Fabienne Pascaud a remarqué dans Télérama le livre de H.D. (17 avril 2010)

pour-l-amour-de-freud,M36201.jpgQui est fasciné par l’inventivité, l’audace, la transgression permanente des nombreuses Américaines qui, de Gertrude Stein à Djuna Barnes, de Natalie Barney à Sylvia Beach, s’expatrièrent en Europe au début du XXe siècle (à Paris surtout et rive gauche…) pour y créer enfin en liberté ne manquera pas cet ouvrage de la méconnue poétesse imagiste et romancière avant-gardiste Hilda Doolittle (1886-1961). Tourmentée par une bisexualité trépidante, l’artiste y raconte son analyse avec Freud – alors âgé de 77 ans – à Vienne, en 1933, alors que Hitler vient de prendre le pouvoir. Et celui qu’elle appelle « papa » dans sa correspondance apparaît ici d’intime façon : au milieu de ses chiens, de ses antiquités égyptiennes, regrettant le temps qui passe et qu’Hilda le considère davantage comme sa mère que comme son père, lui qui se sent pourtant si « masculin »… Lumineusement préfacé par Elisabeth Roudinesco, ce récit insolite fait pénétrer l’univers d’une créatrice troublante et troublée, fragile et obstinée, constamment en quête. D’elle-même, de sa sexualité, de son art. Et celle qui fut l’égérie d’Ezra Pound, qui vécut à Londres dans une communauté proche du groupe de Bloomsbury de Virginia Woolf se révèle un étrange médium : à travers ses interrogations se rejoignent celles de bien des femmes.

Fabienne Pascaud

Telerama n° 3144 – 17 avril 2010

Le premier article écrit sur l’exposition, prolongée jusqu’au 30 mai 2010, de Mâkhi Xenakis

Paru jeudi 25 mars 2010 sur le blog d’Alan Argoul http://argoul.blog.lemonde.fr/2010/03/25/makhi-xenakis-elles-nous-regardent/

Qui ? Les femmes, ou plutôt la féminité – façonnée en potier, comme Jéhovah le fit jadis aux commencements du monde. Gouttes de terre rose que le Souffle animera, fera chair. Deux trous pour les yeux, deux trous pour le nez, deux trous pour la bouche, deux seins, deux pieds, deux fentes tout en bas, devant et derrière. La Femme est née sous le signe du deux. Double de l’homme dont elle est côte, double dans le temps avec l’enfant, double en soi. Mais celles de Mâkhi Xenakis n’ont pas de mains, symbole de l’agir, du pouvoir sur les choses : seraient-elles des bites en acte réservées aux mâles ?

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Mâkhi Xenakis a de qui tenir. Fille de Françoise, journaliste et écrivain et du compositeur Iannis, elle est artiste, née à Paris en 1956. Elle sculpte, elle peint, elle écrit. De la sensation aux sentiments et aux idées : les trois étages de l’humain. Elle a étudié l’architecture avec Paul Virilio, créé décors et costumes pour le théâtre. Ses livres sont publiés aux éditions Actes Sud.

makhi-xenakis-elles-vous-regardent-dessin.1269254592.jpgCe qu’elle dessine est accroché aux murs de l’Espace des femmes. Alentour des sculptures et par contraste, les dessins sont précis, ils portent non sur la totalité mais sur le détail. La féminité se fait enveloppante, ensorceleuse, agrippante. L’œil perçoit des entrelacs d’algues ou de poils qui entourent un vortex où il est attiré, saisi de vertige. Ce sont des bouches, des sexes, des grottes. Les cheveux des sirènes marines, les mandibules des goules avides, la prolifération des cils paramécies. Les dessins sont un dedans qui captive votre envie d’explorer, les sculptures un dehors qui vous donnent envie de protéger.

Ce qu’elle sculpte entre 2007 et 2010, ces boules roses en goutte d’huile, bien assises, Mâkhi les appelle des « créatures ». « Inspirées à la fois des déesses archaïques, des femmes ‘impudiques’ de Manet ou de Picasso, des Causeuses de Camille Claudel ou encore de certaines sculptures de Louise Bourgeois. Ces ‘créatures’ se montrent telles qu’elles se ressentent à la fois dans leur fragilité leur vulnérabilité mais aussi leur plénitude, leur animalité, leur étrangeté. » Dit-elle.

Leur présence est forte, surtout lorsque vous visitez l’exposition quand il y a peu de monde. « Elles n’attendent personne pour être. » Elles sont là, vision en triangle à l’oeil, en pyramide au toucher, bien campées sur leur nid et impassibles. Elles sont l’œuf, la terre-mère, la chair qui devient. Guilaine Depis, l’attachée de presse des Femmes, attire judicieusement le regard sur leur surface : elles sont couvertes d’un léger duvet blond, pareil à la vraie peau humaine. Nous sommes loin du marbre antique qui irradie sa lumière depuis l’intérieur. Nous sommes dans le travail de l’artisan et non des dieux. La terre est mate et ne brille pas comme la pierre mais elle n’est pas froide comme elle et si vous pouviez toucher (c’est interdit !), elle apparaîtrait tiède comme la chair. Peau de terre contre peau de pierre, nous sommes au XXIe siècle après, pas au Xe siècle avant. Les dieux n’insufflent plus la vie, à nous de la faire naître.

 

 

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Placides, reposantes, elles vous regardent. Les féminités posées. Sans rien dire par les mots, mais leurs formes et leur couleur disent pour elles. Point de bavardage mais une parole. Point de futile mais du fondamental, du féminin pluriel. Vous vous sentez étrangement apaisé parmi elles. Elles nidifient à plusieurs. Elles ont essaimé parfois sous cloche de verre pour être emportées et adoptées.

Elles sont là, elles vous attendent. Venez les voir !

Exposition présentée du 8 mars au 30 mai 2010 (prolongation d’un mois) du lundi au vendredi de 11h à 19h, le samedi de 13h à 19h, Espace Galerie des Femmes, 35 rue Jacob 75006 Paris

Librairie-espace des Femmes
Le site de Mâkhi Xenakis
Une vidéo de Mâkhi Xenakis

Yves Bonnefoy : sa voix sur livre audio appréciée par le Blog d’Alan Argoul, hébergé par Le Monde (8.04.10)

Jeudi 08 avril 2010, un nouvel article sur le livre audio de Yves Bonnefoy aux éditions Des femmes vient de paraître ! Merci à Alan Argoul.  http://argoul.blog.lemonde.fr/2010/04/08/yves-bonnefoy-poete-parle/

Un poète de 87 ans vous parle. Durant les 2h30 du double-CD intitulé ‘La longue chaîne de l’ancre’ qui vient de paraître aux éditions des Femmes. Tourangeau, fils d’ouvrier du chemin de fer et d’une infirmière, orphelin à 13 ans, le futur poète entreprend des études de math en prépa à Tour puis à l’université de Paris. Il quittera l’univers des abstractions pour l’histoire de l’art et la poésie après guerre. Est-ce à cause de la technique dévoyée par la guerre ? Des ingénieurs de la mort industrielle à Auschwitz, Hambourg ou Hiroshima ? De cette ambivalence absolue de la science qui sert au bien comme au mal ?

yves-bonnefoy-cd.1270557140.jpgInfluencé par les Surréalistes, dont il se défait pour gratuité, il se veut dans la lignée de Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé et Nerval. S’il refuse le surréalisme, c’est que celui-ci idéalise l’objet. Il tend à substituer la chimère à la réalité, le rêve spontané à l’expérience du monde. Yves Bonnefoy est un poète du réel, celui qui tente l’impossible espoir de pénétrer au-delà des concepts pour saisir le vrai des choses. Il n’est ni pour l’exaltation du moi, ni tenté par le vertige, ni adepte de la dépossession de soi, ni du dérèglement de tous les sens. S’il traduit particulièrement Shakespeare, c’est que ce grand poète anglais est un profond réaliste. J’aime Yves Bonnefoy parce que je m’y reconnais : il est compagnon de tous les auteurs que j’aime…

Nommé à la chaire d’Études comparées de la fonction poétique au Collège de France en 1981, il y enseigne durant douze ans. Il est vraisemblablement notre plus grand poète vivant de langue française.

Yves Bonnefoy pourrait adhérer au zen. Ce qu’il nomme la présence est l’expérience immédiate, sans mélange, l’initiation à l’unité du monde. Celle même qu’a l’enfant non corrompu encore par le langage. Celle de la troisième métamorphose de Nietzsche (évoquée sur ce blog) qui fait redevenir un enfant qui joue, « innocence et oubli, roue qui roule sur elle-même ». Celle du zen qui quitte les idées pour l’immédiat satori, la fusion au monde. 

Car, tel est le revers de l’intellectualité propre à l’Occident : le concept et l’abstraction séparent les hommes de la réalité et du sensible. Les mathématiques sont une puissante appréhension du monde, mais d’un certain monde, celui des rouages. L’esprit mathématique n’est pas un esprit humain, il déforme l’humanité au profit de l’abstrait. Il forme des techniciens, des ingénieurs des âmes, des fonctionnaires – pas des humanistes ! Nous l’avons vu avec la Bombe atomique comme dans le krach récent de la finance ou chez France-Télécom : la personne est réduite au rang de simple engrenage… Yves Bonnefoy ne se reconnaît pas dans ce ‘monde des Idées’ de Platon où les formes abstraites commandent la raison. Il se situe plutôt du côté de la pragmatique d’Aristote qui observe, expérimente et reste in situ sans généraliser quoi que ce soit. Le lieu est l’autre ancrage du poète pour découvrir la présence. yves-bonnefoy-la-longue-chaine-de-l-ancre-livre.1270557158.jpg

Nous n’existons, êtres éphémères, qu’ici et maintenant – ni dans le tout, ni dans l’éternité… Car nous ne sommes pas Dieu, certains ne le comprennent jamais.

La poésie est le moyen qui permet aux humains de voir autrement qu’avec la rationalité qui nous est habituelle. Vous objecterez : « Mais les mots existent en poésie ! » C’est justement l’importance de les dire plutôt que de seulement les voir, de les charger d’un autre sens, tonal et musical. Pour les sortir des concepts, cette extraction abstraite qui remplace les choses et les êtres réels par des définitions bornées.

Ce pourquoi un CD de Bonnefoy accomplit sa poésie plus qu’un recueil de versification. Le poète utilise en effet peu la rime mais plutôt le rythme. Il recherche des assonances, des allitérations, toute une musicalité des mots. Lorsqu’il lit, toute cette aura cela se manifeste  et la magie opère. Il accouche plus d’ensembles que d’œuvres fermées. Chaque texte écrit ou lu est pour lui un fragment d’une expérience plus vaste. L’universel est en chaque lieu dans le regard qu’on en prend.

Son désir d’images, son appétit du chimérique, le besoin d’absolu et de plénitude, tout cela est l’enjeu de l’expérience poétique. Elle vise à dépasser l’opposition artificielle entre le réel et le rêve. Yves Bonnefoy parle d’une sorte d’état de compassion. L’exercice spirituel du poème (car c’en est un) permet d’accéder à la réalité mieux qu”avec l’écran du langage. Car les mots reconstruisent au sens étroit et à la grammaire impose son cadre rigide et préconçu à ce qui est dit. Un exemple : croyez-vous que le mot chien va vous mordre ?

Écouter Yves Bonnefoy, c’est pénétrer plus avant dans son expérience poétique. Mieux que par le livre typographié. ‘La longue chaîne de l’ancre’ existe en imprimé, au Mercure de France, paru en 2008. Mieux vaut l’écouter en CD, dit par l’auteur. L’écriture est cette longue chaîne de l’ancre qui relie la personne à la terre.

Mais « le poème naît dans la voix », dit-il.

Yves Bonnefoy, La longue chaîne de l’ancre, double-CD, édition des Femmes Antoinette Fouque, mars 2010, 149 mn, 22.80€

Yves Bonnefoy, La longue chaîne de l’ancre (le livre), Mercure de France 2008, 165 pages, 14.25€

Argoul a aussi aimé H.D. (Blog hébergé par Le Monde, 14 avril 2010)

Paru sur le blog d’Argoul http://argoul.blog.lemonde.fr/2010/04/14/pour-l%e2%80%99amour-de-freud-hilda-doolittle/

Mercredi 14 avril 2010

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Article repris par Medium4You.

Hilda Doolittle est une Américaine riche, lesbienne et névrosée. Poétesse à ses heures sous ses initiales H.D., romancière lue encore par un cercle d’initiées, Hilda commence à 47 ans une analyse avec Freud qui en a 77.

Sigmund Freud m’intéresse mais, honnêtement, aurais-je lu ce livre de l’Américaine sans l’amicale pression de Guilaine Depis, attachée de presse des éditions des Femmes ? Probablement pas. Son charme, sa culture et son élégance font beaucoup pour élargir aux hommes l’audience de cet éditeur militant. Doolittle ? Connais pas. Mais Freud oui. Et l’éveil de la curiosité suffit à exciter l’imagination. J’ai donc lu ce livre – et je ne m’en suis pas repenti ! 

H. D. est fragile, éperdue de protection, aimant être soumise – dit-on. Cette riche évaporée de religion morave trouve dans le vieux patriarche fondateur d’école une sorte de Dieu-père d’ancien Testament qui la rassure sans la juger. L’époque est instable, sortie d’une grande guerre industrielle et précipitée dans une crise économique mondiale. Le refoulé archaïque ressort. « Je ne comprenais pas ce qu’était exactement ce que je voulais, mais je savais que moi, comme la plupart des gens que je connaissais en Angleterre, en Amérique et dans l’Europe continentale, j’allais à la dérive. Nous dérivions. Vers où ? Je ne le savais pas… » p.56.

De mars à juin 1933 à Berggasse 19, Wien, de 5 à 7 tous les jours sauf le week-end, Freud considère les souvenirs et les fantasmes de H.D. allongée sur le fameux divan comme « intéressants ». La poétesse trouve aliment dans la psychanalyse, ne souhaitant surtout pas être guérie car elle ne serait plus elle-même… « En analyse, la personne est morte après que l’analyse est terminée », lui disait Freud (p.190). Sigmund agit avec H.D. non comme un médecin qui cure mais comme un médium qui relie. Il fait passer le passé enfoui dans le présent conscient en décortiquant les dits. « Il avait dit, il avait osé dire que la valeur et le prix du rêve sont traduisibles en mots, non seulement le rêve d’un pharaon (…), mais le rêve de tout le monde, n’importe où » p.116.

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Les échanges entre ces deux originaux ne sont donc pas une analyse classique entre docteur et patient, avec inévitable transfert et libération par la parole de fantasmes ensevelis sous les justifications ou les tabous. Il s’agit plutôt d’un échange littéraire sur les figures qui naissent de l’inconscient. D’où ce double récit : le premier à chaud, fondé sur les carnets de notes au sortir de chaque entretien ; le second reconstruit 20 ans plus tard comme une œuvre de l’imagination. Freud est un aruspice et l’analyse un prétexte à l’œuvre poétique. « Laissons les impressions venir à leur propre manière, selon leur propre enchaînement » p.58. Les aveux personnels de H.D. digressent sous sa plume en bulles de mémoire ressurgies du passé enfantin ou en amorces de romans, tel cet Homme du bateau dont le personnage réel a peu de choses à voir avec celui qui est fantasmé.

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Dans le premier texte, celui que je préfère pour son mélange détonnant entre description du présent et réminiscences de l’imaginaire, le décorum et les accessoires dont Sigmund Freud aime à s’entourer font bondir le rêve. La parole s’oriente d’elle-même vers la mythologie ou les personnages vivants. « Je regardais les objets dans la pièce avant de le regarder parce que je savais que ces objets étaient des symboles de l’Eternité et le contenaient… » p.149.

Les chiens chows-chows de Freud, au museau carré et à la fourrure de nounours, permettent un échange affectif sans mot en se couchant aux pieds ou venant fourrer leur museau entre les mains. Les statuettes égyptiennes, grecques, hindoues, sont des dieux ou des démons, reflets intimes des mythes personnels, scintillement des mythes universels. Le cabinet de celui que la douce little appelle “le Professeur” est un univers en soi et le personnage est campé de façon très vivante. « Le mur de la porte de sortie est derrière ma tête et, assis contre ce mur, replié dans le coin, dans la niche à trois côté formé par les deux murs et le dossier du divan, est le Professeur. Il est assis là tranquillement, semblable à un vieux hibou dans un arbre » p.66.

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Cet hommage amoureux à Freud comporte deux textes, l’un écrit en 1944 après sa mort et l’autre en 1956 avec du recul, ainsi que neuf lettres inédites entre Freud et Hilda, Hilda et son amie Bryher, et un cahier de photos. L’ensemble est préfacé par Elisabeth Roudinesco qui évoque la personnalité complexe de H.D. et son destin parmi les psychanalysées. Car il s’agit des femmes et de la modernité. Hilda Doolittle, fantasque et pionnière, a incarné bien avant 1968 cette « libération » rive gauche dont on vante tant les mérites aux éditions des Femmes. Pour le meilleur (quand ils sont présentés par une attachée de presse aussi attachante) et pour le pire (quand le militantisme s’emmêle)… Toute une époque !

Hilda Doolittle, Pour l’amour de Freud (Tribute to Freud), 1956, Edition des Femmes 2010, 330 pages, 15.20€.
A l’occasion de la sortie du livre, l’Espace des Femmes invite à une rencontre avec Elisabeth Roudinesco (universitaire, historienne et psychanalyste, auteur de la préface) le jeudi 15 avril à 19h30 au 35 rue Jacob, Paris 6ème.

Les romans d’Hilda Doolittle traduits et publiés aux éditions des femmes encore disponibles :

Rencontre avec Elisabeth Roudinesco à l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque, jeudi 15 avril à 19h30, 35 rue Jacob 75006 Paris

A l’occasion de la sortie du livre Pour l’amour de Freud de Hilda Doolittle, l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque vous invite à une rencontre avec Elisabeth Roudinesco (universitaire, historienne et psychanalyste, auteure de la préface), jeudi 15 avril à 19h30. 35 rue Jacob, 75006 Paris. Venez nombreux…

Elisabeth_Roudinesco.jpgHILDA DOOLITTLE
Pour l’amour de Freud
 
En 1933, poussée par une crise personnelle autant que par les événements historiques, Hilda Doolittle se rend à Vienne pour entreprendre une analyse avec Freud. Pour l’amour de Freud est le récit de cette analyse, réédité aujourd’hui dans une nouvelle traduction de Nicole Casanova, avec une préface d’Elisabeth Roudinesco. Cette nouvelle édition est augmentée de photographies, de lettres inédites de H.D. à Freud et d’une partie de la correspondance entre H.D. et Bryher, sa compagne, publiée pour la première fois en France.
 
Aussi bien dans ces deux textes est-il question, en guise d’analyse, d’échanges et d’interrogations réciproques entre une poète et un maître de l’inconscient : l’une raconte ses rêves et l’autre les interprète tout en mêlant les choses de la réalité aux actes de parole. (…) Tandis qu’elle revit des événements lointains de son enfance et de son adolescence, il intervient pour lui parler de sa propre vie, de ses enfants, de la mort, de la maladie, et de son contre-transfert. De son côté, elle donne de ce vieil « accoucheur de l’âme » un portrait inoubliable.
Elisabeth Roudinesco
 
roudi.jpgH.D., romancière et poète d’avant-garde, est l’une de ces Femmes de la rive gauche qui ont nourri de leur énergie créatrice le grand mouvement de la modernité dans le Paris du début du XXème siècle. Au croisement de ses choix de vie, politiques, esthétiques, sexuels, et de son travail d’écriture, son oeuvre témoigne de la présence des femmes dans l’histoire littéraire et intellectuelle du XXème siècle.
 
Des femmes-Antoinette Fouque ont entrepris de faire connaître en France son oeuvre romanesque : Hermione en 1986, Dis-moi de vivre en 1987 et Le Don en 1988. Cette publication s’inscrit dans la même intention éthique, dans le même travail d’édition au passé, au présent, au futur : redécouvrir, découvrir des textes de femmes à l’écoute de l’inconscient, et faire apparaître une écriture non plus matricide mais matricielle.
 
Illustrations de couverture :
En haut : photographie d’Hilda Doolittle avec sa fille Perdita (1919).
En bas à gauche : croquis de H.D. représentant Freud (1933).
En bas à droite : photographie de Bryher dans le film Borderline (1929).

Jeudi 8 avril à 18h30, Soirée de Lectures psychanalytiques par Roger Dadoun à l’Espace des Femmes-Antoinette Fouque

dada.jpgAntoinette Fouque et Des femmes vous invitent à venir écouter Roger Dadoun,

jeudi 8 avril à 18h30, 35 rue Jacob, 75006 Paris. Programme ci-dessous :

 

                     Entrer en Gravidanse

 

« O MERE ensevelie hors du premier jardin… » (Eve, de Péguy, pour le centenaire du mystère de la charité de Jeanne d’Arc et de Notre jeunesse)  

 

          Octo-Mère, Anté-Mère, Nuit-Mère

 

           Lectures psychanalytiques

 

 Roger Dadoun. Philosophe, psychanalyste. Professeur émérite de littérature comparée, Université de Paris VII. Travaux sur la psychanalyse et le cinéma (Freud, Belfond ;  La Psychanalyse politique, Que sais-je ?; Cent fleurs pour Wilhelm Reich, Payot ; Geza Roheim et l’essor de l’anthropologie psychanalytique, Payot ;  Psychanalysis entre chien et loup, Imago ; Cinéma, Psychanalyse  & Politique, Séguier). Littérature et philosophie (De la Raison ironique, Des Femmes ; Eros de Péguy, PUF ;  Ruptures sur Henri Michaux, dir., Payot ; La violence, Hatier). Art (Duchamp/Enzo Nasso et  Paolo Uccello/Tereshenko, trilingue, Spirali, Milan ; L’Ile des Morts, de Böcklin, Abdelkader Guermaz). Dernières publications : La télé enchaînée. Pour une psychanalyse politique de l’image  et L’homme aux limites, essais de psychologie quotidienne, éd. Homnisphères, 2008. Sexyvilisation, dir. Punctum ; Manifeste pour une vieillesse ardente, Zulma, 2005 ;  L’érotisme, « Que sais-je ? », PUF, 2003. « Archipel du Grand Age », préface à Vivre vieux ! (Alternatives, 2009). « Quant au vieillir… », in Vieillir …des psychanalystes parlent (érès, 2009).

 

                                                Annonce

 

         « Enoncer de plein chant, nos revivances, toutes ». Ce vers d’un poème d’Antoinette Fouque (1977) nous sert de clé musicale : « Revivance » revit dans Gravidanza, où la femme s’affirme en ses compétences croisées : procréatrice, créatrice, « anthropocultrice ». Gravidanza, « grossesse » en italien, donnerait, en vraie amie, « Gravidanse », néologisme conjoignant le lourd (gravidité) et le léger (danse) – ce qui, dans Penser avec Antoinette Fouque, s’inscrit dans notre triptyque : « Gravidité, Gravité, Grâce ».

         Si la femme ne se réalise « pas toute » dans la mère, en revanche le Maternel (sexualité, fantasmatique, symbolisme, mythologie, etc.) persiste, par divers biais, dans la femme, de sorte que cette dernière « mèresiste » charnellement et culturellement en son être de fécondatrice et de re-créatrice de la souveraine humanité. L’amplitude d’un tel statut, irrécusable autant qu’occultée, est envisagée dans nos analyses, avec lectures à l’appui, selon trois axes qui nous reconduisent à l’originaire même : Octo-Mère, Anté-Mère, Nuit-Mère.

         Nous demeurons focalisés néanmoins, autant que faire se peut, sur notre propre présent – où il nous semble voir resurgir en « revivance »,  « reconnaissance » et « renaissance », un « désir de mère » que  prennent furieusement pour cible ou que mettent âprement en valeur différents facteurs, contradictoires : dominations et répressions politiques, religieuses, économiques (exacerbation sado-masochique), perception écologique de la planète, réévaluation des genres sexuels, figures de mort (kamikazes, suicides, harcèlements et autres)… Bien « phallot » qui, ici, en vérité, oserait anticiper.

 

                                                                                                 Roger Dadoun

Courant alternatif (avril 2010) remarque notre livre de Eve Ensler

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Des Mots pour Agir contre les violences faites aux femmes, Sous la direction d’Eve Ensler et Mollie Doyle. Traduit de l’anglais par Samia Touhami. Editions Des femmes-Antoinette Fouque. 326 p., 18 euros
 
Ce livre est le nouvel opus dirigé par Eve Ensler, l’icône marketing d’une partie du mouvement féministe depuis la parution, en 1996, des Monologues du Vagin.
 
Malgré le fait que l’ouvrage ait été édité par Antoinette Fouque dont le rôle dans le mouvement des femmes peut prêter à débat, et que la préface de la version française ait été rédigée par Rama Yade ( ! ), l’ouvrage présente l’intérêt d’offrir une autre perspective sur les violences faites aux femmes.
 
Ce recueil de 50 textes courts et poèmes se présente sous une forme plus artistique que politique. Mais un art qui se veut engagé et dont le but est de mettre des mots, une parole, sur des maux muets qui traversent continents et classes sociales.
 
Certes, ce livre n’aura, en tant que tel, qu’une portée limitée. Il est difficilement imaginable qu’un tel ouvrage tombe entre les mains des bourreaux et fasse écho. Mais la plupart de ces textes ghrondent d’une colère sourde contre cette épitaphe charnelle de la domination patriarcale.
 
A la lecture, certains textes sont plus forts que d’autres, je n’en ferai pas ici une liste exhaustive, car il me semble qu’elle ne serait pas représentative tant ce recueil appelle un regard et un ressenti propres à chacune.
 
 Là où la dynamique de Eve Ensler éveille mon intérêt, c’est au niveau de l’idée plus globale. Des Mots pour Agir Contre la Violence faite aux Femmes, en tant que livre, n’est qu’une maille du projet. Son envie serait de mettre, par ces textes, la question des violences sur le devant de la scène. Ainsi, son projet est d’organiser à travers le monde des journées où ces textes, comme les Monologues du Vagin, sont récités, proclamés. Le but : sensibiliser les masses populaires en posant cette problématique des violences dans l’espace public et ainsi, soutenir les associations qui luttent contre ces violences. C’est ainsi qu’est né le festival « Until the violence stops » (« jusqu’à ce que les violences cessent ») qui a déjà eu lieu dans 112 pays sur les 5 continents.
 
En 2010, la question des violences conjugales a été daclarée « grande cause nationale » en France. Du coup, des campagnes de pub ont vaguement défilé sur le petit écran et dans les journaux entre la Saint-Valentin et la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, dite « Journée de la Femme ». entre temps, rien qu’en France, 22 femmes sont décédées du fait des violences physiques et psychologiques qu’elles ont subies. Car si officiellement une femme décède tous les 3 jours sous les coups de son compagnon, les associations de défense des femmes parlent, elles, d’une à plus d’une femme par jour qui meurt du fait de ces violences.
 
Dès le départ, les dés sont pipés, alors quand on ajoute les coupes budgétaires dont pâtissent ces associations et les structures d’hébergements qui en dépendent, il est normal de s’interroger sur la volonté réelle du gouvernement de lutter contre ce fléau.
 
C’est sans oublier Najlae expulsée vers le Maroc après avoir voulu porter plainte contre son frère qui la battait. Grâce à la mobilisation et à la médiatisation, elle a pu rentrer chez elle. Mais pour une jeune fille sauvée, combien de femmes sont expulsées dans leur pays d’origine ? Combien de femmes se taisent par peur de cette expulsion ?
 
Alors certes, la lecture seule ne sert à rien. Mais en parler toujours et toujours plus fort, fera peut-être se délier les langues, mettra à mal les chaînes de la domination patriarcale et sauvera sans doute des vies.
 
« FEMME, POUR EN FINIR AVEC LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES, HISSEZ-VOUS SUR VOS PIEDS PARFAITEMENT LIBRES ! NOUS AVONS PERDU LA TERRE EN VIVANT A GENOUX » Alice Walker.
 
Géraldine

Antoinette Fouque s’exprime dans la Revue XXI (printemps 2010)

xxi.jpgREVUE XXI DU PRINTEMPS 2010 –
COURRIER DES LECTEURS : LETTRE D’ANTOINETTE FOUQUE
J’ai créé une science (la féminologie)
 
Dans son numéro 7 de l’été 2009, la revue XXI a consacré à la cofondatrice du Mouvement de libération des femmes que je suis, un « dossier » de douze pages intitulé « Enquête sur la prêtresse femme », qui appelle de ma part quelques éléments en réponse. Juliette Joste m’a contactée en mars 2009. Le film Antoinette Fouque, qu’est-ce qu’une femme ?, réalisé par Julie Bertuccelli pour la collection « Empreintes », diffusé en décembre sur Arte et France 5, lui avait, m’a t-elle dit, donné envie de réaliser avec moi pour la revue XXI.
J’ai accepté et l’ai reçue plusieurs heures chez moi à Saint-Raphaël. Lorsque je lui ai demandé de me communiquer lors de son retour à Paris le texte de l’entretien, afin que j’y apporte, le cas échéant, des précisions, elle m’a déclaré que ce n’était pas un entretien mais un portrait qu’elle prévoyait de publier, qu’il serait neutre et qu’elle n’entendait pas me le communiquer avant sa publication. Je lui ai par conséquent envoyé la lettre suivante au lendemain de notre rencontre :
 
ff.jpg16 avril 2009
Chère Juliette Joste,
Je crois qu’il y a un malentendu sur le travail que nous avons entrepris hier. Je m’étais engagée à faire avec vous un entretien. Mais au bout de deux heures de dialogue, vous me dites qu’il s’agirait en réalité d’un portrait. Cela change tout.
Un entretien est une responsabilité partagée, un jeu de questions aigues et de réponses rigoureuses, à relire et à préciser. Un portrait est, en revanche, tout entier de la responsabilité du portraitiste. Et il en dit plus long sur lui que sur son objet. Une fleur à la place d’une femme, pour Picasso, une pomme et un chapeau à la place d’un homme, pour Magritte. Le plus souvent, il faut le dire, c’est un autoportrait. Je ne peux pas vous donner mon accord pour une telle aventure. Je regrette que nous ne puissions continuer cette collaboration.
Cordialement,
Antoinette Fouque
 
J’ai fait suivre cette lettre de celle d’un ami avocat, dans le même esprit, dès lors qu’aucun compte n’avait été tenu de la mienne. C’est cette démarche minimale, amiable, courtoise, qui sera qualifiée de « barrage juridique », « paranoïa », « rideau de fer » dans le prétendu portrait finalement intitulé « enquête » publié le 25 juin dernier et qui a donné raison à mes préventions.
 
Car il s’agit là de ce qui m’apparaît plus comme une avalanche de rumeurs folles, d’affects et de passions, de fictions et de fantasmes, les plus négatifs d’entre eux venant contaminer les rares apparemment positifs. D’où l’absence de la seule chose qui vaille la peine d’en avoir le souci, la réalité. Suis-je « fondatrice d’un groupuscule », recluse, esthète de l’opaque ? Non. Mais fondatrice d’un mouvement politique et de pensée, dont toutes les initiatives et créations sont de transmissions, d’ouvertures. Transmission par un texte distribué lors d’une assemblée générale aux Beaux-Arts, à l’automne 70, du travail théorique qui se faisait depuis 68. Manifestations, assemblées, colloques, séminaires, journaux, maison d’édition, galerie, ouverts aux femmes de toutes régions, de tous pays ; participation en France et à l’étranger aux luttes et diverses manifestations organisées par d’autres femmes. Rencontres innombrables, rappelées dans Génération MLF 1968-2008. Occasion de dire que, peut-être « oratrice », j’ai surtout dans ma vie beaucoup écouté. Tout cela ne serait qu' »images », « ambition personnelle » ?
 
J’ai lutté avec bien d’autres femmes, amies proches ou lointaines, pensé, créé une science (la féminologie), des lieux où donner la parole aux femmes, où briser le mur du silence qui emprisonne leur création, usé du droit et pas des armes de guerre, du droit qui éclaire et endigue la haine, qui protège aussi ; j’ai été élue vdéputée européenne, en toute indépendance vis-à-vis d’un quelconque parti politique… et j’ai bien fait d’autres gestes par amour de la liberté, du vrai, du réel, de la vie et de sa beauté, par espérance d’un nouveau contrat humain.
 
Je disais autrefois que je n’avais aucune ambition sociale ou professionnelle, et que l’ambition historique qui m’animait excédait très largement ma personne et concernait les femmes. En ce sens, je n’estime pas avoir fait carrière, mais il est manifeste que le combat auquel j’ai dédié ma vie a remporté bien des victoires : là est mon succès, ma réussite, et ce n’est qu’un début.
 
L’événement de ces quarante dernières années, c’est finalement l’affirmation par les femmes, de leur existence créatrice et féconde.
 
Antoinette Fouque

Ce lundi 29 mars au salon du Livre de Paris, Table ronde « Pourquoi Des femmes aujourd’hui ? », de 17 à 18 h, Place des Livres

LUNDI, SOYEZ PRESENTS A 17 HEURES AU SALON DU LIVRE DE PARIS 2010, NOUS VOUS RESERVERONS LE MEILLEUR ACCUEIL POUR ASSISTER A UNE TABLE RONDE CONSACREE A NOTRE MAISON D’EDITION, VOUEE A ENCOURAGER LA CREATION DES FEMMES..!

 

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LUNDI 29 MARS

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De 17h00 à 18h00, PLACE DES LIVRES

* Table ronde : Pourquoi des femmes aujourd’hui ? Avec les éditions Des femmes. Avec Chantal Chawaf, Jacqueline Merville et d’autres auteurs publiés par Antoinette Fouque.

 

Venez nombreux, faites passer l’invitation autour de vous…

 

Davantage d’information sur notre stand H 81 du Salon du Livre, Porte de Versailles ou au 06.84.36.31.85. Merci de votre attention, à très vite, à demain !

Laure Murat rend compte dans Libération de sa lecture de « Pour l’amour de Freud » de H.D. (Libé des Livres du 25 mars 2010)

LIVRES ESSAIS
LIBERATION JEUDI 25 MARS 2010
 
DOOLITTLE, CHAMBRE D’ECHOS
« PARFAITE BISEXUELLE », LA ROMANCIERE RACONTE SA PSYCHANALYSE AVEC FREUD
 
pourlamourdefreud.jpgHIDLA DOOLITTLE
« POUR L’AMOUR DE FREUD »
Préface d’Elisabeth Roudinesco. Traduit de l’anglais par Nicole Casanova et par Edith Ochs pour la correspondance entre H.D. et Bryher. Des femmes-Antoinette Fouque, 330 pp., 16 euros
 
« Vous aviez deux choses à cacher, d’une part que vous étiez une fille, d’autre part que vous étiez un garçon. » Cette formule, Freud l’adressa à Hilda Doolittle, dite H.D., qui commentera, à l’idée d’incarner le « phénomène presque disparu [de] la parfaite bisexuelle » et de contribuer à l’histoire de la psychanalyse : « Bon, c’est terriblement excitant ». L’épisode a lieu en 1933, au cours des trois mois d’analyse qu’H.D. a poursuivi avec le maître de Vienne, à raison d’une séance quotidienne. De cette expérience intensive, la poétesse tirera deux textes : « Ecrit sur le mur », dédié à « Sigmund Freud, médecin irréprochable », paru en 1945-1946, et « Avent », extraits de son journal de 1933 rassemblés en 1948. Traduits en français sous le titre Visage de Freud (Denoël) en 1977, devenus introuvables, ils sont aujourd’hui réédités dans une nouvelle traduction, augmentés d’une section réunissant la correspondance entre H.D., Freud et Bryher, et d’une éclairante préface d’Elisabeth Roudinesco, où sont notamment détaillés et contextualisés les fourvoiements de Freud sur la sexualité féminine.
 
Ménage à trois. En recevant H.D. sur son divan, Freud, alors âgé de 77 ans, a conscience de prendre une patiente à plus d’un égard hors norme. Icône de l’Imagisme, ce mouvement poétique figuré par Ezra Pound dont elle fut l’amante, H.D. a tôt emprunté les chemins du ménage à trois et d’une bisexualité insouciante, en voyageant avec Frances Josepha Gregg, ancienne étudiante de Pound avec laquelle elle vécutr une idylle, et le mari de celle-ci. Mariée à Richard Aldington en 1913 mais séparée deux ans plus tard, elle rencontre en 1918 Annie Winifred Ellerman, dite Bryher, destinée à devenir la compagne de sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une fille avec Cecil Gray, un ami d’Aldington qui reconnaîtra l’enfant, prénommée Perdita. Bryher, de son côté, demande en 1921 la main de Robert Mc Almon, ex-amant de H.D. Ce mariage de convenance sera remplacé par un autre en 1927 : Bryher épouse Kenneth MacPherson, avec lequel H.D. a une liaison et dont elle attend un enfant – qu’elle décide de ne pas garder. La même année, Bryher et MacPherson acceptent d’adopter… Perdita Aldington. Vous êtes perdu ? C’est normal.
Familles (sur)recomposées, homoparentalité, liaisons à puissance n : H.D., dont la beauté solaire et fragile émeut manifestement les deux sexes, n’est pas seulement une pionnière dans sa liberté à vivre toutes les variations des équations affectives. Avec son cycle de romans intitulé Madrigal, l’écrivaine, contemporaine de Virginia Woolf et de Gretrude Stein, a ouvert un chapitre essentiel de l’histoire de l’autobiographie féministe, dont témoigne notamment le Don.
 
« Autre scène ». Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, la psychanalyse n’entretient que des rapports très lointains et pour ainsi dire anecdotiques avec l’autobiographie et le récit de soi. Cette « autre scène », qui privilégie l’analogie, la métaphore, l’écho, la résonance, la rime, en somme, a en revanche tout à voir avec la poétique et son exigence à s’affronter, par la parole, à l’énigme du verbe et du sens. H.D. ne « raconte » pas son analyse dans « Ecrit sur les murs », pas plus qu’elle ne la déroule dans « Avent », le journal de 1933, de la même encre. Elle en retranscrit la mise en oeuvre et donne à lire, entre les lignes, un cheminement, avec ses écarts et ses disgressions, ses écueils et ses progrès, dans un processus qui est le même que celui de l’écriture. Nous sommes dans le chantier de l’écrivain/analysant, dans la boite noire où s’échappe une divagation, entre associations libres et roman familial. « Je ne veux pas classifier le contenu de nos entretiens et les raconter d’une manière logique ou livresque. C’était […] « une atmosphère », il est beaucoup question de rêves, qu’H.D., sans surprise, compare à des « manuscrits enluminés », les rêves « banals et fastidieux » correspondant « à la catégorie de la presse écrite », d’autres songes suivant « une ligne comme un graphe sur une carte ». Ce sont ces « hiéroglyphes de l’inconscient » qu’elle s’attache à décrypter. L’analyse, c’est, aussi, (ré)apprendre à lire.
 
roudinesco_1200675899.jpgAventure. Parce qu’il met de la sorte en perspective analyse et travail littéraire, par touches liminales et sans jamais le formuler explicitement, Pour l’amour de Freud brille d’un éclat singulier par rapport aux « témoignages » sur le sujet, dont l’actualité éditoriale a récemment donné un exemple avec Mon analyse avec le Professeur Freud d’Anna G. (Libération du 11 mars 2010). Il n’est pas anodin que nombre d’écrivains redoutent d’entreprendre une analyse, de peur de dilapider leur singularité dans une explosion jugée trop risquée ou de devoir se soumettre à une injonction normative. H.D., dont le mode de vie n’attire aucune remarque d’ordre moral de la part de Freud, choisit, elle, de s’y mesurer. Par défi, par nécessité, par curiosité pour la grande aventure intellectuelle que la psychanalyse représente alors. Mais non sans crainte : « Les explications du Professeur étaient trop éclairantes parfois, semblait-il ; les ailes de chauve-souris de ma pensée battraient douloureusement sous ce projecteur soudain. » Le récit de son analyse, ou plutôt sa réécriture, comme un redoublement analogique de l’expérience, s’emploie à déjouer cette peur, dans une lutte dont on comprend qu’elle s’est engagée entre H.D. et elle-même. Le « Professeur », dont elle note souvent « le sourire oblique », « touchait le pétrole » mais c’est au patient de trouver ses champs d’applications. Cinq mois après son départ de Vienne, Freud lui écrivait ,: « Je suis profondément satisfait d’apprendre que vous êtes en train d’écrire. C’est pour cela que nous avons plongé dans les profondeurs de votre inconscient, je m’en souviens. »
En ces temps de tirs groupés contre la psychanalyse, sans doute n’est-il pas inutile de rappeler que Freud n’exigea jamais qu’une seule chose de H.D., une seule et unique : « Je vous en prie, jamais – je veux dire jamais, en a
ucun moment, en aucune circonstance – , n’essayez jamais de me défendre, si et quand vous entendez des remarques injurieuses sur moi et mon travail.
[…] Vous ne ferez pas de bien au détracteur en commettant la faute d’entreprendre une défense logique. Vous approfondirez seulement sa haine ou sa peur et ses préjugés. »
 
LAURE MURAT