Gilbert Lascault évoque l’exposition de Mâkhi Xenakis (dans La Quinzaine Littéraire, du 1er au 15 mai 2010)

La Quinzaine littéraire du 1er au 15 mai 2010

maternite.jpg Arts – Les légions des soeurs par Gilbert Lascault

Mâkhi Xenakis, Maternité (2009) ciment armé teinté, fibre de verre, fourrure, tissus.

Sans cesse, la créatrice Mâkhi Xenakis (1) travaille. Elle sculpte, elle dessine, elle écrit. Elle invente des formes inattendues. Elle propose des séries d’oeuvres. Elle imagine les légions des soeurs, leurs multitudes, les kyrielles.

 
Exposition Mâkhi Xenakis Elles nous regardent…
Espace des Femmes-Antoinette Fouque
35, rue Jacob, Paris 6ème
8 mars – 30 mai 2010 
Mâkhi Xenakis médite souvent sur le Nombre, sur la féminité plurielle, sur les corps variés, sur leur épanouissement, sur leur densité douce et tendre, sur leur puissance impassible, sur leur force impartiale, sur une souveraineté sereine.
 
Actuellement (de 2007 à 2010), Mâkhi Xenakis sculpte ces êtres féminins étranges, des fétiches occidentaux, des poupées très roses et charnelles. Ce seraient des soeurs voluptueuses, des « Elles ». Mâkhi Xenakis les considère comme « les grandes créatures » et « les petites créatures ». Certaines sont isolées. Quelques-unes se causent, dialoguent, échangent des confidences, des espoirs, des déceptions, des désors ; elles sont peut-être voisines des Causeuses de Camille Claudel. « Deux « créatures » semblent être la mère et sa fille, évidemment plus petite. D’autres « créatures » forment un groupe, une réunion.
 
Ces « créatures » sensibles, sensuelles, séduisantes, ne ressemblent peut-être pas exactement aux femmes de notre terre. Elles viennent peut-être d’un autre astre. Leur peau semble douce, mate, duveteuse, presque soyeuse. Elles n’ont nul bras, de même que Vénus de Milo. Elles n’ont nulle jambe. Elles ont des seins massifs et leurs pointes sont érigées ; elles ont une fente discrète. Elles ont deux pieds (ou deux pattes ?). Leurs cheveux sont rares, légèrement ébouriffés. Elles sont nues. Impudiques ? Je ne sais pas… Elles semblent, quand même, coquettes ; elles portent au cou un ruban de velours pourpre, de même qu’Olympia (1863) de Manet… Les « petites créatures », relativement fragiles peut-être, sont protégées par des globes de verre, comme celles que l’on voyait dans les églises et qui préservaient des reliquaires. Et les « grandes créatures » s’installent sur des coussins épais de velours… Les yeux percés et perçants de ces « créatures » nous regardent, nous observent. Elles nous surveillent. Elles ne nous oublient pas.
 
A d’autres moments, de 1997 à 2004, Mâkhi Xenakis propose des sculptures différentes. Ce sont de longues et hautes figures sveltes, elles aussi féminines. Ces figures n’ont ni bras, ni jambes, ni pieds, ni seins, ni sexe. Au départ, l’artiste moule les têtes en plâtre (avec les trous des yeux, des narines, une bouche suggérée). La tête est portée par une tige filetée (un long cou) ; puis, elle se dresse au sommet d’un corps allongé qui serait une colonne grecque. Ces figures seraient des effigies, des doubles de femmes disparues et de déesses perdues, des formes dressées, des idoles hiératiques, des verticalités. En 2004, Mâkhi Xenakis réalise ces 260 sculptures, destinées provisoirement à la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière et aux jardins de l’hôpital. Ces effigies redoutables s’intitulent, alors, « les Folles d’Enfer », qui bouleversent Mâkhi Xenakis et nous troublent (2).
 
Ce texte de Mâkhi est à la fois un poème, un roman historique de la Salpêtrière et un rassemblement des archives de l’Assistance publique de Paris. Peu à peu, nous découvrons la Salpêtrière comme un lieu de souffrances et de terreur, comme une zone de cris et de supplices, souvent une détention souvent définitive dans la promiscuité et dans la puanteur… Le 14 mai 1657, Louis XIV, le Roi-Soleil, à 19 ans, signe les décrets du grand enfermement. Ce sera la rafle à l’aube. Interviendront les archers du roi qui attrapent tout ce qui arrive : « à la Salpêtrière on prend les femmes mendiantes/mais aussi/de plus en plus/les filles de joie/les folles/les orphelines/les libertines/les protestantes/les paralytiques/les crétines/les juives/les impies/les criminelles/les ivrognes/les mourantes/les sorcières/les mélancoliques/les aveugles/les adultérines/les homosexuelles/les épileptiques/les voleuses/les magiciennes/les convulsionnaires/les séniles/(…) ». La Salpêtrière mêle, entasse, amalgame celles qui sont méprisées et condamnées. La Salpêtrière les confond, les amalgame. Elle les enchaîne par les horaires, par les règlements méticuleux, par les messes, par les travaux sans relâche. Ce sont les cohues et les cohabitations, les foules des folles et des malheureuses.
 

Bien avant les « créatures » d’aujourd’hui, bien avant les effigies-colonnes, Mâkhi Xenakis suggère la féminité par les dessins (1988) ; elle les nommait, alors, les « petites bonnes femmes », solides, accroupies, énergiques… Et en 1992, elle évoque le féminin par les araignées, par la multiplication des pattes qui jaillissent, par celles qui tissent et piègent. Mâkhi aime l’araignée et la redoute ; dans un beau texte (en 2002, à l’Artothèque de Caen), Marie-Laure Bernadac appelle Mâkhi la « Spider-girl »…
Et, sur les murs de l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque, les pastels
(2008-2010) de Mâkhi donnent à voir un foisonnement de boucles, de courbes, d’ondulations, la prolifération des cellules, l’exubérance de l’énergie vivace. Se devinent des mèches de cheveux, une colonne vertébrale, un entrelacs d’algues, les tentacules d’un poulpe monstrueux, des vides lumineux, des boucles incertaines, des fentes, des yeux. Se dessinent les forces tantôt centripètes, tantôt centrifuges. Mâkhi Xenakis traduit le mouvant, le fluide, le flottant, les chances de la vie.
 
1. Mâkhi Xenakis est née à Paris. Elle y travaille et crée. Son père était le musicien Ianni Xenakis ; sa mère, Françoise, est journaliste, écrivain.
 
2. Mâkhi Xenakis a publié plusieurs livres aux éditions Actes Sud : Laisser venir les secrets (2008), Les Folles d’enfer de la Salpêtrière (2004), Parfois seule (1999). Et aussi Louise Bourgeois : l’aveugle quittant l’aveugle (1998). A New York, Mâkhi rencontre Louise Bourgeois qui la sauve ; Louise et Mâkhi sont devenues des amies, des soeurs.

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