Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva

Choc dans « Bretagne actuelle », le livre étonnant de Dana Ziyasheva

Choc est inspiré de la vie d’un mercenaire français. Elle pourrait être au monde du mercenariat ce que Le bureau des légendes est à celui du Renseignement. Dana Ziyasheva y traite de la possibilité du mal en l’homme. Jusqu’où ?… Comment ?…  Avec qui ? … Et pourquoi ? … Déroutant !

Choc s’inspire d’une véritable histoire. Celle de François Lefebvre, 28 ans lorsqu’il se suicide après une cavale aux quatre coins du monde ; il fut un talentueux latiniste doublé d’un fervent catholique avant d’être élève officier des commandos d’élite de la DGSE, puis mercenaire dans les zones grises post-guerre froide, et enfin mis en examen pour « homicide et cannibalisme. » Mais qui était réellement François Lefebvre ?

Du roman à l’enquête 

Ce livre n’est pas seulement un roman. Plutôt une enquête nécessitant mille attentions. Le texte est saturé d’informations relatives à un monumental travail de recherches autour d’un homme dont on s’attend à ce qu’il soit un véritable psychopathe ; tant s’en faut, François Lefebvre est certes addict à la dopamine soldatesque, il n’en est pour autant pas le monstre que l’on imagine avant de découvrir sa vie qui – comme celle de tout un chacun – relève d’un point de bascule, c’est à dire d’un instant à partir duquel les choses seront différentes, sans possibilité de retour en arrière. Voilà précisément autour de quoi s’arcboute le travail de Dana Ziyasheva, lorsque la machine se met en branle pour changer notre destin à tout jamais.

Notre héros essayera de retrouver les chemins ordinaires. Sans succès. La réalité de la guerre… du combat… de l’attaque… couplée à l’inexorable montée de la violence, cette vérité-là prendra définitivement le pas sur toutes les autres, fascinante dans ce qu’elle offre de plus sombre. On pense aux soldats revenus du Vietnam ou d’Afghanistan et à leur empêchement d’oublier les nombreuses situations de guerre auxquelles ils furent confrontés. Ce qui s’est joué là-bas ne les a plus lâchés. Jamais. A commencer par les circonstances floues de certaines opérations, maintenues dans le secret des haut-commandements et de la politique.

La part des choses

Choc opère la jonction entre deux types de récits rarement accolés : d’une part, la fiction de guerre post-traumatique, dont la littérature et le cinéma américain nous abreuvent d’exemples ; de l’autre, le polar noir, guidé par quelques formes contemporaines de la fatalité que sont les déterminants inattendus, ce que l’on appelle « le facteur humain ». Ces éléments quasi mythologiques rapportent ici le paysage d’une masculinité en berne où les pères font défaut… où les frères s’égarent… et où les fils, tel François, errent seuls, essayant en vain de « faire famille » avec un entourage délétère. Reste alors la désillusion nourricière d’une des drogues les plus additives : l’adrénaline guerrière.

Après le point de bascule évoqué plus-avant, le second axe du livre révèle l’incapacité au retour dans la vie civile. Les hommes rentrés du front éprouvent souvent moult difficultés à reprendre pied dans leur « monde d’hier ». Les divorces se multiplient… Les abandons de famille… Le retour au travail est compliqué… Alors certains reprennent le chemin de la guerre : les uns leur place dans l’armée régulière, là où d’autres deviennent mercenaires. Dana Ziyasheva réussit à faire l’indispensable part des choses entre débauche et morale… entre dépravation et rachat spirituel… entre obscénité et décence…  Une narration prenante, terrifiante, surtout lorsque l’on sait que les horreurs (d’)écrites sont bel et bien réelles.

Véritable choc !

L’engagement absolu de François Lefebvre fascine. La force du récit amène le lecteur à vouloir comprendre l’impardonnable ; manière d’appréhender l’indicible en meublant l’espace vide de ce qui d’ordinaire est effacé des discours officiels. Car les livres doivent aussi – et peut-être surtout – être la recherche d’un format d’expression de ce qui ne peut se formuler oralement : le travail de l’auteur est de lutter contre les obstacles à dire l’impossibilité du réel lorsqu’il n’est pas concevable. Raconter demande un effort à tout le moins honnête. Dana Ziyasheva participe à l’exercice de cette honnêteté.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Avril 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

Choc, un livre de Dana Ziyasheva – 502 pages – 13,70€

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