Réaction de Guy Carrieu Président du Souvenir napoléonien à la pièce de Nathalie Ganem

Guy Carrieu reste président du Souvenir napoléonien, société savante qui se consacre à l’histoire des Premier et Second empires, et à celle de la famille impériale. 

Chère Madame, Dès hier soir j’ai envoyé un message à mon délégué parisien pour lui dire tout le bien que j’ai pensé de « Rendez-vous à l’Élysée « . Le texte est magnifiquement écrit, ciselé, construit et érudit (j’ai d’ailleurs regretté de ne pas avoir pu faire l’acquisition du livret à la sortie, alors qu’il était présenté à l’entrée !), le « Fouché » est excellent, le « Napoléon » expressif et sincère, « Hortense » ne fait peut-être pas suffisamment part de l’émotion qui a dû être la sienne en la circonstance (toutefois, j’ai bien conscience que j’ai vu la pièce en « première » et que d’ici le 20 janvier des adaptations se feront au fil des représentations). Au final, je noterai 17/20 pour cette première ! Bref, je recommande aux parisiens de mon association de vous rendre visite ce qu’ils ne manqueront sûrement pas de faire dans les prochaines semaines. Et, pas plus tard que ce midi, après avoir une fois encore fustigé le nouveau film de Ridley Scott, « Napoléon », je faisais connaître votre pièce à un groupe de personnes habitant Le Kremlin-Bicêtre qui avaient précisément entendu ce matin une présentation de la pièce sur France Culture. Croyez donc que je serai l’avocat de ce très beau spectacle. Je ne sais si nous aurons l’occasion de nous revoir…ce que j’apprécierais si cela devait advenir. Très cordialement à vous. Guy Carrieu

Saisons de culture a aimé « L’Ombre du Roi-Soleil » de Claude Rodhain

Par Etienne Ruhaud
Avocat honoraire, ancien ingénieur et écrivain, Claude Rodhain demeure essentiellement connu pour ses récits autobiographiques, parmi lesquels Le destin bousculé, publié en 1986. Également romancier, l’homme s’intéresse à l’Ancien Régime, et plus particulièrement aux petites gens, comme nous pouvons le constater à travers Fanquenouille (L’Harmattan, 2015), qui se déroule sous Louis XV. Ce nouveau livre se passe cette fois sous Louis XIV : Claude Rodhain y parle de la fameuse « affaire des poisons », déjà traitée dans Le parfum des poisons, paru trois ans plus tôt aux éditions City.
Une histoire qui commence (et qui finit) mal
Fille d’Ernestine, herboriste accusée d’empoisonnements, la jeune Louyse Buvard voit sa mère dénoncée par une voisine, puis torturée et enfin brûlée en place de Grève, en compagnie du père. Orpheline à quinze ans, Louyse quitte donc le village picard de Charonne pour Paris, où elle rencontre, suite à un malentendu, un certain Nicolas Gabriel de la Reynie, lieutenant des gardes, soit de la police, celui-là même ayant interrogé la mère. Méfiant, tout d’abord, puis conquis par les compétences de Louyse en matière de pharmacopée, séduit par ses beaux yeux, La Reynie tombe fou amoureux. Partageant désormais son lit, et donc sa vie, Louyse assiste aux terribles tortures infligées aux suspects. Marquée par un renforcement de l’absolutisme royal, la période est effectivement troublée : divers aristocrates conspirent contre le souverain, tentent de l’éliminer au moyen de potions, et donc font appel à Louyse, réputée pour ses talents. Soumis à la questions ordinaire puis extraordinaire, les inculpés passent rapidement aux aveux, avant d’être suppliciés. Présentée au souverain, Louyse devient vite la favorite, se trouve anoblie, jusqu’à son implication dans une ultime conjuration, liée au roi Charles II d’Angleterre. Enfermée au Châtelet, la désormais marquise de Tulle subit le même sort que Célestine.
Historique, érotique, féministe, fantastique ?
Roman d’inspiration historique, donc, L’ombre du Roi-Soleil met d’abord en scène une héroïne féminine, dont l’influence se fait sentir sur le plan politique ; entre autres lorsque Louis XIV résout de révoquer Fouquet, surintendant des finances et maître de Vaux-le-Vicomte, dont la splendeur inquiète, autant qu’elle irrite. De même, Louyse intervient pour améliorer la condition des esclaves. Enfin, la plupart des complots sont ourdis par des femmes, dans un univers traditionnellement dominé par la gent masculine. Pimenté par diverses scènes érotiques parfois intenses, notamment lorsque Louyse couche avec le lieutenant, le roman est en outre relativement violent. Claude Rodhain nous dépeint effectivement un Paris sale, marqué par une grande brutalité, dans les rapports humains, à commencer par l’usage de la géhenne, donc. Les rues sont envahies d’ordures, et les Français se battent. Tel est l’envers du fameux « siècle d’or ». Loin de louer un temps sans doute barbare, Claude Rodhain présente l’envers du décor. Inspiré par l’Histoire, l’avocat-auteur, tel qu’il se définit lui-même, fait un détour par le fantastique : Louyse et sa mère communiquent par-delà la mort, et Célestine guide sa fille, la conseille, à travers les épreuves.
Trop ambitieux ?
Varié, ambitieux, écrit dans un langage soutenu, le livre laisse toutefois une impression d’inachèvement, sinon de confusion. On se perd effectivement en intrigues secondaires, dont beaucoup demeurent irrésolues, et on finit par ne plus comprendre qui fait quoi, tant les personnages sont nombreux. La mort de Louyse est expédiée en quelques pages, mise en lien (assez maladroitement), avec la situation des protestants. Surtout, bien qu’il ne s’agisse pas d’un roman historique stricto sensu, de gros anachronismes sont à déplorer. Entre autres, lorsque le lieutenant de la Reynie cite Victor Hugo (1802-1885), ou lorsque certains concepts, évoquant directement le droit des femmes, sont plaqués sur un XVIIème siècle où la notion même de féminisme semble parfaitement inconnue, du moins dans sa forme moderne. Qui, à l’époque, parle de construction sociale, ou encore d’intégration sociopolitique (p. 15) ? D’autres éléments risquent de faire bondir les spécialistes. On est en droit de déplorer, aussi, quelques coquilles. Une relecture plus serrée, par un correcteur éditorial, se serait sans doute imposée. Soyons justes : les fautes ne sont pas si nombreuses, malgré tout.
Peut-être plus à l’aise dans le registre autobiographique, Claude Rodhain s’est construit SON XVIIème siècle. Non sans réserve, nous sommes prêts à le suivre dans ce voyage temporel. Notons qu’un certain travail sémantique a été réalisé, puisque l’auteur use de nombreux termes d’époque, dont certains nous paraissent aujourd’hui obscurs, oubliés. Enfin, et c’est une qualité, Claude Rodhain n’idéalise pas la période, souvent présentée de façon idyllique à travers films et récits. Nous ne saurions que l’en louer. Amoureux d’Histoire, parfois maladroit, l’écrivain se montre parfois extrêmement objectif, et réaliste, dans ses descriptions.
La Route de la Soie éditions 2023

Saisons de culture plébiscite la pièce de Nathalie Ganem

L’épopée napoléonienne constitue une source d’inspiration intarissable, tant pour le cinéma, la télévision, que pour le roman et le théâtre. Comédienne mais aussi auteure de drames historiques (également publié chez l’Harmattan, La dictée évoque là encore l’empereur), Nathalie Ganem parle quant-à-elle de la chute, soit l’extrême fin des Cent-Jours. Le 21 juin 1815, quelques heures après le naufrage de Waterloo, Napoléon, retrouve Fouché à l’Élysée. S’ensuit un étrange dialogue, à trois voix…L’Harmattan, Paris, 2023.
UN DRAME HISTORIQUE PRÉCIS
Le soir du 21 juin 1815, donc, Napoléon est dans une situation critique. Trois jours plus tôt, l’homme a perdu, à Waterloo, face à la coalition menée par les Anglais. Informé de la défaite, Joseph Fouché, déloyal ministre de la police, interroge discrètement plusieurs membres de la Chambre des Représentants afin de savoir quelles mesures prendre. L’abdication de l’Empereur est naturellement envisagée, notamment pas Lafayette. Napoléon, qui souhaite se maintenir, projette d’installer une dictature temporaire, suggérée par son frère Lucien Bonaparte, et par Lazare Carnot, (1753-1823), tout en espérant que la Chambre l’appuie, ce qui éviterait d’employer la force. Informés de l’éventualité d’un coup d’État, les ministres et les différents représentants refusent de plier. Napoléon, toujours encouragé par son frère Lucien, hésite à dissoudre la Chambre. D’autres conseillers insistent pour que le souverain lâche le pouvoir, tout en faisant miroiter la possibilité d’un maintien détourné : alors âgé de cinq ans, le roi de Rome, fils de Napoléon monterait sur le trône, ce qui permettrait d’instaurer une régence, et donc d’assurer la pérennité d’une dynastie. Suite à diverses tractations, revers, Napoléon se trouve contraint de partir, avant d’être arrêté par les Anglais, et déporté à Sainte-Hélène, où il meurt en 1821.
Délicat, ici, sinon impossible, de décrire avec précision les circonstances historiques exactes, de résumer l’incroyable rebondissement que constituent les « Cent-Jours ». Impossible également de ne pas rappeler le contexte, puisque Nathalie Ganem a souhaité dépeindre la confrontation entre Napoléon et le félon Fouché, duc d’Otrante. L’essentiel de la pièce est ainsi constitué par une conversation tendue entre l’Empereur et Fouché, chacun tentant de justifier ses actions en attaquant l’autre. Fille adoptive de Napoléon, Hortense de Beauharnais vient soutenir l’empereur, y compris face à Fouché qu’elle exècre. N’écoutant pas Hortense, qui lui souffle d’écrire à son beau-père, l’empereur d’Autriche (Napoléon ayant épousé, en secondes noces, Marie-Louise, petite-nièce de Marie-Antoinette), le grand homme précipite, sans le savoir, sa chute. Ainsi se clôt la pièce.
BREF, MAIS AMBITIEUX
Respectant (volontairement ?), la règle des trois unités propre au théâtre classique (soit un lieu, une journée, et une action), écrit en prose, Rendez-vous à l’Élysée semble donc, a priori, fidèle aux circonstances historiques. Plusieurs maximes célèbres, prononcées par Napoléon, en d’autres circonstances, apparaissent ainsi au fil des pages, comme Impossible n’est pas français, ou encore ce mot rapporté selon lequel Talleyrand serait de la merde dans des bas de soie. Napoléon comme Fouché se renvoient par ailleurs leurs torts à la figure : le duc d’Otrante rappelle à tout moment le caractère dictatorial de Napoléon, qui a ensanglanté l’Europe et sacrifié la jeunesse française, quand l’empereur, lui, rappelle à Fouché ses multiples fourberies, de même que sa sauvagerie durant la Terreur, période durant laquelle le Montagnard a fait massacrer de nombreux opposants. L’intérêt du drame réside ainsi en cet affrontement rhétorique : Nathalie Ganem raconte parfaitement l’histoire du pays, et presque toutes les fortunes traversées en trente ans, depuis la prise de la Bastille jusqu’à la chute de l’Empereur, naguère jeune général corse ambitieux, devenu souverain. Plus effacé, le personnage d’Hortense reste spectateur, et incarne pour partie la voix de la Raison, puisqu’elle tente de sauver son beau-père, et donc sa propre famille.
UNE PIÈCE HONNÊTE
Sans doute pourrons-nous reprocher à Nathalie Ganem l’aspect parfois « scolaire » de la pièce. Certaines citations semblent plaquées là, comme s’il s’agissait d’un cours mis en scène. Tel est l’écueil du drame historique, en tant que genre. Cependant, le style alerte, les diatribes que s’adressent les protagonistes, font de ce Rendez-vous à l’Élysée une pièce vivante, qui ravira des amateurs d’Histoire, attachés à l’exactitude. La passion de l’auteure pour cette période troublée transparaît à chaque ligne. Court, incisif, ce Rendez-vous ne brille certes pas par l’originalité du thème choisi, mais ne contient aucun temps mort. Notons, pour les plus motivés, que plusieurs représentations sont prévues à Paris, au théâtre de Nesle, à partir du 2 décembre 2023.

Actualitté a adoré « L’Ombre du Roi-Soleil » de Claude Rodhain

Louyse Buvard, femme majeure à la cour de Louis XIV

L’Ombre du Roi-Soleil de Claude Rodhain, publié en septembre aux Éditions La Route de la soie, est ce que l’on appelle un roman historique. Cette classification bien commode pour les libraires ne nous sert guère présentement : il s’agit toujours d’écrire à partir du réel, de l’expérience. L’histoire de France est notre héritage, le roman historique est un moyen de ne jamais fixer l’histoire et de lui rendre son caractère toujours actuel. Par Margaux Catalayoud.

Ainsi donc, le romancier aguerri s’approprie avec son œuvre un épisode bien connu à la cour de Louis XIV et qui a concouru à la création de la chambre ardente ; mais il ne s’est pas agi, à la manière d’un roman policier, de résoudre cette affaire des poisons, l’auteur a plutôt mis l’accent sur le rôle majeur que les femmes ont joué dans le règne du Roi, créant alors le personnage fascinant de Louyse Buvard.

Une inconnue fictive devient marquise

En effet, la récente orpheline, Louyse Bouvard, qui vient de nulle part, s’est imposée à la cour, jusqu’à devenir marquise et plus encore… Les sombres péripéties qu’elle traverse sont le fruit d’un caractère extraordinaire dont l’audace est le pendant de l’atmosphère anxiogène.

Sa mère, empoisonneuse, a connu le bûcher et a laissé derrière elle une enfant dont on n’aura de cesse de conter la beauté et bientôt l’intelligence – de se frayer une voie dans un monde hostile où tout n’est que secret, suspicion, superstition. Les nobles trempent dans un trafic que le poison symbolise : qui assassine son mari, qui est jalouse de la nouvelle favorite du roi, qui voudrait se faire aimer, etc.

Ces manigances, aussi extravagantes semblent-elles, ne font aucun doute grâce à la précision historique de l’auteur. Tous les personnages principaux de l’affaire des poisons sont convoqués : la Bosse, la Voisine, la Vigouroux, Fontanges la Reynie, etc, l’auteur réussit avec beaucoup de délicatesse et de fluidité à rendre compte de l’épisode historique sans alourdir le récit.

Et la création, plutôt chiadée, du personnage féminin rend bien le romanesque d’une époque où l’on pouvait encore croire à la magie.

Un autre regard

Cette invention est, à proprement parler, l’œuvre de l’écrivain, c’est-à-dire qu’il joue grâce à Louyse, avec elle, à côté d’elle aussi. Le développement narratif la définit comme un être complexe et psychopompe ! De facto, les rapports mère/fille sont troublants car Louyse parle à feu sa mère aux moments cruciaux de sa montée au pouvoir.

Son ascension questionne d’ailleurs la trahison de son appartenance sociale. Comme Jeanne du Barry dans le film éponyme de Maïwenn, fille du peuple et maîtresse de Louis XIV, Louyse Bouvard nous laisse entrevoir un roi attentionné, à la mégalomanie intermittente, j’en veux pour preuve sa confession : « En privé, Louis se qualifie lui-même d’ignorant. A peine lui a-t-on appris à lire et à écrire et ce défaut de connaissance des choses communes de l’histoire, des continents, des fortunes du monde, des conduites et des usages, le fait souvent tomber dans les absurdités les plus grossières, mais il n’en a cure. Il préfère l’action à la connaissance et regarde le savoir avec dédain. »

En somme, L’ombre du Roi Soleil est un roman intelligent qui mêle fiction et histoire, jouant ainsi sur notre fantasme de la Cour et ses souterrains, révélant sans distance les rouages du pouvoir.