Antoinette Fouque par Catherine David dans Le Nouvel Obs

Catherine David a eu l’excellente idée d’ouvrir la marche en rédigeant un chaleureux portrait d’Antoinette Fouque dans la rubrique « Les Uns, les autres » du Nouvel Observateur du 9 août. Agrémenté d’une superbe photo d’Antoinette Fouque (avec sa médaille d’Officier de la Légion d’Honneur), prise par Sophie Bassouls ce beau texte a été positivement remarqué par de nombreux lecteurs, hommes et femmes, qui ont valu des courriers de remerciements et de félicitations à la journaliste dont les éditions Des femmes se sont réjouies. Quant à moi, l’appel enflammé de mon amie Frigide Barjot, qui a eu un vif coup de foudre pour Antoinette Fouque, qu’elle découvrait, en tombant par hasard sur ces deux pages m’a fait chaud au coeur. Une petite erreur s’est malencontreusement glissée dans cet article : Antoinette Fouque n’a pas une sclérose en plaques.

(rubrique dirigée par Jean-Gabriel Fredet)

Antoinette fouque
Procréer, dit-elle

Pour la sage-femme du MLF, grâce à la candidature de Ségolène, les femmes n’ont plus besoin d’imiter les hommes pour affirmer leur présence

Pourquoi une femme en ces temps de détresse ?», demande Antoinette Fouque dans «Gravidanza» (Editions Des femmes, préface d’Alain Touraine) à propos de la figure symbolique de Ségolène Royal. Sur le sujets l’ex-députée européenne est intarissable, et sa voix un peu rauque, pleine de soleil marseillais, se fait vibrante, pressante. «Héritière de quarante ans d’un mouvement de libération des femmes irréversible, Ségolène nous rend au centuple ce qu’elle en a reçu.» Vous reconnaissez cette voix, cette fièvre, cette intelligence aux aguets, il s’agit bien de la célèbre Antoinette, femme savante et sage-femme historique du MLF, leader du fameux groupe Psych et Po, philosophe, psychanalyste, lacanienne dissidente, fondatrice des Editions Des femmes. Elle annonce pour cet automne l’ouverture d’un grand espace culturel à Saint-Germain-des-Prés, dédié aux femmes créatrices, ainsi qu’un nouveau livre, «Génésique», et une nouvelle revue, «Féminologie». Sur cette femme qui ne ressemble à personne, on a fait pleuvoir les étiquettes et les caricatures. Pourtant, elle n’est pas plus «hystérique», bien sûr, que Ségolène Royal n’est «incompétente». «C’est la technique habituelle, on s’efforce de nous ridiculiser pour mieux nous réduire.» Dans son enfance, elle s’identifiait avec Spartacus, le libérateur des esclaves romains. «Je dois être une rebelle, c’est possible, mais pas si dangereuse que ça», dit-elle en riant.

Simplement, elle n’a jamais pu croire qu’une femme fût un homme inachevé, un mâle défectueux. Jamais pu croire, comme l’affirmait Freud, que le désir – la libido – soit le monopole du genre masculin, et par essence «phallique». Jamais pensé qu’une femme, pour se libérer de la domination patriarcale, dût s’identifier aux hommes, adopter leurs manières et leurs valeurs. «Contrairement à ce qu’affirmait Jacques Lacan, la femme existe !», dit-elle, et cela paraît presque choquant car nous vivons dans une démocratie de l’esquive, où il paraît subversif de nommer l’évidence. « Il y a deux sexes », dit-elle encore (c’est le titre de ses «Essais de féminologie», Gallimard/le Débat), alors même que cette constatation est énergiquement contestée par les allumé(e)s du mouvement queer et les théoricien(ne)s du «genre», apôtres de l’identité à la carte. Pourtant, «même les transsexuels ne changent pas de sexe, ils perdent les deux», rappelle Antoinette; en effet, quels que soient les exploits de la biomédecine, une femme devenue homme ne produit pas de spermatozoïdes, un homme devenu femme ne peut mettre au monde un enfant.

Enfance heureuse à Marseille, rue Saint-Laurent, dans le quartier populaire du Vieux-Port. Une mère calabraise et «biblique», venue en France au tournant du siècle, analphabète mais poète, qui invente des mots – «les nuages s’accumoncellent», «ils vivent en cocuménage». (C’est en partie pour elle qu’une fois devenue éditrice Antoinette crée la Bibliothèque des Voix, collection de textes littéraires lus par leurs auteurs ou des comédiens.) A 14 ans, à la suite d’un rappel de vaccin antivariolique, Antoinette contracte une sclérose en plaques qui réduit peu à peu sa liberté de mouvement, et c’est à partir d’une chaise roulante, sans une plainte, qu’elle mène aujourd’hui ses combats.

Elle parle avec tendresse de son père, «un berger corse amoureux de la mer, tout juste sorti des «Bucoliques» de Virgile». Elle a rencontré son mari à Aix-en-Provence, et n’a jamais souffert de discrimination sexiste. «Nous étions pareils, nous faisions les mêmes études.» L’événement déterminant, ce fut en 1964 la naissance de sa fille. «A travers la grossesse et l’accouchement, je me suis aperçue que les femmes avaient quelque chose que les hommes n’avaient pas – un utérus, le lieu de création de l’être humain. Et j’ai compris que les hommes enviaient aux femmes cette capacité de produire du vivant-parlant. Freud a consacré beaucoup de pages à «l’envie du pénis», mais il aurait eu des choses à dire sur «l’envie d’utérus» des hommes, surtout les plus créateurs d’entre eux. Quand sa femme est enceinte d’Anna, il écrit à Fliess : «J’ai mis au monde quelques notions de plus.» Au fond, la procréation a toujours servi de modèle à la création.»

On le sait, dans «le Deuxième Sexe», Simone de Beauvoir a jeté l’opprobre sur la part maternelle de la condition féminine, et son préjugé reste vivace, comme en témoigne la «haine matricide» des excitées du «no kid». Limité par cette mutilation originaire, le féminisme de la non-différence n’aurait jamais dépassé, selon Antoinette, la «forme infantile de la libération des femmes». C’est pourquoi, malgré la défaite électorale, il lui semble qu’une voie nouvelle s’est ouverte avec la candidature de Ségolène, «vers une nouvelle alliance entre les sexes, vers un nouveau contrat humain». Vers une démocratie paritaire, à l’image de l’humanité. Tout cela grâce à cette mère de quatre enfants qui a osé vouloir présider la France.

Ses dates
1er octobre 1936. Naît à Marseille.
1964. Naissance de sa fille Vincente.
1968. Cofondatrice du MLF.
1974. Création des Editions Des femmes.
1994-1999. Députée européenne.

Catherine David
Le Nouvel Observateur

Susana Guzner invitée aux Rencontres littéraires de Playa del Inglés

le.jpgRecopié du site http://www.la-reference.info/55-aout2007.html#4

Susana Guzner invitée aux Rencontres littéraires gay de Playa del Inglés
par Pierre Salducci

Les Rencontres littéraires gay de Playa del Inglés seront lancées officiellement le mercredi 8 août lors d’un cocktail d’inauguration en présence de la romancière d’envergure internationale Susana Guzner.

Du 6 au 19 août prochains, le cybercafé Punto Net accueillera les Rencontres littéraires gay de Playa del Inglés / Jornadas de la literatura gay en frances. Dès sa première édition, cette manifestation est heureuse de réunir dans sa programmation les noms d’auteurs, journalistes, éditeurs et représentants d’association comme Michel Giliberti, Pierre Salducci, Susana Guzner, Roger Peyrefitte, Réjean Roy, Eric Foucault, Laetitia Schuck, Michel Aurouze, Didier Mansuy, Jean-Charles Fischoff et Pascal Janvier.

De nombreuses activités et divertissements sont au programme de ces Rencontres dont une foire aux livres, des expositions, débats et excursions. Le public est également convié à cette manifestation exceptionnelle afin de rencontrer les acteurs de la littérature gay d’aujourd’hui et de partager avec eux quelques jours d’exclusivité dans un cadre enchanteur.

Le coup d’envoi de ce festival sera donné officiellement le mercredi 8 août lors d’un cocktail d’inauguration que présentera Pierre Salducci, organisateur de l’événement. En cette occasion spéciale, nous aurons le plaisir d’avoir parmi nous le romancier français Olivier Autissier et notre invitée d’honneur Susana Guzner, tous deux seront disponibles pour rencontrer leurs lecteurs au cours de la soirée.

Originaire d’Argentine, Susana Guzner est l’auteure du best seller lesbien La Géométrie insensée de l’amour qui connaît un succès international et a déjà été traduit en plusieurs langues. Un autre de ses livres, Punto y aparte, sera publié bientôt en français aux éditions Des femmes.

Le prochain roman de Susana Guzner, Aquí pasa algo raro (Il se passe quelque chose de bizarre ici), sortira en octobre prochain chez Rain Ediciones, une nouvelle maison d’édition de Barcelone. Il s’agit d’un roman policier humoristique bourré de références LGBT, dont l’histoire se déroule entièrement à Gran Canaria, spécialement à Las Palmas, et qui compte entre autres plusieurs personnages canariens.

Les Rencontres littéraires gay de Playa del Inglés sont ouvertes à tous et vous donnent rendez-vous pour célébrer ensemble la première édition de notre festival socio-culturel.

« Res Nullius » dans Les Echos par Jean-Claude Hazéra (6 août 2007)

Paru dans « LES ECHOS » du 6 août et sur le site web des ECHOS

La vie devant soi


« Res Nullius »
de Pomme Jouffroy

Editions Des femmes, 250 pages, 18 euros

On s’approche, on s’éloigne, on s’approche et on ne comprend toujours pas comment les taches de peinture posées par le peintre sont devenues cette lumière, ce regard ou ce sourire. Même impression avec l’écriture de Pomme Jouffroy. Elle pose ses personnages à sa manière. Pour Majnouna, par exemple, ça commence par « Mon grand-père avait dix-huit ans quand elle a explosé en vol« . Et ça marche. Quelques répliques et anecdotes plus loin, ils sont là et nous avons envie d’en savoir plus sur eux. Ce nouveau livre raconte deux histoires parallèles : les amours d’Arnaud et d’Hélène et la vie de Majnouna, supermamie quasi centenaire, et de son arrière petit-fils. Ces deux histoires vont se rejoindre, elles n’étaient pas parallèles. L’important n’est pas dans l’intrigue, mais dans l’épaisseur des moments, des présents successifs, car le sujet de « Res Nullius », c’est la vie, tout simplement. « Votre prochaine étape est prévue ? Rien n’est prévu. Sauf le voyage. » Et au cours du voyage, Pomme Jouffroy nous arrête où elle a envie, évoquant des univers qu’elle connaît manifestement bien : la médecine – elle est chirurgienne – , les chevaux, le cirque, les échecs. Son imagination a besoin pour notre plus grand plaisir de s’appuyersur du concret, lmes luthiers dans son précédent roman, « Rue de Rome », le cirque et les chevaux dans celui-ci. Par moments, elle part très loin, chez les Navajos ou dans une histoire de fées à sa manière – une malencontreuse erreur de baguette impose à la princesse Huguette quarante-neuf expériences sexuelles avant de trouver un mari.

Le désir et le plaisir

Parfois, son texte se nourrit et nous nourrit de ce terre-à-terre si important pour autant qu’on sache y prêter attention : la cuisine, les repas, le bain des enfants, leurs tartines… La vie, quoi. « La vie est si bonne, tu ne vas pas bouder tout de même ! » Le désir et le plaisir sont au centre de ce livre de femme dont le personnage central est une femme. De ce désir, elle parle en termes parfois crus, jamais vulgaires. On n’est même pas gêné de devenir voyeur avec Arnaud quand il tombe amoureux d’Hélène, femme mûre nettement plus âgée que lui, en la voyant vivre depuis les fenêtres d’une salle de classe. Pourquoi ce titre latin, au fait ? « Res Nullius » : objets sans maître que l’on peut s’approprier. C’est ainsi que Majnouna appelle ces petits morceaux de verre que la mer roule et use sur les plages et dont vous êtes libres de faire des « diamants » dans vos jeux. « Les res nullius, je pense aujourd’hui que ce sont probablement les choses les plus importantes dans la vie », dit-elle, peu de temps avant sa mort.

Jean-Claude Hazera

Umoja, village de femmes au Kenya par Christèle Dedebant (Le Monde 2)

Antoinette Fouque a eu un vif coup de coeur pour les pages du Monde 2 du 4 août consacrées à Umoja, un village de femmes au Kenya. Elle a immédiatement souhaité entrer en contact avec ces femmes par l’intermédiaire de la très aimable auteur du reportage, Christèle Dedebant. (Et c’est Bibi qui s’en est chargée !) Je vous tiendrai au courant…

Le Monde 2 – 4 août 2007

Au Kenya, le village des femmes fait des jaloux

Abandonnées par leur mari à la suite d’un viol, mariées à force à l’âge de 13 ans…, de nombreuses femmes Samburu, une ethnie kényane, sont mises au ban de leur communauté. En 1991, une militante féministe leur a créé un refuge, le village d’Umoja. Une enclave qui subvient à ses besoins grâce au tourisme. Aujourd’hui, leur succès fait des émules et des jaloux. Christèle Dedebant / Photos Bruno Fert pour Le Monde 2

Archer’s Post : 6 000 habitants rassemblés autour d’une piste chaotique et poussiéreuse qui court péniblement jusqu’à l’Ethiopie distante de 400 km. De part et d’autre de cette bourgade envahie par les broussailles, s’étirent les grandes réserves nationales de Samburu, Buffalo Springs et Shaba où s’ébattent les fameuses bêtes sauvages prisées des « safaristes » : éléphants, lions, buffles, léopards et rhinocéros. Droit d’entrée pour cet éden : 30 dollars (22 euros) par jour et par personne et 300 dollars (220 euros) pour rejouer la série télévisée Daktari dans une hutte en bois. A Archers’s Post, située à la périphérie des grands parcs, on voit les Mzungu (« Blancs ») lancer des vibrants « Hello ! » avant de disparaître en 4 x 4. En fait de girafes réticulées ou d’autruches de Somalie, cette ville-étape plutôt miteuse exhibe tous les maux du Kenya contemporain : sécheresse chronique (trois années consécutives dans le Nord), pauvreté endémique (60% de la population vit avec 1 dollar par jour) et séropositivité galopante (taux de prévalence : 6,7%).

Dans ce coin de savane aride – majoritairement peuplée de Samburu, parents proches des Massaï – , on mate le désoeuvrement en s’alcoolisant au son du « Grand Bob » (Marley). Chemises défraîchies et pantalons approximatifs, les piliers de bar ont entre 18 et 35 ans, parlent un anglais fonctionnel et, à l’instar de 40% de leurs compatriotes frappés par le chômage, attendent un job hypothétique à toute heure du jour ou de la nuit. Ces inactifs « instruits » ont atteint le collège ou le lycée sans espoir d’emploi stable et ont abandonné le costume traditionnel réservé aux femmes, aux vieux et aux jeunes moranes, juste intronisés guerriers, qui affichent une imperturbable allure martiale dans les deux rues d’Archer’s Post. A mille lieues de la morne exubérance des buveurs de bière, rien ne vient troubler le hiératisme de ces « pâtres-guerriers » : ni les embardées des camions ni les coups de sang des badauds. Pas même la vision fugace des soldats anglais qui traversent la ville…

Pourtant, ici, tout le monde parle du bras de fer qui a opposé Archer’s Post à l’armée britannique qui s’entraîne dans la région depuis les années 1960. En 2002, le gouvernement de Sa Majesté a versé près de 7 millions d’euros de dédommagement aux familles des civils blessés ou tués par des munitions non explosées. Malgré l’argent sonnant et trébuchant, malgré les campagnes de sensibilisation dans les écoles, la plaie n’est pas refermée : les exercices militaires feraient quatre ou cinq victimes par an, principalement parmi les enfants.

280 plaintes classées sans suite

D’autant que l’affaire se double d’un autre scandale retentissant. En 2003, plusieurs centaines de femmes de la région ont affirmé avoir été violées par des soldats en manoeuvre. Montant des réparations réclamées : 30 millions d’euros. Trois années durant, les services d’investigation de la police militaire royale ont entendu plus de 2 000 victimes présumées… pour ne retenir que 280 plaintes, finalement classées sans suite à la mi-décembre 2006. Suspicion, opacité de part et d’autre : l’armée britannique prétend que les témoignages ont été achetés ou inventés de toutes pièces. A Archer’s Post, on ne décolère pas : « Les militaires ne peuvent pas être à la fois juge et partie », s’indigne Fabian Lolosoli.

Ce notable de la région, représentant des Samburu auprès du gouvernement, sait parfaitement de quoi il parle. La mère de ses cinq enfants est l’une des pionnières des droits de la femme dans la région. A la mi-décembre 2006, au grand dam de la police municipale, cette pétulante quadragénaire au visage d’enfant a pris la tête d’un cortège féminin pour protester contre le verdict des Britanniques.

Invitée à l’ONU en 2005, intervenante régulière des forums féministes, Rebecca Lolosoli, séparée de son époux depuis de longues années, est coutumière des coups d’éclat. Pourtant, il y a moins de dix ans, elle parlait à peine l’anglais. Et pour cause : elle venait tout juste d’entrer en cinquième quand on l’a demandée en mariage. Rien que de très ordinaire dans la communauté samburu où les jeunes épouses ont environ 13 ans. Sauf que cette fille d’un chef de village à l’autorité incontestée a toujours été insoumise : « Mon père, si respecté de tous, était terriblement violent, se souvient-elle, comme tous les hommes de mon entourage. Enfant, j’ai même été témoin du meurtre d’une voisine. Son mari l’avait battue à mort. Je n’ai jamais oublié. »

Ce militantisme de la première heure l’a amenée en 1991 à fonder Umoja – « unité » en swahili – , un village situé à quelques centaines de mètres d’Archer’s Post, entièrement composé de femmes en rupture de ban. A 15 km de la base militaire britannique et… pile sur le chemin des 4 x 4 en partance pour les safaris-photos. Il y a seize ans, les toutes premières « défricheuses » d’Umoja vendaient bijoux et colifichets au bord de la route dans l’espoir d’attirer l’attention des touristes.

Aujourd’hui, cette cité de femmes, désormais estampillée « village culturel », a bel et bien prospéré : avec 50 résidentes permanentes, Umoja aligne une vingtaine de cases traditionnelles en bois et bouse de vache, un troupeau de chèvres (alloué par l’organisation féministe newyorkaise Madre), une école maternelle qui accueille une centaine d’enfants, deux auvents boutiques, une aire de camping au bord de la rivière Ewaso Ngiro et même un petit musée en attente de collections.

Un miracle de gestion

En haute-saison (juin-septembre et décembre-mars), le village reçoit quotidiennement des douzaines d’Occidentaux, apôtres du voyage culturel. A leur approche, les quelques hommes adultes du village – deux gardiens de sécurité et un instituteur – s’éclipsent discrètement et les femmes réajustent leurs diadèmes et colliers. Pendant une heure, un petit contongent d’Européens bardés d’appareils photo sera successivement accueilli par des chants de bienvenue, instruit des ravages de la polygamie chez les Samburu, convié à quelques pas de danse… et invité à acheter 1 500 shillings pièce (16 euros) les somptueuses parures de perles confectionnées par les résidentes.

Un business qui tourne bien ? Certes… sauf qu’Umoja est bien plus qu’un piège à touristes. Ce village unique en son genre se dresse au carrefour de la misère socio-économique, de la violence infligée aux femmes et de la vogue du tourisme solidaire. C’est surtout un petit miracle de gestion rationnelle. Ici, les résidentes versent 15% de leurs gains mensuels à la collectivité et toutes, à tour de rôle, bénéficient d’un petit capital généré par la tontine. C’est ce qui a permis à Margaret Natukoï, 27 ans, de commencer un petit élevage de poules. Pourtant, cette jeune femme abrupte revient de très loin : orpheline à 6 ans, mariée à 13, elle affirme avoir été violée par des militaires britanniques alors qu’elle gardait son troupeau. « Mon mari ne l’a pas supporté, s’emporte t-elle. Il m’a jetée dehors avec nos deux enfants. Le viol, ce n’est pas le plus difficile : c’est l’exil qui est vraiment insupportable. » Margaret, qui se trouble à l’évocation du passé, jauge avec une expertise sans faille ce qu’elle peut obtenir des visiteurs étrangers. En l’absence de Rebecca Lolosoli, de plus en plus sollucitée à l’extérieur, c’est elle qui mène la danse… et souvent au sens propre. « Ici, on accueille des tas de touristes blancs, se réjouit-elle. De quelle tribu ? Je ne pourrais pas dire… Honnêtement, ils se ressemblent tous. »

A Umoja, l’inventaire des maux et des souffrances donne le vertige : Ntipayo, la brasseuse de changaa – un redoutable alcool de contrebande – , reniée par sa belle-famille après avoir purgé une peine de prison ; Nasara, « oubliée » par son mari au profit d’une autre épouse ; Sawadee, 12 ans, qui a franchi seule 40 km à pied pour rejoindre sa mère réfugiée à Umoja ; Usia, veuve sans ressources, abandonnée des siens… Certaines s’installent, d’autres passent. Toutes – aïeules desséchées par l’âge ou jeunes filles graciles – dénoncent avec virulence la violence conjugale, le mariage forcé et, surtout, l’excision. Pratiquée à près de 80% chez les Samburu, cette coutume est pourtant interdite par la loi kényane, réprouvée par l’Eglise, les organisations féministes et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La lutte contre la mutilation génitale des adolescentes est devenue le cheval de bataille d’Umoja. Cependant, certaines nouvelles venues manquent encore de conviction. C’est le cas d’Esta, 26 ans, qui a voyagé deux jours à pied, sans eau ni nourriture, pour fuir un mari ultraviolent. « Ici, chacun est son propre patron, même sans homme ! », s’émerveille t-elle… mais l’abolition de l’excision lui semble inenvisageable : « Autrement, il n’y a pas de mariage possible ! »

Cible d’attaques répétées

Les petites filles élevées dans le village de femmes trouveront-elles à se marier ? La question tracasse Rebecca : « En dehors de la tribu, aucun problème. D’ailleurs, chez nous, elles sont libres de choisir leur mari, même parmi les Blancs. Mais chez les Samburu, confie t-elle, ça risque d’être difficile. » Ce n’est pas faute de répandre la bonne parole. Dans les villages environnants, la « matriarche » aborde tous les sujets sans tabou : la contamination par le VIH (au moment de l’excision), les infections chroniques, les risques d’infertilité, les complications à l’accouchement… « Et les douleurs pendant les relations sexuelles ? » hasarde t-on. « Ah, non, ça… on n’en parle pas », répond Rebecca. Embarras réciproque. Un ange passe…

Il faut dire que le village est la cible d’attaques répétées. Certaines proviennent d’hommes furieux de se faire sermonner par des « Américaines » – surnom diffamatoire – ou ulcérés de voir leur épouse leur échapper. « Il y a trois ans, se rappelle Usia, plusieurs individus ont débarqué ici en hurlant pour reprendre une fugitive. Rebecca s’est interposée. Ils lui ont cassé la clavicule. Et la femme les a suivis. » Mais au fond, les altercations les plus courantes concernent les rabatteurs indélicats – en quête d’un pourcentage sur les touristes – les désoeuvrés d’Archer’s Post – indésirables à cause de leur sexe et de leurs vêtements « non traditionnels » – et les habitants des environs, envieux du succès du village de femmes. En bref, de banales histoires d’argent dans une région du monde qui en manque cruellement. Du coup, Umoja a fait des émules. Entre Archer’s Post et les « lodges » à 300 dollars la nuit, les « villages culturels » se sont multipliés, rivalisant de chants, de sourires et de colliers de perles.

Le plus étonnant d’entre tous comprend une demi-douzaine de huttes de branches et cartons offertes à l’appétit des chèvres. A moins de 3 km d’Umoja, Nkuroro se présente comme le « village des hommes ». Sauf que les femmes, partout présentes sur le seuil des cases, n’ont pas eu le temps de disparaître. « De simples soeurs ou amies de passage », nous informe t-on. Vieille excuse. Nkuroro aurait été créé à l’initiative d’un groupe d’hommes brouillés avec la gent féminine. « Chez les Samburu, énonce le chef autoproclamé Perino Lelatowala, on ne partage pas nos épouses. Si quelqu’un nous les prend, on doit les chasser. Même si elles ont été violées… » Quelque chose sonne effroyablement faux. Dans cette société patriarcale et polygame, on exclut sa conjointe sans craindre l’exclusion. Alors pourquoi se regrouper ? « C’est bon pour le business, nous concède t-on… Regardez le village de femmes ! » Sauf que cela ne tient pas : boudé par les « safaristes », le prétendu village d’hommes est sur le point de fermer boutique. Umoja restera sans égal.

Le prix du passage à l’âge adulte

Malgré ces querelles de voisinage, la petite enclave féministe n’est pas coupée des autres. Nombre des résidentes d’Umoja ont des parents dans les villages environnants. Pour rien au monde elles ne rateraient les cérémonies familiales qui rythment les saisons. Aujourd’hui, plusieurs d’entre elles se rendent à pied à Rorora pour assister à la circoncision des futurs moranes. Au lever du jour, une vingtaine d’adolescents de 10 à 20 ans vont subir l’ablation rituelle qui les propulsera dans l’âge adulte. Johan, 15 ans, est l’un d’eux. Vêtu simplement d’une peau tannée, il frissonne au petit matin. A ses côtés, des « guerriers » adultes, couverts de fleurs et de bijoux, entonnent des chants d’encouragement. Le soleil se lève : c’est le moment. Quatre hommes s’avancent vers lui. Deux d’entre eux lui tiennent les bras, les deux autres, les jambes. Aucun muscle de son visage ne doit traduire la souffrance. Le passage à l’âge adulte est à ce prix. L’intervention dure moins de dix secondes. Johan n’a pas cillé. Pendant plusieurs jours, il boira un mélange hautement reconstituant de lait et de sang de vache…

Deux minutes plus tard, devant la même hutte, un groupe exclusivement féminin se forme en toute hâte. Au centre, luisante de graisse rouge, Sandeli, la soeur cadette de Johan, s’avance en silence. Elle a 14 ans et vient d’être admise en quatrième. On lui verse du lait sur le visage avant de lui trancher le clitoris et les petites lèvres. Rebecca, qui se tient à moins de deux mètres, élève la voix pour abréger l’opération. Sandeli est sa petite cousine par alliance. Umoja a beau être à quinze minutes, la route est encore longue pour l’atteindre…

Irus, île d’Antoinette Fouque, citée dans Paris Match

Un clin d’oeil, enfin, à Mariana Grépinet qui – dans le Paris-Match du 2 août – me fait le plaisir de citer Irus, l’île paradisiaque d’Antoinette Fouque dans un reportage sur les trésors du Golfe du Morbilhan.

2 au 8 août
Match de la vie – Vacances

Tout l’été, Paris Match vous accompagne sur les plages

Cette semaine, dans le Morbilhan, les trésors du golfe

De Vannes à L’Ile-aux-Moines, l’un des plus beaux sites naturels au monde vous dévoile ses secrets.
Les gens du golfe s’enorgueillissent de faire partie d’un club sélect qu’ils ont eux-mêmes créé, celui des « plus belles baies du monde ». C’est dire s’ils sont fiers de leur « petite mer », « Mor Bihan » en breton, dont la profondeur moyenne n’excède pas les 6 mètres. Selon la légende, la baie serait parsemée de 365 îles, une pour chaque jour de l’année. En réalité, une centaine seulement est répertoriée.

Vannes, petite cité de caractère, est la porte d’entrée du golfe. Les touristes s’y pressent l’été, surtout quand il fait moins beau. Ils lèvent le nez sur les façades à pans de bois, franchissent la porte Saint-Vincent, se retrouvent dans les jardins à la française au pied des murailles du château avant de se ruer dans une des innombrables boutiques de confiserie au beurre salé.

Vannes a longtemps régné sur la région. Princes et ducs de Bretagne y établiront leurs résidences. La ville marchande prospère, avant de s’endormir. Fin XIXe, la mode est aux bains de mer. On se tourne vers la côte. Arzon, à l’extrémité de la presqu’île de Rhuys qui ferme le golfe, devient lieu de villégiature. Début 1970, le nouveau port de plaisance du Crouesty attire les voiliers et leurs propriétaires.

Aujourd’hui, 2 millions de visiteurs foulent chaque année les rivages du golfe. Sur l’eau, les ostréiculteurs côtoient les voileux, les plaisanciers et les vedettes chargées de touristes. On se croise en mer, mais rarement sur terre. A chacun ses habitudes et ses lieux cultes. Les premiers se lèvent tôt, travaillent dur pour vivre de leur activité. Les seconds voyagent sur toutes les mers du globe, mais se retrouvent toujours lors des régates et n’oublient jamais de saluer « le moine » en passant devant la petite île de Boëdic. Les plaisanciers, eux, s’échangent les adresses de petites criques cachées pour bronzer peinard ou pique-niquer. Quant aux vacanciers, ils colonisent les rares plages de sable fin et laissent leurs bambins pêcher coques et palourdes avant de les persuader qu’une balade sur le sentier côtier leur ferait le plus grand bien.

Par la mer, Port-Navalo et la pointe de Kerpenhir, les deux extrémités du golfe, ne sont distants que de 1 mille nautique mais, par la route, plus de 70 kilomètres les séparent. D’un côté le littoral urbanisé avec ses résidences Pierre & Vacances. De l’autre, des villages préservés proches de la campagne alréenne, de ses collines boisées. Au centre, L’Ile-aux-Moines, la plus importante de l’archipel. Elle passe de 500 habitants en hiver à 6 500 en été. On comprend que les natifs de l’île, les « îlois », se sentent alors un peu dépossédés. Les résidents, « les îliens », ont provoqué une explosion des prix de l’immobilier, qui contraint certains enfants du pays à rejoindre le continent. L’été, 5 000 visiteurs débarquent quotidiennement des bateaux-navettes et grimpent, en procession, jusqu’au bourg. Hormis sa voisine, l’île d’Arz, toutes les autres îles du golfe sont privées. L’actrice Danielle Darrieux est propriétaire de Stibiden ; Antoinette Fouque, militante féministe et éditrice, occupe Irus ; Yves Rocher a racheté Berder au début des années 1990. Il arrive qu’un de ces lopins de terre soit mis en vente. Les acheteurs ne se précipitent pourtant pas. Il est plus aisé de contempler une île que d’y vivre. Le meilleur moment pour les admirer ? « Certains matins brumeux, quand les îlots multiples surgissent comme les sommets d’une chaîne de montagnes dont l’eau aurait un jour envahi les vallées. » Un conseil signé André Gide.
BALADE en mer. Tous en sinagot !

Deux voiles en forme de trapèze ocre rouge gonflées par le vent, une coque en chêne peinte en noir, les sinagots sont aisément identifiables. Les premiers apparaissent en 1840 dans le port de Séné. C’est le mélange de suif et d’écorce de pin broyés qui donne cette couleur à leurs voiles. Ces bateaux de pêche puissants tirent drague à huîtres ou chalut. Les armateurs en construiront près de 700, puis ils sont abandonnés au profit de bateaux plus modernes. A la fin des années 70, des passionnés se mobilisent pour en restaurer. « Les Trois Frères », datant de 1943, est retapé par le chantier du Guip sur L’Ile-aux-Moines. Reconnaissance ultime, il est classé monument historique. Quatre autres sinagots seront construits, et chacun est géré par une association dont les membres – parmi lesquels Isabelle Autissier – se relaient pour faire découvrir le golfe, au gré des vents.
Sortie dans le golfe sur réservation, 20 euros la demi-journée, 25 euros la journée.
Sinagot « Le Crialeïs », Robert Beven, 56780 L’Ile-aux- Moines, tél. : 06 70 07 08 42.
Sinagot « Les Trois Frères », Les Amis du sinagot, 6, rue de la Tannerie, 56000 Vannes, tél. : 06 14 93 04 69.

CULTURE. Quand le folklore fait son show.
Entre bagadou et reine d’Arvor

C’est l’événement « breizhoo » de l’été vannetais. Pendant trois jours, les fêtes d’Arvor (du breton « Ar Vor » qui désigne le rivage) réunissent dans le centre-ville vingt-cinq cercles celtiques et bagadou, ces ensembles instrumentaux typiques en Bretagne qui regroupent une quarantaine de sonneurs répartis en trois catégories : bombardes, cornemuses et percussions. L’occasion aussi de s’initier au fest-noz. Les filles de 16 à 25 ans peuvent se présenter au titre de reine d’Arvor 2007. Elles ne défilent pas en Bikini mais en robe à col de dentelle et manches pagodes garnies de velours noirs, tablier et coiffe en forme de toit. Superbe et spectaculaire !
Les fêtes d’Arvor, du 13 au 15 août. Permanence à partir du 7 août de 10 heures à 12 h 30 et de 14 heures à 18 heures, Les Bigotes, rue de la Bienfaisance, 56000 Vannes, tél. : 02 97 54 25 21.
www.fetes-arvor.org

Emouvants ex-voto

Lieux de pèlerinage pour les marins, les chapelles de la région ont longtemps accueilli des maquettes et des tableaux déposés par les rescapés d’avaries ou de naufrages. Ces ex-voto, formule qui signifie « en conséquence d’un vœu », ont été rassemblés par le conseil général du Morbihan. Vestiges matériels de la piété des gens de mer, ils reflètent le quotidien de générations de marins qui ont navigué sur les vaisseaux de la Royale, sur des navires de commerce ou sur des bateaux de pêche. Il faut prendre le temps de lire les récits des miraculés qui décrivent avec leurs mots tempêtes et accidents de mer. Ces textes accompagnent les maquettes et ont parfois été directement intégrés par les peintres aux tableaux comme dans celui qui représente le naufrage de la chaloupe des douanes de Groix (ci-dessus) dans la nuit du 4 décembre 1825.
Jusqu’au 10 novembre, La Cohue, musée des Beaux-Arts, place Saint-Pierre, 56000 Vannes, tél. : 02 97 01 63 00. Entrée : 6 euros, tarif réduit : 4 euros.
Ouvert tous les jours de 10 heures à 18 heures.

PLAGES. Dans l’intimité des îles*.

Sur l’Ile GOvihAN.
On y accède par la mer uniquement. L’île est privée mais les visiteurs sont autorisés à accoster sur la longue plage et à se baigner. En revanche, à moins d’y être invité, il est interdit de poser un orteil dans l’herbe. Le sable plonge à pic dans l’eau, ce qui évite à marée basse de s’enfoncer dans la vase.
Bateau à louer avec ou sans permis à Port-Blanc, Anne Caseneuve, tél. : 06 82 69 38 13.
Sur l’Ile d’Arz. La pointe du Berno est une récompense après 5 kilomètres de marche. Cette langue de sable doré se situe à l’opposé de l’embarcadère où la navette vous dépose. Dans cet endroit secret, la seule personne que l’on risque de croiser, c’est l’ostréiculteur installé de l’autre côté de la pointe. Plus sauvage que sa voisine L’Ile-aux-Moines, moins touristique, Arz est aussi plus plate et moins arborée. Elle mesure à peine 5 kilomètres sur 3, pour tout juste 270 habitants.
Accès à l’île d’Arz par bateau depuis Conleau, départ toutes les heures, traversée de quinze minutes. A 5 km du bourg à pied.

Sur l’Ile-aux-Moines.
La « grande plage » a tout d’un lieu mythique. Des cabines couleur crème et bleu roi pour ranger les pelles et les seaux des enfants, une jolie vendeuse de bonbons, glaces et boissons, une école de voile et des habitués. Vous n’y croiserez pas d’îlois ; l’été, ils restent chez eux !
Accès à L’Ile-aux-Moines depuis Port-Blanc, départ toutes les quinze minutes, traversée de quatre minutes. A dix minutes du port à pied.

Sur l’Ile DES SEPT-ILES.
Petite bande de terre qui se découvre à marée basse, la plage est presque invisible à marée haute. Elle relie le continent et l’île des Sept-Iles. Le tour s’en fait en un quart d’heure et permet de découvrir ces confettis peu connus à l’extrémité ouest du golfe.
Accès à pied à marée basse par la plage de Locmiquel.
* Plages de la moins accessible à la plus accessible.

Mariana Grépinet (02/08/2007)

Julie Debazac lit Anaïs Nin pour la Bibliothèque des Voix

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Julie Debazac lit
Stella
de Anaïs Nin
Coup de coeur 2006 de l’Académie Charles Cros
Texte Intégral – 2 CD – 27 €

Première nouvelle du recueil Un hiver d’artifice, Stella est le portrait d’une jeune actrice dont les succès dissimulent la profonde fragilité. Devant la projection d’un film dans lequel elle joue, Stella découvre avec angoisse un clivage irréductible entre l’image que le personnage qu’elle incarne lui renvoie et ce qu’elle est dans son être intime. Dès lors, elle souffre du regard que le public et les gens qui l’entourent portent sur elle, un regard qui ne perce pas le secret de ses doutes, un regard qui la rêve plus qu’il ne la voit.

J.J. Goux dans la Revue Esprit (août-septembre 2007) par Olivier Mongin

Depuis Économie et symbolique (Le Seuil, 1973) et les Iconoclastes jusqu’à Frivolité de la valeur (Blusson, 2000), Jean-Joseph Goux, un auteur souvent publié dans Esprit, ne cesse de réfléchir au déferlement d’images qui marque notre époque. S’il ne se trompe pas sur les conséquences de la crise esthétique actuelle (« Ce qui s’annonce aujourd’hui n’est pas qu’un nouvel art va naître des cendres de l’avant-garde mais qu’une certaine mission ontologique de l’art, à laquelle deux cents ans de modernité et d’antimodernité ont cru, est en train de perdre sa nécessité. Cette mission bicentenaire subit une brutale déflation qui ne tue pas les arts en tant que tels mais qui les décharge de la responsabilité exorbitante qui leur avait été attribuée »), il suggère, dans l’un des textes qui compose ce recueil, une analogie avec la tragédie qui retient l’attention. « Nous rencontrons le même problème des limites que celui qui anime la tragédie. C’est à travers les écarts, les errances, les trajectoires unilatérales perdant de vue le tout, que se reconnaît comme la butée d’une “loi”, aussi inévitable qu’indicible. Et nous voudrions croire qu’au-delà d’un humanisme de premier niveau, qui attribue trop facilement, par ethnocentrisme, des caractéristiques universelles et essentielles à un type humain trop étroitement défini, il y a la possibilité d’un humanisme de deuxième niveau, qui viserait, au-delà de toute définition restrictive, vers une unité non inscriptible du genre humain. »
Olivier Mongin