Patricia Rodriguez s’exprime dans Espaces Latinos (sept oct 07)

Patricia Rodrioguez est l’auteur de « A la recherche de l’utérus perdu », Editions Des femmes (2006)

Sociétés et cultures de l’Amérique Latine

« Le centre du monde, c’est précisément où tu te trouves. » Talmud

Le regard de l’autre – Patricia Rodriguez

Notre planète a de nombreux centres ; des nombrils telluriques unis à des placentas nourriciers, vers lesquels les forces du monde souterrain rejoignent celles du monde visible et celles du cosmos. En tant que Mexicaine, je me trouve sur le nombril de la lune, car c’est ce que signifie, en langue nahuatl, le nom de Mexico. Et je n’écris pas dans cette belle langue indigène, que je ne connais pas, mais dans le langage des colons, qui est le mien.

La colonisation en Amérique latine a été la rencontre de deux cultures différentes, et l’une s’est imposée au détriment de l’autre. Pendant sa formation, de la part des colonisateurs, se sont créées des visions dans lesquelles ne furent pris en compte que les idéaux et les préceptes européens ; mais les indigènes se sont eux aussi créé bdes visions des colonisateurs à partir de leurs préceptes et de leurs idéaux. Nous échangeons notre propre perspective contre celle de l’autre en considérant et en prenant en compte le point de vue, la conception du monde, les intérêts, l’idéologie de l’autre, non en donnant pour acquis que celle de « l’un » est la seule possible.

Lacan pensait que l’Autre est en même temps le prochain et tout l’ensemble des sujets qui constituent la culture et la société depuis l’origine de l’humanité. Le sujet est parlé par l’Autre et sa variation, le sujet est pensé par l’Autre. C’est à partir de l’Autre que le sujet possède un langage et à partir de l’Autre que le sujet pense. Si « la limite de mon monde est la limite de mon langage », les colonisés, en s’appropriant la langue espagnole, ont élargi les limites de leur monde. Et rappelons-nous que « les mots sont une forme d’action capable d’induire des changements. » Il n’est pas toujours vrai que « l’autre est celui qui aliène » ou que « l’enfer, c’est les autres ». La solitude nous pousse à nous rapprocher des autres. Octavio Paz disait que « l’homme est le seul être qui se sent seul et le seul qui est recherché de l’autre ». Voici un fragment de son poème Piedra de sol :

Je suis autre quand je suis, mes actes / Sont plus à moi s’ils sont aussi à tous, / Pour que je puisse être je dois être autre, / Sortir de moi-même, me chercher parmi les autres / Je ne suis pas / Les autres qui ne sont pas si je n’existe, / Les autres qui me donnent pleine existence, / Le moi n’existe pas, nous sommes toujours nous, / La vie est autre…

L’écrivain transforme ce qui est connu en autre chose, en ne donnant pas pour acquis que sa vision soit la seule possible. On n’est pas écrivain parce qu’on a choisi de dire certaines choses, mais pour la forme dans laquelle ces choses sont dites.

Patricia Rodriguez Saravia Traduit par Christian Roinat

Patrizia Cavalli dans L’Humanité par Françoise Han – La condition de poète (01.09.07)

La chronique poésie de Françoise Han

La condition de poète

Comment le poète se voit-il dans la société ? Ne vivant pas de sa plume, il peut y être aussi salarié de diverses professions, artisan, médecin, architecte, voire homme de loi, ou bien petit éditeur de poésie, ou (c’était autrefois – bénéficiaire d’un mécénat ; mais nous nous intéressons ici au poète en tant que tel.

Jean-Pierre Chevais en fait l’objet de ses réflexions dans un Précis d’indécision, titre évidemment ironique. En épigraphe, une citation de Racine, « Je sais tous les chemins par où je dois passer », montre l’opposition entre l’idée que les classiques se faisaient du poète et la nôtre, sauf à dire avec Kafka : « Ce que nous appelons chemin, c’est notre indécision. »

Premier trait de la condition du poète : il vit dans le même corps que l’individu lambda auquel nous faisons allusion plus haut et la cohabitation se passe tant bien que mal. Trait suivant : le manque, ce qui lui a été retranché. « Précis d’excision », se moque t-il. Sa grande affaire : le rapport à la parole. Quand cesse la fusion avec le monde apparaît l’écriture, « on se demande pourquoi on n’y comprenait rien – de là à conclure que ». La phrase inachevée, lourde de sous-entendus, est une caractéristique de ces pages qui, par la suppression des virgules, tendent vers un continu, ironique lui aussi.

Le poète se heurte partout, mal intégré dans les objets et chez les gens, quand ce n’est pas la barre du ciel qui lui tombe sur la nuque. Le recueil de ses maladresses est parsemé de malentendus avec la femme aimée. Vers quoi se tourner, quand ce qu’un langage inepte appelle « la vraie vie » paraît dépourvu de sens ? Vers les grandes figures de la mythologie, vers les poètes de tout temps, ^HÖlderlin ou Bobrowski, vers la musique. C’est peut-être un spectacle : « Fini le temps d’Icare Dédale Orion Orphée Ariane ou Eurydice tous ceux qui maintenant sur la scène nous saluent qui bientôt viendront parmi nous s’asseoir remplir orchestre balcons et poulaillers – voilà ça va finir question de temps tout va pouvoir recommencer. »

Patrizia Cavalli, elle, déclare Mes poèmes ne changeront pas le monde. Le philosophe Giorgio Agamben souligne en préface « un savoir prosodique stupéfiant », par lequel le poète « touche et palpe les contours exacts de l’être ». Et pourtant, là aussi, un sentiment d’impuissance, augmenté de celui de la condition féminine. Il faut faire le ménage, faire à manger. Pas de vertige, mais dans une ville sale, aux escaliers crasseux, aux cours nauséabondes, un somnambulisme attentif aux plus petites choses, « les traces du verre sur la table / pour rechercher dans la densité des cercles / le poids involontaire d’une main ». Patrizia Cavalli a reçu en novembre 2006 le prix international de poésie Pier Paolo Pasolini.

L’élégie est poème de lamentation. Mais l’Eléplégie, qui vient en titre du livre de Cédric Demangeot ? Faut-il entendre dans ce néologisme, étymologiquement, une lamentation qui frappe un grand coup ? C’est aussi le titre de la section qui dit la prison et la torture. Le poète est un prisonnier qui a pour ami le mur : « Dans / ma cellule, ils / m’ont laissé / le droit de parler / au mur. Et le droit / de masturber le mur. » Il est ailleurs l’assoiffé à la langue trouée et encore celui qui veut sauver la langue pour sauver l’homme. Ses poèmes témoignent d’un monde désarticulé, tels les mots coupés à la rime, pas même en syllabes : « la h / alte », « ce qu’i / l’reste », « l’o / mbre », mais aussi redoutablement articulé dans l’autre camp. La dernière section est une Prosopopée précédée d’une annonce : c’est la parole qui manque à la police et le poète parlera pour « la langue revenant à soi et se découvrant coincée dans un corps policier ».

La revue Po&sie place ses trente ans sous le parrainage d’Herman Melville (1819 – 1891), qui a dénoncé « l’instauration dans notre siècle d’un empire anglo-américain fondé sur la dégradation systématique de l’homme ». On lit ici son long poème Esquisse et l’étude de Richard Rand, Melville et l’Amérique. Autre référence : Samuel Coleridge (1772 – 1834). S’il est passé du radicalisme au conservatisme, ses oeuvres de jeunesse, dont le Dit du vieux marin, expriment un sentiment de culpabilité historique vis-à-vis du colonialisme. Aujourd’hui, que peut la poésie ? Rien, si elle reste seule, socialement insignifiante. Il lui faut « bâtir – habiter – penser », s’allier à la musique – de très belles pages sur Kurtag-Beckett – à l’image, à la danse, au roman. Un numéro extrêmement riche, à lire par tous ceux que préoccupe l’actuel « transport – déport culturel » évoqué en avant-propos par Michel Deguy. Ils y trouveront encore un grand poème de Yu Jian sur le Vol, trois textes pour « Penser la poétique » et trois autres pour « Faire parler Dante ».

Diérèse, pour sa part, consacre son numéro 36 à son dixième anniversaire. L’éditorial de Jean-Louis Bernard interroge : « Poésie-miroir ou poésie chemin ? » La section « Poésie du monde », particulièrement intéressante, salue d’abord deux disparus récents : Jacinto-Luis Guerena, républicain exilé en France en 1939, et Oskar Pastior, seul membre allemand de l’Oulipo. Suivent une contribution importante de Hauke Hückstädt, autre poète allemand, puis des poèmes de Dylan Thomas inédits en français et des proses poétiques du Brésilien Marcos Siscar. Trois cahiers réunissent des poètes de langue française connus ou à découvrir. Il y a encore des notes de lecture, des libres propos et des récits.

Précis d’indécision, de Jean-Paul Chevais. Atelier La Feugraie (2007), 82 pages, 12 e

Mes poèmes ne changeront pas le monde, de Patrizia Cavalli, bilingue, traduit de l’italien par Danièle Faugeras et Pascale Janot. Editions Des femmes / Antoinette Fouque (2007), 502 pages, 23 e

Eléplégie, de Cédric Demangeot. Atelier La Feugraie (2007), 112 pages, 12,50 e

Po&sie n°120
2ème trim (2007), Editions Belin, 398 pages, 30 e

Diérèse n°36
printemps (2007), Editions les Deux Siciles (8, av Hoche – 77330 Ozoir-la-Ferrière), 22 pages, 8 e

A l’horiozon d’un amour infini dans Livres Hebdo, 14 septembre 07

Zordan Laurence

A l’horizon d’un amour infini – Paris Des femmes – Antoinette Fouque 18 x 12 cm

Roman à trois voix dans lequel chacun raconte sa propre histoire. ces trois récits ont en communla difficulté des personnages à se situer par rapport à leur origine sociale et familiale et le désir de régler son compte au passé en cherchant un amour infini ou une autre porte de sortie. Lucette est fille de gardiens d’immeuble, Guillaume est né sous X et Astrid est caissière d’une grande surface.

LIVRES HEBDO, 14 septembre 07

A l’horizon d’un amour infini dans Livres de France (septembre 2007)

Des femmes – Antoinette Fouque

A l’horizon d’un amour infini, Laurence Zordan

Roman à trois voix dans lequel chacun raconte sa propre histoire. Ces trois récits ont en commun la faculté des personnages à se situer par rapport à leur origine sociale et familiale et le désir de régler son compte au passé en cherchant un amour infini ou une autre porte de sortie. Lucette est fille de gardiens d’immeuble, Guillaume est né sous X et Astrid est caissière dans une grande surface. Des femmes – Antoinette Fouque, 2007

Le langage de la déesse de Marijas Gimbutas (ACROPOLIS, sept/oct 07)

marija_gimbutas.jpgRevue Acropolis, septembre octobre 07

TRADITIONS ET CULTURE

Le langage de la déesse de Marijas Gimbutas

Editions Des femmes – Antoinette Fouque, 419 p., 55 e

Ecrit par une archéologue d’origine lituanienne, ce très beau livre archéo-mythologique décrit la Grande Déesse de la vieille Europe, puisant son essence dans la tradition paléolithique. Un travail sur les symboles, les fonctions de la déesse, les mystères de la vie et de la mort, ses relations avec les animaux… De nombreuses illustrations d’objets, de symboles sont tirés de l’époque de l’avènement de l’agriculture en Europe, il y a quelques huit à neuf mille ans.

« Figures du féminin » de Catherine Chalier dans Passages du 3ème trimestre 2007

symbole-chalier.jpgFigures du féminin

Catherine Chalier

Editions Des femmes

C’est l’ouvrage d’un professeur, et bien sûr d’une femme, sensible à l’existence d' »une ineffaçable asymétrie ». C’est un ouvrage de philosophe. La condition féminine est vue à travers aussi bien le Talmud que les philosophes juifs, héritiers de la psychanalyse. Tant d’éminents parrainages n’autorisent pas le moindre « déjà vu » en renfort, mais les auditeurs du récent hommage à Levinas rendu par Passages l’an dernier retrouveront quelques-uns des propos qui y furent tenus. On remarque que l’éditeur (e) a confié à l’auteur elle-même le soin de rédiger la quatrième de couverture : est-ce la crainte qu’elle soit trahie en étant traduite ? Voici donc un rude exercice que de raconter ce livre sans que la brièveté vaille distorsion. On n’est pas surpris que l’hébreu (que nombre de nos lecteurs ne connaissent pas plus que l’auteur de ces lignes) soit appelé pour des précisions de langage où le profane doit se plonger. Et il s’y plonge avec plaisir.

Tout philosophe se heurte à ce qui n’est pas réductible à l’ensemble des concepts avec lesquels il a construit l’ordre auquel l’Être se range. Et l’Autre ne peut être que d’une « extériorité absolue » par rapport à ces concepts. Autre est la miséricorde des entrailles maternelles qui précède l’essence. (Levinas relie l’hébreu Rakhamin, miséricorde, et Rekhem, utérus.) L’aimée est contradiction. L’amant ne peut que se heurter à un « moins que rien » doux, généreux et passif (n’ayant pas choisi le fonctionnement du corps auquel elle est nouée), un visage « sans forme » car seul le crée son regard à lui, un savoir qu’elle a de l’enfant conçu « mien et non-mien », car, pour lui, le don de la vie est oeuvre au masculin. Les temps masculin et féminin se bousculent sans aller ensemble, celui de l’amant celui de l’aimée, celui prévu de l’enfant : « diachronie irréductible ».

Iche désigne l’homme, « prototype de l’humain » comme dans diverses langues et grammaires, Icha, la femme assujettie par le nom après l’avoir été par le corps. Catherine Chalier se pose la question : « Est-ce outrage à la pensée du philosophe que d’énoncer au féminin un acte éthique ? » Difficile, quand tout au long du livre on revient constamment à Levinas. Levinas, né en 1906, a connu une époque de relatif silence de l’Autre, il a toujours réfuté que l’extase amoureuse soit un échange (ou une appropriation, elle ne résout pas l’angoisse : l’auteur rappelle que Platon déjà refutait le mythe de l’androgyne). Il y reste solitaire, n’en voit que la finalité : « Avoir un fils ». Pense t-il à d’autres maîtres qu’il a étudiés en philosophie s’exprimant sur les arts et les sciences ? Il déclare, fidèle à la Bible, que la seule création pour lui est d’une génération nouvelle.

Mais il y a un féminin, cet « il y a » peut, s’il est reconnu, être riche de recherches et de découvertes. C’est le travail accompli dans ce livre. J.P.