« Primesautier, touchant, inventif » les aventures de Jasmine Catou (tome 4) par Argoul

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou

Cinq nouvelles neuves pour la chatte détective, assistante d’attachée de presse parisienne. Qui a dit qu’il n’y avait pas de chat policier ? Cocteau, qui affirmait que son nom n’était pas le pluriel de cocktail, en jugeait d’après les minets qui l’entouraient, tandis que les flics de son copain Genet étaient plutôt des chiens. Mais cette boutade est infirmée par Christian de Moliner lorsqu’il met en scène avec subtilité l’art et la manière, pour une chatte observatrice et aimante, de communiquer avec les humains.

Ce n’est pas simple mais lorsqu’un certain Pierre envoie chaque mois des roses rouges à sa maitresse sans dire qui il est, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout lorsque la dernière carte comporte deux points d’exclamation. Qui se cache derrière ce prénom anonyme ? Un auteur ? Un admirateur ? Un dragueur ? Un sérial killer ? Jasmine a une idée et si Catou est son nom – le chat en occitan – son prénom est bien le sien. Quant au lecteur averti, il apprend page 26 que Pierre Ména..rd « aime les hommes ». Chat alors !

Lorsque sa « maman » voyage, c’est un ami dans la dèche qui la garde à l’appartement de Saint-Germain-des-Prés : son parrain. Mais ne voilà-t-il pas que, de retour des Indes, ledit parrain s’effondre dans l’escalier cinq minutes après avoir bu un thé vert chez maman ? Le docteur du rez-de-chaussée constate un empoisonnement, mais qui l’a fait ? Maman ne va-t-elle pas être accusée ? A Jasmine de se démener crocs et griffes pour dire ce qu’elle a vu et supputé.

Parrain disparu, marraine prend la suite : Armelle, l’amie de maman. Mais lorsqu’elle doit s’absenter pour faire quand même quelques courses, des cambrioleurs percent la serrure pour voler l’appartement. Jasmine a fort à faire pour déplacer Gustave le gros chien bête et Mélodie la chatte rivale qui ne peut pas la sentir. Elle délivre gros bêta et réussit à sortir de l’appartement pour alerter une voisine. C’est qu’il n’est pas simple d’être chatte en charge des stupidités humaines !

P.A.V.E. sont les initiales (fictives, je vous rassure) d’un auteur bien connu de maman qui a eu du succès il y a une décennie (un tel auteur existe bien mais il n’a pas eu le prix Goncourt). Depuis, il est sec : les affres de la page blanche, le blocage sans remède, l’incapacité à placer un mot sur une page ou même une idée sur le fil. Il sollicite son ancienne maitresse pour qu’elle lui écrive un synopsis qu’il n’aura qu’à enrober de style afin de donner une suite à son roman d’amour à succès. Et surtout conserver la confortable avance de son éditeur sur cette suite qui ne passe pas. Encore une fois, Jasmine est à la manœuvre : elle a une idée. Un dé en ivoire et la télécommande pour afficher Amazon vont suffire à proposer un projet…

Que faire lorsqu’on est chatte seule à la maison, enfermée sans croquettes, et que maman ne revient toujours pas du cheval où elle va galoper un brin ? Un accident ? Un abandon ? Un amant subit ? Quelques coups de patte et un téléphone qui vibre, voilà juste assez pour que Jasmine se débrouille. L’amie de maman fait le reste pour elle. Ce n’était qu’un accident de trottinette, pas de quoi en faire un plat !

Primesautier, touchant, inventif, le style de ces nouvelles sans prétention fait passer un doux moment à ceux qui aiment les chats comme à ceux qui ne les connaissent pas encore. Car ces petites bêtes, réputées égoïstes et indépendantes, sont tout le contraire.

Christian de Moliner, Les aventures de Jasmine Catou, 2021, éditions du Val, 89 pages, €10.50 e-book Kindle emprunt abonné

Les précédents exploits de Jasmine Catou sont rassemblés dans le volume Les enquêtes de Jasmine Catou, éditions du Val, 2020, €16.50 et même édités en anglais sous le titre Detective Jasmine Catou !

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Jasmine Catou chroniquée sur ce blog

L’auteur et la chatte ont DEUX PAGES entières dans le magazine Matou Chat du mois de juin en vente en kiosque sur le net. Et peut-être bientôt sur PODCAT, chaîne YouTube !

« Jasmine Catou détective » dans Lettres capitales

Jasmine Catou – un Watson félin en plein cœur de Paris

Jasmine Catou, détective est le premier opus d’une série écrite par Christian de Moliner et dédiée à Jasmine, un chat pas comme les autres. L’auteur zigzague avec aisance entre les genres littéraires du polar et du récit fantastique, en mettant en scène cinq événements inattendus de la vie du chat Jasmine Catou et d’Agathe, sa maîtresse, attachée de presse parisienne, habitant dans le quartier germanopratin.

Le charme particulier de ce récit se nourrit du rôle invraisemblable d’enquêtrice douée d’une intelligence et d’une habilité hors du commun de la part de Jasmine qui prend ainsi, à l’aide de la personnification, une place prépondérante dans la construction narrative de ces histoires. Dans une interview que l’auteur nous avait accordée en 20191, il avait dévoilé son intention « de choisir un détective animal, qui pense et qui écrit l’histoire en utilisant « je », tout en restant un félin ». Le lecteur est ainsi prévenu quant au code déictique particulier et captivant permettant à Jasmine d’occuper la première place de l’action, à la fois de narratrice et de personnage principal, et de mettre ainsi en valeur ses capacités intuitives afin de résoudre ces intrigues et de les raconter avec charme. « Je tiens les mêmes raisonnements qu’un humain », précise-t-elle à l’intention des lecteurs au cas où ils en douteraient encore…

Avec assiduité et souci de précision, Jasmine assiste sa maîtresse en l’aidant à dénouer des énigmes invraisemblables, comme, par exemple, des morts inexpliquées, la présence de fantômes dans sa maison ou l’intervention salutaire d’un marabout dans ses relations amoureuses, le décryptage d’un rébus reçu en guise d’invitation au voyage, le mystère du destinataire d’un bouquet de fleurs ou à retrouver des objets perdus dans sa demeure. À travers ces situations mystérieuses vécues par les protagonistes dans chacune de ces histoires, son empathie prend la forme d’une complicité qui va s’avérer encore plus étroite lorsqu’il s’agira de comprendre les états d’âme d’Agathe et deviner ses sentiments, ses peurs et même ses lubies. En fine psychologue, Jasmine sait quand et comment intervenir pour apaiser les angoisses de sa maîtresse ou lui éviter de tomber dans un piège réel et très souvent imaginaire. Elle mérite ainsi le titre de vrai ange gardien félin et arrive même à convaincre de cela Armelle, la sœur de cœur de sa maîtresse.

Pour l’illustrer ces qualités, prenons le cas de la première de ces cinq énigmes décrites par Christian de Moliner, et intitulée « L’éditeur ». Agathe reçoit la visite de plusieurs personnalités du monde de l’édition, un écrivain, un auteur, deux journalistes et un éditeur célèbre. À la fin du déjeuner qu’elle donne en l’honneur de ces gens, et plus précisément au moment du café, l’éditeur meurt subitement après avoir bu la première goutte de ce breuvage servi par la maîtresse de la maison. Les urgences arrivent sur place et le médecin conclut à une mort suspecte par empoisonnement. Dès lors, tous les convives se cherchent un alibi en attendant l’arrivée de la police. La mission de Jasmine Catou est bien entendu de trouver le coupable et sauver Agathe, la maîtresse de la maison, qui, en tant que charmante hôtesse, serait la principale coupable de la mort de son invité. Avec les moyens dont elle dispose (rappelons qu’elle n’a pas le don de la parole) elle dirige les regards vers les objets utilisés pendant le déjeuner pour renvoyer les enquêteurs arrivés sur place vers la source de cet empoisonnement. Arrivera-t-elle à se faire comprendre ? Forcément oui, et brillamment en plus, comme elle le fera à chaque aventure racontée dans ce livre.

Dans la vraie vie, nous avait dit Christian de Moliner dans la même interview, il s’agit de son attachée de presse Guilaine Depis dont la personnalité l’avait inspiré librement, même si, rajoute-t-il avec précaution, il laisse une place prépondérante à son imagination. Nous le savons bien, la littérature joue souvent des tours à la réalité en bénéficiant amplement de sa liberté fictionnelle. C’est aussi le cas de ce recueil qui réussit à imprégner le portrait vivant de ce chat intelligent et attachant à qui il attribue avec tendresse le nom de Watson, l’assistant du grand détective Sherlock Holmes.

Désormais, tout le monde sait que sous l’attitude somnolente sous laquelle les chats se présentent souvent devant nous, ces animaux intelligents et agiles que Jean de la Fontaine décrivit dans son temps, en sauvant ainsi de la catastrophe leur image datant de l’époque du Moyen-Âge, possèdent des qualités exceptionnelles et une intelligence capable à mettre au défi les plus grands enquêteurs de la planète.

En tout cas, en ce qui concerne Jasmine Catou, vous êtes dorénavant prévenus…

Dan Burcea

Christian de Moliner, Jasmine Catou, détective, Éditions du Val, 2019, 110 pages.

1 https://lettrescapitales.com/interview-christian-de-moliner-jai-pris-un-chat-car-un-felin-suscite-naturellement-de-lempathie-chez-les-lecteurs/

L’écrivain Luc-Olivier d’Algange est séduit par les enquêtes de Jasmine Catou

Un article de l’écrivain Luc-Olivier d’Algange sur « Les Exploits de Jasmine Catou » de Christian de Moliner

Avec les Exploits de Jasmine Catou, de Christian de Moliner, voici le retour du Sherlock Holmes félin, dont nous avions déjà suivi les aventures dans deux volumes précédents. L’ouvrage ne s’adresse pas seulement aux amateurs de ces énigmes délicieuses que l’observation et la logique dénouent et dont l’inventeur fut le chevalier Dupin des Contes extraordinaires d’Edgar Poe, il s’adresse aussi à ceux qui aiment les chats, les « amoureux fervents et les savants austères » ; encore que les félinolâtres, aussi anciens que les Egyptiens des Pyramides, ne se limitent pas à ces deux catégories baudelairiennes.

Il y eut les chats d’Ultaïr de Lovecraft, peuplant ces contrées du rêve dont on ne revient pas ; il y eut le chat Murr de Hoffmann, qui sans doute inspira Soséki,  et voici que nous avons, grâce au talent de Christian de Moliner, les récits de Jasmine Catou, écrits à la première personne,-  car chacun devrait savoir que dans une maison, ou un appartement, la première personne est toujours le chat, ou la chatte.

Christian de Moliner n’est ici que le transcripteur des pensées de Jasmine Catou . C’est elle qui analyse, qui raconte sa vie, par laquelle nous découvrons, au passage, celle de sa maîtresse, attachée de presse à Saint-Germain des Près. Nous y croisons des écrivains et des éditeurs, plus ou moins recommandables et sommes ainsi initiés à ce microcosme où fermentent les ambitions et les idéaux,  et quelques écheveaux qu’il appartiendra à Jasmine Catou de dénouer.

Quiconque a déjà observé un chat prendre possession d’un lieu n’aura manqué de remarquer la façon dont tout est examiné, aussi bien par l’œil, la patte que par l’odorat. Rien n’échappe à cette attention aiguisée. Le chat, et Christian de Moliner s’en avise avec justesse, est détective par nature. Un autre agrément de ces ouvrages est que l’on y trouve des « personnages à clefs », que nous devinons parfois, mais dont nous nous garderons de divulguer l’identité. Seule, parmi ces personnages de fiction, – car tout personnage dans une nouvelle ou un roman est toujours de fiction, quand bien même il emprunte les traits de tel ou tel contemporain -, est parfaitement réelle et reconnaissable, avec ses beaux yeux verts, Jasmine Catou. J’oserai la paraphrase : « Jasmine Catou existe, je l’ai rencontrée ».

Ajoutons enfin que Christian de Moliner n’est pas seulement l’auteur de ces aventures plaisantes, il est aussi l’auteur d’ouvrages beaucoup plus sérieux sur de brûlantes questions d’actualités qui engagent l’avenir de notre pays et de notre civilisation, et qui eurent, au demeurant, beaucoup plus d’échos à l’étranger qu’en France.

Luc-Olivier d’Algange

« des nouvelles qui se lisent avec bonheur » selon Argoul

Christian de Moliner, Les exploits de Jasmine Catou

La chatte détective poursuit ses enquêtes dans l’actualité la plus immédiate, le salon des mathématiques qui se tient chaque année en juin à Paris et le confinement Covid.

Pas sûr que le salon, cette fois-ci, soit physique – mais les mathématiciens concurrents se livrent une lutte à mort pour gagner le prix. Et celui qui l’emporte ne l’emporte pas en paradis. Quoique : Who done it ? comme disent les vieilles anglaises, expertes en intrigues mortelles : Qui l’a fait ? Malgré ses talents d’observation aiguë pour tout ce qui bouge, Jasmine la chatte n’est pas sûre – mais après tout, si c’était vrai ? Si son hypothèse audacieuse était la bonne ? Reste le problème fondamental de tout chat : comment communiquer ce qu’elle sait à un humain ?

Quiconque côtoie de près ces petits félins adaptés à l’homme depuis des millénaires sait très bien que le chat communique. Mais pas avec les instruments humains. Si son miaulement se module selon ce qu’il ressent et ce qu’il veut, c’est surtout par son attitude et sa mimique faciale qu’il s’exprime. Mais ce ne sont que des réactions simples de plaisir, de requête et d’amour – rien de sophistiqué. Dès lors, comment « dire » ce que l’on a compris d’une question qu’il faudrait poser ou d’un indice à examiner ?

C’est pourquoi l’auteur qui fait agir la chatte est ingénieux. Le lecteur est surpris à chaque fois a de constater que dire ce qu’on sait est possible, même quand on est une chatte devant des humains raisonneurs. La logique fait-elle partie de l’organisation mentale d’un chat ? En tout cas, la relation directe de cause à effet est indispensable aux prédateurs, dont les félins sont les plus affûtés.

Un seul mort dans ces trois nouvelles qui renouvellent les exploits de Jasmine la chatte. L’auteur se sert de la vie de sa maitresse, l’attachée de presse parisienne Agathe, pour mettre en scène des intrigues. Une recette de cuisine d’une autrice qui va sortir un second tome de son best-seller se retrouve malencontreusement livrée à la presse concurrente. Par qui ? l’amant d’Agathe qui a utilisé son ordinateur à son insu soi-disant pour envoyer un mél ? Par un stagiaire de la chaîne de production de l’article prévu pour dans quelques jours ?

Covid-19 relate une émission de radio qui a réellement eu lieu… avec Jasmine Catou en vedette. Mais elle est transposée aujourd’hui, sous le confinement pandémique. Un vieux professeur arrive avec son chien philosophe, Agathe avec sa chatte fourrée détective ; leur sont confronté un vétérinaire rationaliste que l’anthropomorphisme systématique appliqué aux bêtes agace. Un test : il a perdu son portable, Jasmine sera-t-elle capable de le retrouver ?

D’un ton léger, d’un style agréable, ces nouvelles policières à la manière de dame Agatha, se lisent avec bonheur. De quoi en faire tout un recueil pour éditeur policier.

Christian de Moliner, Les exploits de Jasmine Catou, 2020, Les éditions du Val, 97 pages, €6.50 e-book Kindle €3.00

Les exploits précédents de Jasmine Catou sur ce blog

Opération Coronavirus, la nouvelle de Christian de Moliner sur Jasmine Catou

Jasmine Catou et le Covid 19

Je m’étire voluptueusement sur notre canapé, en m’efforçant de reproduire au mieux une posture présentée dans l’émission de télévision, le chat, son maître et le yoga. Je me sens bien, détendue. Je savoure pleinement l’instant présent et le rayon de soleil qui réchauffe mon ventre. Ah ! Maman s’approche de moi en souriant. Ma récréation est terminée, je crois ; elle me saisit et m’affuble d’un drôle de masque, un cône blanc, avant de me porter jusqu’à ma cage de transport. Je savais que je devais sortir ce matin, mais ce déguisement ridicule me surprend et m’exaspère. Ma mère m’a avertie hier que nous étions attendues aujourd’hui dans un studio d’une radio parisienne pour présenter Les enquêtes de Jasmine Catou, le livre dont je suis l’héroïne. Heureusement, les auditeurs ne me verront pas si on excepte ceux qui suivent l’émission sur Internet. Ceux-là se moqueront de moi. L’animateur estime que ses invités se livreront d’autant mieux en présence d’un animal et, malgré mes réticences à quitter le havre de notre appartement, je pensais jusque-là qu’il avait raison. Mais si cet accoutrement est obligatoire pour accéder au studio, je refuse de m’y rendre ! Foi de Jasmine Catou ! 

Je m’agite derrière les barreaux et j’essaye de retirer le masque avec mes pattes, si bien que Maman doit me sortir quelques instants pour me caresser et m’apaiser.

– Je sais, mon cœur : tu es gênée par ce bout de papier, mais il n’est là que pour te protéger du virus.

Maman, voyons ! Je suis une chatte, pas une humaine. Je ne risque absolument pas d’attraper ou de transmettre la maladie. Tu n’as pas pris au sérieux ce reportage que nous avons vu à la télévision sur ce chien de Hong Kong testé faiblement positif au Coronavirus, j’espère ! Je tourne la tête pour lui signifier que je trouve son idée grotesque.

– Pardon, ma chérie, mais Augustin l’animateur a imposé le port du masque à tous ses invités y compris aux deux animaux présents.

Parce qu’en plus, je ne serais pas la seule créature à quatre pattes à participer à cette émission ! Je devrais partager la vedette ? Maman s’est bien gardée de m’en informer de cette cohabitation qui change tout.

Elle me remet dans la cage et s’apprête à son tour. J’ai envie de m’esclaffer en la voyant ainsi harnachée, avec ce papier blanc qui couvre sa bouche, avant de me renfrogner. Je dois moi-même prêter à rire.

Nous partons pour le studio de Radio Tour Eiffel. D’après ce qu’a expliqué Agathe à son amie Armelle par l’intermédiaire du téléphone – elles n’ont plus droit de se rencontrer depuis lundi dernier– Augustin, l’animateur, se gargarise d’être entré en résistance contre la quarantaine ; il essaye de maintenir une grille de programmes proche de la normale. Maman a beaucoup hésité à accepter son invitation du fait des risques encourus, mais elle a choisi d’y aller par conscience professionnelle. Elle estime de son devoir de promouvoir son auteur qui a su mettre en musique mes exploits. C’est aussi sa contribution au maintien du moral des confinés puisque la lecture est l’une des dernières activités permises aux humains avec la télévision, la radio et Internet. J’espère que, pour la récompenser de s’être déplacée, nous gagnerons la sympathie d’un large public.

Nous grimpons à l’arrière du taxi qui nous attendait au bas de chez nous. Je suis d’abord amusée par le spectacle d’Agathe ouvrant la portière de la Mercédès avec la manche de son manteau, avant de me reprocher mon ironie : la situation est suffisamment grave pour qu’on prenne le maximum de précautions. Je dois arrêter d’être sarcastique ; tout n’est pas prétexte à moqueries. 

Paris est vide. Alors que d’ordinaire les rues sont encombrées, que des travaux ralentissent la circulation, nous ne mettons que quelques minutes pour gagner le studio d’enregistrement qui se trouve place du Trocadéro. Après avoir payé à l’aide de sa carte bleue, être sortie du taxi et m’avoir posée avec ma cage sur le sol, ma mère s’est lavé les mains avec un liquide contenu dans un petit flacon. Je n’aime pas l’odeur de ce produit que je trouve trop forte. Je sais : je suis bien grincheuse aujourd’hui et tout m’est prétexte à râler. Ce masque stupide est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Déjà que participer à cette émission ne m’emballait pas même si j’apprécie que les feux des projecteurs soient braqués sur moi. Vous savez comme je suis casanière : je n’aime que notre petit appartement. Allez détends toi Jasmine Catou ! C’est la rançon de la gloire. Cent mille personnes vont entendre parler de toi et de tes exploits. Il faut les convaincre d’acheter notre livre.

Maman appuie sur le clavier extérieur et sur la clinche par l’entremise de son manteau. Une dame est en train de nettoyer le hall, Maman la contourne en se plaquant contre le mur, pour mettre le maximum de distance entre cette employée et elle. En d’autres circonstances, je trouverais ses contorsions amusantes, mais ce matin je dois m’efforcer de garder mon sérieux. Que c’est difficile !

Radio Tour Eiffel est située au rez-de chaussée. La porte du studio est entre-ouverte sans doute pour éviter qu’on ne la touche. Maman la pousse de l’épaule avant de la refermer à demi avec le pied. Les humains sont passés en quelques jours d’un extrême à l’autre : la semaine dernière ils se pressaient dans les parcs si j’en crois les images des reportages télévisés. Désormais ils voient partout des virus grimaçants qui cherchent à sauter sur eux et à les mordre : un vrai film d’horreur, comme celui avec des zombies que Maman a regardé le mois dernier. Enfin je ne suis qu’une chatte, je ne comprends pas tous les tenants et aboutissants de cette situation complexe !

Un homme assis autour d’une table salue Maman de la main et nous convie à prendre place sur un siège placé à un mètre de distance de lui. Il doit s’agir d’Augustin. Un autre invité est déjà arrivé. 

– Docteur Yves de Pérec, vétérinaire exerçant à Neuilly Agathe Boulay et la célèbre Jasmine Catou, nous présente l’animateur.

Je me rengorge. Voilà un homme qui sait parler aux félins !

– Votre livre est amusant, commente le médecin pour animaux, excessif bien sûr, mais nous en reparlerons à l’antenne.

Que voulez-vous sous-entendre docteur avec ce mot « excessif » ? Le poulain de Maman qui rapporte mes aventures n’exagère nullement contrairement à ce que vous semblez insinuer. Hum ! Mon interview ne sera pas une partie de plaisir : j’aurai un contradicteur qui cherchera à me dénigrer. Heureusement, Maman a du répondant.

Un homme tenant en laisse un westie affublé d’un masque aussi comique que le mien, nous rejoint. Voilà sans doute le troisième humain invité. Il s’installe à la dernière place libre. L’animateur fait les présentations :

– Griffouille et Bernard Perroche, professeur de philosophie au lycée Louis le Grand de Paris et auteur de dialogue entre Socrate et mon chien, nous apprend-il.

L’enseignant a un bouc grisonnant hirsute et est mal peigné. Ses verres de lunettes sont sales. Quant à son animal ! En principe il devrait être blanc, puisque c’est la couleur de cette race canine. Mais son poil est emmêlé, et il est roux en de nombreux endroits. Et je ne parle pas de sa barbe : une horreur. Même s’il se disent philosophes tous les deux, ils n’ont pas la classe de notre ami Michel Becker toujours tiré à quatre épingles. Ils me font penser à Diogène, le clochard qui vivait dans un tonneau et qui a répondu à Alexandre le Grand « Ôte toi de mon soleil », alors que le roi lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui. Je tiens cette anecdote de Michel, il l’a racontée à Maman. Je ne manque jamais une occasion de me cultiver en écoutant les convives qui viennent se régaler chez Agathe ou les reportages à la télévision. Miaou, je ne suis pas une chatte ignorante des rues.

Je soupire en regardant les nouveaux venus. M. Perroche et son animal aurait dû faire un effort, aller chez le coiffeur et chez le tondeur. Ils seront filmés et seront vus par les auditeurs qui suivent l’émission sur internet. L’image qu’ils donnent est désastreuse et rejaillit négativement sur Maman et moi alors que, nous, nous faisons attention à notre apparence.

– Nous commençons dans cinq minutes, prévient Augustin.

– Puis-je permettre à Jasmine de quitter sa cage ? demande ma mère. La pauvre va faire de la claustrophobie.

– D’accord si elle reste près de vous.

– Bien sûr. Mon cœur tu ne t’éloigneras pas de moi ? Promis ? Ne va surtout pas réclamer des caresses.

Maman, j’ai compris la situation. Compte sur moi pour rester sage comme une image. 

Ma maîtresse me pose sur le pupitre ; je me redresse et repère la caméra ; je m’entraîne à faire un sourire enjôleur, enfin à ma manière de chatte. Comme je vous l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, j’aime paraître à mon avantage.

– Je vous remercie d’être venus, reprend Augustin. Je trouve important pour la qualité de nos émissions qu’elles soient enregistrées en direct. Nous perdrions de la spontanéité en utilisant le téléphone pour recueillir l’avis des intervenants.

– J’espère, réplique ma mère avec une pointe d’inquiétude dans la voix que cette rencontre n’aura aucune répercussion fâcheuse pour l’un d’entre nous.

– Nous avons pris toutes les précautions, enfin je l’espère.

– Montaigne a quitté son poste de maire de Bordeaux, pérore l’enseignant, juste avant que n’éclate une épidémie de peste. Il ne se cache pas dans ses essais avoir fui la contagion et cette attitude lui a beaucoup été reproché par ses commentateurs. Nous serons donc plus courageux que lui.

Quel prétentieux ! Faire la leçon à Michel de Montaigne ! Si je savais parler, je le lui clouerais le bec.

– L’émission commence, prévient Augustin.

Il entame un décompte avant d’ouvrir le débat en professionnel de la radio. 

– Bienvenue sur l’antenne de Radio tour Eiffel pour notre débat, l’animal et la littérature

Il poursuit en gratifiant chacun d’entre nous de quelques mots aimables ; même Griffouille est présentée comme une chienne lettrée, alors que pour ma part je l’aurais qualifiée de sac à puces.

– Monsieur Perroche, dans votre livre, votre compagnon à quatre pattes tient des propos philosophiques de haute tenue et répond au grand Socrate. Bien entendu, c’est vous qui vous exprimez à la place de votre animal.

Le professeur de philosophie n’a pas le temps de répondre, le vétérinaire intervient et lui coupe la parole :

– L’exercice d’antropo-morphisme réalisé par cet auteur est intéressant tout en atteignant rapidement ses limites ; il prétend présenter le point de vue d’un chien qui réagirait sur des problèmes et des questions essentiels en usant à la sagesse inhérente à son espèce, mais son exposé reste terriblement humain. La logique employée est nullement canine, elle appartient en fait au monde des hommes.

L’enseignant contre-attaque au quart de tour et défend son œuvre. Il emploie des mots abscons, fait appel de grands principes, mais je ne dois être qu’une chatte stupide, je ne comprends rien à ses arguments.

La discussion devient confuse, le vétérinaire et le professeur parlent en même temps, s’empêchent mutuellement de s’exprimer. Il ne manquerait plus que Griffouille ne se mette à aboyer pour que le chaos soit à son maximum. Augustin essaye de reprendre le contrôle de son émission et se tourne vers Maman.

– Et vous Agathe, vous nous présentez des énigmes qui seraient résolues par votre chatte. Évidemment, il ne s’agit que d’une fiction parodique.

– Pas du tout, mon auteur n’a pas écrit une œuvre d’imagination : il a rapporté des histoires réelles.

Le vétérinaire éclate d’un rire sonore.

– Votre chatte ne sait pas parler. Donc ces nouvelles ne sont qu’interprétation et affabulation de la part d’un écrivain à la plume trop prolixe.

Il dresse la liste des prétendues invraisemblances et exagérations qu’il a relevées. Il met en pièces Les enquêtes de Jasmine Catou et Maman peine à me défendre. Comment lui venir à l’aide et faire taire ce praticien trop acerbe ?

J’ai bien une idée qui me trotte dans la tête, mais de quelle façon puis la faire comprendre à mon entourage ? Je rencontre toujours le même problème. Je m’en remets à la télépathie, qui à quelques reprises dans le passé a fonctionné. Je songe très fort à ma solution et me concentre pour toucher l’esprit de ma mère. Hélas le lien ne s’établit pas aujourd’hui ; Agathe ne propose pas le test que j’essaye de lui suggérer. Essayons autre chose. Je traverse la table et vais me planter face au vétérinaire, droite sur mes pattes.

– Pour nos auditeurs, je précise que Jasmine vient de se placer juste devant Yves, s’amuse Augustin. Docteur, vous lancerait-elle un défi ?

– Votre remarque n’a aucun sens. Elle est incapable de comprendre que j’émets des doutes sur ses capacités de détective, car elle est une chatte qui ne décrypte pas le langage humain. Aussi, ne vous lancez pas dans des explications anthropomorphiques, ne vous imaginez surtout pas qu’elle vient protester. Elle s’est approchée de moi uniquement parce que je suis celui qui parle le plus dans ce studio.

Vous vous trompez du tout au tout ! Comment vous le faire comprendre ? Et si je secouais la tête ?

– Yves, j’ai l’impression qu’elle vous dit « non » en hochant sa gueule de gauche à droite, remarque hilare l’animateur.

– N’importe quoi, rétorque M. de Pérec.

– Peut-être attend-elle que vous lui proposiez une énigme à résoudre ? s’esclaffe Augustin. 

Tout à fait ! N’est-ce pas là le meilleur moyen de faire taire ce vétérinaire si catégorique ?

– Votre émission sombre dans le grotesque, proteste M. de Pérec. Un chat détective, quelle absurdité ! Vous nagez en plein délire à l’Ionesco.

– Vous connaissez le but que nous poursuivons, réplique amusé l’animateur, nous mettons en présence des personnalités dont l’approche est totalement différente et nous suscitons ainsi des débats. Jouez le jeu !

– Vous devenez un émule en pire de M. Hanouna.

– Je me dévoue, intervient ironique M. Perroche. Je vais poser une devinette à notre Sherlock Holmes félin : qu’est-ce qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux le midi et sur trois le soir.

Pff c’est facile. Notre ami Michel Becker nous a déjà expliqué lors d’un déjeuner chez Maman le fin mot de cette charade philosophique posée par un drôle d’animal à un roi antique. Je traverse la table et me dirige vers l’enseignant avant de poser ma patte sur sa main.

– Voudrait-elle signifier que la réponse est l’Homme ? s’étonne Augustin.

– Je m’interroge en effet, confirme M. Perroche.

Le vétérinaire hausse les épaules :

– Arrêtez de délirer et cessez de prêter des sentiments humains à cette chatte pourtant banale.

– Elle n’avait pas d’autre moyen de donner la solution de cette devinette, s’insurge Maman. Elle ne sait ni parler ni écrire. 

– Vous seriez-vous tous les trois concertés pour me jouer un tour ? s’interroge caustique le médecin. Avez-vous dressé Jasmine pour qu’elle fasse semblant de résoudre des énigmes ?

Eh ! Je ne suis pas une chatte savante ou un animal de cirque.

– Si vous émettez ces doutes, c’est que vous êtes troublé, rétorque ma mère. Pour emporter votre conviction, donnez-lui à votre tour un mystère à résoudre et elle le fera à sa manière.

– Certainement pas. Je suis un scientifique sérieux et respectable. Je refuse de participer à cette farce.

– Agathe a raison, se gausse Augustin. Un chercheur fait des expériences pour découvrir la vérité, non ? Nous vous suggérons donc d’en effectuer une.

– J’ai lu Les enquêtes de Jasmine Catou, fort amusant du moment qu’on les considère comme une œuvre d’imagination. Cet animal aurait démasqué un assassin, découvert le lieu où se cachait un chien. Je n’ai aucune enquête policière de ce type à lui proposer.

– Dommage, regrette l’animateur.

– J’ai une idée, raille M. de Pérec. Je viens tout juste de perdre mon téléphone. Votre magicienne féline a-t-elle le pouvoir de le retrouver ?

– Oh ! Vous placez la barre fort haute, constate Augustin.

– Jasmine Catou est-elle géniale ou pas ?

– À l’impossible nul n’est tenu !

– En fait je plaisantais. Je n’attends absolument pas qu’elle me restitue mon smartphone. Je ne suis pas envoûté comme vous par cette chatte et ne lui prête pas des pouvoirs extra-sensoriels.

– Avez-vous seulement égaré votre portable ? interroge le philosophe.

Sa voix est empreinte d’hostilité. Sans doute reproche-t-il au vétérinaire d’avoir dénigré les qualités philosophiques de sa chienne.

– Je ne l’ai plus et j’ignore ce qu’il est devenu.

– Quel est le dernier endroit où vous vous souvenez l’avoir eu en votre possession ? demande ma mère.

– Dans un taxi.

– Vous l’avez probablement oublié dans ce véhicule.

– Non j’ai joint la compagnie qui m’a dirigé vers le chauffeur. Il a fouillé sa voiture en vain.

– Un des clients qui vous a suivi l’a peut-être pris, avance le maître de Griffouille.

– Il l’a gardé pour lui alors. Il ne l’a pas donné au conducteur

– De quelle façon est verrouillé votre smartphone ? 

– Par l’empreinte de mon pouce et la reconnaissance faciale. Je suis prudent : j’ai doublé les sauvegardes

– Ces codes seront vraiment difficiles à casser. Si un passager du taxi l’a gardé, il n’en aura pas l’usage, remarque Augustin. Il va s’en débarrasser.

– En effet. Sans doute mon smartphone va-t-il finir dans une poubelle ou dans la Seine.

– Avez-vous malgré tout tenté de faire votre numéro depuis un autre appareil ? Si vous n’avez pas encore essayé, je vous prête mon portable, propose le papa de Griffouille.

– Je vous remercie, mais cela ne servirait à rien. J’avais fermé mon téléphone après avoir raccroché vu je me rendais dans ce studio et que je ne voulais en aucun cas que nous soyons dérangés par un appel intempestif

– Comment avez-vous joint le conducteur, si après le taxi, vous nous avez immédiatement rejoint, interroge soupçonneux M. Perroche.

C’est la deuxième fois que le philosophe exprime des doutes. Cette histoire de téléphone disparu serait-elle une fake-new comme disent les humains, une fausse énigme posée par ce vétérinaire pour me ridiculiser ?

– Je suis passé chez ma mère avant de venir ici, elle m’a prêté son téléphone. Elle a quatre-vingt-dix ans ; avec le covid 19, elle ne sort de plus de chez elle. Je lui ai apporté ses courses de la semaine. Arrivé à son domicile, je me suis aperçu que je n’avais plus mon appareil.

– Avez-vous fouillé chez elle ? s’enquiert Agathe.

– Bien sûr, j’ai regardé si je ne l’avais pas fait tomber dans son entrée, dans le hall de son immeuble ou sur le trottoir devant chez elle. Mais je n’ai rien trouvé.

– Vous avez téléphoné lorsque vous étiez dans le taxi ?

– Tout à fait : à ma mère pour la prévenir que j’arrivais.

– J’en tire la seule conclusion possible :  vous avez oublié votre smartphone dans le VTC, conclut Augustin. Vous n’avez pas vraiment donné une énigme à résoudre à la chatte d’Agathe. Sa solution était évidente depuis le début.

– J’ai fait semblant de jouer votre jeu. C’était une plaisanterie, bien sûr.

– Nous allons alors clore cette parenthèse, avance l’animateur.

Sur une défaite de Jasmine Catou ? Certainement pas. Je saute à terre et frôle Griffouille qui se met à japper. Désolé, mon frère je prends au plus court. Arrivé près de Maman, je pose sur mon postérieur sur le sol et bat l’air avec mes pattes avant, tout en frottant mon museau et mon masque contre le manteau d’Agathe. Hélas Griffouille m’a suivie en grognant et je dois sauter sur la table pour mettre de la distance entre lui et moi, même s’il ne peut me mordre avec son masque. Quel chien stupide !

– Attention à vos animaux, reprenez-les en mains ordonne Augustin.

Maman fait mine de me saisir, sans doute pour me remettre dans sa cage, mais je me réfugie au centre du pupitre.

– Jasmine aurait-t-elle voulu nous faire passer un message ? s’amuse l’animateur.

– Encore une fois : arrêtez de l’humaniser, proteste le vétérinaire.  Elle n’est qu’un animal.

Maman, Augustin : réfléchissez que diable ! Je ne peux plus vous donner d’autres indices : je suis au centre de la table et il vaut mieux que je ne bouge pas.

L’enseignant accroche sa laisse au collier de Griffouille et l’oblige à s’éloigner. En principe avec le confinement, les humains doivent se tenir à un mètre l’un de l’autre. Je culpabilise d’avoir, par ma maladresse exposé Agathe à la contagion.

– Si ma chatte essayait de nous expliquer quelque chose, marmonne Maman, c’est en rapport avec mon manteau.

Oui, tu es sur la bonne voie !

– Madame Boulay, je suis découragé de toujours me répéter : votre minette est dépourvue d’intelligence.

Eh ! Ne m’insultez pas docteur ! 

– Je connais ma chatte, reprend Maman malgré les injonctions du vétérinaire. Elle avait une idée derrière la tête en touchant mon vêtement, mais laquelle ?

Enfin Maman, c’est évident pourtant ! Augustin fronce les sourcils :

– Docteur, comment vous êtes-vous aperçu que vous n’aviez plus votre smartphone

– Il ne pesait plus contre ma jambe. Je le place toujours dans la poche droite de mon pantalon.

– Avez-vous vérifié si votre téléphone n’était pas dans votre loden ? C’est peut-être ce que Jasmine voulait nous suggérer.

– Inutile. À chaque fois, je replace mon appareil dans mon jean.

– Regardez rapidement dans votre parka et changeons de sujet. Nous en avons fait le tour et nos auditeurs vont s’impatienter, tranche Augustin.

Le vétérinaire s’exécute maussade. Il explore de la main dans sa poche droite. Apparemment elle est remplie de d’objets divers qu’il a du mal à identifier, car sa paume reste au même endroit.

– Videz le contenu sur la table, vous verrez mieux grince le philosophe.

– Je ne préfère pas, se défend Yves de Pérec.

Soudain de la stupéfaction se reflète sur son visage.

– Ce n’est pas possible, grommelle-t-il.

Il en sort son smartphone.

– Il n’a aucune raison d’être là. Je ne comprends pas.

– Avez-vous fait autre chose pendant que vous teniez le téléphone, interroge le professeur de philosophie.

– Non, enfin si le chauffeur de taxi, m’a indiqué le prix à payer. J’étais arrivé à destination.

– Voilà l’explication. Vous avez été dérangé dans vos habitudes.

Son ton est ironique. Le chien pousse un petit cri plaintif. Approuve-t-il son maître ? Serait-il moins idiot qu’il en a l’air ? C’est vrai qu’avec sa barbe sale, je l’ai peut-être mal jugé. Je partage les doutes de Griffouille et de son papa : cette histoire de téléphone égaré était-elle véridique ? Ne s’agit-il pas d’une fausse énigme ?

– Le test est concluant, constate l’animateur. Nos auditeurs ont vécu un grand moment de radio : une enquête en direct de notre chatte détective, la grande Jasmine Catou.

– Tout est dans l’interprétation des faits et gestes du félin de madame Boulay, bougonne Yves de Pérec. Je reste sur ma position. Je ne crois pas qu’elle ait découvert quoi que ce soit.

Mauvais joueur va !

– Au public de juger ! tranche Augustin. Monsieur Perroche, pensez-vous que Socrate aurait aimé débattre de philosophie avec Griffouille ?

Quelle question naïve ! Comment auraient-ils pu échanger ? Le philosophe antique aurait été incapable d’interpréter les aboiements de Griffouille même s’il est aussi intelligent que moi. Le vétérinaire aurait eu raison de souligner que le présentateur confond allégrement humains et animaux. Mais il se tient coi pourtant, il est devenu prudent. Jasmine Catou tu as encore triomphé !

 

Christian de Moliner

 

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Pour les fans de Jasmine Catou, voilà une nouvelle enquête de la célèbre chatte détective. Tous les anecdotes sur les mathématiques aussi incroyables qu’elles soient sont vraies !
Je soupire : moi qui n’aime tant que me prélasser sur mon canapé, je suis une nouvelle fois sur le front, loin de notre petit appartement. J’aurais dû me méfier quand Philippe, le client de Maman qui nous rendait visite, s’est extasié devant moi :
– Votre chatte est vraiment magnifique, elle a une présence incroyable et elle attire les regards sur elle. Nous allons la faire poser à côté d’un ruban de Mobius en bois et nous aurons ainsi l’affiche pour le prochain salon des mathématiques !
Je ne connaissais pas encore les propriétés de la figure géométrique qui allait partager la vedette avec moi, mais j’étais ravie d’entamer une carrière de mannequin. D’après Philippe, le comité qu’il présidait ferait de la publicité dans les principaux médias écrits. J’étais contente de devenir une star.
Philippe est revenu la semaine suivante, avec une caisse recouverte d’un velours noir et un huit en bois blanc, le fameux ruban de Mobius. Il nous a expliqué que ce dernier n’avait qu’un seul côté et non deux comme les objets ordinaires. Il a fait une démonstration en suivant du doigt l’intérieur de la boucle, mais je n’ai pas compris grand-chose à son argumentation : je ne dois pas avoir l’esprit scientifique. Maman non plus si j’en crois l’air interrogatif qu’elle arborait. Heureusement, les attachées de presse n’ont nul besoin d’être expertes dans les domaines qu’elles défendent, sinon qui ferait la publicité du salon des mathématiques ?
J’ai pris la pose sur la caisse, transformée en podium, le ruban de Mobius étant placé contre le rebord de ce dernier. Ma mère m’a photographiée sous tous les angles afin de composer l’affiche, elle est douée dans ce domaine. J’ai été mitraillé une cinquantaine de fois, avant que Philippe et Agathe ne se déclarent satisfaits.
Le résultat est flatteur ; je suis mise en valeur et je pense que ma photo a fait sensation dans la presse écrite, que de nombreux Parisiens sont tombés amoureux de moi. Je plaisante ! Vous savez bien que je ne suis pas prétentieuse.
Hélas toute médaille a son revers. Puisque je suis l’égérie du salon des mathématiques, je me dois d’être présente pendant les quatre jours que dure cette manifestation. Enfin, on ne m’oblige pas à rester confinée dans une cage, comme lors du concours de beauté féline auquel j’ai participé l’année dernière. Je suis libre de me promener comme je l’entends, du moment que je revienne de temps à autre sur la petite table qu’on a aménagée pour moi. À côté de l’espace qui m’est réservé, trône un magnifique ruban de Mobius en bois vernis. Le public se presse autour de nous, mais je crois, sans me flatter, avoir plus de succès que l’objet mathématiques. Pourtant, une affiche précise sa particularité géométrique et explique pourquoi il est si exceptionnel. Malgré cela, je reçois plus d’éloges que le huit en chêne verni :
– Quel beau chat !
– J’en voudrais un comme lui, Maman.
Je m’efforce de ne pas me rengorger et de rester humble. Le destin vous assigne à la naissance des gènes qui vous rendent séduisante ou quelconque et vous n’y êtes pour rien. Bien folle celle dont la beauté lui monte à la tête !
Ah voilà Maman qui vient me chercher. Ce matin, elle m’a avertie que je devais me tenir à côté des membres du jury pendant la remise du prix Gödel. Cette distinction a été créée pour ce salon et porte le nom d’un mathématicien célèbre. Selon Philippe, ce chercheur était à la fois génial et perturbé. À la fin de sa vie, il vivait comme un clochard et ne mangeait plus tant il redoutait d’être empoisonné. Notre visiteur a ajouté, sarcastique que les mathématiques rendent fou ; il a raison au vu des anecdotes qu’il nous a rapportées.
Philippe fait une brève allocution dans laquelle il remercie le public d’être au rendez-vous, les jurés d’avoir lu les diverses thèses qui concouraient pour le prix. Il laisse ensuite la parole à un des confrères, Hervé Liers, un des plus grands mathématiciens Français. Il a décroché le prix Abel, l’équivalent du Nobel dans sa matière. Quand il a déjeuné chez nous, Philippe nous a raconté une historiette qu’il tient pour fausse : Alfred Nobel lorsqu’il a créé les prix qui portent son nom aurait délibérément écarté les mathématiques, car le jury aurait immanquablement récompensé Niels Abel, l’hypothétique amant de Madame Nobel. En 2003, les Norvégiens ont créé le prix Abel, aussi richement doté et aussi prestigieux que les Nobels pour honorer les mathématiciens et combler une lacune.
Hervé Liers me plait : il porte une moustache à la Hercule Poirot avec deux fines pointes dressées vers le haut. Il arbore un nœud papillon de couleur grenat et il a agrafé sur le revers de son veston une chouette dorée. Cet oiseau nocturne serait d’après Philippe, qui est une source inépuisable de renseignements son totem et il lui porte un culte fervent. Bref M. Liers est un original comme le sont beaucoup de ses confrères. Néanmoins, il inspire la sympathie et il est un chercheur de premier plan ; il participe au rayonnement de la France en mathématiques, domaine où notre pays est leader avec les États-Unis. Je cite Philippe.
M. Liers commence dans son discours par présenter Kurt Gödel. Il trace sa biographie en quelques lignes, avant d’expliquer le théorème le plus célèbre que ce savant a démontré, celui de l’incomplétude qui porte son nom. Je me raidis à l’avance étant sûre de ne rien comprendre : je suis totalement hermétique aux mathématiques.
– Pour illustrer cette proposition, je vais vous raconter une fable, s’amuse Hervé Liers. Imaginez que dans une petite ville, le conseil municipal décrète, sous peine d’amende, que tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes doivent l’être par Frantz le barbier et que ce dernier ne doit raser que ses concitoyens qui ne le font pas eux-mêmes. Frantz sera vite dans une impasse. S’il ne se rase pas lui-même, il contrevient à l’arrêté, car il doit s’occuper de sa barbe selon le décret. S’il se rase, il est également en faute, car il ne doit offrir ses services qu’à ceux qui n’entretiennent pas eux-mêmes leurs barbes. Le malheureux Frantz n’a aucune échappatoire sauf s’il est une femme, ce qu’il n’est pas. Selon le théorème de l’incomplétude de Gödel, dans toute théorie mathématique, un résultat peut être soit vrai soit faux soit indémontrable – On dit indécidable – La situation de Frantz illustre ce troisième cas.
Miaou ! Au secours ! J’ai mal à la tête ; je ne comprends rien à ce galimatias scientifique. Les mathématiciens aiment se placer dans des situations impossibles. Dans la vraie vie aucun conseil municipal ne prendra un décret aussi stupide. Je me mets à ronronner discrètement et Maman comprend le message : elle me caresse la tête. Je me détends et me serre contre elle.
M. Liers continue son discours en présentant les deux finalistes du prix Gödel. Ils les invitent à le rejoindre et à se placer à sa droite.
Le premier se prénomme Christophe ; il est petit, ses cheveux sont longs et son jean est troué. Je ne crois pas qu’il suive la mode, mais que son pantalon est usé à force d’être porté. Le second, Benjamin, fait contraste avec lui, il est grand, athlétique, il est impeccablement habillé avec un costume gris de bonne coupe, une chemise bleue et une cravate foncée : le sdf et le dandy ! Ce sont les mots qui me viennent à l’esprit lorsque je les regarde.
Hervé explique que les deux candidats sont normaliens ; les humains semblent accorder beaucoup d’importance à cette qualité. Les finalistes sont tous les deux boursiers à l’école de la rue d’Ulm. Christophe a étudié les singularités des variétés non affines et Benjamin les idéaux non principaux des extensions algébriques des corps d’entiers en base p. Ne me demandez pas ce que ces recherches recouvrent : Hervé Liers a tenté d’en donner un aperçu, en vain. Et à voir les mines dubitatives du public je ne suis pas la seule à n’avoir rien compris. Cependant, je fais confiance au jury, ces travaux sont sans nul doute novateurs et importants, même s’il est impossible présentement de savoir à quoi ils serviront. Philippe, toujours en verve, nous a donné un exemple célèbre lorsqu’il a déjeuné chez nous : les matrices paraissaient n’avoir aucun intérêt lorsque les chercheurs qui les ont étudiées ont découvert leurs principales propriétés. Or elles se sont révélées par la suite capitales pour la relativité et la mécanique quantique ; elles ont permis des avancées majeures en physique. Bien entendu, j’ignore tout des matrices, de la relativité d’Einstein, de la physique quantique et des liens qui les unissent.
Philippe a copié la cérémonie des Césars que nous regardons à la télévision avec Maman : une de ses étudiantes amène à Hervé une enveloppe dans laquelle se trouve le nom du lauréat. Le mathématicien à la chouette d’or prend son temps, décachette le courrier, en sort un petit morceau de carton, fait mine de le lire soigneusement et annonce enfin :
– Christophe Coiffeur pour ses travaux sur les singularités des variétés non affines.
Les humains évidement applaudissent à tout rompre à l’énoncé du verdict. Mais celui-ci fait aussitôt l’objet d’une vive contestation au point que le public, surpris, arrête de frapper dans ses mains. Benjamin est pris d’une crise de rage, il invective son camarade.
– C’est un scandale ; les travaux de Coiffeur présentent une faille énorme qui invalide ses résultats. Et il le sait, il me l’a avoué. Ce faussaire a réussi à vous tromper et vous le récompensez !
Philippe se dirige vers le chercheur en fronçant les sourcils :
– Calmez-vous Christophe, je vous prie. Soyez beau joueur.
– Je me moque de perdre. Je ne prétends pas que mes théorèmes sur les idéaux principaux soient extraordinaires. J’estime même qu’ils ne méritent aucune récompense. Mais je refuse qu’un tricheur triomphe. Je connais beaucoup de jeunes chercheurs que vous auriez dû distinguer à la place de ce falsificateur.
Hervé Liers s’approche à son tour, le visage fermé.
– J’ai transmis ton émail à tous les membres du jury. Nous étions bien embarrassés. Tu ne nous apportais aucune preuve. Selon toi, un soir de beuverie Christophe Coiffeur t’aurait avoué que sa théorie présentait une faille béante, restée jusqu’à présent inaperçue, mais tu ignores laquelle. Malheureusement, personne à part toi n’a entendu les prétendues confidences de ton camarade et ne peut appuyer tes dires. Dans le doute, j’ai décidé de vérifier points par points sa thèse. J’ai consacré à cette révision tout mon week-end et tous les soirs de cette semaine. Je n’ai trouvé aucune erreur. Les travaux de Coiffeur me semblent parfaitement cohérents et je les valide.
– Vous souvenez-vous de la démonstration du théorème de Fermat ? La première version paraissait crédible aux yeux de tous, mais au bout d’un an on s’est aperçu qu’un des maillons de la chaîne des arguments était manquant. Je ne doute pas du sérieux avec laquelle vous avez examiné les théorèmes de Coiffeur, mais vous avez procédé dans l’urgence et en dépit de votre bonne volonté vous avez peut-être admis une déduction fausse, surtout si elle a l’apparence de la vérité.
M. Liers a l’air contrarié : est-ce parce que la caution qu’il apporte, lui le grand chercheur récompensé à l’international, ne semble pas suffisante aux yeux de cet étudiant ou pour une autre raison ? Je connaissais l’anecdote mise en avant par Benjamin, car évidemment Philippe nous avait parlé du lemme de Fermat. Je n’ai retenu de son exposé que deux points : l’énoncé du théorème est simple et Fermat a prétendu l’avoir démontré en quelques lignes, mais sans expliquer comment il y était parvenu. Pendant trois cents ans des milliers de chercheurs se sont échinés en vain à retrouver ce résultat prétendument facile avant qu’un Russe, vivant encore chez sa mère très âgée et en voie de clochardisation avancée, ne parvienne à élaborer une solution complexe, qu’il a réussi à affiner après qu’on eut relevé une imprécision. Indifférent à l’argent, il a refusé la récompense d’un million de dollars, offerte par un mécène à celui qui résoudrait ce problème. Les mathématiques sont un monde à part, un univers où les illuminés sont rois. Pour ma part, si j’étais humaine, je ne sacrifierais pas douze mois de ma vie à vérifier la démonstration d’un théorème qu’on savait juste depuis trois siècles.
– Le débat est clos, décrète Hervé Liers. Nous allons si vous le voulez bien poursuivre cette cérémonie.
Pourtant, il semble gêné, peu sûr de lui. Deux gardes de sécurité ont fait leur apparition et encadrent le contestataire.
– Tu ne l’emporteras pas au paradis, hurle Benjamin.
– Calmez-vous ou sortez, ordonne Philippe d’un ton sec.
Le normalien maugrée avant de hausser les épaules et de se tenir coi. Hervé Liers reprend le fil de son discours, mais le cœur n’y est plus. Il bâcle l’éloge de Christophe. Celui-ci bredouille quelques remerciements à ses professeurs, à son directeur de thèse et à ses parents. On remet au lauréat un chèque géant ; je m’approche dans les bras de Maman et un photographe immortalise la scène réunissant la mascotte du salon des mathématiques portée par sa mère, le vainqueur 2020 du prix Gödel serrant sa récompense contre sa poitrine, le détenteur du prix Abel et l’organisateur de cette manifestation. Le cliché pris, le lauréat plie sans façon son chèque en huit avant de le glisser dans sa poche. Quelle désinvolture !
À l’invitation de Philippe, la foule se rue sur le buffet. Maman me dépose sur le sol, en me demandant de faire attention et de ne pas trop m’éloigner. Par curiosité, je m’attache aux pas d’Hervé Liers ; il paraît si préoccupé que Philippe s’approche de lui en souriant et essaye de lui remonter le moral :
– Détends-toi, cher ami ! Tu es trop crispé. Veux-tu que j’aille te chercher une flûte de champagne ? À moins que tu ne préfères un jus d’orange ?
– J’espère que nous ne serons pas désavoués, grommelle son collègue.
– Que passe-t-il ? Aurais-tu à nouveau des doutes ?
– Oui, à la réflexion, je me demande si le passage à la limite du paragraphe cinq est vraiment justifié.
– Attends ! Tu m’as assuré que oui !
– Depuis, mon inconscient a travaillé en arrière-plan, j’ai un contre-exemple à étudier.
Philippe pâlit.
– Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé tout à l’heure. Nous aurions retardé la remise du prix Gödel, expliqué qu’il fallait procéder à de nouvelles vérifications. Là, tu nous mets dans le pétrin.
– Écoute, à première vue le contre-exemple auquel je pense ne marche pas. Seulement, je dois poser mes équations dans le calme de mon laboratoire pour m’en assurer. Mais ne t’inquiète pas. Il y a quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance pour que la thèse de Coiffeur soit correcte.
– Quand même ! Tu aurais dû nous faire part de tes réticences immédiatement !
– Navré, cette idée ne m’a effleuré que lorsque Benjamin Leurs a parlé du théorème de Fermat. Il était déjà trop tard !
– Nous sommes dans la mouise, grommelle Philippe. Combien de temps dureront tes vérifications ?
– Je l’ignore ! Une heure, une semaine, voire plus. Je ne veux plus prendre de risques. Mon avis devra être définitif et sans ambiguïté.
– En effet, ne te précipite surtout pas.
– Mon passage à la limite est justifié, les interrompt Christophe Coiffeur.
– Eh bien si votre argumentation est correcte, vous n’avez rien à craindre, rétorque Philippe.
– La probabilité que tu aies tort est infime, le rassure Hervé.
Le jeune homme s’éloigne en marmonnant. Je décide de le suivre pour le surveiller. Il fend la foule et se dirige vers le buffet. Il saisit deux coupes de champagne avant de s’extraire de la horde des invités, grimaçant un sourire à ceux qui le félicitent. Il regarde tout autour de lui avant de repérer Benjamin qui boude dans un coin. Il s’approche de lui et lui tend une des flûtes.
– Sans rancune, Benjy ?
– Laisse-moi tranquille ! Tu sais bien que je ne bois jamais d’alcool ! Et même si j’en consommais, je ne trinquerais pas avec toi.
– Pour ma part, je ne t’en veux pas.
– Parce qu’en plus je serais fautif ?
– Tu m’as traité de faussaire, je te rappelle !
– J’ajouterais un autre qualificatif si tu insistes : escroc.
– Eh bien, moi. Je bois à ta santé.
Il avale le contenu d’une des deux flûtes tout en narguant son camarade du regard. Mais son expression se fige et il s’écroule sur le sol, pris de convulsions, sa jambe droite repliée sous lui. Une femme crie dans la salle :
– Vite ! Le lauréat vient d’avoir une crise cardiaque.
On s’empresse autour du malheureux. Je m’écarte pour ne pas gêner les secours. Un homme barbu, sans doute, un médecin, s’agenouille, prend le pouls de Christophe, essaye un massage cardiaque. Mais il n’insiste pas et se relève :
– Il est mort, annonce-t-il.
Philippe et Hervé accourent, catastrophés.
– Que lui est-il arrivé, docteur Mysers ? Il a fait un infarctus, un AVC ? demande Hervé.
– Non ! Au vu des symptômes, il a été empoisonné au cyanure.
– Vous plaisantez ?
– Hélas non !
– Que personne ne sorte, ordonne Philippe aux agents de sécurité qui viennent demander des instructions. Et que quelqu’un appelle la police.
Une jeune fille rousse vêtue d’une longue robe verte se précipite sur le cadavre et le couvre de baisers avant que Hervé et le médecin n’arrive à la relever et à l’écarter du mort. À peine libérée de l’emprise du docteur Myers, elle se jette alors sur Benjamin et lui martèle théâtralement la poitrine de petits coups de poing rageurs.
– Il l’a tué ! hurle-t-elle en proie à une crise de fureur. Il n’a pas supporté que je lui préfère Christophe et que ce dernier lui souffle le prix Gödel. Nous étions très amoureux l’un de l’autre, nous parlions même de nous marier, il l’a assassiné !
– Sophie, je vous en prie, tente de la calmer Hervé Liers en l’éloignant de Benjamin. Rien n’indique pour l’instant qu’il ne soit coupable.
– C’est une de tes disciples ? demande Philippe.
– Pas du tout. Elle s’appelle Sophie Blanchard. Elle est étudiante en master de sociologie, elle m’a sollicité pour enquêter sur l’origine sociale des étudiants de Normale Sup dans le cadre de son mémoire de fin d’études. Je n’ai vu aucune objection et je lui ai donné mon autorisation.
– Était-elle la petite amie de Christophe ?
– Aucune idée ! Je ne m’intéresse absolument pas aux amourettes des élèves.
Hum. Un point me tracasse. Mais comment faire passer cette information aux humains ?
– C’est sûrement Benjamin l’assassin, éructe Sophie. Il a volé le cyanure dans le laboratoire de l’école normale. Des étudiants ont affirmé qu’en dérober dans l’armoire contenant les produits dangereux était un jeu d’enfant.
Philippe s’étonne :
– De quoi parlez-vous ?
– Lors une soirée à laquelle ils m’ont conviée, ils ont discuté de la meilleure façon de commettre un crime. Ils ont alors parlé de ce poison.
– Qui étaient présents ? Des normaliens ? Christophe ? Benjamin ?
– Oui les deux étaient là : nous nous étions tous réunis dans les caves de la rue d’Ulm, pour l’ambiance.
– Coiffeur s’est enivré, précise le suspect. Et c’est à cette occasion qu’il m’a avoué que son mémoire était truqué. Il ne supportait pas l’alcool. Moi non plus, mais je m’abstiens de boire.
– Vos camarades ont vraiment évoqué les moyens de se procurer du cyanure ? interroge Philippe, perplexe.
– Oui, marmonne Benjamin. Comme un des thésards en mathématiques se montrait incrédule, l’un des physiciens lui a donné le numéro permettant d’ouvrir le cadenas protégeant le cyanure.
– Ils sont inconscients ! proteste le docteur Myers.
– Ils sont jeunes, les défend Liers. Ils n’ont pas pensé à mal.
– Hervé, sais-tu si depuis le code a été changé ? demande Philippe.
– Je l’ignore. Mes collègues du département physique ne m’en ont pas parlé, mais ils n’avaient aucune raison de le faire. Néanmoins, si tu veux mon avis, aucun normalien ne s’est vanté d’avoir enfreint les règles de sécurité. En plus, beaucoup de nos étudiants en chimie ont besoin de ces réactifs dans le cadre de leurs études. Aussi, si on a modifié la combinaison les protégeant, elle n’est pas restée secrète très longtemps.
– Le laxisme qui semble régner à l’école normale de la rue d’Ulm est inquiétant, monsieur Liers, constate le docteur Myers. Il n’est guère étonnant dans ces conditions qu’un tel drame se soit produit.
– Je vous répète que c’est Christophe le meurtrier, hurle Sophie.
– Arrête de beugler des âneries, marmonne le suspect. Je n’y suis absolument pour rien ! Il y a plus de chances que ce soit toi la criminelle plutôt que moi.
Philippe le réprimande :
– Ne cherchez pas à détourner les soupçons ! Elle était la petite amie de Christophe.
– Sa fiancée, hoquète Sophie.
– Dans ses rêves uniquement ! Il ne voulait surtout pas d’elle.
Notre client se tourne vers Hervé.
– Hervé, as-tu des informations à ce sujet ?
– Je t’ai déjà dit que je ne m’intéresse pas à ces histoires de cœur. Attends, je vais m’adresser à une spécialiste qui est au courant de tous les potins de l’école.
Hervé ! Rappelez-vous du discours de remerciement. Il est significatif. Liers interpelle une jeune femme vêtue d’une parka d’hiver verte, alors que nous sommes en juin et que le soleil brille.
– Anna, éclairez notre lanterne. Qui est amoureux de qui ?
La fille semble embarrassée.
– Je n’aime pas dire du mal des gens.
– Les circonstances sont trop graves, Anna. Allez-y !
– Sophie a tendance à affabuler.
– Donc selon vous, Christophe n’était pas amoureux d’elle.
Bien sûr, sinon il aurait remercié sa fiancée pour son aide au moment de recevoir son prix puisqu’il a parlé de ses parents. Si vraiment ils allaient se marier, il ne l’aurait certainement pas oubliée.
– Au départ, il a bien essayé de la draguer, mais il s’est vite aperçu qu’elle était folle à lier, une vraie malade.
Quelle hargne pour quelqu’un qui prétend ne pas médire des autres ! Sophie gifle Anna.
– Salope, faux jeton, l’insulte-t-elle
On s’empresse autour des deux filles pour les séparer.
– Étiez-vous présente lors de la soirée dans la cave, Anna ? demande Philippe.
– Oui, bien sûr. Tous les normaliens étaient là !
– Comment en est-on arrivé à parler du cyanure ?
– Nous participions à un jeu sur le thème : comment éliminer sans violence un de nos ennemis. Chacun proposait sa solution à tour de rôle. Par la suite, nous avons voté pour la meilleure méthode et choisi l’irradiation avec une minuscule bille d’uranium 238 déposée dans la voiture de la victime potentielle
– Quelle idée de jeu tordue, maugrée Hervé. Vous n’auriez pas pu faire une partie de Trivial Pursuit comme les gens normaux ?
– Nous voulions nous amuser !
– Sophie ou Benjamin ont-ils marqué de l’intérêt pour le cyanure ? s’enquiert Philippe.
– Je ne sais pas !
– Vous avez affirmé que mademoiselle Blanchard était folle à lier, je vous cite. Au point de commettre un crime ?
– En fait, elle est mythomane. Au début, nous la croyons mais au fil du temps nous avons eu des doutes tellement ses mensonges devenaient de plus en plus gros.
Elle se tourne vers Hervé :
– Savez-vous monsieur Liers, que contrairement à ce qu’elle a prétendu, elle n’est pas inscrite en master de sociologie à la Sorbonne ?
Le mathématicien pâlit :
– Comment cela ?
– Elle a abandonné ses études juste après le bac.
– Mais pourquoi voulait-elle faire cette enquête sur l’origine sociale des normaliens si celle-ci n’entrait pas dans le cadre de son diplôme ?
– Elle cherchait un prétexte lui permettant de s’introduire dans l’établissement de la rue d’Ulm, pour connaître de nouvelles personnes. Je suppose qu’ailleurs elle est grillée.
– L’aviez-vous démasquée depuis longtemps ? interroge Hervé
– Il ne nous a fallu qu’un mois pour cela.
– Pourquoi personne ne m’a jamais rien dit ? gémit Liers.
– Elle ne fait rien de mal et elle est amusante dans son genre. Nous nous demandons toujours ce qu’elle va inventer. Nous faisons même des paris sur le contenu des prochaines histoires qu’elle va nous débiter. Nous avons créé la Banchardoliphie, la science consacrée à l’étude de Sophie Blanchard.
Bref, elle a l’esprit un peu dérangé, mais elle est à sa place parmi les normaliens, si on en croit toutes ces biographies de mathématiciens
– Anna, Sophie a-t-elle pu empoisonner Coiffeur ? Par dépit amoureux ou pour toute autre raison.
– Sincèrement je l’ignore ; en revanche je ne m’étonne pas qu’elle ait prétendu être fiancée à Christophe. Elle aime ramener la lumière sur elle en toutes circonstances.
– N’écoutez pas cette garce ! éructe Sophie qui a retrouvé un peu d’aplomb. Elle ne cherche qu’à me faire porter le chapeau alors que vous tenez le coupable : Benjamin.
– Il a un mobile en effet : si on écarte la rivalité amoureuse qui semble hypothétique, il reste le prix Gödel ! admet Phillipe
Le visage du normalien s’empourpre.
– N’importe quoi. Je ne l’ai pas tué.
– J’aurais tendance à croire ses dénégations, remarque Hervé. Être coiffé au poteau n’est pas un motif suffisant pour commettre un meurtre.
Chez les humains peut-être, mais les mathématiciens sont si particuliers. Philippe hoche la tête :
– Si on s’en tient à la seule logique aucun crime n’a été perpétré. Pourtant, nous avons un cadavre sur les bras et l’assassin est probablement un normalien.
– J’allais étudier à fond sa thèse, hurle Benjamin. J’aurais trouvé sa satanée faille, dussé-je y passer le reste de ma vie. J’aurais ruiné sa réputation. Pourquoi l’aurais-je empoisonné puisque j’avais un moyen plus sûr de lui nuire ?
– Cette remarque est juste s’il vous a vraiment avoué que son mémoire est erroné, reconnaît Philippe. Dans ce cas, le tuer n’était pas pour vous l’option privilégiée.
Il se retourne vers Anna.
– Mademoiselle, connaissez-vous des ennemis à votre camarade ?
– Au point de vouloir sa peau ? Aucun.
– Étiez-vous liée à lui ?
– Non ! Christophe était un grand solitaire.
Une idée me traverse l’esprit et comme à chaque fois que j’en ai une qui pourrait orienter une enquête dans le bon sens, j’essaye de l’imprimer par télépathie dans le cerveau de ma mère. Je me concentre pour donner plus de force à mon signal.
– Anna, intervient Agathe, Christophe aurait-il pu nouer une relation sentimentale sans que vous en soyez informée ?
Youpi ! J’ai réussi à influencer Maman. Ou alors, elle a pensé la même chose que moi ; les grands esprits, paraît-il, se rencontrent ! Il fallait poser cette question puisque dans trois cas sur quatre, l’amour est à l’origine des crimes.
– S’il avait une copine dans l’établissement, je m’en serais immanquablement aperçue. Maintenant, il fréquentait peut-être une fille à l’extérieur de l’école. Encore une fois je n’étais pas intime avec lui.
– Selon vos dires, il aurait essayé de draguer Sophie.
– Tout à fait ! Pour cette raison, je serais étonnée d’apprendre qu’il avait une petite amie.
– A-t-il rapidement renoncé à la séduire ?
– Moins vite que les autres, mais quand il a compris la vraie nature de cette malade, il a fui à son tour. Elle a beau être mignonne, elle est tarée.
– Arrête de m’insulter, s’insurge la fausse étudiante en sociologie.

Nous entendons un brouhaha. Une demi-douzaine d’agents en uniformes bleus escortant deux civils arborant un brassard rouge où est écrit Police arrivent enfin sur le lieu du crime. L’un des nouveaux venus porte une sacoche de plastique noir. Philippe résume la situation. Il laisse la parole au docteur Myers pour qu’il fasse un court compte-rendu de ses constatations médicales ; le praticien réaffirme sa certitude d’avoir affaire à un empoisonnement au cyanure.
– Le produit a dû être ajouté dans la flûte de champagne, conclut-il. Il a agi dès qu’il a été ingéré.
– Qui lui a donné le verre ? s’enquiert l’inspecteur. Quelqu’un le sait ?
Diantre ! Je m’en veux ! J’aurais dû songer à cette piste tant elle était évidente. La détective Jasmine Catou vient de commettre une grave erreur de méthodologie. Je connais la réponse à la question du policier, car j’ai suivi Christophe, mais je suis bien entendu incapable de témoigner, puisque je ne sais que miauler et non parler. Heureusement, une jeune femme dont les cheveux sont recouverts par un turban vert lève la main.
– Je l’ai félicité alors qu’il était au buffet, explique-t-elle. À mon avis, il a choisi ses coupes au hasard.
– Donc si le cyanure avait déjà été versé dans le verre avant qu’il ne le prenne, le défunt n’était pas particulièrement visé. Il a été empoisonné par hasard.
Philippe se décompose.
– Si cette hypothèse est juste, quelqu’un voulait saboter le salon des mathématiques ! Mais pour quelle raison le ferait-il ?
Hum ! Un ancien élève qui aurait souffert toute sa scolarité dans cette matière et développé une haine tenace au point de se venger ? Absurde.
– Aurions-nous affaire à un maniaque, propose Maman, comme celui qui, il y a quelques années en Australie a empoisonné des paquets de céréales qu’il a replacés ensuite dans les rayons d’un supermarché.
– Je crois qu’en fait c’était en Allemagne, complète l’inspecteur. Et si je me souviens bien, on était en présence non d’un fou, mais d’un maître chanteur cynique. Il exigeait que la chaîne alimentaire où il sévissait lui verse une rançon.
– Je n’ai reçu aucune menace et personne ne m’a réclamé d’argent, assure Philippe.
– J’interrogerai le traiteur et le propriétaire de cette salle. Eux aussi pourraient avoir fait l’objet d’un chantage. Cependant, selon l’hypothèse la plus probable, la victime a croisé son empoisonneur entre le buffet et l’endroit où elle est morte. Quelqu’un aurait-il remarqué quelque chose ?
J’essaye de rassembler mes souvenirs : Christophe a fendu la foule compacte des invités. Moi-même en dépit de ma petite taille, j’avais du mal à me faufiler dans la forêt de jambes. Le chercheur a été à de nombreuses reprises abordé par des admirateurs qui tenaient à le féliciter pour ses travaux ; un potentiel assassin a donc pu se glisser à côté de lui et verser la poudre mortelle dans sa coupe sans que je m’en aperçoive. En réponse à la question de l’inspecteur, plusieurs témoins décrivent la cohue pour accéder aux boissons.
– Bref, tout ou le monde ou presque est suspect, conclut l’enquêteur pensif.
– C’est Benjamin le coupable, hurle Sophie Blanchard.
Le policier fronce les sourcils :
– Madame ?
Philippe s’empresse de faire les présentations avant de résumer la discussion qui a précédé l’arrivée des policiers, le prix Gödel et le débat sur la validité de la thèse de la victime. L’inspecteur se tourne vers son collègue en civil qui porte la sacoche de cuir.
– Ali, de quelle quantité de réactif alcalin pour cyanure disposes-tu dans ta sacoche ?
– J’en ai peu Marc, mais j’ai amené un spectrogramme de masse de poche. Je vais le régler sur le cyanure d’hydrogène ; cela me permettra de déceler ce produit même s’il est à l’état de traces. En cas de doute, je testerai immédiatement le dépôt suspect avec le réactif.
– Ok ! Mesdames, messieurs, pour éviter de vous retenir trop longtemps nous allons procéder à une première vérification ; nous cherchons à déterminer si l’un d’entre vous a été en contact avec le poison.
L’idéal aurait été sans doute de saisir les habits de tous les invités et de les analyser en laboratoire, mais c’est évidemment impossible. Les visiteurs du salon ne vont pas rentrer tout nus chez eux.
J’aurai bien une piste à explorer, mais je vais attendre un peu avant d’orienter les recherches ; si les policiers n’y pensent pas, j’essaierais d’attirer leur attention sur ce point. Les agents font ouvrir les sacs à main et explorent les poches des invités à la recherche de traces de poudre suspecte. Ali promène partout son spectrogramme de masse, mais les participants sont trop nombreux : si l’assassin se trouve parmi eux, il risque d’échapper aux recherches.
Au bout de deux heures d’efforts, tout le monde y compris Agathe, Hervé et Philippe a été fouillé et les forces de l’ordre ont récolté les noms, les adresses et un premier témoignage de chacun des visiteurs du salon. Évidemment, aucun indice probant n’a été recueilli.
– Nous allons pouvoir libérer le public, décide Marc.
– Vous ne testez pas les suspects, Sophie Blanchard ou Benjamin Leurs ? demande Philippe.
– Ne vous inquiétez pas : les vêtements qu’ils portent actuellement seront examinés par la suite au microscope électronique, le rassure l’inspecteur. Néanmoins, nous allons procéder à un premier contrôle.
Une policière palpe soigneusement la fausse étudiante en sociologie, tandis qu’Ali étudie le revers de ses poches. Rien ! Il est de même pour le normalien quand ce dernier est mis à son tour sur le gril. Marc semble perplexe.
– À mon avis cette enquête sera complexe à élucider, marmonne-t-il.
– Avons-nous affaire à un terroriste ? s’inquiète Philippe. Ou à un fou qui tue au hasard ?
Pour ma part, j’envisage une autre solution. Mais encore une fois je ne sais pas comment mettre les humains qui m’entourent sur cette piste. J’essaye dans un premier temps la télépathie avant de renoncer devant le manque de résultats. Je me place juste à côté du cadavre qu’on n’a pas encore emmené. Il ne sera déplacé que lorsque tous les visiteurs seront partis et que la police scientifique aura fini ses investigations. Je me mets à miauler le plus fort que je peux. Si j’étais un chien, on dirait que je hurle à mort.
– Agathe, votre chatte devient insupportable. Remettez-la dans son panier, ordonne Philippe.
Maman se penche vers moi et me saisit.
– Je ne sais pas ce qui lui a pris, marmonne-t-elle sur un ton embarrassé.
Lorsqu’elle se relève, elle comprend soudain où je voulais en venir.
– Il faut tester Christophe à son tour.
– Cela n’aurait aucun intérêt, voyons, la morigène l’organisateur du salon.
– Et s’il s’était suicidé ? insiste ma mère.
– Pourquoi aurait-il mis fin à ses jours ? demande Hervé.
– Sa thèse est fausse et son argumentation a bien une faille. Vous alliez immanquablement le démasquer ! Il n’aurait pas supporté ce qu’il prenait pour un déshonneur. Il s’est empoisonné à côté de Benjamin pour le faire accuser.
Très bien Maman ! Je n’aurais pas mieux expliqué ses mobiles si je savais parler.
– Votre raisonnement se tient, reconnaît Hervé.
Je suis flattée et prends ce compliment pour moi ; il est d’autant plus important qu’il vient d’un mathématicien renommé pour son sens de la logique.
– Ali étudie les habits du mort ! décide Marc.
Son adjoint s’empresse délicatement auprès du cadavre et retourne les doublures de ses vêtements. Quand il passe son spectrogramme de masse portatif sur la poche droite de son pantalon, il grésille. Le policier verse une goutte d’un liquide verdâtre sur le tissu. Une tâche brunâtre apparaît. Ali se relève.
– Ne cherchons plus : le défunt a transporté le cyanure dans son jean.
– Il s’est donc suicidé, conclut ma mère.
– L’enquête va se poursuivre dans toutes les directions, confirme Marc, mais a priori la mort volontaire sera la piste privilégiée.
Maman me soulève en direction du plafond.
– Jasmine Catou, encore une fois, tu as vu juste.
Hervé fait la moue :
– Attendez ! Vous ne pensez quand même pas qu’elle avait percé à jour ce pauvre Christophe !
– Bien sûr que si.
– N’importe quoi, marmonne le lauréat du prix Abel. Elle n’est qu’une chatte.
Non M. Liers je ne suis pas une minette ordinaire, je suis l’égérie du salon des mathématiques. Et je lui ai fait honneur en faisant preuve de logique : ni Sophie ni Benjamin ne semblaient coupables, la thèse d’un terroriste était invraisemblable, aussi il ne restait qu’une alternative : le suicide. Ai-je droit à un prix pour avoir si bien raisonné ?

Les Editions des Coussinets et Jasmine Catou la chatte héroïne de roman invitées sur Radio Notre Dame

Réécoutez l’émission « En quête de sens » de Marie-Ange de Montesquieu sur Radio Notre Dame avec comme invités les éditions des Coussinets représentées par Dominique Beudin qui les a fondées et Jasmine Catou, l’héroïne des romans de Christian de Moliner : https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/27-02-2020/

27 février 2020 : Spécial Salon de l’agriculture – Ce que les animaux ont à nous dire ?

Dominique Beudin, grande amoureuse des chats, qui a eu l’idée de consacrer un livre, « Tous les chats de ma vie », à ses félins successifs et de créer une maison d’édition permettant à tous ceux qui veulent immortaliser le souvenir de leurs compagnons félins ou canins de partager leur témoignage. C’est l’objectif des Editions des Coussinets.

Brigitte Gothière, directrice de l’association L214, association de protection animale œuvrant pour une pleine reconnaissance de la sensibilité des animaux.

Dr Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste

Guilaine Depis accompagnée de son chat Jasmine

 

« Un recueil drôle, enlevé et qui donne envie d’une chatte pour fusionner d’amour »

Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou

La chatte détective parisienne revient ! En trois nouvelles qui sont autant d’aventures. Sa maîtresse Agathe, attachée de presse du quartier littéraire de Saint-Germain-des-Prés, subit des avanies de la part d’auteurs novices qui se croient goncourables, d’anciens amants vexés qui veulent lui faire payer, ou de salonards qui ont peur de ne pas rentrer dans leurs frais bien plus gros que leur ventre.

Il s’agit toujours d’escroqueries, habilement résolues par la chatte Jasmine qui sait observer. Elle se présente en trois-couleurs aux yeux verts, ne parle pas mais s’exprime, écoute surtout sa maîtresse pipelette qui commente tout à Armelle, son amie d’immeuble. Parfois vigoureusement, d’un saut ou d’un coup de griffe ; parfois langoureusement, en miaulements modulés. Aucun mort cette fois-ci, contrairement au premier tome, Les enquêtes de Jasmine Catou, mais des intrigues psychologiques au quotidien d’une attachée. Le salon du Chat de Paris est un morceau d’humour tandis qu’un certain « Philippe » Pieters est reconnaissable aux initiés.

Le jeu des portraits occupe ceux qui connaissent et la chatte et sa maitresse dans leur environnement. « Emmanuel » est l’amant souvent au loin pour faire fortune, « Auguste » un blogueur mosaïque qui publie une chronique par jour et parfois au vitriol ou demande parfois des interviews aux auteurs, Isabelle de la « Volta » une attachée concurrente imbue de sa personne, PAVE (Pier-André von Eibers) une célébrité sulfureuse décatie par la vieillesse mais don juan en ses jeunes années…

Saint-Germain bruit d’intrigues, au grand dam de Jasmine qui n’aime rien tant que se lover sous la couette, tranquille chez elle avec sa « mère ». Le recueil est drôle, enlevé et donne envie d’une chatte pour fusionner d’amour.

Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou, 2019, éditions du Val, 97 pages, €6.00 e-book Kindle €4.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Le premier tome Les enquêtes de Jasmine Catou est chroniqué sur ce blog sous le titre de Jasmine Catou détective

Une interview de l’auteur sur un auguste blog

Et Jasmine Catou la chatte a sa page Facebook !