Le grand entretien de Colette Portelance sur l’intelligence par Sophie Rey

LE GRAND ENTRETIEN DE COLETTE PORTELANCE

Au cœur de l'intelligence
Colette Portelance
  • Parlez-moi de vous.

Je suis d’abord et avant tout une pédagogue qui a toujours été passionnée par l’animation et l’enseignement. Mon travail auprès des adolescents et des adultes de même que le travail thérapeutique que j’ai fait pour apprendre à vivre avec mes blessures m’ont amenée à m’intéresser sérieusement à la psychologie et à la thérapie. C’est pourquoi, parallèlement à mes études avancées en sciences de l’éducation (maîtrise à l’Université de Montréal et doctorat à l’université de Paris), j’ai suivi de nombreuses formations dans le domaine de la psychologie humaniste. À la suite de ce parcours académique et expérientiel, j’ai créé une approche pédagogique et thérapeutique qui s’enseigne principalement au Canada et dans les pays francophones d’Europe, l’Approche non directive créatrice (ANDC). Aujourd’hui, le Centre de relation d’aide de Montréal (CRAM) et l’École internationale de formation à l’ANDC à Paris (EIF) reçoivent conjointement près de 400 étudiants par année et comptent plus de 60 formateurs. Je suis également l’auteur de 16 ouvrages dont : Relation d’aide et amour de soi, La communication authentique, Éduquer pour rendre heureux et Au cœur de l’intelligence.

  • À la page 16, vous écrivez : « Malgré leurs résultats plus ou moins médiocres aux examens et aux tests de QI, je restais profondément convaincue que leurs piètres performances scolaires ne reflétaient en rien leur véritable niveau d’intelligence. » Voulez-vous dire que la médiocrité intellectuelle n’existe pas ?

Le mot « médiocrité » est souvent employé péjorativement pour désigner une personne inférieure aux autres, peu douée, une personne de peu de valeur. Mais nous sommes tous « médiocres » dans certains domaines et remarquables dans d’autres. Une personne peut avoir des aptitudes intellectuelles extraordinaires et avoir une intelligence pratique très limitée ou encore être très inconfortable quand il s’agit d’exprimer ses émotions en relation. Dit-on de cette personne qu’elle est « médiocre » ? Il y a, en effet, des personnes moins performantes que d’autres intellectuellement. Elles n’en sont pas moins intelligentes pour autant. Ces personnes ont développé d’autres types d’intelligence que l’intelligence rationnelle et ce qu’elles apportent à leur entourage et la société a autant d’importance et de valeur que ce que peuvent apporter les intellectuels.

  • Connaissez-vous une auteure de Guilaine, Anne-Cécile Hartemann, qui elle aussi a étudié au CRAM ?

Je précise d’abord que je n’ai pas étudié au CRAM (Centre de Relation d’Aide de Montréal). J’ai créé le CRAM et j’ai créé aussi l’approche non directive créatrice (ANDC) qu’on y enseigne ainsi que la formation à cette approche. J’ai formé des personnes comme Anne-Cécile Hartemann qui, effectivement, a complété sa formation de thérapeute non directive créatrice au CRAM et qui est aujourd’hui thérapeute et formatrice de thérapeute à cette école. Anne-Cécile est une personne très compétente que je recommande fortement à tous ceux qui recherchent un bon thérapeute. Je la connais aussi comme auteure. Son livre « Métamorphose » est un outil exceptionnel de connaissance et d’amour de soi.

  • L’intelligence c’est aussi d’admettre ses faiblesses et de reconnaître la force des autres. Pensez-vous que les « grands hommes » (Napoléon, Churchill…) avaient cette capacité ?

La capacité relationnelle est l’une des plus importantes manifestations de l’intelligence humaine. Un bon leader est une personne capable d’être en relation avec les autres, de reconnaître ses propres forces et ses propres faiblesses pour être en mesure de reconnaître les forces de chacune des personnes de l’équipe qui l’entoure et d’encourager chaque personne à exploiter son potentiel. Cela dit, le danger qui guette tous les dirigeants du monde, dans quelque domaine qu’ils soient, c’est l’attrait du pouvoir et de la domination. Lorsqu’un leader tombe dans ce piège, il ne propulse pas les autres. Il les utilise. Tous les « grands hommes » et toutes les « grandes femmes » ont des limites parce qu’ils et qu’elles sont avant tout, comme vous et moi, des êtres humains. L’important, c’est qu’ils en soient conscients.

  • À la page 41, vous écrivez : « Ces personnes tout comme Einstein, Churchill et Edison, ont réussi parce qu’elles étaient motivées ». Pour résumer, c’est la passion qui fait la réussite, mais qu’en est-il des gens qui ont des intérêts, mais pas de passion particulière, sont-ils voués à l’échec ou à une réussite moyenne ?

Einstein, Churchill et Edison n’aimaient pas l’école parce qu’ils manquaient d’intérêt pour ce qu’ils recevaient comme enseignement, ce qui ne les motivait pas à s’impliquer dans leur processus d’apprentissage. L’intérêt crée la passion à condition qu’on fasse des choix qui vont dans le sens de ce qui nous motive, et qu’on s’investisse.

Peut-on réussir sans intérêt ? Pour répondre à cette question, il faut savoir ce qu’on entend par réussite. Est-ce que réussir c’est gagner beaucoup d’argent ? Avoir un statut social enviable ? Être connu, reconnu et applaudi ? Être meilleur que les autres ? Est-ce que la réussite se mesure par ces seuls critères extérieurs ? Il n’y a rien de mal à être riche et à être connu et reconnu à condition de faire ce qu’on aime.

Une jeune Québécoise dont le talent de chanteuse a été découvert quand elle était adolescente avait devant elle une carrière assurée. Elle remplissait les salles lorsqu’elle donnait des concerts. Puis, du jour au lendemain, elle a abandonné la scène parce qu’elle n’y était pas heureuse. Elle n’était pas faite pour ce métier malgré son talent. Elle a suivi sa passion : la cuisine. Aujourd’hui, elle est l’auteure de trois livres de recettes qui se sont vendus à des milliers d’exemplaires au Québec. Son nom ? Marilou.

Attention! Faire ce qu’on aime et suivre ses intérêts n’est pas toujours facile. Cela demande du temps et de l’investissement constant. Mais pourquoi s’engager sur un chemin qui ne nourrit pas notre énergie vitale plutôt que sur un chemin qui nous permet de nous épanouir, de nous réaliser tout en apportant quelque chose aux autres ? Quoi que nous pensions, nous avons toujours le choix.

  • À propos du cerveau du ventre, pensez-vous que cela puisse expliquer les troubles alimentaires compulsifs et les maladies telles que l’anorexie ?

Le cerveau du ventre est le cerveau des émotions. Celui du cœur concerne les sentiments comme l’amour, la gratitude, la compassion. Je ne suis pas une spécialiste des troubles alimentaires, mais nous savons maintenant que tout est interrelié en l’être humain. L’émotion n’est pas un phénomène isolé. La maladie, qu’elle soit physique ou mentale, ne l’est pas non plus. Il est évident qu’on ne peut pas dissocier le physiologique du psychologique. Cependant, avec l’importance accordée à l’influence de l’émotion sur le corps ces dernières années, il y a un danger qu’on la mette seule responsable de tous nos troubles et qu’on oublie les causes physiques et comportementales, les choix de vie et les relations toxiques comme facteurs importants de dérèglement ou de déséquilibre.

  • À la page 158 vous dites : « Mais pour satisfaire ces besoins fondamentaux et libérer le génie en nous, une condition est absolument indispensable : l’effort ». Ma question : pourquoi est-ce toujours aussi dur de se faire du bien ?

Le plus dur c’est de trouver un équilibre entre « se faire du bien » maintenant et faire un effort pour notre plus grand bien futur. En voici un exemple. Si vous rêvez d’un chalet à la campagne au bord d’un lac pour vous détendre dans la nature, pour vous soustraire au stress de la ville et de la vie quotidienne et que vous dépensez tous vos revenus pour satisfaire les seuls plaisirs de l’ici et maintenant, vous ne réaliserez pas votre rêve. Pour économiser, vous devez faire l’effort de structurer votre budget dès aujourd’hui. Tous vos rêves vous demandent de fournir des efforts maintenant pour pouvoir les réaliser plus tard. Vous pouvez rêver toute votre vie de devenir danseur, mais si vous ne faites pas l’effort de poursuivre maintenant la formation nécessaire pour atteindre votre objectif, nous ne le serez jamais. C’est la même chose pour le travail personnel et relationnel.

Cependant, nous ne pouvons consacrer toute notre vie à préparer notre avenir. Nous avons aussi besoin de nous faire plaisir dans le présent. Encore là, c’est une question de choix et d’équilibre.

  • Pensez-vous que les tests de QI soient complètement inintéressants ?

Je suis très mal à l’aise avec les tests qui mesurent l’intelligence émotionnelle, l’intelligence rationnelle ou toute autre forme d’intelligence et qui classent les gens qui les passent en fonction de leurs résultats. Certains croient toute leur vie qu’ils ne sont pas intelligents à cause de ces tests. D’autres se croient à tort supérieurs aux autres. L’expérience a démontré qu’avoir un QI très élevé n’est pas nécessairement un facteur de réussite personnelle, relationnelle ou professionnelle ni que ceux qui obtiennent les meilleurs résultats à ces tests sont plus heureux que les autres dans leur vie.
Je préconise plutôt un questionnaire qui permettrait aux éducateurs de connaître les intérêts des éduqués, leurs objectifs et les moyens qu’ils souhaiteraient mettre en place pour les satisfaire et les atteindre.

  • Que pensez-vous des HPI, est-ce un nouveau phénomène de mode (comme on a beaucoup entendu parler d’enfants hyperactifs pendant une époque) ?

Le haut potentiel intellectuel est une caractéristique des personnes dont le quotient intellectuel se situe entre 130 et 160. Ce que je déplore du HPI, c’est qu’il se mesure par un test qui valorise particulièrement l’intelligence rationnelle. Et que fait-on des personnes qui ont un HPP, c’est-à-dire un haut potentiel pragmatique. Ces personnes, qui ont une intelligence pratique développée ne sont-elles pas indispensables pour améliorer notre qualité de vie ? Et que dire des HPS, de tous les êtres doués d’une intelligence sensitive et intuitive qui leur permettent de saisir de l’intérieur les subtilités de l’âme humaine et de créer des objets d’art qui nourrissent tout notre être. Ce que vous appelez un possible phénomène de mode a pour effet, au même titre qu’un grand nombre de milieux éducatifs, de survaloriser l’intelligence de la tête et de sous-estimer celle du cœur.

  • Si l’intelligence est innée et acquise, qu’en serait-il d’un enfant analphabète, sans contact social ?

Personne n’a pu démontrer jusqu’à présent le pourcentage d’intelligence innée et le pourcentage de l’intelligence acquise chez un être humain. Une chose est certaine toutefois c’est que nous avons tous des potentiels illimités. Cependant, pour que ces potentiels se manifestent, il est impératif de les développer. C’est précisément le rôle de l’éducateur que de favoriser le développement de tous les potentiels par des stimuli intellectuels, relationnels, émotionnels, pratiques, créatifs. Un enfant qui n’est pas stimulé n’exploitera jamais ses potentiels. C’est d’ailleurs le cas de tous les êtres humains, quel que soit leur âge.

  • Est-ce qu’à force d’apprentissage, l’intelligence acquise prend le dessus, voire remplace l’intelligence innée ?

L’intelligence acquise ne remplace pas l’intelligence innée. Elle l’exploite. Elle la nourrit. Elle la fait croître. Elle favorise son épanouissement. Quels que soient vos potentiels, si vous ne les faites pas fleurir, ils se faneront. On a tous la responsabilité d’activer notre potentiel d’intelligence pour nous réaliser et accomplir la mission pour laquelle nous sommes nés.

  • Question bête, les idiots existent-ils ?

Pour répondre à cette question, je donne la parole à Einstein : « Tout le monde est un génie, mais si vous jugez un poisson à sa capacité de grimper à un arbre, il croira toute sa vie qu’il est stupide. »

https://guilaine-depis.com/

Vernissage exposition Femmes de la Louisiane par Emilie Molinero mardi 19 ou jeudi 21 avril 2022 à 19h

Exposition Femmes de la Louisiane

Résidentes ou voyageuses, papillons, éternelles amoureuses (ou les deux), les femmes ont une relation forte à La Louisiane, leur hôtel, leur muse.
Un toit, une chambre, un abris, une source, un nid, un paravent, l’ami absent, la belle vie, la vie déçue, La Louisiane incarne tant pour elles.
Dans ce livre, Emilie Molinero fait le récit en images et en mots de dix femmes portées par l’énergie de l’Hôtel La Louisiane. 
Rendez-vous le mardi 19 avril ou le jeudi 21 avril 2022 à partir de 19h à l’Hôtel la Louisiane, 
Rencontre-signature autour de « Femmes de la Louisiane » en présence de l’autrice Emilie Molinero.
60 rue de Seine, VIe
Au cœur de Saint-Germain-des-Prés
entrée libre pour le vernissage RSVP guilaine_depis@yahoo.com 06 84 36 31 85 (à contacter aussi pour interview artiste, photos, dossier de presse)

Sortie du livre Femmes de la Louisiane Par Emilie Molinero

Femmes de la Louisiane est un livre photographique qui dresse le portrait de dix femmes, de 22 à 83 ans, vivant à l’hôtel La Louisiane, Chelsea Hotel à la parisienne situé au coeur de Saint- Germain-des-Prés.

Ce travail est à la fois une expérience poétique du lieu et une rencontre avec des personnes aux vies riches et émouvantes, incarnant les féminités d’aujourd’hui.

L’édition est bilingue français/anglais.

Le livre est imprimé en 225 exemplaires, dont 25 en édition limitée avec tirage signé, pour cette première édition.
132 pages, format 20,5 x 32,5 cm.
Imprimé en France sur papier d’art.

Couverture tissée.

Il est en vente à date:

  • –  Leicastore Rive Gauche, 13 rue du Cherche-Midi, 75006 PARIS
  • –  L’hôtel Louisiane, 60 rue de Seine, 75006 PARIS
  • –  En ligne sur www.emiliemolinero.bigcartel.com

L’hôtel La Louisiane est un hôtel familial situé au cœur de Saint Germain-des-Prés. Depuis les années vingt, il s’est forgé une réputation d’hôtel littéraire. Des noms d’hôtes illustres résonnent encore entre ses murs : Sartre, Beauvoir, Greco, Tarantino… Il s’est toujours tenu à la lisière du monde culturel, accueillant les nouveaux mouvements artistiques et littéraires de son temps. Haut lieu du jazz, de l’existentialisme, de la liberté d’expression… Jusqu’à dernièrement, pendant la pandémie de Covid-19, alors que les touristes internationaux disparaissaient progressivement et que les Français se confinaient, l’hôtel est resté un lieu de liberté et d’accueil.

C’est à ce moment-là que j’ai fait sa connaissance. Pénétrer dans La Louisiane pour la première fois est une expérience inoubliable. Ses couloirs étroits et tortueux, ses rideaux fleuris et surtout ses murs marqués par les hôtes du passé titillent l’imagination. On est happé par ce lieu jamais à la mode, mais résolument moderne.

Aujourd’hui, la tradition d’accueil et de soutien aux artistes perdure. Parmi eux, des femmes en quête d’elles-mêmes ou d’une vie nouvelle, qui viennent chercher cette «chambre à soi», si chère à Virginia Woolf. Au fil des couloirs et des étages, des portes s’ouvrent : Tina, Emilie, Nathanaëlle, Mariam, Charlotte, Anna, Catherine, Shana, Madison et Julie-Amour… Dix histoires de femmes, dix histoires de lieux.

Portrait des dix femmes :

Tina

Tina a soixante-et-un ans et vit en Suisse. Elle se marie jeune et a deux enfants. Durant cette première partie de vie, elle exerce comme infirmière urgentiste, puis comme ostéopathe, faisant du soin des autres sa priorité.
Après son divorce et sa rencontre avec l’artiste calligraphe Lalou, Tina allie son goût pour la danse et le soin du corps en créant avec lui une nouvelle discipline, la Téhima. Celle-ci se compose d’un ensemble rigoureux et chorégraphié de gestuelles inspirées de l’alphabet hébraïque.

Tina forme des professionnels à cette pratique depuis dix ans. Chaque fois qu’elle vient enseigner à Paris, elle séjourne à l’hôtel La Louisiane, seule ou avec Lalou, un habitué des lieux depuis longtemps. Elle y répète ses danses dès le petit matin.

Mariam

Mariam a quarante ans. Née de mère marocaine et de père français, elle a grandi au Luxembourg où son père occupait un poste de haut fonctionnaire. Enceinte à vingt-et-un ans, elle abandonne ses études à Oxford pour suivre son mari à Riyad puis à Dubaï.
Mariam connaît une vie fastueuse mais éprouve rapidement la solitude de mère au foyer. Après plusieurs années de vie commune, elle rentre à Paris avec son fils et divorce à trente-sept ans. Aujourd’hui, elle retrouve son indépendance et se lance dans l’écriture.

Mariam s’installe temporairement à La Louisiane en mai 2020, pour écrire. Elle y reviendra en novembre 2020 pour achever ce travail personnel.

Catherine

Catherine vit dans le Perche et a soixante-quatorze ans. Très jeune, poussée par la faillite de la cidrerie familiale, elle se lance dans la décoration puis la mode, en créant la marque Tartine et Chocolat au début des années soixante-dix. Chacun de ses projets est un succès mondial et propulse la jeune femme au rang des plus grandes fortunes de France. Durant cette même période, elle se marie à deux reprises et donne naissance à cinq enfants.

Aujourd’hui, après la création de chambres d’hôtes dans l’Aubrac, elle retourne dans son Perche natal pour lancer un nouveau concept hôtelier en compagnie de l’un de ses fils.
Catherine revient une fois par mois à Paris. Depuis vingt ans, à chacun de ses séjours, elle loge à La Louisiane, de préférence dans l’une des chambres rondes.

Charlotte

Charlotte a trente-sept ans. Elle est née dans une famille bourgeoise du Sud-Ouest au mode de vie bohème. Après des études de lettres, elle vient travailler à Paris quelques années sans trouver sa place ; elle retourne vivre à Bordeaux.
Il y a cinq ans, Charlotte s’installe de façon permanente à Paris, suite à sa rencontre avec Xavier, le propriétaire de La Louisiane.

Depuis le confinement de mars 2020, elle s’est investie professionnellement et émotionnellement dans la vie de l’hôtel et prend en charge le développement culturel de l’établissement.
Depuis la réception de l’hôtel, où elle travaille l’après-midi et le soir, Charlotte écrit des nouvelles.

Emilie

Emilie a cinquante-quatre ans. Après une enfance difficile dans une famille autoritaire et mal aimante, son DEA de Lettres en poche, elle s’installe à Paris où elle restera vingt-cinq ans. Elle y mène une vie libre et indépendante. Critique littéraire pour la presse et la télévision, Emilie se lance ensuite dans l’écriture de nouvelles et de romans.

Il y a quatre ans, pour mieux se consacrer à cette activité, elle décide de retourner vivre dans son Pays Basque natal. A côté de son travail d’écriture, Emilie est aujourd’hui assistante auprès d’enfants handicapés et se forme à la psychothérapie pour soigner les traumatismes graves.

Elle revient souvent à Saint-Germain-des-Prés et loge à La Louisiane, un point d’ancrage dans son travail d’écrivain.

Anna

Anna a trente-sept ans. Elle a grandi en Ukraine où elle a fait des études pour devenir professeur des écoles. A vingt-cinq ans, elle part vivre à Ljubljana en Slovénie, où elle gagne sa vie comme serveuse. Il y a quatre ans, elle débarque à Paris et rencontre Jean-Jacques, ex-homme d’affaires, à la terrasse du Flore. Elle travaille aujourd’hui de temps en temps comme figurante ou serveuse et assiste son compagnon dans son quotidien.

En raison de la guerre civile en Ukraine et de l’épidémie de Covid-19, Anna n’a pas revu ses parents depuis huit ans.

Elle réside de façon permanente à La Louisiane depuis bientôt deux ans.

Madison

Madison a 22 ans. Elle a grandi en Arizona sans connaitre Paris autrement que par les livres et la télévision. Elle la découvre lors d’une courte visite et se sent immédiatement liée à cette ville dont elle perçoit une personnalité forte et vibrante, loin des clichés qu’elle imaginait.
Elle décide d’y vivre en travaillant comme jeune fille au pair. Elle fait alors la rencontre d’Henrick, veilleur de nuit à La Louisiane et poète surréaliste. Après une expérience malheureuse dans la famille où elle travaille, elle rejoint son compagnon à La Louisiane en janvier 2020, et s’y installe.

Chaque nuit, elle travaille dans sa chambre qui est pour elle tout à la fois matériau créatif, atelier et refuge.

Julie-Amour

Julie-Amour a 47 ans et est la petite-fille de Juliette Gréco. Elle est née à Paris, mais a beaucoup voyagé. Enfant, elle suit sa mère comédienne sur les tournages, puis étudie en pension.
Elle exerce ensuite plusieurs métiers qui l’amènent à poursuivre ce mode de vie nomade : employée dans le tourisme équestre, assistante de production dans le cinéma, tâcheron dans les vignobles, puis animatrice pour le service de l’enfance à la mairie de Nanterre.

Il y a quinze ans, près avoir sillonné la France, l’Espagne et une partie de l’Afrique à vélo, elle se marie et s’installe à Roscoff. Elle y lance un food truck et une conserverie.
Aujourd’hui, suite à la mort de sa mère et de sa grand-mère, elle consacre une grande partie de ses journées à la gestion du patrimoine de Juliette Gréco. A côté, elle écrit des nouvelles.

Julie revient régulièrement à Paris depuis la mort de sa grand-mère pour s’occuper de cet héritage et aime alors s’installer à La Louisiane, lieu chéri de Juliette.

Shana

Shana a trente-cinq ans et est née à Paris, dans le 18e arrondissement. Elle est l’aînée d’une fratrie de quatre, au sein d’une famille où l’on déménage souvent.
A la mort de son jeune frère en 2010, Shana part à l’aventure sur les routes, avec sa chienne Jasmin. Elle termine son périple en 2015 pour devenir gérante de bar en banlieue parisienne et s’installer avec son nouveau compagnon, lui-même barman. Ce dernier se révèle de plus en plus violent au fil des années, notamment pendant le premier confinement de mars 2020. A l’été suivant, Shana s’enfuit de chez elle avec Jasmin et trouve alors un emploi de serveuse dans un café près de Pont-Neuf. C’est là qu’elle rencontre Charlotte et Xavier qui lui proposent de venir loger à La Louisiane en octobre 2020.

Aujourd’hui, Shana a décroché un CDI chez Amazon. Elle vit toujours à La Louisiane avec Jasmin.

Nathanaëlle

Nathanaëlle a 83 ans. En 1959, après une enfance passée en pension, elle quitte sa Bourgogne natale pour s’installer à Paris, à l’hôtel La Louisiane qu’elle découvre au hasard de ses balades. Elle est alors mannequin pour le prêt-à-porter chez Christian Dior, puis Monoprix.
Lorsqu’elle quitte La Louisiane deux ans plus tard, c’est pour vivre sur une péniche avec son mari. S’ensuivront des années à Londres puis à Genève. A son retour à Paris en 1981, séparée de son époux, Nathanaëlle s’installe Boulevard Voltaire. Dans ce grand appartement au style rococo, elle élève ses trois enfants et prend en charge des pensionnaires. En 2007, elle déménage à la pension des Marronniers rue d’Assas, puis en EHPAD.

Nathanaëlle et sa fille Elodie se retrouvent régulièrement à La Louisiane depuis le premier confinement de mars 2020. Dans la chambre 19, elles partagent à nouveau des moments d’intimité que le contexte de pandémie n’autorisait plus.

Naissance de la Civélosation ! par le philosophe Emmanuel Jaffelin dans Entreprendre

Par Emmanuel Jaffelin, auteur de Célébrations du Bonheur (Michel Lafon)

Les profs d’histoire ont l’habitude de parler des « civilisations » ( la sumérienne, l’égyptienne, la sabéenne, la chinoise[1], l’indienne, etc.). Si, dans sa période d’Uruk, la sumérienne voit apparaître l’écriture, il faut bien dire que, dans quelques siècles, des historiens parleront de l’apparition du vélo au XIXsiècle et de son imposition comme mode de transport principal[2] au milieu du XXIe siècle. Ils seront dès lors capables de parler du passage de la civilisation occidentale à une civilisation du vélo, autrement dit à une Civélo-sation [3]! En 2022, en France, par exemple, un petit panneau triangulaire placé sur les feux rouges indique que le cycliste peut ne pas s’y arrêter : privilège, privilège! Règne du cycliste pour qui le vélo est un nouveau car-rosse qui ressemble à un os !

A première vue, la nouvelle semble bonne : le vélocipède est un moyen de locomotion qui ne pollue pas et qui assure à l’individu son autonomie. A seconde vue, ce moyen est, au vingt-deuxième siècle, une expression de l’idéologie écologique et de la mise en place d’une dictature. En effet, le vélo ne pollue pas si le cycliste pédale et fonde son mouvement sur son activité physique ; en revanche, lorsqu’il est électrique[4], il n’est plus un vélo, mais seulement l’un des nombreux deux roues[5] à moteur (comme les scooters et les motos) déguisé en « vélo » et qui fonctionne grâce à une batterie[6] rechargée, chaque jour en France, grâce à une centrale nucléaire[7]. Malgré cette hypocrisie patente[8], les élus s’efforcent de réduire la présence des voitures dans les villes et dans le pays. C’est ainsi que la mairesse de Paris, Anne Hidalgo,sous l’influence des élus verts présents dans le conseil municipal,« veut diminuer drastiquement la circulation des voitures dans le centre[9] ». «  Cette « zone à trafic limité » (ztl) a pour ambition de « réduire drastiquement le trafic de transit pour faire la part belle aux piétons, aux vélos et aux transports en commun [10]».

Disons-le clairement, cet acte est l’expression d’un Nouveau Moyen âge avec ces différences notoires consistant dans le fait qu’il n’y a plus à Paris de murailles, de ponts-levis ni, quasiment, de chevaux, mais, à leur place, se trouvent des policiers ( qui font murailles), des métros ( passant sous des tunnels) et des..vélos! Cette idée d’interdire la voiture au soit-disant profit du piéton est en réalité une volonté de supprimer La voiture et La liberté de mouvement. La voiture étant née après le vélo[11], vouloir la supprimer témoigne réellement d’un refus du progrès. Cette apologie du vélo s’avère donc être le symptôme d’une apologie du passé et donc d’une attitude réactionnaire. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas interdire les ventes de briquets pour exiger celle des silex ?!! Plutôt que d’avancer le nez en avant, les apologistes du vélo avance en Néanderthals[12] !

Par Emmanuel Jaffelin, cycliste, motard et auteur de Célébrations du Bonheur (Michel Lafon)


[1]– En moyenne, la batterie du vélo électrique à une autonomie de 3h ou, dit autrement de 50 à 70 kms

[2]– Le vélocipède est inventé en Allemagne par Karl Drais von  Sauerbronn en 1817. Il l’appelle  « machine à courir » (Laufmachine) car il n’a pas (encore) de pédale

[3]– Rappelons qu’étymologiquement le mot civilisation vient du latin, à savoir le mot civis qui désigne le citoyen et le mot civitas désignant la cité. Dit autrement, la civilisation désigne l’ensemble des citoyens d’une cité commune. Et, par extension, l’ensemble des valeurs et des connaissances de ladite cité. Ce mot est un néologisme inventé par le marquis Mirabeau en 1756. Civélosation désigne le règne d’une vélo dans une civilisation où s’imposent les critères écologiques de la vie humaine. Ce mot est un néologisme crée dans le présent article par son auteur, le philosophe Emmanuel Jaffelin, non marquis, mais marquant ! Le CI rappelle celui de civis, la cité, Anne Hidalgo voulant faire de la civis dont elle est la Mairesse, Paris, la civis du vélo donc un cobaye de la Civélosation

[4]– il est aussi appelé « vélo hybride » dans un monde où tout le devient. Un iel est un nouveau pronom personnel hybride du « il » et du « elle », c’est-à-dire qui mélange le masculin et le féminin. Ce vélo post-moderne mélange le mécanique et l’électrique, la monture ( on monte un cheval et on monte sur un vélo) et du véhicule.

[5]– A noter que ces véhicules peuvent exister à trois roues : les tricycles

[6]– cette batterie, comme celle de téléphones fonctionne au lithium. Bonne durée de vie, pas d’effet de mémoire et bonne durée de vie sont ces atouts. Poids élevé, faible autonomie et présence d’acide liquide dangereux sont ses inconvénients.

[7]– s’il ne pollue pas directement comme un scooter ou une moto, il pollue indirectement et à plus long terme en raison de sa batterie (dont on ne sait pas quoi faire) et de la centrale nucléaire qui peut fuir, exploser ou être bombardée et –donc contaminée une partie de la planète pendant des millénaires !

[8]– qui masque une écologie soutenant le nucléaire !

[9]– Les Echos, 14 mai 2021

[10]– idem

[11]– la voiture fut créée en 1886, soit 79 ans après le vélo.

[12]-Espèce Homo ayant vécu jusqu’il y a 30.000 ans avant aujourd’hui

Dans Politique Matin, François de Coincy critique Emmanuel Macron

LE PROGRAMME D’EMMANUEL MACRON EST LA PROLONGATION DU « QUOI QU’IL EN COUTE »

Alors qu’on attendait, préparé dans le secret, un programme présidentiel présentant quelques mesures fortes, nous n’avons eu qu’une étude ennuyeuse et convenue. Si on en oublie les mesures cosmétiques et les vœux pieux, il en reste trois points significatifs : le nucléaire, la retraite à 65 ans et la suppression du chômage.

Contre sa précédente politique et contre l’avis de sa mirifique Convention citoyenne sur le climat, la volte-face du Président sur le nucléaire fut une surprise il y a quelque mois. Compte tenu des problèmes climatiques et d’indépendance énergétique, la mesure trouve aujourd’hui dans la majorité des formations politiques un consensus qui ne doit pas faire oublier que le nucléaire présente des risques réels, que sa maîtrise sur le long terme est incertaine et que son coût sera élevé. La situation financière d’EDF et son incapacité à traiter ses déchets sont des problèmes à mettre sur la table. Les montants à investir dans ce programme n’auront des retombées positives que dans plus de 10 ans et, dans l’intervalle cet engagement, qui pèsera sur le pouvoir d’achat des Français, augmentera mécaniquement la dette nationale.

Le Président, qui en cinq ans n’a pas réussi à mettre en œuvre sa réforme des retraites, nous annonce aujourd’hui vouloir reporter à 65 ans l’âge de départ la retraite. Il semble abandonner toute réforme structurelle qui permettrait de clarifier la répartition entre ce qui relève de la cotisation qui doit être intégralement payé par les bénéficiaires et ce qui relève de la solidarité qui doit être payé par l’impôt. Dans tous les cas, compte tenu de l’application progressive de ces mesures, on ne peut en espérer un allégement financier sur les cinq prochaines années.

Emmanuel Macron promet de continuer à faire baisser le chômage comme il l‘aurait réussi ces deux dernières années. Mais c’est abusivement en oublier la cause : les gens n’ont pas travaillé plus, ils ont été payés à ne rien faire. Ainsi s’explique cette corrélation atypique entre la baisse de l’activité, la hausse de l‘emploi ainsi d’ailleurs que la baisse des faillites.

La diminution du chômage est due aux soutiens financiers qui ont permis aux entreprises de conserver des salariés qui ne produisaient plus. Cela a été possible grâce aux milliards déversés à crédit et dire que cette méthode permettra de résorber le déficit alors que c’est ce déficit même qui a permis la résorption du chômage, est une insulte au bon sens.

Oui, il suffira de faire travailler quelques heures les gens au RSA pour les sortir des statistiques du chômage. Cela ne fera qu’empirer l’exclusion d’une partie de la population et aggravera encore notre situation financière.

On voit par ces trois exemples, que le programme d’Emmanuel Macron est la prolongation du « quoi qu’il en coûte », basé sur l’assistanat et le déficit perpétuel.

L’univers Macron-Lemaire est un métavers où le travail et l’effort ne sont pas nécessaires

En privilégiant sa réussite personnelle plutôt que celle des Français Emmanuel Macron peut continuer durant la campagne à faire des chèques. Cela ressemble à de l’achat de votes et des esprits scrupuleux dénonceraient une atteinte à la démocratie.

Les électeurs s’en moquent, ce qui est acquis est toujours bon à prendre et ils sont satisfaits de la manière dont on leur a évité les désagréments de la lutte contre le réchauffement climatique, de la pandémie et maintenant de la guerre. La méthode Macron-Lemaire consiste à payer chaque fois qu’il y a un problème sans demander d’effort aux Français, en recourant à l’argent magique de la BCE depuis qu’elle s’est affranchie de ses règles fondamentales.

L’univers Macron-Lemaire, c’est ce monde parallèle, régi par des règles et de l’argent, un Monopoly de financiers et de bureaucrates ou, pour être plus à la mode, un métavers où le travail et l’effort ne sont pas nécessaires.

Après la méthode Madoff-Ponzi au niveau de la finance privée, et tant que nous aurons autant de gogos pour y croire, nous subirons la martingale Macron-Le Maire pour la finance publique à moins que la BCE les interdise de chéquiers.

Car tout ceci va s’arrêter à cause de l’inflation générée par la baisse de la valeur de la monnaie et parce que les Allemands n’accepteront plus longtemps de prendre le risque d’une trop grande dévalorisation monétaire et financer par leurs excédents les déficits de la France.

L’alternance républicaine possible avec Valérie Pécresse a été ruinée par le non-soutien volontaire de Nicolas Sarkozy

La victoire annoncée de Macron nous amènera dans un quinquennat perdu où, ligoté par ses promesses et ses actions passées, il n’aura aucune possibilité de réforme. Pour l’électeur soucieux de l’avenir et trop attaché à la liberté politique et économique pour se tourner vers les extrêmes, il ne restait plus que la candidate des Républicains.

Contre toute attente, Christian Jacob avait réussi un sans-faute dans la mise en œuvre d’une candidature rassemblant toutes les composantes du parti. Valérie Pécresse était en situation de battre Emmanuel Macron et pouvait ramener la France à une politique raisonnée. Cette perspective a été ruinée par le non-soutien affiché par Nicolas Sarkozy qui diminue également les chances de survie du parti qui l’a tant aimé et soutenu. Le débauchage d’Eric Woerth en pleine bataille électorale était négligeable, mais voir l’ancien Président jouer contre son camp, sans daigner expliquer pourquoi, est insoutenable. Une attitude que même Ponce Pilate n’aurait pas adoptée s’il s’était agi de sa famille.

S’ils veulent exister les Républicains doivent dénoncer rapidement et sans indulgence l’attitude de Nicolas Sarkozy.

Dans Entreprendre, Philippe Rosenpick s’interroge sur la place des street artistes dans la guerre

Par Philippe Rosenpick, avocat d’affaires

TRIBUNE. Depuis le début de la guerre en Ukraine, beaucoup de street artistes se sont mobilisés. Certains avec pour slogans « stop the war » et sans prendre de parti pris politique, d’autres plus engagés, pastichant un Poutine rouge sang qui dégouline ou reprenant les couleurs de l’Ukraine pour soutenir le pays agressé. C215 est même parti sur place où il a dispersé ses pochoirs dans Kiev.

Mais où est Banksy ? Le pochoiriste prompt à prendre fait et cause pour l’opprimé et l’agressé est invisible. Pas de pochoir, pas de mur, pas de buzz. Pas le moindre petit truc qui permet de dire : « C’est lui ? » Pas le moindre pochoir persifflage. La planète street art retient son souffle : rien. Comme s’il boudait. Il a des problèmes de santé et du mal à se bouger après autant de grimpettes sur les murs ? Il est mort du Covid ?L’Ukraine nous parle de démocratie et de liberté

En vacances dans un hôtel de luxe à l’autre bout du monde, incognito, bien sûr ? Il travaille sur l’édition d’un nouveau print à 750 exemplaires pour réalimenter les ventes aux enchères bobo du monde entier ? Il est à Moscou pour braver la censure et on va voir ce qu’on va voir ? Un coup d’éclat est en préparation ?

Ou peut-être est-il gêné ? Gêné d’avoir à prendre le parti d’un pays qui a tenté de fuir le totalitarisme russe pour tenter de rejoindre le camp démocratique, à l’Ouest, peuplé de méchants capitalistes ? L’Ukraine nous parle de démocratie et de liberté, d’envie de nos bars peuplés de jeunes le soir qui peuvent tranquillement sortir, envie de notre liberté d’expression, envie d’une jeunesse qui peut décider ce qu’elle veut faire plus tard et renverser la table de ses parents… Tandis que Banksy nous parle d’oppression et des travers de nos sociétés qu’il brocarde à tous vents. Bien sûr, rien n’est parfait et si dénigrer permet parfois d’améliorer, il n’a pas tort sur certains aspects, c’est comme ça que l’on progresse. Mais c’est certainement bien mieux que dans beaucoup d’endroits dans le monde.

Philippe Rosenpick

Que voulons-nous ? Vivre sous le modèle russe où le PIB s’est effondré avec la présidence de Poutine ? Sans réelle liberté d’expression ? Ou la nostalgie de puissance nourrit rancœurs et faux espoirs ? Ou vivre à l’Ouest, en démocratie et essayer d’améliorer ce qui doit l’être ?

Au-delà d’une guerre déclenchée par un vieil homme incapable de se projeter dans un futur moins binaire que l’opposition entre son cerveau droit lobotomisé et son cerveau gauche cancérisé, cette guerre d’un autre âge nous parle avant tout de démocratie. Notre modèle capitaliste a bien des travers, dont certains minent notre développement réel, mais l’Ukraine nous place à l’heure des choix, nous oblige à regarder les choses en face et à remiser nos critiques faciles.

Banksy aurait-il pu exister en Russie ?

Rattrapé par l’Histoire, Banksy est peut-être mal à l’aise d’avoir à défendre un modèle qui aspire, qui attire, un modèle qu’il a tant critiqué. Banksy aurait-il pu exister en Russie ? La liberté d’expression a permis à Banksy de braver des interdictions molles et il est moins dangereux chez nous de faire illégalement un pochoir sur un mur pour critiquer le pouvoir ou ses dirigeants que d’oser émettre en Russie un son discordant du pouvoir en place…

Alors, Monsieur Banksy, un petit pochoir pour une fois se féliciter d’être à l’Ouest, ce serait cool. Une « wrong war » revue et corrigée, réinterprétée… En tous cas, je suis prêt à prendre l’énorme risque de défiler à Paris, à Londres ou à New-York avec votre futur pochoir… si vous trouvez l’inspiration juste.

Philippe Rosenpick


Philippe Rosenpick, avocat d’affaires (Shearman & Sterling, Francis Lefebvre, Desfilis…), est passionné et investi dans la promotion du street art. Avec son épouse, Françoise, ils étaient les directeurs artistiques des œuvres de street art qui embellissent depuis un mois la nouvelle concession Ferrari-Charles Pozzi. Philippe Rosenpick est également chroniqueur pour Graffiti Art Magazine, il écrit aussi pour Opinion Internationale et Forbes et participe régulièrement à des conférences sur le street art.

Dominique Motte recommande dans Entreprendre le modèle démocratique suisse

Par Dominique Motte, essayisteauteur de « De la démocratie en Suisse »

Tribune. En France, dès qu’il y a une élection présidentielle, le monde semble s’arrêter. Tous les médias sont centrés quotidiennement sur les sondages, les attitudes des candidats, les petites phrases. Vu de Suisse, tout cela ressemble à une élection fondée uniquement sur l’émotionnel des votants. Mais où est la logique ? Pourquoi la France manque-t-elle de rationalisme à ce point ? Et si la clef se trouvait dans le concept suisse de « subsidiarité »[2] ?

Comme nous sommes en période électorale, suivons le cheminement du nouveau président suisse. Le 8 décembre 2021, Ignazio Cassis[3] et Alain Berset ont été élus respectivement président et vice-président de la Confédération. Donc, à partir de 2022, Ignazio Cassis médecin et conseiller municipal, est donc le président. Cependant, il n’était ni candidat, n’avait aucun programme électoral, n’a même pas fait campagne. Et il n’a pas été élu par le peuple. Mais alors, quelles sont les étapes pour devenir président en Suisse ? Et pourquoi la population ne s’offusque pas de ce système électoral ?

La communeEn premier lieu, il faut rappeler qu’en Suisse, il existe cinq étapes qui permettent aux politiques de se faire connaître : la commune, le canton, l’assemblée fédérale, le conseil fédéral, la présidence. En second lieu, il existe quatre langues officielles : l’allemand, le français, l’italien et le romanche. Au cours des études, nous devons tous apprendre au moins deux langues sur les quatre.

La commune est le premier niveau de la subsidiarité en Suisse mise en œuvre dès 1848. C’est la commune qui définit les tâches qu’elle peut effectuer efficacement. Elle définit le budget pour couvrir ces tâches. Ainsi, la commune maitrise 100 % de son budget voté par les citoyens de la commune. Elle lève les impôts sur le revenu et sur la fortune, puis en reverse une partie à la confédération, soit 78,8 % actuellement. Elle attribue à l’échelon supérieur, c’est-à-dire le canton, les tâches qu’elle n’est pas en mesure de réaliser. De 2004 à 2014, Ignazio Cassis devient membre du conseil communal (législatif) de Collina d’Oro, commune de 4 500 habitants proche de Lugano.

Le canton

Le canton est le deuxième niveau, après la commune, de la subsidiarité en Suisse. Comme évoqué précédemment, le canton a pour mission d’assurer les tâches que les communes lui délèguent. En Suisse, il y a vingt-six cantons. À ce niveau également, le canton maitrise 100 % de son budget voté par les citoyens du canton et lève les impôts sur le revenu et sur la fortune, et en reverse une partie à la confédération, soit 78,8 % actuellement. Selon le même principe, le canton attribue à l’échelon supérieur, la confédération, les tâches qu’il ne peut effectuer.

L’Assemblée fédérale

Le conseil national est la chambre basse qui représente le peuple ; elle compte 200 députés élus à la proportionnelle plurinominale, soit 8 pour le canton du Tessin, 12 pour le canton de Genève, 35 pour le canton de Zurich, etc. Le conseil des états est la chambre haute qui représente les cantons ; elle compte 46 députés, soit deux par canton, à composition relativement stable généralement plus conservatrice. Depuis 1848, ces deux chambres forment l’assemblée fédérale (soit 246 députés). C’est ce que l’on appelle le bicaméralisme[4]. C’est l’autorité suprême de la confédération. Elle élit les sept conseillers fédéraux (ministres), les juges au tribunal fédéral, le président de la confédération et le vice-président, elle garantit les constitutions cantonales, etc.

Ces deux chambres ont les mêmes droits, les mêmes compétences. Elles doivent examiner en priorité les textes de loi à tour de rôle et avoir des décisions concordantes. L’Assemblée fédérale ne connaît pas la motion de censure. Les douze partis politiques y sont représentés et les quatre premiers représentent 75 % des sièges soit 186 députés. En 2007, Ignazio Cassis est élu au conseil national. Il le sera à nouveau en 2011 et 2015, année où il est élu président du groupe parlementaire PLR à l’assemblée fédérale.

Le conseil fédéral

Le conseil fédéral est le troisième niveau, après le canton, de la subsidiarité en Suisse. C’est lui qui récupère les tâches que les communes et cantons ne peuvent effectuer de manière efficace et donc définit le budget pour couvrir ces tâches. Ces tâches sont reprises dans ses sept départements : économie, formation, recherche, affaires étrangères, environnement, énergie, transport, Intérieur, justice et police, finances, défense.

Datant de 1959, nous disposons d’une formule magique qui explique parfaitement l’actuelle composition du gouvernement. Celle-ci s’écrit : 2 + 2 + 2 + 1 = 7. Une fois élus, les sept conseillers fédéraux se répartissent les sept départements par consensus. Remarquons ici que la santé, l’éducation, la religion, les prisons, etc, ne sont pas traitées au niveau de la confédération mais des cantons ou communes. Cela garantit des réponses locales à des enjeux de proximité.

Les quatre premiers partis que sont l’UDC (59), le PSS (48), le PLR (41), le PDC (38) fournissent deux conseillers fédéraux pour chacun des trois premiers partis dans l’ordre décroissant du nombre de leurs députés, et un pour le quatrième parti. Le conseil fédéral maitrise donc 100 % de son budget recettes-dépenses voté par l’assemblée fédérale, reçoit les impôts levés par les communes et canton. Par ailleurs, il lève les taxes (TVA, tabac, alcool, exemption militaire, impôts anticipés…). Information importante : n’importe quel citoyen suisse peut être élu au conseil fédéral. Ignazio Cassis est élu au Conseil fédéral que depuis 2017[5].

La présidence de la confédération

La Suisse n’a pas de magistrature distincte correspondant à la fonction de chef de l’État. Ce rôle revient donc à un membre du Conseil fédéral, élu président de la Confédération pour un an par l’Assemblée fédérale. Un suppléant est élu dans les mêmes conditions et porte le titre de vice-président de la Confédération. Le président de la Confédération se borne à diriger formellement les délibérations du Conseil fédéral où son vote compte double en cas d’égalité des voix.

Les salaires sont strictement encadrés par la loi (tout est disponible en ligne[6]) et le président ne bénéficie pas de logement de fonction. Le poste de président est donc très encadré : il a deux voitures, dont une seule de fonction avec chauffeur (d’une valeur maximale 100 000 francs suisses, soit environ 98 000 euros) que sa conjointe peut utiliser, et une de service personnelle. Il a une retraite à vie de 50 % s’il a été quatre années et plus au conseil fédéral. Une chose étonnante est aussi à noter : sous le même toit du palais fédéral à Berne se trouvent le président de la confédération (le conseil fédéral et sa chancellerie), le conseil national et le conseil des états.

Et si ce modèle était l’avenir de l’Europe ?

Nous voyons donc bien qu’en Suisse, ce n’est pas l’émotion qui vote mais bien le rationalisme. Ne serait-ce pas la clef pour établir un modèle démocratique fiable ? Car oui, la Suisse est bien une démocratie. Voyons pourquoi je persiste à en faire même le modèle démocratique du futur. Tout d’abord, il faut comprendre que le refus de la personnalisation au sommet de l’organisation étatique a ses racines dans l’ancienne Confédération.

Un seul homme ne peut donc pas avoir tous les pouvoirs. Historiquement, la Confédération était une association d’entités territoriales de langues et de culture politique distinctes, qui ne souhaitent pas perdre tout ou partie de leur souveraineté. En 1848, lors des délibérations de la Diète sur la transformation de la confédération d’États en un État fédéral, la majorité a refusé l’appellation de « landamman fédéral ». Là, nous voyons bien que l’intégrité de ces territoires a été préservée et qu’il a fallu trouver un système qui permette un ajustement des prises de décision au bénéfice de tous et non de quelques-uns.

La démocratie est ici indirecte, me direz-vous. Cependant, en Suisse, pays à neutralité armée, ni membre de l’OTAN ni de l’UE, la population bénéficie de « droits populaires ». Uniques au monde, ils permettent aux citoyens de participer aux prises de décision par le biais de votes. Le catalogue des droits populaires varie selon l’échelon (commune, canton, confédération) et selon les traditions régionales. Mais nous pouvons en citer trois principaux : le référendum obligatoire pour toutes les modifications de la constitution et traités internationaux ; le référendum facultatif pour demander toutes les modifications sur des textes de loi votée ; l’initiative populaire pour tous les sujets (extension de la constitution, etc).

Ces référendums sont au-dessus de toutes les autres institutions, y compris l’assemblée fédérale. C’est un contre-pouvoir extrêmement puissant. Ces « droits populaires » sont à la base même d’un modèle de démocratie directe unique en son genre. Au cœur de cette démocratie directe, seul compte le bon fonctionnement du pays à tous les échelons qui le constituent. En ce sens, nous devons rappeler aux candidats de la présidentielle qu’ils doivent s’inspirer de ce modèle pour créer une démocratie mature utile à tous et non à quelques-uns ! À bon entendeur…

De la démocratie en Suisse, Dominique Motte, éd. Route de la Soie – Éditions 2022


[1] Essayiste, auteur de De la démocratie en Suisse, éd. Route de la Soie – Éditions 2022
[2] Voir la définition complète de ce concept
[3] Voir par exemple
[4] https://www.swiss-poc.ch/definitions/bicameralisme/
[5] https://www.parlament.ch/fr/biografie/ignazio-cassis/3828
[6] https://www.ch.ch/fr/systeme-politique/parlement/salaire-des-parlementaires/

François Coupry par Luc-Olivier d’Algange

François Coupry, L’Agonie de Gutenberg, Vilaines pensées 2018 /2021.

L’intelligence sans imagination est une triste routine, mais lorsque l’une vient au secours de l’autre, en contes ou fabliaux, pour nous dire ce que nous vivons parfois sans le savoir, usant des heureux détours de la fantaisie, cela nous donne un livre de François Coupry, – en l’occurrence, ici, le deuxième tome de ses « vilaines pensées » dont le premier avait paru naguère aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, sous le titre L’Agonie de Gutenberg.

Nous vivons, sans le comprendre toujours, des temps éminemment swiftiens, et jamais nous n’eûmes, pour nous édifier ou nous contredire, autant de grosboutistes et de petitboutistes. C’est alors le juste moment de renoncer aux bonnes pensées moralisatrices pour mieux être Moraliste comme on le fut, en France, depuis La Rochefoucauld, jusqu’à Pierre Gripari, en passant par Diderot ou Joseph Joubert . Ces « vilaines pensées », semblent ainsi d’un neveu de Rameau contemporain, et l’on oserait dire, d’un neveu de Thélonious Monk, par la maïeutique de ses notes en suspens, ses brusques bifurcations. L’ironie est « ce pari sur l’intelligence » qui, en ces temps monologiques, est devenu un exercice aussi risqué que nécessaire. François Coupry quitte allègrement les embourbés de toutes sortes pour s’en aller se promener dans un temps transversal, avec, selon l’injonction socratique « un double regard ».

Dans cette Agonie de Gutenberg, nous voyagerons donc dans le temps ; nous examinerons si ce temps est modifiable à partir d’un temps révolu et nous considérerons notre temps avec ironie, comme un temps d’autrefois dont les absurdités ne seraient plus couvertes par nos habitudes, nos servitudes volontaires, comme des choses allant de soi.

François Coupry, à sa façon, qui n’est pas étrangère à celle de Ionesco, auquel il consacra un livre, nous donne sa bonne nouvelle : rien ne va de soi. Notre maître en vision, dans ces chroniques, et même en « trans-vision », sera, par exemple, un chien, le vénérable Tengo-san, qui nous comprend mieux que nous-mêmes, et dont nous recevrons la sagesse comme celle du chien Berganza du conte de Hoffmann. N’en disons pas davantage, une chronique sur un livre de chroniques n’ayant pas pour dessein d’en éventer le propos.

Disons simplement qu’en ces temps où règnent les vertuistes et les vengeurs, et autres Lugubres, ces chroniques nous seront un parfait contre-poison, – et non le verre de lait ou la tisane qu’on donne aux intoxiqués, mais la coupe que l’on offre aux amis pour les délasser et poursuivre, à l’impromptue, la conversation. Une tradition française, en littérature, s’était perdue quelque peu, celle du libertinage, dont le sens premier ne se limitait pas à  la multiplication successive ou simultanée des partenaires, si plaisante qu’elle puisse être, mais prenait plutôt le sens d’improvisation, s’appliquant au cours de nos pensées et de nos conduites ; ce qu’un neveu de Thélonious Monk ne saurait ignorer, id quod libet.

Luc-Olivier d’Algange

Claude Guittard invité à parler du Prix Cazes sur Lettres capitales

Interview. Claude Guittard, Secrétaire Général du Prix Cazes :

« Marcellin Cazes a toujours eu à l’esprit l’idée d’aider les gens »

 

Le 86e Prix Cazes sera décerné le 20 avril 2022.

Fondé en 1935 par Marcellin Cazes qui avait repris la brasserie Lipp en 1920, il est aujourd’hui un des prix littéraires les plus prestigieux du paysage littéraire français. Depuis 87 ans, il récompense une œuvre littéraire française d’un auteur n’ayant jamais eu d’autre distinction littéraire, comme il était prévu au début, même si ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous avons la chance de discuter de ce prix avec Claude Guittard, ancien directeur de la Brasserie Lipp et actuel secrétaire général du jury du Prix Cazes.  

Permettez-moi de commencer par vous poser une question personnelle. Qu’est-ce qu’a représenté pour vous la Brasserie Lipp ?

J’ai quitté la Brasserie en novembre 2021. Cet endroit mythique a été pour moi le plus beau moment de ma carrière. La Brasserie Lipp est un endroit magique, avec une clientèle extraordinaire.

Pour aborder le domaine littéraire, permettez-moi de rappeler que vous vous êtes vous-même essayé à l’écriture, en publiant en 2006, avec la journaliste Isabelle Courty-Siré, le livre Lipp : La Brasserie. Que pouvez-vous nous dire de cette expérience ?

J’ai toujours aimé lire. Cette passion pour la lecture vient de ma culture familiale. À la brasserie, j’ai eu la chance de rencontrer un nombre incalculable d’écrivains, d’académiciens, d’écrivains étrangers. Quand vous côtoyez personnellement les gens que vous avez lus pendant des années, cela vous donne un sentiment incroyable. Et, si au début je m’occupais du prix en qualité de patron, un jour on m’a demandé d’entrer au jury car les gens connaissaient mon amour de la littérature. Cela a été le début d’une aventure formidable pour quelqu’un comme moi qui n’ai que mon BEPC.

Quant au livre que j’ai coécrit avec Isabelle Courty-Siré, il n’y avait pas d’autres ouvrages dédiés à la brasserie, qui racontent l’histoire de manière aussi précise et avec un contenu relativement actuel, avec des photos et des détails sur ce qui est cet établissement au XXIe siècle, un endroit qui a ouvert en 1880, qui est toujours présent et qui continue d’être un des phares de la Capitale.

Le prix Cazes, fondé en 1935 par Marcellin Cazes, est un des plus anciens prix littéraires français. Quel est selon vous son ADN ?

Tout au début, en 1935, ce prix était désigné par un jury anonyme, ce qui est assez marrant dans l’histoire, car cela ne se fait pas beaucoup. Ce jury anonyme se réunissait à la brasserie le premier jour du printemps  – c’est à cette date que le prix était décerné les premières années – et passait toute une nuit avec forces nourriture et boisson et il nommait le lauréat. C’est n’est que par la suite que les noms des jurés ont été rendus publics. Marcellin Cazes a toujours eu à l’esprit l’idée d’aider les gens. À l’époque il y avait beaucoup d’écrivains fauchés et il voulait ainsi les aider à continuer leur art.

Il faut rappeler que Lipp a été consacré comme « lieu de mémoire » par la Ministère de la Culture. L’aide apporté aux écrivains par Marcellin Cazes est non seulement un soutien, mais une vraie reconnaissance.

Oui, complétement, je pense que Marcellin Cazes était très valorisé d’avoir comme clients ces écrivains et pour lui était très important de faire reconnaître leur travail, encore une fois des écrivains qui n’étaient pas très connus. Si on prend par exemple Romain Gary qui venait entre les deux guerres et qui n’était pas à l’époque extrêmement connu et pas très riche non plus, il le nourrissait. Il avait créé des complicités avec des gens comme ça qui sont devenus par la suite immensément célèbres. Il a toujours été là pour les écrivains qu’il aimait.

À quel moment ce jury est sorti de l’anonymat ?

Quelques années après. Avant la guerre, dans les années ’38, ’39, le jury était constitué. Il y avait Thierry Maulnier, Georges Blond, il y avait même Robert Brasillach à l’époque, mais c’était pendant la guerre. Comme le prix a eu un certain retentissement, le jury a été nommé et il est devenu assez pérenne.

À quel moment avez-vous intégré vous-même ce jury ?

C’est en 2010 qu’on m’a demandé d’entrer dans ce jury. En fait, à cette époque le secrétaire général du jury était Joël Schmit qui avait une activité d’écrivain assez prenante. J’étais en quelque sorte le sous-secrétaire chargé de contacter les maisons d’édition pour avoir les ouvrages, ainsi de suite. Je m’étais bien impliqué dans ce travail et j’ai fraternisé avec les membres du jury de l’époque. La présidente du jury était Solange Fasquelle, une femme extraordinaire. Il y avait aussi Dominique Bona qui est entrée ensuite à l’Académie française. Petit à petit, je me suis impliqué en les aidant dans tout ce qui appartient au côté administratif du prix et, comme mon travail était apprécié, on m’a demandé d’entrer dans le jury.

Comment est constitué ce jury ?

Le jury est totalement indépendant de la brasserie. C’est nous qui décidons qui nous voulons faire entrer et remplacer des gens qui partent pour des raisons qui leur appartiennent. Par exemple, Georges-Emmanuel Clancier qui a été un écrivain et poète incroyable, a été membre du jury jusqu’à ses 101 ans. Nous l’avons remplacé après son décès, comme ce fut aussi le cas de Solange Fasquelle. Pour choisir les nouveaux membres, chacun fait des propositions. Ce fut le cas pour remplacer Georges-Emmanuel Clancier nous avons décidé de faire entrer une libraire, Léa Santamaria. Je trouvais qu’une libraire pouvait avoir un avis intéressant sur les livres, car c’est elle qui les vend, qui sait en parler et, puis, elle a en face d’elle des lecteurs qui lui donnent leur avis. Faire entrer dans le jury Léa Santamaria qui est la patronne de la Librairie Les Libres Champs à Paris a été notre petite révolution.

Quels sont les critères de sélection des œuvres littéraires ?

On essaie d’avoir des gens qui n’ont jamais eu de prix, même si certaines fois il en ont déjà eus, mais les critères essentiels sont d’avoir des romanciers, essayistes ou biographes français. Ce qui guide le jury dans ses choix c’est le plaisir de lire un livre. Par exemple, dans la dernière sélection de cette année, je prendrai les deux romans qui sont sortis du lot, celui d’Hélène Gestern et celui de Gauthier Battistella. J’insiste sur le plaisir que nous avons tous eu à lire ces livres qui défendent tous la littérature française. Il s’agit de livres extrêmement bien écrits, les histoires sont haletantes. Ce que nous cherchons, c’est justement avoir du plaisir à lire un livre et pourvoir dire aux lecteurs qu’il faut absolument les lire. Ce qui compte, c’est vraiment la belle écriture française. Nous sommes peut-être assez classiques dans nos sélections, mais, encore une fois, nous aimons la belle littérature française.

On retrouve cette continuité dans le credo de la brasserie dont la devise est de ne rien changer.

Oui, complétement. Vous voyez, parce que les jurés restent les mêmes, on en change très peu. Le président du jury, par exemple, Joël Schmit, est membre depuis 1981, il a été secrétaire général auprès de Solange Fasquelle. Tous ont toujours eu une certaine éthique du prix, il sont très fiers d’en faire partie et sont un peu comme la brasserie, ils n’ont pas envie que ça change. Nous avons des critères assez précis, il faut le redire.

Que pouvez-vous nous dire des lauréats du Prix Cazes ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples des plus prestigieux, si je puis dire ?

Il y en a beaucoup. Après, c’est difficile de dire qui sont les plus prestigieux. À nos yeux, ils sont tous prestigieux, bien entendu. La preuve, un Olivier Séchan qui avait eu le prix en 1948 pour un ouvrage remarquable, Marcel Schneider pour Le Chasseur vert en 1970, Joël Schmit pour son ouvrage Lutèce qui est une remarquable histoire de Paris, et même Edgar Faure qui était un homme politique et un grand écrivain.

Aujourd’hui, à cause du nombre très important des prix littéraires, on peut dire que le Prix Cazes s’est un peu dilué dans une masse incroyables de prix littéraires mais nous faisons partie des pionniers quand même.  

Que pouvez-vous nous dire des nominés de cette année ?

Chaque année, la sélection pour le Prix Cazes concerne la rentrée littéraire de janvier.  Celle de 2022 est assez éclectique, si je puis dire. Si on prend Doan Bui pour La Tour ou Julia Deck pour Monument national555 d’Hélène Gestern, Chef de Gauthier Battistella ou Blanc Résine d’Audrée Wilhelmy, les cinq ouvrages qui font partie de la dernière sélection ne se ressemblent pas. Autant ce sont cinq auteurs plus ou moins connus, autant ils ont tous leur originalité. Doan Bui, avec l’histoire remarquable de la Tour, Julia Deck pour Monument national et la gloire perdue d’un producteur de cinéma, 555 d’Hélène Gestern qui est un roman d’amour magnifique, Chef, le roman de Gautier Battistella qui touche un peu plus le monde de la brasserie qui parle d’un chef étoilé mais qui est aussi une histoire un peu policière et aussi amoureuse magnifique. Ce sont de très beaux ouvrages.

L’avantage d’un prix comme le nôtre est que sur toute la production littéraire très riche – cette année la rentrée de janvier a compté plus de 450 romans – nous attirons l’attention sur une cinquantaine d’ouvrages et ferons connaître des auteurs qui n’auraient pas été autrement dans l’attention de la presse. Nous espérons ainsi que l’ouvrage qui sera primé aura devant lui un bel avenir littéraire.

 

Comment entendez-vous continuer cette tradition qui dure depuis 87 ans maintenant ?

En ce qui me concerne personnellement, mais aussi pour tous les membres du jury, Mohammed Aïssaoui, Gérard de Cortanze, Nicolas d’Estienne d’Orves, Christine Jordis, François-Guillaume Lorrain, Carole Martinez, Éric Roussel, Léa Santamaria, nous allons continuer faire perdurer ce prix. J’espère que dans 30 ans il y aura un nouveau secrétaire général qui parlera de ce prix comme je le fais aujourd’hui, avec autant de passion et d’envie de défendre encore cette belle littérature française qui nous nourrit.

Le mot de la fin ?

J’insiste sur le fait que les Prix Cazes est une manifestation littéraire que j’aime beaucoup où tout le monde est très impliqué, où tout le monde aime se retrouver et où chaque fois le jury est au complet pour échanger et travailler ensemble. C’est un vrai beau travail de collaboration.

Propos recueillis par Dan Burcea©