REVUE XXI DU PRINTEMPS 2010 –
COURRIER DES LECTEURS : LETTRE D’ANTOINETTE FOUQUE
J’ai créé une science (la féminologie)
Dans son numéro 7 de l’été 2009, la revue XXI a consacré à la cofondatrice du Mouvement de libération des femmes que je suis, un « dossier » de douze pages intitulé « Enquête sur la prêtresse femme », qui appelle de ma part quelques éléments en réponse. Juliette Joste m’a contactée en mars 2009. Le film Antoinette Fouque, qu’est-ce qu’une femme ?, réalisé par Julie Bertuccelli pour la collection « Empreintes », diffusé en décembre sur Arte et France 5, lui avait, m’a t-elle dit, donné envie de réaliser avec moi pour la revue XXI.
J’ai accepté et l’ai reçue plusieurs heures chez moi à Saint-Raphaël. Lorsque je lui ai demandé de me communiquer lors de son retour à Paris le texte de l’entretien, afin que j’y apporte, le cas échéant, des précisions, elle m’a déclaré que ce n’était pas un entretien mais un portrait qu’elle prévoyait de publier, qu’il serait neutre et qu’elle n’entendait pas me le communiquer avant sa publication. Je lui ai par conséquent envoyé la lettre suivante au lendemain de notre rencontre :
16 avril 2009
Chère Juliette Joste,
Je crois qu’il y a un malentendu sur le travail que nous avons entrepris hier. Je m’étais engagée à faire avec vous un entretien. Mais au bout de deux heures de dialogue, vous me dites qu’il s’agirait en réalité d’un portrait. Cela change tout.
Un entretien est une responsabilité partagée, un jeu de questions aigues et de réponses rigoureuses, à relire et à préciser. Un portrait est, en revanche, tout entier de la responsabilité du portraitiste. Et il en dit plus long sur lui que sur son objet. Une fleur à la place d’une femme, pour Picasso, une pomme et un chapeau à la place d’un homme, pour Magritte. Le plus souvent, il faut le dire, c’est un autoportrait. Je ne peux pas vous donner mon accord pour une telle aventure. Je regrette que nous ne puissions continuer cette collaboration.
Cordialement,
Antoinette Fouque
J’ai fait suivre cette lettre de celle d’un ami avocat, dans le même esprit, dès lors qu’aucun compte n’avait été tenu de la mienne. C’est cette démarche minimale, amiable, courtoise, qui sera qualifiée de « barrage juridique », « paranoïa », « rideau de fer » dans le prétendu portrait finalement intitulé « enquête » publié le 25 juin dernier et qui a donné raison à mes préventions.
Car il s’agit là de ce qui m’apparaît plus comme une avalanche de rumeurs folles, d’affects et de passions, de fictions et de fantasmes, les plus négatifs d’entre eux venant contaminer les rares apparemment positifs. D’où l’absence de la seule chose qui vaille la peine d’en avoir le souci, la réalité. Suis-je « fondatrice d’un groupuscule », recluse, esthète de l’opaque ? Non. Mais fondatrice d’un mouvement politique et de pensée, dont toutes les initiatives et créations sont de transmissions, d’ouvertures. Transmission par un texte distribué lors d’une assemblée générale aux Beaux-Arts, à l’automne 70, du travail théorique qui se faisait depuis 68. Manifestations, assemblées, colloques, séminaires, journaux, maison d’édition, galerie, ouverts aux femmes de toutes régions, de tous pays ; participation en France et à l’étranger aux luttes et diverses manifestations organisées par d’autres femmes. Rencontres innombrables, rappelées dans Génération MLF 1968-2008. Occasion de dire que, peut-être « oratrice », j’ai surtout dans ma vie beaucoup écouté. Tout cela ne serait qu' »images », « ambition personnelle » ?
J’ai lutté avec bien d’autres femmes, amies proches ou lointaines, pensé, créé une science (la féminologie), des lieux où donner la parole aux femmes, où briser le mur du silence qui emprisonne leur création, usé du droit et pas des armes de guerre, du droit qui éclaire et endigue la haine, qui protège aussi ; j’ai été élue vdéputée européenne, en toute indépendance vis-à-vis d’un quelconque parti politique… et j’ai bien fait d’autres gestes par amour de la liberté, du vrai, du réel, de la vie et de sa beauté, par espérance d’un nouveau contrat humain.
Je disais autrefois que je n’avais aucune ambition sociale ou professionnelle, et que l’ambition historique qui m’animait excédait très largement ma personne et concernait les femmes. En ce sens, je n’estime pas avoir fait carrière, mais il est manifeste que le combat auquel j’ai dédié ma vie a remporté bien des victoires : là est mon succès, ma réussite, et ce n’est qu’un début.
L’événement de ces quarante dernières années, c’est finalement l’affirmation par les femmes, de leur existence créatrice et féconde.
Antoinette Fouque