine française ou italienne, mais ils veulent aussi manger japonais. Donc, c’est un pays déchiré par rapport à son passé et à son présent. » Pourtant, en Occident, si l’on refuse le multiculturalisme, on est soupçonné de racisme : « Au Japon, c’est parce que l’on est différent et parce que l’on ne peut pas se comprendre. Vous avez une forme de relation amicale qui n’existe qu’au Japon. Vous avez une relation amicale avec quelqu’un, mais en retour cette personne attend quelque chose, ce n’est pas comme en Europe. Donc, le Japonais va vous aider en attendant quelque chose. C’est une surprise pour les Occidentaux et c’est pour cette raison que les relations amicales sont plus délicates. À partir du moment où le Japonais comprend que vous connaissez les codes du pays, ce qui est mon cas puisque je suis marié à une Japonaise, vous n’êtes plus un étranger, mais un ersatz de Japonais. »

Pourtant, les couples mixtes restent très rares au Japon : « Les Japonais sont plus ouverts qu’on ne le croit, surtout au cours de ces dernières années. Au début, c’était un peu mal vu, surtout après la guerre lorsque des femmes japonaises avaient des enfants avec des soldats américains. Maintenant, c’est accepté et c’est même vu comme une curiosité. Vous pouvez être intéressé dans le bon sens du terme, comme dans le mauvais sens du terme, la frontière est très mince, mais les choses ont évolué. À l’époque du héros de mon roman, c’était un cas unique, d’autant plus qu’il avait un aspect complètement européen. »

Jean-François Kochanski a découvert dans un temple l’histoire de ce soldat japonais et il a immédiatement été intrigué parce qu’il avait le visage d’un Occidental : « Dans ce musée, il y avait les photos de soldats morts durant la Seconde Guerre mondiale et j’ai vu la photo d’un Occidental. C’était le seul. Cela m’a intrigué et, comme un jeu, je me suis lié à cette personne sans la connaître. J’ai fait des recherches. Je suis allé à la bibliothèque de l’Assemblée nationale japonaise et je me suis rendu compte que sa mère avait laissé tous les documents sur son fils afin que l’on puisse raconter son histoire. J’ai retrouvé sa sœur qui habite près de Chicago. Elle m’a beaucoup aidé en me confiant des lettres de son père et de sa mère, et j’ai réussi à recréer sa vie. »

Il semblerait étrange aujourd’hui qu’une personne qui visite un musée en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, en voyant des clichés de soldats pendant la Seconde Guerre mondiale, soit intriguée par un physique de type méditerranéen ou africain, puisqu’il existait déjà une grande diversité sur les champs de bataille : « Je me suis posé des questions sur le personnage et sur la manière dont il a été perçu au sein de la société japonaise. Il est arrivé à l’âge de huit ans, parce qu’il était né à Chicago et avait vécu en Italie et en Grèce. Il a été dans une école française à Tokyo. Malheureusement, elle a été en partie détruite pendant la guerre. Son père a dû partir à Hambourg et, quelque temps plus tard, sa mère l’a laissé avec son oncle qui l’a élevé. Au début, il a été victime de racisme. Il a fait une école d’aviation et il a décidé de rentrer dans l’armée. Il est devenu officier, après avoir subi un traitement difficile, tout simplement parce qu’il avait la tête d’un Occidental. Mais, du jour au lendemain, lorsqu’il est devenu officier, tout s’est arrêté. Il y a un respect très fort de la hiérarchie au Japon. Le fait de vouloir se sacrifier pour le Japon a été plus important que tout. »

Ce sujet nous amène à nous interroger sur plusieurs points. Le patriotisme japonais est-il différent de celui que l’on peut observer aux États-Unis ? Là-bas, des patriotes sont parfois pour l’État, d’autres contre l’État et ils dénoncent les complots du gouvernement. Est-ce ce qui diffère dans la mentalité japonaise ? Jean-François Kochanski souligne qu’il ne faut pas occulter le fait que les Japonais ont été battus pendant la Seconde Guerre mondiale : « Il y a eu le traumatisme de la bombe atomique, donc le patriotisme n’était plus de mise après la défaite. Le patriotisme avait ravagé le Japon, qui pensait conquérir toute l’Asie alors que c’est une petite nation qui a très peu de ressources naturelles. Elle ne pouvait pas combattre des nations comme la Chine, la Russie et les États-Unis, même si c’étaient des soldats courageux. Le patriotisme était lié au sacrifice. Aujourd’hui, les Japonais ne sont plus très patriotiques. Le Japon n’a pas d’armée officiellement. Il y a l’envie de recréer une armée par crainte de l’émergence de la Chine et de la Corée du Nord, mais la population est foncièrement pacifiste. L’empereur a insufflé un sentiment de pacifisme dans la population. Donc, le patriotisme n’est pas belliqueux comme on peut l’observer aux États-Unis par exemple. »

Cette histoire commence à être connue au Japon et les médias se mettent à en parler : « Les Japonais sont intrigués par cette recherche historique qui est un miroir sur la société japonaise de cette époque. Après la Deuxième Guerre mondiale, le Japon, contrairement à l’Allemagne, n’a pas regardé ses erreurs. Il n’y a jamais eu d’analyse. Le Japon est passé d’un stade de patriotisme belliqueux à un stade de pacifisme tranquille, sans regarder son histoire, sans analyser ses responsabilités, et il est impossible pour les politiques d’en parler. D’ailleurs, la Chine demande régulièrement des comptes au Japon sur les massacres. C’est vraiment une nation qui n’a jamais regardé son histoire. Elle est tétanisée à l’idée de le faire et, à mon avis, elle ne le fera jamais. Ce livre peut être un déclic. Ils sont entrés dans une guerre qu’ils ne pouvaient pas gagner et c’est encore un traumatisme pour toute la société. La mère de ma femme était toute petite quand elle a entendu l’empereur annoncer la capitulation du Japon. Il parlait dans une langue propre, personne n’avait compris, et son seul souvenir est celui des bombes au napalm lancées par les bombardiers américains. C’était terrible. Il y a eu 250 000 morts. Tokyo été complètement rasée et elle se souvient du ciel orange. Sinon, elle éclipse totalement cette période. Même au cinéma, ou dans la littérature, il y a très peu de séries, de films ou d’ouvrages qui parlent de cette époque, contrairement à ce que l’on peut constater en Allemagne ou en France. »

« Vents Contraires » de Jean-François Kochanski, est publié chez AZ éditions Content Publishing.

« Un soldat blanc dans l’armée japonaise » : interview radio de Jean-François Kochanski sur « Vents contraires »

Vents Contraires : Une Histoire Incroyable d’un Soldat « Blanc » dans l’Armée Japonaise

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Jean-François Kochanski raconte l’histoire fascinante de Kurusu Ryo, surnommé Norman, fils d’un diplomate japonais et d’une Américaine, qui a vécu sa japonité au Japon pendant les années de nationalisme exacerbé de la Seconde Guerre mondiale. Né en 1919, Ryo-Norman a eu dix-huit ans en 1937, mais il n’a vécu au Japon qu’à partir de l’âge de huit ans. Bien qu’il ait une apparence nettement occidentale, sa japonité était incontestable. Cependant, en tant qu’enfant, il a dû se battre pour s’imposer, car sa façon de parler différait de celle de ses camarades.

Ce qui est étonnant, c’est que les Japonais découvrent seulement aujourd’hui cette histoire : celle du seul « blanc » engagé dans l’armée japonaise. De nombreux Français ignorent que le Japon est sans doute le pays le moins multiculturel au monde. Bien que certains considèrent que le Japon est un pays fermé ou xénophobe, ces concepts ne sont pas applicables aux Japonais, car la notion de racisme est totalement différente dans leur culture.

Le Japon a une autre forme de racisme, qui se traduit par la peur et le respect des étrangers. Les Japonais n’iront jamais dans des relations très profondes avec des personnes non japonaises. De plus, si une personne étrangère fait un acte offensant, les Japonais diront que ce n’est pas grave, car c’est un étranger qui ne peut pas comprendre le Japon. Le Japon est une île, et le pays s’est ouvert et fermé plusieurs fois dans son histoire. Les Japonais ont une crainte et un respect des Occidentaux, mais ils aiment également l’art et la cuisine française ou italienne, tout en voulant manger japonais. Le Japon est donc un pays déchiré par rapport à son passé et à son présent.

Pourtant, si un Occidental connaît les codes du pays, il peut être accepté comme un ersatz de Japonais. Les couples mixtes restent rares au Japon, mais ils sont plus acceptés ces dernières années. Au début, cela était mal vu, surtout après la guerre lorsque des femmes japonaises avaient des enfants avec des soldats américains.

Jean-François Kochanski a découvert l’histoire de ce soldat japonais dans un temple, où il a vu la photo d’un Occidental. Cette découverte l’a intrigué, et il s’est lié à cette personne sans la connaître, faisant des recherches et allant à la bibliothèque pour trouver des informations sur ce soldat « blanc » dans l’armée japonaise. Il a finalement décidé d’écrire un livre sur cette histoire incroyable, qui nous permet de mieux comprendre le Japon, pays qui reste encore méconnu pour de nombreux Français.

En fin de compte, l’histoire de Kurusu Ryo est un exemple fascinant de la complexité de la culture japonaise et de la manière dont elle a évolué au fil du temps.

Jean-François Kochanski raconte l’histoire fascinante de Kurusu Ryo, surnommé Norman, fils d’un diplomate japonais et d’une Américaine, qui a vécu sa japonité au Japon pendant les années de nationalisme exacerbé de la Seconde Guerre mondiale. Né en 1919, Ryo-Norman a eu dix-huit ans en 1937, mais il n’a vécu au Japon qu’à partir de l’âge de huit ans. Bien qu’il ait une apparence nettement occidentale, sa japonité était incontestable. Cependant, en tant qu’enfant, il a dû se battre pour s’imposer, car sa façon de parler différait de celle de ses camarades.

Ce qui est étonnant, c’est que les Japonais découvrent seulement aujourd’hui cette histoire : celle du seul « blanc » engagé dans l’armée japonaise. De nombreux Français ignorent que le Japon est sans doute le pays le moins multiculturel au monde. Bien que certains considèrent que le Japon est un pays fermé ou xénophobe, ces concepts ne sont pas applicables aux Japonais, car la notion de racisme est totalement différente dans leur culture.

Le Japon a une autre forme de racisme, qui se traduit par la peur et le respect des étrangers. Les Japonais n’iront jamais dans des relations très profondes avec des personnes non japonaises. De plus, si une personne étrangère fait un acte offensant, les Japonais diront que ce n’est pas grave, car c’est un étranger qui ne peut pas comprendre le Japon. Le Japon est une île, et le pays s’est ouvert et fermé plusieurs fois dans son histoire. Les Japonais ont une crainte et un respect des Occidentaux, mais ils aiment également l’art et la cuisine française ou italienne, tout en voulant manger japonais. Le Japon est donc un pays déchiré par rapport à son passé et à son présent.

Pourtant, si un Occidental connaît les codes du pays, il peut être accepté comme un ersatz de Japonais. Les couples mixtes restent rares au Japon, mais ils sont plus acceptés ces dernières années. Au début, cela était mal vu, surtout après la guerre lorsque des femmes japonaises avaient des enfants avec des soldats américains.

Jean-François Kochanski a découvert l’histoire de ce soldat japonais dans un temple, où il a vu la photo d’un Occidental. Cette découverte l’a intrigué, et il s’est lié à cette personne sans la connaître, faisant des recherches et allant à la bibliothèque pour trouver des informations sur ce soldat « blanc » dans l’armée japonaise. Il a finalement décidé d’écrire un livre sur cette histoire incroyable, qui nous permet de mieux comprendre le Japon, pays qui reste encore méconnu pour de nombreux Français.

En fin de compte, l’histoire de Kurusu Ryo est un exemple fascinant de la complexité de la culture japonaise et de la manière dont elle a évolué au fil du temps.

« il était japonais, vraiment japonais, même s’il a rêvé de devenir plus universel » sur « Vents contraires » de Jean-François Kochanski

Jean-François Kochanski, Vents contraires

C’est un récit de guerre et de bâtardise que nous livre l’auteur, ancien des salles de marché trésorerie de la BNP et vivant désormais au Japon. Comment Kurusu Ryo, appelé Norman, fils de diplomate japonais et d’une Américaine, a vécu sa japonité au Japon durant les années de nationalisme exacerbé de la Seconde guerre mondiale. Né en 1919, Ryo-Norman a eu 18 ans en 1937 mais n’a vécu au Japon qu’à l’âge de 8 ans. Son apparence gaijin, nettement occidentale, détonnait parmi ses pairs et, étant enfant, sa façon de parler aussi. Il a dû se battre pour s’imposer. Plus grand et plus costaud que ses camarades élevés au riz et aux légumes, il n’a pas tardé à se faire respecter, puis à s’intégrer dans le groupe.

Car l’auteur, qui reconstitue sa courte vie à partir d’archives privées de sa famille, de témoignages de guerre et de livres publiés, s’ingénie à faire comprendre le Japon, premier pays développé non-occidental, et sa mentalité îlienne de forteresse assiégée, très conservatrice et méfiante envers tout étranger (même Coréens). Norman, prénom américain, fut bientôt réservé à l’intimité familiale, délaissé socialement au profit du seul Ryo, prénom japonais. Le garçon devenu jeune homme se destine à l’ingénierie aéronautique, en plein essor au Japon industriel ; il deviendra en même temps qu’élève-ingénieur un élève-officier, tant le totalitarisme impérial nippon des années 1930 et 40 enrôlait toute la population dans un nationalisme fusionnel, à la manière nazie.

Être le seul officier métis de l’armée de l’air japonaise, et qui plus est d’apparence physique occidentale et parlant parfaitement anglais, est une performance. Que les Japonais l’aient accepté, avec plus ou moins de réticence ou de retard, est une gageure. Ryo a dû être meilleur en tout, aux études comme aux sports, et il n’a dû le respect du clan que parce qu’il savait battre ses plus acharnés détracteurs au kendo, l’art martial du sabre qui est l’essence du Japon.

Cette histoire vraie reconstituée, romancée seulement pour faire liaison ou s’imprégner de l’ambiance, serait plus lisible si elle avait été relue par un éditeur véritable. Les mots mal orthographiés ou mis pour un autre (haut-vent pour auvent, hôtel pour autel, tache pour tâche…), les fautes d’accord, les constructions de phrases bancales et les virgules placées au petit bonheur font se demander si l’écriture n’a pas été finalisée par une IA, genre traducteur automatique de l’anglais au japonais puis en français… Comment comprendre, par exemple, cette phrase : « Une certaine dissonance s’exposant à tous, troublait sans le vouloir l’unisson pouvant les lier » p.51 ? Il y en a beaucoup d’autres de ce type.

Outre un récit de guerre, une vue du Japon conduit malgré lui vers la défaite, l’auteur s’intéresse avec raison à l’écartèlement des « races » – on dirait aujourd’hui les « cultures » sans que cela change quoi que ce soit. Le physique et la mentalité américaine sont très différents du physique et de la mentalité japonaise : que fait-on lorsqu’on est mixte ? Le garçon choisit papa, parce qu’il est estimable et qu’il l’aime, mais ce n’était pas gagné. Le père, diplomate ancien ambassadeur à Berlin puis en Belgique, au Pérou, a tenté l’ultime négociation de la dernière chance entre États-Unis et Japon, d’ailleurs condamnée d’avance à l’échec puisque l’attaque de Pearl Harbor était déjà programmée. Il s’est infligé le déchirement de ne pas garder son fils avec lui durant ses années d’apprentissage, au contraire de ses filles. Il a voulu pour le garçon une éducation entièrement japonaise et non internationale selon ses postes diplomatiques. D’un corps occidental il a voulu faire un vrai japonais. Il y a réussi. « Sans une identité, un avenir ne peut être construit », dira-t-il à son fils jeune adulte, « mon fils, ton sang et ton cœur sont japonais » p.163.

Tragédie des métis, écartelés entre deux cultures. Il faut en choisir une tout en gardant la force de l’autre, mais le vent doit souffler dans une seule direction sous peine d’être déboussolé, voire psychiquement malade (comme trop de Maghrébins le montrent à l’occasion d’un fait divers). Le capitaine d’aviation Ryo Kurusu fut « tué au combat » sur un aérodrome militaire japonais par une hélice qui lui a arraché la tête dans les derniers mois du conflit, un accident malheureux. Il a vécu tourmenté mais courageux, il a servi avec honneur un régime pourtant fourvoyé. Mais il était japonais, vraiment japonais, même s’il a rêvé de devenir plus universel.

Jean-François Kochanski, Vents contraires, 2022, AZ éditions Content Publishing, 201 pages, €18,00 e-book Kindle €9,99

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com