Vernissage Françoise Gilot, jeudi 28 mai, dès 18h30, 35 rue Jacob

 RYTHMES DYNAMIQUES

 

Le mouvement c’est la vie, l’univers ne tient pas en place. Des atomes aux systèmes stellaires, tout bouge, tout palpite, tout transite, se déroule, se replie, ondoie, s’étend, rayonne, se multiplie, se sépare, se rencogne, se démarque, augmente, diminue, tout prend part à la grande danse cosmique où la seule chose permanente est le changement.

Le mouvement se traduit par des courbes dynamiques convexes ou concaves à modules variés qui se reçoivent, se repoussent ou servent à formuler des arabesques étranges. Les lignes droites sont agissantes à condition de n’etre pas horizontales, image du repos absolu. Les verticales montent ou descendent alors que les diagonales sont comme des flèches ou des vecteurs actifs, et l’agitation culmine avec les lignes en zig-zag qui sillonnent la toile, tel l’éclair avant les fracas du tonnerre, ou les obliques divergentes qui rappellent le rayonnement du soleil.

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Françoise GILOT

 

 

  Françoise Gilot, l’une des artistes importantes de la seconde moitié du vingtième siècle, a montré ses œuvres pendant plus de cinquante ans dans les centres artistiques majeurs d’Europe et d’Amérique du Nord.

 

Elle demeure une figure maîtresse dans le monde de l’art, créant le lien idéal entre l’Ecole de Paris des années quarante et cinquante, et la scène artistique contemporaine des Etats-Unis.

De nombreux musées et collections privées, d’Europe et du Nouveau Monde, possèdent ses peintures, dessins, monotypes et estampes originales.

 

Elle est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages ; le plus connu étant Vivre avec Picasso- édition Calmann-Levy(1965), The Fugitive Eye (1976), Le Regard et Son Masque – édition Calmann-Levy (1983), Françoise Gilot :Trajectoire du Peintre (1987), et Matisse et Picasso, une amitié – édition Laffont (1990)

 

Née et élevée à Paris, aujourd’hui citoyenne américaine, Fran
çoise Gilot est Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres (1988), Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur (1990) et Officier de l’Ordre National du Mérite (1996). Elle a été élue par ses pairs à la National Academy of Design, à New York.

 

Antoinette Fouque écrit sur l’oeuvre de Françoise Gilot

Texte recopié du catalogue des trente ans des Editions des femmes :
francoise_gilot.jpgFrançoise Gilot
Anamorphoses, 15 juin / 31 juillet 1986
La Porte rouge, huile sur toile, 73×59 cm, 1982
 
… Ou la prégnance du regard
 
Texte d’Antoinette Fouque pour le catalogue de l’exposition Anamorphoses de Françoise Gilot, à la Galerie des femmes, en juin 1986 (repris dans Mémoires de femmes 1974 – 2004)
 
Rencontrer une femme ? Aventure difficile dans une civilisation en malaise, ravagée par l’épidémie féministe. Femme : espèce en voie de disparition, transformée en fossile vivant avant d’avoir pu exister.
N’être femme à Marseille et rencontrer, à San Diego, à l’extrême Occident, un demi-siècle après, une « soeur océane », c’est affaire de destin, plutôt que de hasard. Il y aura fallu la guidance poétique et l’endurance femelle ; il y aura fallu cette lente remontée de la mer prostituée jusqu’aux eaux pacifiques, d’un port à l’autre, à de la naissance à la maturité, du passé au futur, anabase et exil.
Ici, là-bas, en Californie, en France, on m’avait tout dit sur Françoise Gilot : sur presque dix années de vie partagée avec Picasso, le géant du vingtième siècle, elle sortant à peine de l’adolescence et lui entrant dans son grand âge ; leurs deux enfants, Claude et Paloma ; et puis Aurélia, plus tard avec un autre ; on m’avait dit qu’elle écrivait des livres (biographies, théorie, poésie), qu’elle était peintre ; qu’elle était aujourd’hui la femme du Docteur Salk, le génial inventeur du vaccin contre la poliomyélite. On remarquait qu’elle ne devait pas être quelqu’un d’ordinaire pour avoir été aimée par des hommes aussi éminents (la gloire de Lou Andreas-Salomé en pâtit encore). On m’avait tout dit, mais rien d’essentiel.
 
picasso_francoise_gilot.jpgD’abord, il y a vos yeux. C’est le premier contact. Tous mes poètes aux mots fertiles répondent à l’appel. « Il viendra un être au regard si vrai que le réel le suivra. » Prégnance du regard : les yeux d’algue et d’guître, bleue et verte, les yeux du commencement du vivant, les yeux de l’océan et de l’huître. Ils nous regardent, au-dehors, au-dedans. L’une et l’autre veillent sur le mouvement, sur les mutations laborieuses. La femme intérieure remonte lentement : « female », « artist-woman », toute en couleurs (même quand vous êtes en blanc). Ici les gens disent que le français est la langue de l’océan. Et si la langue anglaise, plus na(t)ive, était celle des femmes ?
Alors, il y aura plusieurs entretiens, timides, de part et d’autre, comme de juste. Mais, à l’essentiel, vous allez droit. La quintessence, le cinquième élément, pour le peintre, c’est la couleur, pour la femme, c’est le vivant. Pour les deux en une, ce sera la peinture.
Vous me racontez l’enfance. La petite fille et sa peinture, des jumelles. Elle vous est née avec vous, la peinture comme nature. Vous l’avez toujours sue, depuis le « vortex d’abeilles » (dans le midi on dit « avoir des abeilles » pour exprimer un certain état d’excitation : ni le bourdon, ni le cafard, mais une sorte de vertige enthousiaste).
Vous me racontez les voyelles, a, i, o, l’autre et vous, et l’entre-elles. Et i, a, o – a, o – o, a – fortda – ici-là et l’o dans l’a, l’o du nom, aquarelle. Les consonnes F, G, la sixième et la septième, les sept couleurs de l’arc-en-ciel ; F, G, fille et garçon. Vous jouez avec vos deux genres mais vous ne les confondez pas. Vous créez avec un seul sexe, multiple, hétérogène, complémentaire. C’est toute la différence. Votre « porte rouge » est naturellement bordée de vert. Il s’agit là bien sûr du « naturel en peinture ».
Vous me dites comment vous concevez avec vos deux yeux, à contre-perspective, sans diplopie, sans obsession, par plans ; vous l’avez appris en direct de votre vieil ami Matisse.
francois-gilot-picasso.jpgVous peignez avec vos deux mains, de la gauche, au couteau, de la droite, au pinceau (toutes les techniques vous viennent comme autant de langues fluantes), vos deux mains se touchant dans la chir du tableau. Vous vivez avec vos deux cerveaux, le gauche pour la rigueur, pour le sens (vous refusez le système pour mieux construire la théorie), le droit pour l’intuition, l’anticipation symbolique.
A La Jolla, dans l’enceinte de l’atelier de Françoise Gilot, j’ai vu une centaine de toiles, une infime partie de son oeuvre seulement. Question de lieu, question de temps. Dix heures par jour, en moyenne, d’un travail acharné, sur plusieurs décades. La peinture ininterrompue, abondante, multiple. Travail du lieu, travail du temps. Le lieu y enlace le temps. Le corps antérieur, la chair précoce de l’artiste, plutôt que sa mémoire, s’y exerce, dans une langue de silence, par séries. Le lieu est clos, pour s’ouvrir au-dedans : s’y enfermer, s’y recueillir, s’y concentrer, s’y inspirer presque jusqu’à l’asphyxie (Goya aussi), la gorge serrée à s’en rompre les cordes vocales, le souffle retenu dans le vortex intérieur, ce tourbillon creux et fluide suscité autrefois par l’absence de la mère, Artémis à l’oeil meurtrier, chasseresse d’oiseaux migrateurs.
Le vertige en abîme s’est converti, une fois l’angoisse domptée, en motions, en couleurs, en réserves de passions propres à la faire revenir, autre, la mère, à la faire advenir femme. La passion de la réserve, parfois portée comme un masque de timidité, s’éclate, debout, à la force du geste et relaie le temps en durée de gestation. Elle fait venir la nouvelle née, fille ou amante, tierce peinte, entre elle et la toile : c’est une excorporation, par la transparence profonde des aquarelles bleu sombre, vert liquide, par la précision incisive des lignes acrobates, par la flamboyance des huiles cadrées, recadrées, cernées, construites en villes orientales.
francoisegilot.jpgLa vie dans les yeux, la peintre touche son horizon intérieur, se remet en face des choses, les atteint et les transmet de les atteindre plutôt que de les représenter. Instase. Descendre au lieu inné, en soi, où l’autre se désaltère, et faire naître. S’éloigner de plus d’une mort ; faire vivre plus d’une vie par cet affort d’amour. La peinture est un acte, un fait qui me réveille, me touche à l’intouchable ; l’élément chair aussi a ses rêveries de labeur. Relation d’être à être, en écho, sans miroir, de pensant-vivant.
Instance de la couleur. L’un désirait parfois « se montrer jusqu’au rouge ». Françoise Gilot porte au bleu l’espérance, ouverte sur la vie. On s’éloigne des portes de l’enfer, on s’éloigne des portes du paradis, des portes de l’exil ouvertes sur les sables, des portes désespérées de la comédie divine, de la corrida domestique, de l’idée fixe, de l’obsession du temps, de la phobie du vivant, de la scène à répétition, de la résistance stérile, de l’Art considéré comme un assassinat, du culte du moi-moi, de la sublimation du Divin, du Pouvoir.
Les yeux vivants touchent le ciel. Le corps sensible, intime, monte jusqu’aux étoiles
. Une femme offre en écho chiasmé, visible, l’invisible. Elle en oublie l’oubli, une certaine indifférence. Pas de Dieu incréé et donc pas d’incréable. Son art originaire (Urkunst ?) appelle l’expansion. Elle anticipe la réminiscence d’une communauté symbolisante. Celle qui voit et celle qui regarde, deux, plusieurs femmes, ont désormais même inconscient, prégnant, agile comme un corps subtil, mouvant comme un bonheur océan. C’est faire oeuvre d’analyste. C’est du même coup démasquer « le travail du rêve », comme pâle contrefaçon, du travail de tout l’être : corps et sens, sexe, coeur, jambes, poumons, cerveau, pensée, langage et conception entrelacent leurs jeux dans la lumière et l’eau de la chambre utérine. La forêt vierge ruisselle rouge sang sur la toile. La relation est cette fois de connaissance. Aucune femme ne serait plus tenue à l’envers d’elle-même, ne serait plus contrariée dans ma mère à la folie.
 
photo-Francoise-NY.jpgC’est l’accueil en ce lieu, le vôtre, de peinture, qui interrompt l’exil, notre existence en pointillés. La coleur fait reculer la psychose, les blancs à l’âme, le spleeen et l’idéal du Narcisse ; elle mobilise la joie. En elle, un peu, je me retrouve cette fois dans Paris. La pierre vire aux roulements du corps de l’autre, aux balancements matriciels. Votre « persona » a les yeux pers. Ce n’est pas un autoportrait. Vous avez mieux à faire que de vous prendre pour Dieu. Votre soleil se lève tôt, tranché de vert, deux fois troué. Votre fenêtre de femme-peintre ouvre sur une autre dimension, peut-être la quatrième quant au dessin des pulsions (après l’inhibition, la perversion, la sublimation). C’est en tous cas la dimension du mouvement, donc du vivant-pensant, pour chaque sexe.
Vous êtes de l’autre côté des avant-gardes à systèmes, des « génies » ravageurs, enragés. Votre modernité, du côté de Matisse, ouvre la tradition, pense la transmission, retient la permanence du sens, perdu/trouvé, à mettre au monde. Elle est la forme expulsée comme nouvelle, et hors d’elle-même comme autre : anamorphose. Vous la nommez « Idole enfantine », « Amour », « Lien », « Equinoxe ». Elle est forme externée, sécrétion de couleurs perlées, la remontée à soi d’une pulsion profonde, inexistante, invisible. Grosse d’affects et d’échos, vous la voulez symbole. Vous la mobilisez vers son ailleurs. Vous la placez au commencement de demain. Vous l’imaginez au présent d’une expérance. Ce n’est plus la régression progédiente et l’angoisse du créateur, mais la prégnance de l’enfante-femme d’avant le premier jour.
 
Et si toute naissance était anamorphose ?
La (pro)création serait géni(t)ale ou ne serait plus.
Alors, il faudrait saluer ici une naissance de peinture.
Antoinette Fouque, La Jolla-Paris, juin 1986

Françoise Gilot et Antoinette Fouque à La Jolla (Californie)

173x200_394633.jpgTexte recopié du catalogue des trente ans des Editions des femmes :
Au début des années 80, Antoinette Fouque passait une grande partie de l’année à La Jolla en Californie et c’est ainsi que nous nous sommes rencontrées. Sa maison était nichée tout contre le Pacifique et la mienne plus au nord en haut d’une falaise. Un dialogue s’établit et aussi une chaleureuse amitié qui s’enrichissait de la présence de Marie-Claude Grumbach et de mon mari Jonas Salk. C’est ainsi que peu à peu se dessina le projet d’une exposition d’un groupe de mes oeuvres à la Librairie-Galerie Des femmes, rue de Seine à Paris qui eut lieu au printemps 1986. L’exposition accompagnée d’un petit catalogue s’intitulait Anamorphoses et le vernissage qui réunit écrivains et peintres fut très animé.
F.G.