Opération Coronavirus, la participation de Christian de Moliner

Christian de Moliner, auteur notamment de « Islamisme radical : comment sortir de l’impasse ? »

La crise du grand confinement

La France compte un nombre incalculable d’experts qui se permettent de donner leur avis sur la gestion par le Gouvernement de M. Macron de la crise induite par le Covid 19. Pourtant, il conviendrait d’être humble ; la critique est facile, à la portée de tous, mais gouverner lorsqu’on détient les rênes du pouvoir est complexe et extrêmement difficile.

Nous pouvons néanmoins avancer avec prudence quelques faits. D’abord, il existait une alternative au grand confinement en France, même si la très grande majorité des pays ont choisi de calfeutrer leur population à leur domicile. Nous aurions pu suivre l’exemple de la Suède, de Taiwan et de la Corée du Sud. Nous n’aurions pas fait aussi bien que les deux puissances asiatiques vu que nous étions dépourvus de masques et de tests, que notre industrie, en voie de démantèlement, était incapable de se mobiliser pour fabriquer ces produits indispensables. Si le Pouvoir avait refusé le grand confinement, nos services de santé auraient été débordés, nous aurions dû faire un tri bien plus sévère que celui qui a été effectué en mars et en avril, où nous avons sacrifié les personnes âgées. Tout au plus une mobilisation industrielle aurait pu livrer suffisamment de respirateurs de poche, permettant non d’intuber mais de ventiler les malades avec de l’oxygène. Nous aurions compté 70 000 morts de plus, l’immunité collective n’aurait pas été atteinte, mais la maladie aurait fini par se stabiliser et par régresser. Dans un pays où meurent chaque année 600 000 personnes 70 000 morts de plus était-il un scandale, un désastre ou un simple revers ?  D’autant plus que la grande majorité des victimes auraient été des personnes fragiles qui seraient mortes dans les deux ans ? Il est difficile d’estimer la surmortalité effective si on avait rejeté le confinement, peut-être n’aurait-elle été que de 20 000. En échange la crise économique aurait été considérablement atténuée, le coût économique bien moins élevé.  Mais refuser le confinement était politiquement impensable. le Pouvoir aurait été accusé de cynisme, le slogan terrible « nos vies valent mieux que leurs profits » aurait fait des ravages. Le gouvernement aurait été balayé aux élections suivantes. En France, seul le confinement était possible, car lui seul était conforme à la doxa en place et aux attentes du Peuple Français. Même une réclusion sur une base volontaire était impossible, car on aurait traité d’égoïstes et d’assassins ceux qui seraient sortis, ceux qui auraient en toute connaissance de cause choisi un risque minime pour une plus grande liberté

Deuxième question qui suit aussitôt ce premier constat : la gestion gouvernementale de la crise est-elle optimale ? La réponse est évidemment non. Les palinodies incessantes du Pouvoir qui a changé d’avis sur les masques, sur les tests, qui a menti visiblement aux Français, sont lassantes. En outre, des erreurs ont été faites. Pointons les principales : ne pas avoir fermé vers le 10 mars les frontières sous le prétexte scandaleux que s’isoler serait une notion d’extrême droite, avoir maintenu le déplacement des supporteurs italiens pour le match Lyon Turin, ne pas avoir suspendu le premier tour des municipales alors que selon les données que, seul, le gouvernement avait en sa possession, une explosion de la maladie était inéluctable. Quant au plan de déconfinement, il est confus et sur certains points incohérent. Pourquoi par exemple avoir mis en place cette limite arbitraire de 100 km ? N’aurait-il pas été plus logique de permettre le déplacement dans tout l’hexagone, en interdisant de quitter le pays sauf exception ? 

Le bilan économique sera pour finir terrible. Le chômage va exploser et il faudra 10 ans pour le résorber. Alors que nous étions déjà submergés de dettes, nous emprunterons 500 milliards de plus. Résoudre ce problème est, contrairement à l’opinion commune, facile : le gouvernement peut soit saisir 10% de toute l’épargne des Français, nationaliser tous les terrains et imposer un loyer à tous les propriétaires, déclencher une inflation de 100 % en un an, transformer nos emprunts en une dette perpétuelle qui finira par se dévaluer toute seule, ruinant ceux qui auront misé sur ce type de placement. Pour l’instant, il n’est pas nécessaire d’en arriver à des mesures aussi extrêmes : emprunter 200 milliards en 2019 aurait rapporté à la France 20 milliards ! La dette est en 2020 une ressource et non un coût. L’exemple du Japon où la dette frôle les 230% du PIB démontre à l’envie que la situation actuelle peut perdurer encore très longtemps. Bien plus inquiétante est la diffusion dans l’opinion de l’illusion suivante : l’argent magique existe, la France peut dépenser sans compter, sans se soucier des recettes. Cela aurait été possible, si l’euro n’existait pas, si nous étions restés au franc, si la banque de France pouvait imprimer autant de billets qu’elle le souhaite. Mais dans ce cas, l’hyperinflation et l’effondrement du pays seraient la conséquence rapide de ce laxisme mortifère. Dans le schéma actuel, la BCE nous empêche (heureusement !) de dépenser inconsidérément, tout en nous permettant une injection massive de capitaux en 2020 pour sauver notre économie. Mais des voix s’élèvent de tous côtés pour affirmer : puisque cette année nous allons dépenser 500 milliards par an d’argent magique, pourquoi ne pas mettre en place un revenu universel qui coûterait un demi-billion d’euros chaque année en versant à chaque Français adulte 900 € par mois. Or cette somme dépasserait les recettes du budget (440 milliards d’euros !) Le revenu universel serait donc une folie absolue et je trouve étrange la persistance du débat alors que la cause est entendue depuis longtemps. En fait dans l’opinion publique règne un sentiment infantile semblable aux caprices des adolescents qui assènent à leurs parents « Je veux tout, tout de suite à vous de vous débrouiller pour me le donner » Cela devient « L’État doit me fournir sans aucune contrepartie le cadre de vie agréable auquel j’ai droit parce que je suis Français ».  Que la misère existe en Afrique ou en Inde n’entre pas en ligne de compte pour ces « égoïstes ». Cette dérive a été accentuée par Le grand confinement, puisque 32 millions d’adultes Français sur 50 millions ont été payés pendant 2 mois par l’État sans qu’aucun travail ne soit demandé en échange. Ce qui n’était qu’accidentel et nullement soutenable sur le long terme est devenue la norme souhaitée par nombre de Français immatures.

Au fond qu’est-ce une société juste ? On peut viser une société égalitaire où tout le monde aurait le même salaire quel que soit l’investissement personnel. C’était le choix du bloc communiste, or ce modèle a sombré corps et biens. Pour ma part, j’estime que dans une société « idéale » doit exister un filet de sécurité pour les accidentés de la vie, mais aussi pour les paresseux qui refusent de travailler. Le RSA, le paiement du loyer aux propriétaires, des bons alimentaires sont donc souhaitables à mes yeux. Seule condition que j’imposerais : le nombre de bénéficiaires de ces prestations ne doit en aucun cas augmenter artificiellement et on doit éviter que 300 000 nouveaux arrivés s’invitent d’eux même chaque année au partage du gâteau, sans avoir été invités par qui que ce soit. Pour le reste un écart plus faible de revenus que celui en place actuellement serait sans doute souhaitable ainsi qu’une réflexion sur les catégories qui dans un monde idéal, devraient être surpayées ou sous payées. Faut-il mettre en avant le diplôme ? L’utilité sociale ? La pénibilité ?  Ce débat sera difficile à mettre en place « les privilégiés » défendant bec et ongles leurs avantages, les « défavorisés » souhaitant accéder à un meilleur niveau de vie.

Opération Coronavirus, la nouvelle de Christian de Moliner sur Jasmine Catou

Jasmine Catou et le Covid 19

Je m’étire voluptueusement sur notre canapé, en m’efforçant de reproduire au mieux une posture présentée dans l’émission de télévision, le chat, son maître et le yoga. Je me sens bien, détendue. Je savoure pleinement l’instant présent et le rayon de soleil qui réchauffe mon ventre. Ah ! Maman s’approche de moi en souriant. Ma récréation est terminée, je crois ; elle me saisit et m’affuble d’un drôle de masque, un cône blanc, avant de me porter jusqu’à ma cage de transport. Je savais que je devais sortir ce matin, mais ce déguisement ridicule me surprend et m’exaspère. Ma mère m’a avertie hier que nous étions attendues aujourd’hui dans un studio d’une radio parisienne pour présenter Les enquêtes de Jasmine Catou, le livre dont je suis l’héroïne. Heureusement, les auditeurs ne me verront pas si on excepte ceux qui suivent l’émission sur Internet. Ceux-là se moqueront de moi. L’animateur estime que ses invités se livreront d’autant mieux en présence d’un animal et, malgré mes réticences à quitter le havre de notre appartement, je pensais jusque-là qu’il avait raison. Mais si cet accoutrement est obligatoire pour accéder au studio, je refuse de m’y rendre ! Foi de Jasmine Catou ! 

Je m’agite derrière les barreaux et j’essaye de retirer le masque avec mes pattes, si bien que Maman doit me sortir quelques instants pour me caresser et m’apaiser.

– Je sais, mon cœur : tu es gênée par ce bout de papier, mais il n’est là que pour te protéger du virus.

Maman, voyons ! Je suis une chatte, pas une humaine. Je ne risque absolument pas d’attraper ou de transmettre la maladie. Tu n’as pas pris au sérieux ce reportage que nous avons vu à la télévision sur ce chien de Hong Kong testé faiblement positif au Coronavirus, j’espère ! Je tourne la tête pour lui signifier que je trouve son idée grotesque.

– Pardon, ma chérie, mais Augustin l’animateur a imposé le port du masque à tous ses invités y compris aux deux animaux présents.

Parce qu’en plus, je ne serais pas la seule créature à quatre pattes à participer à cette émission ! Je devrais partager la vedette ? Maman s’est bien gardée de m’en informer de cette cohabitation qui change tout.

Elle me remet dans la cage et s’apprête à son tour. J’ai envie de m’esclaffer en la voyant ainsi harnachée, avec ce papier blanc qui couvre sa bouche, avant de me renfrogner. Je dois moi-même prêter à rire.

Nous partons pour le studio de Radio Tour Eiffel. D’après ce qu’a expliqué Agathe à son amie Armelle par l’intermédiaire du téléphone – elles n’ont plus droit de se rencontrer depuis lundi dernier– Augustin, l’animateur, se gargarise d’être entré en résistance contre la quarantaine ; il essaye de maintenir une grille de programmes proche de la normale. Maman a beaucoup hésité à accepter son invitation du fait des risques encourus, mais elle a choisi d’y aller par conscience professionnelle. Elle estime de son devoir de promouvoir son auteur qui a su mettre en musique mes exploits. C’est aussi sa contribution au maintien du moral des confinés puisque la lecture est l’une des dernières activités permises aux humains avec la télévision, la radio et Internet. J’espère que, pour la récompenser de s’être déplacée, nous gagnerons la sympathie d’un large public.

Nous grimpons à l’arrière du taxi qui nous attendait au bas de chez nous. Je suis d’abord amusée par le spectacle d’Agathe ouvrant la portière de la Mercédès avec la manche de son manteau, avant de me reprocher mon ironie : la situation est suffisamment grave pour qu’on prenne le maximum de précautions. Je dois arrêter d’être sarcastique ; tout n’est pas prétexte à moqueries. 

Paris est vide. Alors que d’ordinaire les rues sont encombrées, que des travaux ralentissent la circulation, nous ne mettons que quelques minutes pour gagner le studio d’enregistrement qui se trouve place du Trocadéro. Après avoir payé à l’aide de sa carte bleue, être sortie du taxi et m’avoir posée avec ma cage sur le sol, ma mère s’est lavé les mains avec un liquide contenu dans un petit flacon. Je n’aime pas l’odeur de ce produit que je trouve trop forte. Je sais : je suis bien grincheuse aujourd’hui et tout m’est prétexte à râler. Ce masque stupide est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ! Déjà que participer à cette émission ne m’emballait pas même si j’apprécie que les feux des projecteurs soient braqués sur moi. Vous savez comme je suis casanière : je n’aime que notre petit appartement. Allez détends toi Jasmine Catou ! C’est la rançon de la gloire. Cent mille personnes vont entendre parler de toi et de tes exploits. Il faut les convaincre d’acheter notre livre.

Maman appuie sur le clavier extérieur et sur la clinche par l’entremise de son manteau. Une dame est en train de nettoyer le hall, Maman la contourne en se plaquant contre le mur, pour mettre le maximum de distance entre cette employée et elle. En d’autres circonstances, je trouverais ses contorsions amusantes, mais ce matin je dois m’efforcer de garder mon sérieux. Que c’est difficile !

Radio Tour Eiffel est située au rez-de chaussée. La porte du studio est entre-ouverte sans doute pour éviter qu’on ne la touche. Maman la pousse de l’épaule avant de la refermer à demi avec le pied. Les humains sont passés en quelques jours d’un extrême à l’autre : la semaine dernière ils se pressaient dans les parcs si j’en crois les images des reportages télévisés. Désormais ils voient partout des virus grimaçants qui cherchent à sauter sur eux et à les mordre : un vrai film d’horreur, comme celui avec des zombies que Maman a regardé le mois dernier. Enfin je ne suis qu’une chatte, je ne comprends pas tous les tenants et aboutissants de cette situation complexe !

Un homme assis autour d’une table salue Maman de la main et nous convie à prendre place sur un siège placé à un mètre de distance de lui. Il doit s’agir d’Augustin. Un autre invité est déjà arrivé. 

– Docteur Yves de Pérec, vétérinaire exerçant à Neuilly Agathe Boulay et la célèbre Jasmine Catou, nous présente l’animateur.

Je me rengorge. Voilà un homme qui sait parler aux félins !

– Votre livre est amusant, commente le médecin pour animaux, excessif bien sûr, mais nous en reparlerons à l’antenne.

Que voulez-vous sous-entendre docteur avec ce mot « excessif » ? Le poulain de Maman qui rapporte mes aventures n’exagère nullement contrairement à ce que vous semblez insinuer. Hum ! Mon interview ne sera pas une partie de plaisir : j’aurai un contradicteur qui cherchera à me dénigrer. Heureusement, Maman a du répondant.

Un homme tenant en laisse un westie affublé d’un masque aussi comique que le mien, nous rejoint. Voilà sans doute le troisième humain invité. Il s’installe à la dernière place libre. L’animateur fait les présentations :

– Griffouille et Bernard Perroche, professeur de philosophie au lycée Louis le Grand de Paris et auteur de dialogue entre Socrate et mon chien, nous apprend-il.

L’enseignant a un bouc grisonnant hirsute et est mal peigné. Ses verres de lunettes sont sales. Quant à son animal ! En principe il devrait être blanc, puisque c’est la couleur de cette race canine. Mais son poil est emmêlé, et il est roux en de nombreux endroits. Et je ne parle pas de sa barbe : une horreur. Même s’il se disent philosophes tous les deux, ils n’ont pas la classe de notre ami Michel Becker toujours tiré à quatre épingles. Ils me font penser à Diogène, le clochard qui vivait dans un tonneau et qui a répondu à Alexandre le Grand « Ôte toi de mon soleil », alors que le roi lui demandait ce qu’il pouvait faire pour lui. Je tiens cette anecdote de Michel, il l’a racontée à Maman. Je ne manque jamais une occasion de me cultiver en écoutant les convives qui viennent se régaler chez Agathe ou les reportages à la télévision. Miaou, je ne suis pas une chatte ignorante des rues.

Je soupire en regardant les nouveaux venus. M. Perroche et son animal aurait dû faire un effort, aller chez le coiffeur et chez le tondeur. Ils seront filmés et seront vus par les auditeurs qui suivent l’émission sur internet. L’image qu’ils donnent est désastreuse et rejaillit négativement sur Maman et moi alors que, nous, nous faisons attention à notre apparence.

– Nous commençons dans cinq minutes, prévient Augustin.

– Puis-je permettre à Jasmine de quitter sa cage ? demande ma mère. La pauvre va faire de la claustrophobie.

– D’accord si elle reste près de vous.

– Bien sûr. Mon cœur tu ne t’éloigneras pas de moi ? Promis ? Ne va surtout pas réclamer des caresses.

Maman, j’ai compris la situation. Compte sur moi pour rester sage comme une image. 

Ma maîtresse me pose sur le pupitre ; je me redresse et repère la caméra ; je m’entraîne à faire un sourire enjôleur, enfin à ma manière de chatte. Comme je vous l’ai déjà dit à de nombreuses reprises, j’aime paraître à mon avantage.

– Je vous remercie d’être venus, reprend Augustin. Je trouve important pour la qualité de nos émissions qu’elles soient enregistrées en direct. Nous perdrions de la spontanéité en utilisant le téléphone pour recueillir l’avis des intervenants.

– J’espère, réplique ma mère avec une pointe d’inquiétude dans la voix que cette rencontre n’aura aucune répercussion fâcheuse pour l’un d’entre nous.

– Nous avons pris toutes les précautions, enfin je l’espère.

– Montaigne a quitté son poste de maire de Bordeaux, pérore l’enseignant, juste avant que n’éclate une épidémie de peste. Il ne se cache pas dans ses essais avoir fui la contagion et cette attitude lui a beaucoup été reproché par ses commentateurs. Nous serons donc plus courageux que lui.

Quel prétentieux ! Faire la leçon à Michel de Montaigne ! Si je savais parler, je le lui clouerais le bec.

– L’émission commence, prévient Augustin.

Il entame un décompte avant d’ouvrir le débat en professionnel de la radio. 

– Bienvenue sur l’antenne de Radio tour Eiffel pour notre débat, l’animal et la littérature

Il poursuit en gratifiant chacun d’entre nous de quelques mots aimables ; même Griffouille est présentée comme une chienne lettrée, alors que pour ma part je l’aurais qualifiée de sac à puces.

– Monsieur Perroche, dans votre livre, votre compagnon à quatre pattes tient des propos philosophiques de haute tenue et répond au grand Socrate. Bien entendu, c’est vous qui vous exprimez à la place de votre animal.

Le professeur de philosophie n’a pas le temps de répondre, le vétérinaire intervient et lui coupe la parole :

– L’exercice d’antropo-morphisme réalisé par cet auteur est intéressant tout en atteignant rapidement ses limites ; il prétend présenter le point de vue d’un chien qui réagirait sur des problèmes et des questions essentiels en usant à la sagesse inhérente à son espèce, mais son exposé reste terriblement humain. La logique employée est nullement canine, elle appartient en fait au monde des hommes.

L’enseignant contre-attaque au quart de tour et défend son œuvre. Il emploie des mots abscons, fait appel de grands principes, mais je ne dois être qu’une chatte stupide, je ne comprends rien à ses arguments.

La discussion devient confuse, le vétérinaire et le professeur parlent en même temps, s’empêchent mutuellement de s’exprimer. Il ne manquerait plus que Griffouille ne se mette à aboyer pour que le chaos soit à son maximum. Augustin essaye de reprendre le contrôle de son émission et se tourne vers Maman.

– Et vous Agathe, vous nous présentez des énigmes qui seraient résolues par votre chatte. Évidemment, il ne s’agit que d’une fiction parodique.

– Pas du tout, mon auteur n’a pas écrit une œuvre d’imagination : il a rapporté des histoires réelles.

Le vétérinaire éclate d’un rire sonore.

– Votre chatte ne sait pas parler. Donc ces nouvelles ne sont qu’interprétation et affabulation de la part d’un écrivain à la plume trop prolixe.

Il dresse la liste des prétendues invraisemblances et exagérations qu’il a relevées. Il met en pièces Les enquêtes de Jasmine Catou et Maman peine à me défendre. Comment lui venir à l’aide et faire taire ce praticien trop acerbe ?

J’ai bien une idée qui me trotte dans la tête, mais de quelle façon puis la faire comprendre à mon entourage ? Je rencontre toujours le même problème. Je m’en remets à la télépathie, qui à quelques reprises dans le passé a fonctionné. Je songe très fort à ma solution et me concentre pour toucher l’esprit de ma mère. Hélas le lien ne s’établit pas aujourd’hui ; Agathe ne propose pas le test que j’essaye de lui suggérer. Essayons autre chose. Je traverse la table et vais me planter face au vétérinaire, droite sur mes pattes.

– Pour nos auditeurs, je précise que Jasmine vient de se placer juste devant Yves, s’amuse Augustin. Docteur, vous lancerait-elle un défi ?

– Votre remarque n’a aucun sens. Elle est incapable de comprendre que j’émets des doutes sur ses capacités de détective, car elle est une chatte qui ne décrypte pas le langage humain. Aussi, ne vous lancez pas dans des explications anthropomorphiques, ne vous imaginez surtout pas qu’elle vient protester. Elle s’est approchée de moi uniquement parce que je suis celui qui parle le plus dans ce studio.

Vous vous trompez du tout au tout ! Comment vous le faire comprendre ? Et si je secouais la tête ?

– Yves, j’ai l’impression qu’elle vous dit « non » en hochant sa gueule de gauche à droite, remarque hilare l’animateur.

– N’importe quoi, rétorque M. de Pérec.

– Peut-être attend-elle que vous lui proposiez une énigme à résoudre ? s’esclaffe Augustin. 

Tout à fait ! N’est-ce pas là le meilleur moyen de faire taire ce vétérinaire si catégorique ?

– Votre émission sombre dans le grotesque, proteste M. de Pérec. Un chat détective, quelle absurdité ! Vous nagez en plein délire à l’Ionesco.

– Vous connaissez le but que nous poursuivons, réplique amusé l’animateur, nous mettons en présence des personnalités dont l’approche est totalement différente et nous suscitons ainsi des débats. Jouez le jeu !

– Vous devenez un émule en pire de M. Hanouna.

– Je me dévoue, intervient ironique M. Perroche. Je vais poser une devinette à notre Sherlock Holmes félin : qu’est-ce qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux le midi et sur trois le soir.

Pff c’est facile. Notre ami Michel Becker nous a déjà expliqué lors d’un déjeuner chez Maman le fin mot de cette charade philosophique posée par un drôle d’animal à un roi antique. Je traverse la table et me dirige vers l’enseignant avant de poser ma patte sur sa main.

– Voudrait-elle signifier que la réponse est l’Homme ? s’étonne Augustin.

– Je m’interroge en effet, confirme M. Perroche.

Le vétérinaire hausse les épaules :

– Arrêtez de délirer et cessez de prêter des sentiments humains à cette chatte pourtant banale.

– Elle n’avait pas d’autre moyen de donner la solution de cette devinette, s’insurge Maman. Elle ne sait ni parler ni écrire. 

– Vous seriez-vous tous les trois concertés pour me jouer un tour ? s’interroge caustique le médecin. Avez-vous dressé Jasmine pour qu’elle fasse semblant de résoudre des énigmes ?

Eh ! Je ne suis pas une chatte savante ou un animal de cirque.

– Si vous émettez ces doutes, c’est que vous êtes troublé, rétorque ma mère. Pour emporter votre conviction, donnez-lui à votre tour un mystère à résoudre et elle le fera à sa manière.

– Certainement pas. Je suis un scientifique sérieux et respectable. Je refuse de participer à cette farce.

– Agathe a raison, se gausse Augustin. Un chercheur fait des expériences pour découvrir la vérité, non ? Nous vous suggérons donc d’en effectuer une.

– J’ai lu Les enquêtes de Jasmine Catou, fort amusant du moment qu’on les considère comme une œuvre d’imagination. Cet animal aurait démasqué un assassin, découvert le lieu où se cachait un chien. Je n’ai aucune enquête policière de ce type à lui proposer.

– Dommage, regrette l’animateur.

– J’ai une idée, raille M. de Pérec. Je viens tout juste de perdre mon téléphone. Votre magicienne féline a-t-elle le pouvoir de le retrouver ?

– Oh ! Vous placez la barre fort haute, constate Augustin.

– Jasmine Catou est-elle géniale ou pas ?

– À l’impossible nul n’est tenu !

– En fait je plaisantais. Je n’attends absolument pas qu’elle me restitue mon smartphone. Je ne suis pas envoûté comme vous par cette chatte et ne lui prête pas des pouvoirs extra-sensoriels.

– Avez-vous seulement égaré votre portable ? interroge le philosophe.

Sa voix est empreinte d’hostilité. Sans doute reproche-t-il au vétérinaire d’avoir dénigré les qualités philosophiques de sa chienne.

– Je ne l’ai plus et j’ignore ce qu’il est devenu.

– Quel est le dernier endroit où vous vous souvenez l’avoir eu en votre possession ? demande ma mère.

– Dans un taxi.

– Vous l’avez probablement oublié dans ce véhicule.

– Non j’ai joint la compagnie qui m’a dirigé vers le chauffeur. Il a fouillé sa voiture en vain.

– Un des clients qui vous a suivi l’a peut-être pris, avance le maître de Griffouille.

– Il l’a gardé pour lui alors. Il ne l’a pas donné au conducteur

– De quelle façon est verrouillé votre smartphone ? 

– Par l’empreinte de mon pouce et la reconnaissance faciale. Je suis prudent : j’ai doublé les sauvegardes

– Ces codes seront vraiment difficiles à casser. Si un passager du taxi l’a gardé, il n’en aura pas l’usage, remarque Augustin. Il va s’en débarrasser.

– En effet. Sans doute mon smartphone va-t-il finir dans une poubelle ou dans la Seine.

– Avez-vous malgré tout tenté de faire votre numéro depuis un autre appareil ? Si vous n’avez pas encore essayé, je vous prête mon portable, propose le papa de Griffouille.

– Je vous remercie, mais cela ne servirait à rien. J’avais fermé mon téléphone après avoir raccroché vu je me rendais dans ce studio et que je ne voulais en aucun cas que nous soyons dérangés par un appel intempestif

– Comment avez-vous joint le conducteur, si après le taxi, vous nous avez immédiatement rejoint, interroge soupçonneux M. Perroche.

C’est la deuxième fois que le philosophe exprime des doutes. Cette histoire de téléphone disparu serait-elle une fake-new comme disent les humains, une fausse énigme posée par ce vétérinaire pour me ridiculiser ?

– Je suis passé chez ma mère avant de venir ici, elle m’a prêté son téléphone. Elle a quatre-vingt-dix ans ; avec le covid 19, elle ne sort de plus de chez elle. Je lui ai apporté ses courses de la semaine. Arrivé à son domicile, je me suis aperçu que je n’avais plus mon appareil.

– Avez-vous fouillé chez elle ? s’enquiert Agathe.

– Bien sûr, j’ai regardé si je ne l’avais pas fait tomber dans son entrée, dans le hall de son immeuble ou sur le trottoir devant chez elle. Mais je n’ai rien trouvé.

– Vous avez téléphoné lorsque vous étiez dans le taxi ?

– Tout à fait : à ma mère pour la prévenir que j’arrivais.

– J’en tire la seule conclusion possible :  vous avez oublié votre smartphone dans le VTC, conclut Augustin. Vous n’avez pas vraiment donné une énigme à résoudre à la chatte d’Agathe. Sa solution était évidente depuis le début.

– J’ai fait semblant de jouer votre jeu. C’était une plaisanterie, bien sûr.

– Nous allons alors clore cette parenthèse, avance l’animateur.

Sur une défaite de Jasmine Catou ? Certainement pas. Je saute à terre et frôle Griffouille qui se met à japper. Désolé, mon frère je prends au plus court. Arrivé près de Maman, je pose sur mon postérieur sur le sol et bat l’air avec mes pattes avant, tout en frottant mon museau et mon masque contre le manteau d’Agathe. Hélas Griffouille m’a suivie en grognant et je dois sauter sur la table pour mettre de la distance entre lui et moi, même s’il ne peut me mordre avec son masque. Quel chien stupide !

– Attention à vos animaux, reprenez-les en mains ordonne Augustin.

Maman fait mine de me saisir, sans doute pour me remettre dans sa cage, mais je me réfugie au centre du pupitre.

– Jasmine aurait-t-elle voulu nous faire passer un message ? s’amuse l’animateur.

– Encore une fois : arrêtez de l’humaniser, proteste le vétérinaire.  Elle n’est qu’un animal.

Maman, Augustin : réfléchissez que diable ! Je ne peux plus vous donner d’autres indices : je suis au centre de la table et il vaut mieux que je ne bouge pas.

L’enseignant accroche sa laisse au collier de Griffouille et l’oblige à s’éloigner. En principe avec le confinement, les humains doivent se tenir à un mètre l’un de l’autre. Je culpabilise d’avoir, par ma maladresse exposé Agathe à la contagion.

– Si ma chatte essayait de nous expliquer quelque chose, marmonne Maman, c’est en rapport avec mon manteau.

Oui, tu es sur la bonne voie !

– Madame Boulay, je suis découragé de toujours me répéter : votre minette est dépourvue d’intelligence.

Eh ! Ne m’insultez pas docteur ! 

– Je connais ma chatte, reprend Maman malgré les injonctions du vétérinaire. Elle avait une idée derrière la tête en touchant mon vêtement, mais laquelle ?

Enfin Maman, c’est évident pourtant ! Augustin fronce les sourcils :

– Docteur, comment vous êtes-vous aperçu que vous n’aviez plus votre smartphone

– Il ne pesait plus contre ma jambe. Je le place toujours dans la poche droite de mon pantalon.

– Avez-vous vérifié si votre téléphone n’était pas dans votre loden ? C’est peut-être ce que Jasmine voulait nous suggérer.

– Inutile. À chaque fois, je replace mon appareil dans mon jean.

– Regardez rapidement dans votre parka et changeons de sujet. Nous en avons fait le tour et nos auditeurs vont s’impatienter, tranche Augustin.

Le vétérinaire s’exécute maussade. Il explore de la main dans sa poche droite. Apparemment elle est remplie de d’objets divers qu’il a du mal à identifier, car sa paume reste au même endroit.

– Videz le contenu sur la table, vous verrez mieux grince le philosophe.

– Je ne préfère pas, se défend Yves de Pérec.

Soudain de la stupéfaction se reflète sur son visage.

– Ce n’est pas possible, grommelle-t-il.

Il en sort son smartphone.

– Il n’a aucune raison d’être là. Je ne comprends pas.

– Avez-vous fait autre chose pendant que vous teniez le téléphone, interroge le professeur de philosophie.

– Non, enfin si le chauffeur de taxi, m’a indiqué le prix à payer. J’étais arrivé à destination.

– Voilà l’explication. Vous avez été dérangé dans vos habitudes.

Son ton est ironique. Le chien pousse un petit cri plaintif. Approuve-t-il son maître ? Serait-il moins idiot qu’il en a l’air ? C’est vrai qu’avec sa barbe sale, je l’ai peut-être mal jugé. Je partage les doutes de Griffouille et de son papa : cette histoire de téléphone égaré était-elle véridique ? Ne s’agit-il pas d’une fausse énigme ?

– Le test est concluant, constate l’animateur. Nos auditeurs ont vécu un grand moment de radio : une enquête en direct de notre chatte détective, la grande Jasmine Catou.

– Tout est dans l’interprétation des faits et gestes du félin de madame Boulay, bougonne Yves de Pérec. Je reste sur ma position. Je ne crois pas qu’elle ait découvert quoi que ce soit.

Mauvais joueur va !

– Au public de juger ! tranche Augustin. Monsieur Perroche, pensez-vous que Socrate aurait aimé débattre de philosophie avec Griffouille ?

Quelle question naïve ! Comment auraient-ils pu échanger ? Le philosophe antique aurait été incapable d’interpréter les aboiements de Griffouille même s’il est aussi intelligent que moi. Le vétérinaire aurait eu raison de souligner que le présentateur confond allégrement humains et animaux. Mais il se tient coi pourtant, il est devenu prudent. Jasmine Catou tu as encore triomphé !

 

Christian de Moliner

 

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Pour les fans de Jasmine Catou, voilà une nouvelle enquête de la célèbre chatte détective. Tous les anecdotes sur les mathématiques aussi incroyables qu’elles soient sont vraies !
Je soupire : moi qui n’aime tant que me prélasser sur mon canapé, je suis une nouvelle fois sur le front, loin de notre petit appartement. J’aurais dû me méfier quand Philippe, le client de Maman qui nous rendait visite, s’est extasié devant moi :
– Votre chatte est vraiment magnifique, elle a une présence incroyable et elle attire les regards sur elle. Nous allons la faire poser à côté d’un ruban de Mobius en bois et nous aurons ainsi l’affiche pour le prochain salon des mathématiques !
Je ne connaissais pas encore les propriétés de la figure géométrique qui allait partager la vedette avec moi, mais j’étais ravie d’entamer une carrière de mannequin. D’après Philippe, le comité qu’il présidait ferait de la publicité dans les principaux médias écrits. J’étais contente de devenir une star.
Philippe est revenu la semaine suivante, avec une caisse recouverte d’un velours noir et un huit en bois blanc, le fameux ruban de Mobius. Il nous a expliqué que ce dernier n’avait qu’un seul côté et non deux comme les objets ordinaires. Il a fait une démonstration en suivant du doigt l’intérieur de la boucle, mais je n’ai pas compris grand-chose à son argumentation : je ne dois pas avoir l’esprit scientifique. Maman non plus si j’en crois l’air interrogatif qu’elle arborait. Heureusement, les attachées de presse n’ont nul besoin d’être expertes dans les domaines qu’elles défendent, sinon qui ferait la publicité du salon des mathématiques ?
J’ai pris la pose sur la caisse, transformée en podium, le ruban de Mobius étant placé contre le rebord de ce dernier. Ma mère m’a photographiée sous tous les angles afin de composer l’affiche, elle est douée dans ce domaine. J’ai été mitraillé une cinquantaine de fois, avant que Philippe et Agathe ne se déclarent satisfaits.
Le résultat est flatteur ; je suis mise en valeur et je pense que ma photo a fait sensation dans la presse écrite, que de nombreux Parisiens sont tombés amoureux de moi. Je plaisante ! Vous savez bien que je ne suis pas prétentieuse.
Hélas toute médaille a son revers. Puisque je suis l’égérie du salon des mathématiques, je me dois d’être présente pendant les quatre jours que dure cette manifestation. Enfin, on ne m’oblige pas à rester confinée dans une cage, comme lors du concours de beauté féline auquel j’ai participé l’année dernière. Je suis libre de me promener comme je l’entends, du moment que je revienne de temps à autre sur la petite table qu’on a aménagée pour moi. À côté de l’espace qui m’est réservé, trône un magnifique ruban de Mobius en bois vernis. Le public se presse autour de nous, mais je crois, sans me flatter, avoir plus de succès que l’objet mathématiques. Pourtant, une affiche précise sa particularité géométrique et explique pourquoi il est si exceptionnel. Malgré cela, je reçois plus d’éloges que le huit en chêne verni :
– Quel beau chat !
– J’en voudrais un comme lui, Maman.
Je m’efforce de ne pas me rengorger et de rester humble. Le destin vous assigne à la naissance des gènes qui vous rendent séduisante ou quelconque et vous n’y êtes pour rien. Bien folle celle dont la beauté lui monte à la tête !
Ah voilà Maman qui vient me chercher. Ce matin, elle m’a avertie que je devais me tenir à côté des membres du jury pendant la remise du prix Gödel. Cette distinction a été créée pour ce salon et porte le nom d’un mathématicien célèbre. Selon Philippe, ce chercheur était à la fois génial et perturbé. À la fin de sa vie, il vivait comme un clochard et ne mangeait plus tant il redoutait d’être empoisonné. Notre visiteur a ajouté, sarcastique que les mathématiques rendent fou ; il a raison au vu des anecdotes qu’il nous a rapportées.
Philippe fait une brève allocution dans laquelle il remercie le public d’être au rendez-vous, les jurés d’avoir lu les diverses thèses qui concouraient pour le prix. Il laisse ensuite la parole à un des confrères, Hervé Liers, un des plus grands mathématiciens Français. Il a décroché le prix Abel, l’équivalent du Nobel dans sa matière. Quand il a déjeuné chez nous, Philippe nous a raconté une historiette qu’il tient pour fausse : Alfred Nobel lorsqu’il a créé les prix qui portent son nom aurait délibérément écarté les mathématiques, car le jury aurait immanquablement récompensé Niels Abel, l’hypothétique amant de Madame Nobel. En 2003, les Norvégiens ont créé le prix Abel, aussi richement doté et aussi prestigieux que les Nobels pour honorer les mathématiciens et combler une lacune.
Hervé Liers me plait : il porte une moustache à la Hercule Poirot avec deux fines pointes dressées vers le haut. Il arbore un nœud papillon de couleur grenat et il a agrafé sur le revers de son veston une chouette dorée. Cet oiseau nocturne serait d’après Philippe, qui est une source inépuisable de renseignements son totem et il lui porte un culte fervent. Bref M. Liers est un original comme le sont beaucoup de ses confrères. Néanmoins, il inspire la sympathie et il est un chercheur de premier plan ; il participe au rayonnement de la France en mathématiques, domaine où notre pays est leader avec les États-Unis. Je cite Philippe.
M. Liers commence dans son discours par présenter Kurt Gödel. Il trace sa biographie en quelques lignes, avant d’expliquer le théorème le plus célèbre que ce savant a démontré, celui de l’incomplétude qui porte son nom. Je me raidis à l’avance étant sûre de ne rien comprendre : je suis totalement hermétique aux mathématiques.
– Pour illustrer cette proposition, je vais vous raconter une fable, s’amuse Hervé Liers. Imaginez que dans une petite ville, le conseil municipal décrète, sous peine d’amende, que tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes doivent l’être par Frantz le barbier et que ce dernier ne doit raser que ses concitoyens qui ne le font pas eux-mêmes. Frantz sera vite dans une impasse. S’il ne se rase pas lui-même, il contrevient à l’arrêté, car il doit s’occuper de sa barbe selon le décret. S’il se rase, il est également en faute, car il ne doit offrir ses services qu’à ceux qui n’entretiennent pas eux-mêmes leurs barbes. Le malheureux Frantz n’a aucune échappatoire sauf s’il est une femme, ce qu’il n’est pas. Selon le théorème de l’incomplétude de Gödel, dans toute théorie mathématique, un résultat peut être soit vrai soit faux soit indémontrable – On dit indécidable – La situation de Frantz illustre ce troisième cas.
Miaou ! Au secours ! J’ai mal à la tête ; je ne comprends rien à ce galimatias scientifique. Les mathématiciens aiment se placer dans des situations impossibles. Dans la vraie vie aucun conseil municipal ne prendra un décret aussi stupide. Je me mets à ronronner discrètement et Maman comprend le message : elle me caresse la tête. Je me détends et me serre contre elle.
M. Liers continue son discours en présentant les deux finalistes du prix Gödel. Ils les invitent à le rejoindre et à se placer à sa droite.
Le premier se prénomme Christophe ; il est petit, ses cheveux sont longs et son jean est troué. Je ne crois pas qu’il suive la mode, mais que son pantalon est usé à force d’être porté. Le second, Benjamin, fait contraste avec lui, il est grand, athlétique, il est impeccablement habillé avec un costume gris de bonne coupe, une chemise bleue et une cravate foncée : le sdf et le dandy ! Ce sont les mots qui me viennent à l’esprit lorsque je les regarde.
Hervé explique que les deux candidats sont normaliens ; les humains semblent accorder beaucoup d’importance à cette qualité. Les finalistes sont tous les deux boursiers à l’école de la rue d’Ulm. Christophe a étudié les singularités des variétés non affines et Benjamin les idéaux non principaux des extensions algébriques des corps d’entiers en base p. Ne me demandez pas ce que ces recherches recouvrent : Hervé Liers a tenté d’en donner un aperçu, en vain. Et à voir les mines dubitatives du public je ne suis pas la seule à n’avoir rien compris. Cependant, je fais confiance au jury, ces travaux sont sans nul doute novateurs et importants, même s’il est impossible présentement de savoir à quoi ils serviront. Philippe, toujours en verve, nous a donné un exemple célèbre lorsqu’il a déjeuné chez nous : les matrices paraissaient n’avoir aucun intérêt lorsque les chercheurs qui les ont étudiées ont découvert leurs principales propriétés. Or elles se sont révélées par la suite capitales pour la relativité et la mécanique quantique ; elles ont permis des avancées majeures en physique. Bien entendu, j’ignore tout des matrices, de la relativité d’Einstein, de la physique quantique et des liens qui les unissent.
Philippe a copié la cérémonie des Césars que nous regardons à la télévision avec Maman : une de ses étudiantes amène à Hervé une enveloppe dans laquelle se trouve le nom du lauréat. Le mathématicien à la chouette d’or prend son temps, décachette le courrier, en sort un petit morceau de carton, fait mine de le lire soigneusement et annonce enfin :
– Christophe Coiffeur pour ses travaux sur les singularités des variétés non affines.
Les humains évidement applaudissent à tout rompre à l’énoncé du verdict. Mais celui-ci fait aussitôt l’objet d’une vive contestation au point que le public, surpris, arrête de frapper dans ses mains. Benjamin est pris d’une crise de rage, il invective son camarade.
– C’est un scandale ; les travaux de Coiffeur présentent une faille énorme qui invalide ses résultats. Et il le sait, il me l’a avoué. Ce faussaire a réussi à vous tromper et vous le récompensez !
Philippe se dirige vers le chercheur en fronçant les sourcils :
– Calmez-vous Christophe, je vous prie. Soyez beau joueur.
– Je me moque de perdre. Je ne prétends pas que mes théorèmes sur les idéaux principaux soient extraordinaires. J’estime même qu’ils ne méritent aucune récompense. Mais je refuse qu’un tricheur triomphe. Je connais beaucoup de jeunes chercheurs que vous auriez dû distinguer à la place de ce falsificateur.
Hervé Liers s’approche à son tour, le visage fermé.
– J’ai transmis ton émail à tous les membres du jury. Nous étions bien embarrassés. Tu ne nous apportais aucune preuve. Selon toi, un soir de beuverie Christophe Coiffeur t’aurait avoué que sa théorie présentait une faille béante, restée jusqu’à présent inaperçue, mais tu ignores laquelle. Malheureusement, personne à part toi n’a entendu les prétendues confidences de ton camarade et ne peut appuyer tes dires. Dans le doute, j’ai décidé de vérifier points par points sa thèse. J’ai consacré à cette révision tout mon week-end et tous les soirs de cette semaine. Je n’ai trouvé aucune erreur. Les travaux de Coiffeur me semblent parfaitement cohérents et je les valide.
– Vous souvenez-vous de la démonstration du théorème de Fermat ? La première version paraissait crédible aux yeux de tous, mais au bout d’un an on s’est aperçu qu’un des maillons de la chaîne des arguments était manquant. Je ne doute pas du sérieux avec laquelle vous avez examiné les théorèmes de Coiffeur, mais vous avez procédé dans l’urgence et en dépit de votre bonne volonté vous avez peut-être admis une déduction fausse, surtout si elle a l’apparence de la vérité.
M. Liers a l’air contrarié : est-ce parce que la caution qu’il apporte, lui le grand chercheur récompensé à l’international, ne semble pas suffisante aux yeux de cet étudiant ou pour une autre raison ? Je connaissais l’anecdote mise en avant par Benjamin, car évidemment Philippe nous avait parlé du lemme de Fermat. Je n’ai retenu de son exposé que deux points : l’énoncé du théorème est simple et Fermat a prétendu l’avoir démontré en quelques lignes, mais sans expliquer comment il y était parvenu. Pendant trois cents ans des milliers de chercheurs se sont échinés en vain à retrouver ce résultat prétendument facile avant qu’un Russe, vivant encore chez sa mère très âgée et en voie de clochardisation avancée, ne parvienne à élaborer une solution complexe, qu’il a réussi à affiner après qu’on eut relevé une imprécision. Indifférent à l’argent, il a refusé la récompense d’un million de dollars, offerte par un mécène à celui qui résoudrait ce problème. Les mathématiques sont un monde à part, un univers où les illuminés sont rois. Pour ma part, si j’étais humaine, je ne sacrifierais pas douze mois de ma vie à vérifier la démonstration d’un théorème qu’on savait juste depuis trois siècles.
– Le débat est clos, décrète Hervé Liers. Nous allons si vous le voulez bien poursuivre cette cérémonie.
Pourtant, il semble gêné, peu sûr de lui. Deux gardes de sécurité ont fait leur apparition et encadrent le contestataire.
– Tu ne l’emporteras pas au paradis, hurle Benjamin.
– Calmez-vous ou sortez, ordonne Philippe d’un ton sec.
Le normalien maugrée avant de hausser les épaules et de se tenir coi. Hervé Liers reprend le fil de son discours, mais le cœur n’y est plus. Il bâcle l’éloge de Christophe. Celui-ci bredouille quelques remerciements à ses professeurs, à son directeur de thèse et à ses parents. On remet au lauréat un chèque géant ; je m’approche dans les bras de Maman et un photographe immortalise la scène réunissant la mascotte du salon des mathématiques portée par sa mère, le vainqueur 2020 du prix Gödel serrant sa récompense contre sa poitrine, le détenteur du prix Abel et l’organisateur de cette manifestation. Le cliché pris, le lauréat plie sans façon son chèque en huit avant de le glisser dans sa poche. Quelle désinvolture !
À l’invitation de Philippe, la foule se rue sur le buffet. Maman me dépose sur le sol, en me demandant de faire attention et de ne pas trop m’éloigner. Par curiosité, je m’attache aux pas d’Hervé Liers ; il paraît si préoccupé que Philippe s’approche de lui en souriant et essaye de lui remonter le moral :
– Détends-toi, cher ami ! Tu es trop crispé. Veux-tu que j’aille te chercher une flûte de champagne ? À moins que tu ne préfères un jus d’orange ?
– J’espère que nous ne serons pas désavoués, grommelle son collègue.
– Que passe-t-il ? Aurais-tu à nouveau des doutes ?
– Oui, à la réflexion, je me demande si le passage à la limite du paragraphe cinq est vraiment justifié.
– Attends ! Tu m’as assuré que oui !
– Depuis, mon inconscient a travaillé en arrière-plan, j’ai un contre-exemple à étudier.
Philippe pâlit.
– Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé tout à l’heure. Nous aurions retardé la remise du prix Gödel, expliqué qu’il fallait procéder à de nouvelles vérifications. Là, tu nous mets dans le pétrin.
– Écoute, à première vue le contre-exemple auquel je pense ne marche pas. Seulement, je dois poser mes équations dans le calme de mon laboratoire pour m’en assurer. Mais ne t’inquiète pas. Il y a quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance pour que la thèse de Coiffeur soit correcte.
– Quand même ! Tu aurais dû nous faire part de tes réticences immédiatement !
– Navré, cette idée ne m’a effleuré que lorsque Benjamin Leurs a parlé du théorème de Fermat. Il était déjà trop tard !
– Nous sommes dans la mouise, grommelle Philippe. Combien de temps dureront tes vérifications ?
– Je l’ignore ! Une heure, une semaine, voire plus. Je ne veux plus prendre de risques. Mon avis devra être définitif et sans ambiguïté.
– En effet, ne te précipite surtout pas.
– Mon passage à la limite est justifié, les interrompt Christophe Coiffeur.
– Eh bien si votre argumentation est correcte, vous n’avez rien à craindre, rétorque Philippe.
– La probabilité que tu aies tort est infime, le rassure Hervé.
Le jeune homme s’éloigne en marmonnant. Je décide de le suivre pour le surveiller. Il fend la foule et se dirige vers le buffet. Il saisit deux coupes de champagne avant de s’extraire de la horde des invités, grimaçant un sourire à ceux qui le félicitent. Il regarde tout autour de lui avant de repérer Benjamin qui boude dans un coin. Il s’approche de lui et lui tend une des flûtes.
– Sans rancune, Benjy ?
– Laisse-moi tranquille ! Tu sais bien que je ne bois jamais d’alcool ! Et même si j’en consommais, je ne trinquerais pas avec toi.
– Pour ma part, je ne t’en veux pas.
– Parce qu’en plus je serais fautif ?
– Tu m’as traité de faussaire, je te rappelle !
– J’ajouterais un autre qualificatif si tu insistes : escroc.
– Eh bien, moi. Je bois à ta santé.
Il avale le contenu d’une des deux flûtes tout en narguant son camarade du regard. Mais son expression se fige et il s’écroule sur le sol, pris de convulsions, sa jambe droite repliée sous lui. Une femme crie dans la salle :
– Vite ! Le lauréat vient d’avoir une crise cardiaque.
On s’empresse autour du malheureux. Je m’écarte pour ne pas gêner les secours. Un homme barbu, sans doute, un médecin, s’agenouille, prend le pouls de Christophe, essaye un massage cardiaque. Mais il n’insiste pas et se relève :
– Il est mort, annonce-t-il.
Philippe et Hervé accourent, catastrophés.
– Que lui est-il arrivé, docteur Mysers ? Il a fait un infarctus, un AVC ? demande Hervé.
– Non ! Au vu des symptômes, il a été empoisonné au cyanure.
– Vous plaisantez ?
– Hélas non !
– Que personne ne sorte, ordonne Philippe aux agents de sécurité qui viennent demander des instructions. Et que quelqu’un appelle la police.
Une jeune fille rousse vêtue d’une longue robe verte se précipite sur le cadavre et le couvre de baisers avant que Hervé et le médecin n’arrive à la relever et à l’écarter du mort. À peine libérée de l’emprise du docteur Myers, elle se jette alors sur Benjamin et lui martèle théâtralement la poitrine de petits coups de poing rageurs.
– Il l’a tué ! hurle-t-elle en proie à une crise de fureur. Il n’a pas supporté que je lui préfère Christophe et que ce dernier lui souffle le prix Gödel. Nous étions très amoureux l’un de l’autre, nous parlions même de nous marier, il l’a assassiné !
– Sophie, je vous en prie, tente de la calmer Hervé Liers en l’éloignant de Benjamin. Rien n’indique pour l’instant qu’il ne soit coupable.
– C’est une de tes disciples ? demande Philippe.
– Pas du tout. Elle s’appelle Sophie Blanchard. Elle est étudiante en master de sociologie, elle m’a sollicité pour enquêter sur l’origine sociale des étudiants de Normale Sup dans le cadre de son mémoire de fin d’études. Je n’ai vu aucune objection et je lui ai donné mon autorisation.
– Était-elle la petite amie de Christophe ?
– Aucune idée ! Je ne m’intéresse absolument pas aux amourettes des élèves.
Hum. Un point me tracasse. Mais comment faire passer cette information aux humains ?
– C’est sûrement Benjamin l’assassin, éructe Sophie. Il a volé le cyanure dans le laboratoire de l’école normale. Des étudiants ont affirmé qu’en dérober dans l’armoire contenant les produits dangereux était un jeu d’enfant.
Philippe s’étonne :
– De quoi parlez-vous ?
– Lors une soirée à laquelle ils m’ont conviée, ils ont discuté de la meilleure façon de commettre un crime. Ils ont alors parlé de ce poison.
– Qui étaient présents ? Des normaliens ? Christophe ? Benjamin ?
– Oui les deux étaient là : nous nous étions tous réunis dans les caves de la rue d’Ulm, pour l’ambiance.
– Coiffeur s’est enivré, précise le suspect. Et c’est à cette occasion qu’il m’a avoué que son mémoire était truqué. Il ne supportait pas l’alcool. Moi non plus, mais je m’abstiens de boire.
– Vos camarades ont vraiment évoqué les moyens de se procurer du cyanure ? interroge Philippe, perplexe.
– Oui, marmonne Benjamin. Comme un des thésards en mathématiques se montrait incrédule, l’un des physiciens lui a donné le numéro permettant d’ouvrir le cadenas protégeant le cyanure.
– Ils sont inconscients ! proteste le docteur Myers.
– Ils sont jeunes, les défend Liers. Ils n’ont pas pensé à mal.
– Hervé, sais-tu si depuis le code a été changé ? demande Philippe.
– Je l’ignore. Mes collègues du département physique ne m’en ont pas parlé, mais ils n’avaient aucune raison de le faire. Néanmoins, si tu veux mon avis, aucun normalien ne s’est vanté d’avoir enfreint les règles de sécurité. En plus, beaucoup de nos étudiants en chimie ont besoin de ces réactifs dans le cadre de leurs études. Aussi, si on a modifié la combinaison les protégeant, elle n’est pas restée secrète très longtemps.
– Le laxisme qui semble régner à l’école normale de la rue d’Ulm est inquiétant, monsieur Liers, constate le docteur Myers. Il n’est guère étonnant dans ces conditions qu’un tel drame se soit produit.
– Je vous répète que c’est Christophe le meurtrier, hurle Sophie.
– Arrête de beugler des âneries, marmonne le suspect. Je n’y suis absolument pour rien ! Il y a plus de chances que ce soit toi la criminelle plutôt que moi.
Philippe le réprimande :
– Ne cherchez pas à détourner les soupçons ! Elle était la petite amie de Christophe.
– Sa fiancée, hoquète Sophie.
– Dans ses rêves uniquement ! Il ne voulait surtout pas d’elle.
Notre client se tourne vers Hervé.
– Hervé, as-tu des informations à ce sujet ?
– Je t’ai déjà dit que je ne m’intéresse pas à ces histoires de cœur. Attends, je vais m’adresser à une spécialiste qui est au courant de tous les potins de l’école.
Hervé ! Rappelez-vous du discours de remerciement. Il est significatif. Liers interpelle une jeune femme vêtue d’une parka d’hiver verte, alors que nous sommes en juin et que le soleil brille.
– Anna, éclairez notre lanterne. Qui est amoureux de qui ?
La fille semble embarrassée.
– Je n’aime pas dire du mal des gens.
– Les circonstances sont trop graves, Anna. Allez-y !
– Sophie a tendance à affabuler.
– Donc selon vous, Christophe n’était pas amoureux d’elle.
Bien sûr, sinon il aurait remercié sa fiancée pour son aide au moment de recevoir son prix puisqu’il a parlé de ses parents. Si vraiment ils allaient se marier, il ne l’aurait certainement pas oubliée.
– Au départ, il a bien essayé de la draguer, mais il s’est vite aperçu qu’elle était folle à lier, une vraie malade.
Quelle hargne pour quelqu’un qui prétend ne pas médire des autres ! Sophie gifle Anna.
– Salope, faux jeton, l’insulte-t-elle
On s’empresse autour des deux filles pour les séparer.
– Étiez-vous présente lors de la soirée dans la cave, Anna ? demande Philippe.
– Oui, bien sûr. Tous les normaliens étaient là !
– Comment en est-on arrivé à parler du cyanure ?
– Nous participions à un jeu sur le thème : comment éliminer sans violence un de nos ennemis. Chacun proposait sa solution à tour de rôle. Par la suite, nous avons voté pour la meilleure méthode et choisi l’irradiation avec une minuscule bille d’uranium 238 déposée dans la voiture de la victime potentielle
– Quelle idée de jeu tordue, maugrée Hervé. Vous n’auriez pas pu faire une partie de Trivial Pursuit comme les gens normaux ?
– Nous voulions nous amuser !
– Sophie ou Benjamin ont-ils marqué de l’intérêt pour le cyanure ? s’enquiert Philippe.
– Je ne sais pas !
– Vous avez affirmé que mademoiselle Blanchard était folle à lier, je vous cite. Au point de commettre un crime ?
– En fait, elle est mythomane. Au début, nous la croyons mais au fil du temps nous avons eu des doutes tellement ses mensonges devenaient de plus en plus gros.
Elle se tourne vers Hervé :
– Savez-vous monsieur Liers, que contrairement à ce qu’elle a prétendu, elle n’est pas inscrite en master de sociologie à la Sorbonne ?
Le mathématicien pâlit :
– Comment cela ?
– Elle a abandonné ses études juste après le bac.
– Mais pourquoi voulait-elle faire cette enquête sur l’origine sociale des normaliens si celle-ci n’entrait pas dans le cadre de son diplôme ?
– Elle cherchait un prétexte lui permettant de s’introduire dans l’établissement de la rue d’Ulm, pour connaître de nouvelles personnes. Je suppose qu’ailleurs elle est grillée.
– L’aviez-vous démasquée depuis longtemps ? interroge Hervé
– Il ne nous a fallu qu’un mois pour cela.
– Pourquoi personne ne m’a jamais rien dit ? gémit Liers.
– Elle ne fait rien de mal et elle est amusante dans son genre. Nous nous demandons toujours ce qu’elle va inventer. Nous faisons même des paris sur le contenu des prochaines histoires qu’elle va nous débiter. Nous avons créé la Banchardoliphie, la science consacrée à l’étude de Sophie Blanchard.
Bref, elle a l’esprit un peu dérangé, mais elle est à sa place parmi les normaliens, si on en croit toutes ces biographies de mathématiciens
– Anna, Sophie a-t-elle pu empoisonner Coiffeur ? Par dépit amoureux ou pour toute autre raison.
– Sincèrement je l’ignore ; en revanche je ne m’étonne pas qu’elle ait prétendu être fiancée à Christophe. Elle aime ramener la lumière sur elle en toutes circonstances.
– N’écoutez pas cette garce ! éructe Sophie qui a retrouvé un peu d’aplomb. Elle ne cherche qu’à me faire porter le chapeau alors que vous tenez le coupable : Benjamin.
– Il a un mobile en effet : si on écarte la rivalité amoureuse qui semble hypothétique, il reste le prix Gödel ! admet Phillipe
Le visage du normalien s’empourpre.
– N’importe quoi. Je ne l’ai pas tué.
– J’aurais tendance à croire ses dénégations, remarque Hervé. Être coiffé au poteau n’est pas un motif suffisant pour commettre un meurtre.
Chez les humains peut-être, mais les mathématiciens sont si particuliers. Philippe hoche la tête :
– Si on s’en tient à la seule logique aucun crime n’a été perpétré. Pourtant, nous avons un cadavre sur les bras et l’assassin est probablement un normalien.
– J’allais étudier à fond sa thèse, hurle Benjamin. J’aurais trouvé sa satanée faille, dussé-je y passer le reste de ma vie. J’aurais ruiné sa réputation. Pourquoi l’aurais-je empoisonné puisque j’avais un moyen plus sûr de lui nuire ?
– Cette remarque est juste s’il vous a vraiment avoué que son mémoire est erroné, reconnaît Philippe. Dans ce cas, le tuer n’était pas pour vous l’option privilégiée.
Il se retourne vers Anna.
– Mademoiselle, connaissez-vous des ennemis à votre camarade ?
– Au point de vouloir sa peau ? Aucun.
– Étiez-vous liée à lui ?
– Non ! Christophe était un grand solitaire.
Une idée me traverse l’esprit et comme à chaque fois que j’en ai une qui pourrait orienter une enquête dans le bon sens, j’essaye de l’imprimer par télépathie dans le cerveau de ma mère. Je me concentre pour donner plus de force à mon signal.
– Anna, intervient Agathe, Christophe aurait-il pu nouer une relation sentimentale sans que vous en soyez informée ?
Youpi ! J’ai réussi à influencer Maman. Ou alors, elle a pensé la même chose que moi ; les grands esprits, paraît-il, se rencontrent ! Il fallait poser cette question puisque dans trois cas sur quatre, l’amour est à l’origine des crimes.
– S’il avait une copine dans l’établissement, je m’en serais immanquablement aperçue. Maintenant, il fréquentait peut-être une fille à l’extérieur de l’école. Encore une fois je n’étais pas intime avec lui.
– Selon vos dires, il aurait essayé de draguer Sophie.
– Tout à fait ! Pour cette raison, je serais étonnée d’apprendre qu’il avait une petite amie.
– A-t-il rapidement renoncé à la séduire ?
– Moins vite que les autres, mais quand il a compris la vraie nature de cette malade, il a fui à son tour. Elle a beau être mignonne, elle est tarée.
– Arrête de m’insulter, s’insurge la fausse étudiante en sociologie.

Nous entendons un brouhaha. Une demi-douzaine d’agents en uniformes bleus escortant deux civils arborant un brassard rouge où est écrit Police arrivent enfin sur le lieu du crime. L’un des nouveaux venus porte une sacoche de plastique noir. Philippe résume la situation. Il laisse la parole au docteur Myers pour qu’il fasse un court compte-rendu de ses constatations médicales ; le praticien réaffirme sa certitude d’avoir affaire à un empoisonnement au cyanure.
– Le produit a dû être ajouté dans la flûte de champagne, conclut-il. Il a agi dès qu’il a été ingéré.
– Qui lui a donné le verre ? s’enquiert l’inspecteur. Quelqu’un le sait ?
Diantre ! Je m’en veux ! J’aurais dû songer à cette piste tant elle était évidente. La détective Jasmine Catou vient de commettre une grave erreur de méthodologie. Je connais la réponse à la question du policier, car j’ai suivi Christophe, mais je suis bien entendu incapable de témoigner, puisque je ne sais que miauler et non parler. Heureusement, une jeune femme dont les cheveux sont recouverts par un turban vert lève la main.
– Je l’ai félicité alors qu’il était au buffet, explique-t-elle. À mon avis, il a choisi ses coupes au hasard.
– Donc si le cyanure avait déjà été versé dans le verre avant qu’il ne le prenne, le défunt n’était pas particulièrement visé. Il a été empoisonné par hasard.
Philippe se décompose.
– Si cette hypothèse est juste, quelqu’un voulait saboter le salon des mathématiques ! Mais pour quelle raison le ferait-il ?
Hum ! Un ancien élève qui aurait souffert toute sa scolarité dans cette matière et développé une haine tenace au point de se venger ? Absurde.
– Aurions-nous affaire à un maniaque, propose Maman, comme celui qui, il y a quelques années en Australie a empoisonné des paquets de céréales qu’il a replacés ensuite dans les rayons d’un supermarché.
– Je crois qu’en fait c’était en Allemagne, complète l’inspecteur. Et si je me souviens bien, on était en présence non d’un fou, mais d’un maître chanteur cynique. Il exigeait que la chaîne alimentaire où il sévissait lui verse une rançon.
– Je n’ai reçu aucune menace et personne ne m’a réclamé d’argent, assure Philippe.
– J’interrogerai le traiteur et le propriétaire de cette salle. Eux aussi pourraient avoir fait l’objet d’un chantage. Cependant, selon l’hypothèse la plus probable, la victime a croisé son empoisonneur entre le buffet et l’endroit où elle est morte. Quelqu’un aurait-il remarqué quelque chose ?
J’essaye de rassembler mes souvenirs : Christophe a fendu la foule compacte des invités. Moi-même en dépit de ma petite taille, j’avais du mal à me faufiler dans la forêt de jambes. Le chercheur a été à de nombreuses reprises abordé par des admirateurs qui tenaient à le féliciter pour ses travaux ; un potentiel assassin a donc pu se glisser à côté de lui et verser la poudre mortelle dans sa coupe sans que je m’en aperçoive. En réponse à la question de l’inspecteur, plusieurs témoins décrivent la cohue pour accéder aux boissons.
– Bref, tout ou le monde ou presque est suspect, conclut l’enquêteur pensif.
– C’est Benjamin le coupable, hurle Sophie Blanchard.
Le policier fronce les sourcils :
– Madame ?
Philippe s’empresse de faire les présentations avant de résumer la discussion qui a précédé l’arrivée des policiers, le prix Gödel et le débat sur la validité de la thèse de la victime. L’inspecteur se tourne vers son collègue en civil qui porte la sacoche de cuir.
– Ali, de quelle quantité de réactif alcalin pour cyanure disposes-tu dans ta sacoche ?
– J’en ai peu Marc, mais j’ai amené un spectrogramme de masse de poche. Je vais le régler sur le cyanure d’hydrogène ; cela me permettra de déceler ce produit même s’il est à l’état de traces. En cas de doute, je testerai immédiatement le dépôt suspect avec le réactif.
– Ok ! Mesdames, messieurs, pour éviter de vous retenir trop longtemps nous allons procéder à une première vérification ; nous cherchons à déterminer si l’un d’entre vous a été en contact avec le poison.
L’idéal aurait été sans doute de saisir les habits de tous les invités et de les analyser en laboratoire, mais c’est évidemment impossible. Les visiteurs du salon ne vont pas rentrer tout nus chez eux.
J’aurai bien une piste à explorer, mais je vais attendre un peu avant d’orienter les recherches ; si les policiers n’y pensent pas, j’essaierais d’attirer leur attention sur ce point. Les agents font ouvrir les sacs à main et explorent les poches des invités à la recherche de traces de poudre suspecte. Ali promène partout son spectrogramme de masse, mais les participants sont trop nombreux : si l’assassin se trouve parmi eux, il risque d’échapper aux recherches.
Au bout de deux heures d’efforts, tout le monde y compris Agathe, Hervé et Philippe a été fouillé et les forces de l’ordre ont récolté les noms, les adresses et un premier témoignage de chacun des visiteurs du salon. Évidemment, aucun indice probant n’a été recueilli.
– Nous allons pouvoir libérer le public, décide Marc.
– Vous ne testez pas les suspects, Sophie Blanchard ou Benjamin Leurs ? demande Philippe.
– Ne vous inquiétez pas : les vêtements qu’ils portent actuellement seront examinés par la suite au microscope électronique, le rassure l’inspecteur. Néanmoins, nous allons procéder à un premier contrôle.
Une policière palpe soigneusement la fausse étudiante en sociologie, tandis qu’Ali étudie le revers de ses poches. Rien ! Il est de même pour le normalien quand ce dernier est mis à son tour sur le gril. Marc semble perplexe.
– À mon avis cette enquête sera complexe à élucider, marmonne-t-il.
– Avons-nous affaire à un terroriste ? s’inquiète Philippe. Ou à un fou qui tue au hasard ?
Pour ma part, j’envisage une autre solution. Mais encore une fois je ne sais pas comment mettre les humains qui m’entourent sur cette piste. J’essaye dans un premier temps la télépathie avant de renoncer devant le manque de résultats. Je me place juste à côté du cadavre qu’on n’a pas encore emmené. Il ne sera déplacé que lorsque tous les visiteurs seront partis et que la police scientifique aura fini ses investigations. Je me mets à miauler le plus fort que je peux. Si j’étais un chien, on dirait que je hurle à mort.
– Agathe, votre chatte devient insupportable. Remettez-la dans son panier, ordonne Philippe.
Maman se penche vers moi et me saisit.
– Je ne sais pas ce qui lui a pris, marmonne-t-elle sur un ton embarrassé.
Lorsqu’elle se relève, elle comprend soudain où je voulais en venir.
– Il faut tester Christophe à son tour.
– Cela n’aurait aucun intérêt, voyons, la morigène l’organisateur du salon.
– Et s’il s’était suicidé ? insiste ma mère.
– Pourquoi aurait-il mis fin à ses jours ? demande Hervé.
– Sa thèse est fausse et son argumentation a bien une faille. Vous alliez immanquablement le démasquer ! Il n’aurait pas supporté ce qu’il prenait pour un déshonneur. Il s’est empoisonné à côté de Benjamin pour le faire accuser.
Très bien Maman ! Je n’aurais pas mieux expliqué ses mobiles si je savais parler.
– Votre raisonnement se tient, reconnaît Hervé.
Je suis flattée et prends ce compliment pour moi ; il est d’autant plus important qu’il vient d’un mathématicien renommé pour son sens de la logique.
– Ali étudie les habits du mort ! décide Marc.
Son adjoint s’empresse délicatement auprès du cadavre et retourne les doublures de ses vêtements. Quand il passe son spectrogramme de masse portatif sur la poche droite de son pantalon, il grésille. Le policier verse une goutte d’un liquide verdâtre sur le tissu. Une tâche brunâtre apparaît. Ali se relève.
– Ne cherchons plus : le défunt a transporté le cyanure dans son jean.
– Il s’est donc suicidé, conclut ma mère.
– L’enquête va se poursuivre dans toutes les directions, confirme Marc, mais a priori la mort volontaire sera la piste privilégiée.
Maman me soulève en direction du plafond.
– Jasmine Catou, encore une fois, tu as vu juste.
Hervé fait la moue :
– Attendez ! Vous ne pensez quand même pas qu’elle avait percé à jour ce pauvre Christophe !
– Bien sûr que si.
– N’importe quoi, marmonne le lauréat du prix Abel. Elle n’est qu’une chatte.
Non M. Liers je ne suis pas une minette ordinaire, je suis l’égérie du salon des mathématiques. Et je lui ai fait honneur en faisant preuve de logique : ni Sophie ni Benjamin ne semblaient coupables, la thèse d’un terroriste était invraisemblable, aussi il ne restait qu’une alternative : le suicide. Ai-je droit à un prix pour avoir si bien raisonné ?

Les Editions des Coussinets et Jasmine Catou la chatte héroïne de roman invitées sur Radio Notre Dame

Réécoutez l’émission « En quête de sens » de Marie-Ange de Montesquieu sur Radio Notre Dame avec comme invités les éditions des Coussinets représentées par Dominique Beudin qui les a fondées et Jasmine Catou, l’héroïne des romans de Christian de Moliner : https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/27-02-2020/

27 février 2020 : Spécial Salon de l’agriculture – Ce que les animaux ont à nous dire ?

Dominique Beudin, grande amoureuse des chats, qui a eu l’idée de consacrer un livre, « Tous les chats de ma vie », à ses félins successifs et de créer une maison d’édition permettant à tous ceux qui veulent immortaliser le souvenir de leurs compagnons félins ou canins de partager leur témoignage. C’est l’objectif des Editions des Coussinets.

Brigitte Gothière, directrice de l’association L214, association de protection animale œuvrant pour une pleine reconnaissance de la sensibilité des animaux.

Dr Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste

Guilaine Depis accompagnée de son chat Jasmine

 

« un livre qui instruit le débat actuel sur l’islam »

Christian de Moliner, Islamisme radical : comment sortir de l’impasse

Tout est parti d’un billet sur le site de Causeur en novembre 2017. « Je préconisais, afin d’abaisser les tensions actuelles, d’accorder aux musulmans qui le souhaitent, un statut particulier et une législation spécifique » p.7. Une telle proposition – iconoclaste dans le climat d’aujourd’hui – a eu « un retentissement mondial » sur le net. Un éditeur a donc demandé à son auteur d’en faire un livre.

Etoffé et étayé, la proposition est développée en trois parties : un tour d’horizon mondial et historique du problème des minorités ethniques et religieuses, un statut coranique qui serait compatible avec la Constitution française suivi de propositions concrètes, les réponses aux critiques des extrêmes de gauche et de droite suscitées par l’article de 2017.

Dans l’histoire des minorités, rien n’a jamais vraiment fonctionné sauf une chose : l’expulsion. De l’Edit de Nantes pour les protestants à l’expulsion des Morisques et des Juifs d’Espagne et des Arméniens et des Grecs en Turquie dans les années 1920, en passant par les minorités dhimmi des pays musulmans et aux millets turcs ou à la mosaïque ingérable libanaise, seule une décision politique radicale permet de mettre tout le monde d’accord. La dictature à la syrienne, libyenne ou irakienne ou le fédéralisme complet des « nationalités » qui tend toujours vers le nationalisme et la revendication d’indépendance. En témoigne le Soudan qui s’est fractionné entre musulmans au nord et chrétiens ou animistes au sud, et la Yougoslavie qui a éclaté entre Bosniaques musulmans et Serbes orthodoxes.

Les propositions de Christian de Moliner, dans ce contexte, paraissent bien hasardeuses et ne satisferont personne. Il veut proposer un « deal », dans la lignée de Trump, un « compromis raisonnable » comme on tente de le faire (sans grand succès) au Canada. Il aurait pu développer l’exemple des Corses, des Basques et des Juifs de France en tant que minorités qui ont su concilier particularités communautaires et loi républicaine. Car le communautarisme n’aboutit pas forcément au séparatisme, cette distinction des mots et des concepts (que le président Macron étudie pour un prochain discours, dit-on) est riche de potentialités concrètes.

Pourquoi ce deal ? Parce que l’auteur estime que « la France connait un problème musulman et est menacée par une inexpiable guerre civile et religieuse, dont les nombreux attentats islamiques sont les prémices ; 30% de croyants, près d’un million et demi d’habitants de l’Hexagone, rejettent le modèle occidental et veulent être réglés par la charia. Leur nombre ne cessera de croître et ils seront peut-être 7% de la population française après 2050 » p.84.

Déjà ces causes posent problème dans le raisonnement : extrapoler les statistiques actuelles sur la prochaine génération est hasardeux ; c’est faire trop grand cas de la mode. N’était-elle pas au communisme stalinien dans les années 50 avant de virer tiers-mondiste dans les années 60 ? au gauchisme libertaire dans les années 70 avant de virer réactionnaire et socialiste bourgeois ? Une nouvelle Cause à défendre est déjà née : l’écologie heureuse, suite autarcique de la mondialisation heureuse, l’éolienne sur le toit et le potager échangiste mais avec Internet et les réseaux. Une « religion de caserne » (Claude Lévi-Strauss) n’a pas sa place dans cette utopie du jardin d’Eden où l’harmonie avec la nature et avec les autres compte plus que tout.

La « charia » apparaît aujourd’hui comme un marqueur culturel plus qu’une foi maniaque (les terroristes ne connaissent quasiment rien de la religion) ; les musulmans en France se sentent rejetés et aucun pays d’origine, notamment au Maghreb ou au Proche-Orient, n’est pour eux très tentant… Mais cela peut changer, tout comme la minorité juive avec la naissance d’Israël ; elle a inversé la diaspora (sauf l’américaine). Le retour au pays de Roumains éduqués ou de Chiliens exilés sont d’autres exemples. Quant à la « guerre civile », l’auteur a peut-être trop fréquenté les sites d’extrême-droite pour ne pas en être contaminé. Les activistes en réaction aux islamistes sont une infime minorité, et fort maladroite faute de cerveaux politiques, si l’on en croit les arrestations récentes de clampins.

Comment proposer ? Le deal ne fonctionne pas sur une foi ; Allah ne peut être l’objet d’un compromis, il est tout ou rien. Croire que « ces facilités accordées aux croyants le seront en échange de contreparties indispensables (…) la liberté d’expression », l’égalité des femmes et d’héritage entre filles et garçons, est pour le moins candide. « Donnons aux musulmans rigoristes le moyen de s’épanouir en France », n’hésite pas à écrire l’auteur dans un élan de lyrisme p.174 ! Seuls les religieux modérés, qui font de la foi une affaire privée comme les autres religions, l’accepteraient – mais ils le font déjà… Laissons plutôt aux juges, dans le cadre des lois existantes, l’application au cas par cas. Les propositions concrètes de l’auteur sur les emprunts, l’assurance, l’adoption, le divorce, les dots, l’héritage, l’enterrement, l’hôpital, les deux jours de congés, toutes règles qui diffèrent dans le droit coutumier musulman de nos lois et coutumes, peuvent être reprises par simple assouplissement de la légalité – sans même changer la loi. En quoi cela constituerait-il un « statut attractif » pour les tenants d’une charia de rigueur ?

Quant aux enclaves musulmanes dans les communes de France, analogues aux « mairies de quartier » à Paris, c’est assez cocasse tant les limites à l’autonomie sont immédiatement exposées : chacun pourra « librement » aller et venir, se faire soigner par qui il veut, boire de l’alcool et manger du cochon, se voiler ou pas sauf dans l’espace public… Autrement dit, c’est trop ou trop peu : ouvrir la boite de Pandore paraît plus dangereux qu’affirmer tranquillement mais avec fermeté la prééminence des lois de la République, tout comme les pays musulmans le font pour leur législation quand il s’agit d’étrangers. Promenez-vous torse nu en Arabie saoudite, en décolleté profond et cheveux libres en Iran, faites du nudisme en Egypte, buvez de la bière en public au Pakistan, shootez-vous en Indonésie ! Là, pas d’accommodements raisonnables : c’est l’arrestation immédiate et la prison, en attendant au mieux l’expulsion, au pire le croupissement durant des mois ou des années, parfois la peine de mort.

Les exemples de Grèce ou de Mayotte documentés par l’auteur sont intéressants mais il ne s’agit pas de la même chose. Les exceptions de statut personnel sont liées à la présence ancestrale d’une minorité de religion musulmane dans les siècles, pas d’une immigration de travail qui a fait souche et dont les descendants se radicalisent pour des raisons d’identité, dans une économie ralentie qui les intègre moins.

En fait, l’auteur semble batailler plus contre les islamo-gauchistes en tentant de les amadouer avec ses propositions mi-chèvre mi-chou qu’avec les islamistes radicaux (qui, disons-le tout net, n’en ont rien à foutre). Il serait soi-disant impossible de réprimer les actes musulmans sectaires « devant la bronca que provoquerait cette remise en question dans les milieux progressistes et bien-pensants : ils prétendraient encore, avec une évidente mauvaise foi, qu’on stigmatise les musulmans ! » p.86. Mais c’est confondre le cercle très étroit des intellos autour de Saint-Germain-des-Prés avec la France tout entière. Les actes sectaires sont condamnés par une Justice qui n’a que faire des zassociations de plus égaux que les autres, et par une opinion citoyenne qui se manifeste avec évidence dans les urnes : pourquoi les Insoumis récoltent-ils moins de votants que les Lepéniens, qui en recueillent eux-mêmes moins que les partis de gouvernement ? Le socialisme bobo a été balayé sans appel après Hollande. La mode des gentils islamistes est passée avec les massacres de civils et d’enfants par les beurs terroristes nés en France. La religion tue ; elle n’est pas une politique.

Je ne crois pas à une guerre civile en France mais, si cela devait être le cas, nous aurions vite une dictature nationaliste, donc la déchéance de nationalité et l’expulsion rapide des inassimilables qui ne seraient pas encore tombés sous les balles de l’armée. Car tout organisme attaqué se défend pour sa survie, le pays France comme un autre, à moins qu’il ne soit envahi par plus fort que lui.

Au total, ce petit livre polémique a le mérite de poser concrètement le problème des musulmans en France. L’islamisme radical est clairement incompatible avec la République et avec les valeurs européennes (et même occidentales). Mais la religion musulmane en tant que telle a sa place comme les autres si, comme les autres religions, elle cantonne sa foi dans la sphère privée. Au moment où le président va discourir sur le sujet, lire ce petit livre instruit sur le débat.

Christian de Moliner, Islamisme radical : comment sortir de l’impasse, 2019, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 196 pages, €19.00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Christian de Moliner sur l’islam, la France et la politique fiction, chroniqué sur ce blog :

« Un recueil drôle, enlevé et qui donne envie d’une chatte pour fusionner d’amour »

Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou

La chatte détective parisienne revient ! En trois nouvelles qui sont autant d’aventures. Sa maîtresse Agathe, attachée de presse du quartier littéraire de Saint-Germain-des-Prés, subit des avanies de la part d’auteurs novices qui se croient goncourables, d’anciens amants vexés qui veulent lui faire payer, ou de salonards qui ont peur de ne pas rentrer dans leurs frais bien plus gros que leur ventre.

Il s’agit toujours d’escroqueries, habilement résolues par la chatte Jasmine qui sait observer. Elle se présente en trois-couleurs aux yeux verts, ne parle pas mais s’exprime, écoute surtout sa maîtresse pipelette qui commente tout à Armelle, son amie d’immeuble. Parfois vigoureusement, d’un saut ou d’un coup de griffe ; parfois langoureusement, en miaulements modulés. Aucun mort cette fois-ci, contrairement au premier tome, Les enquêtes de Jasmine Catou, mais des intrigues psychologiques au quotidien d’une attachée. Le salon du Chat de Paris est un morceau d’humour tandis qu’un certain « Philippe » Pieters est reconnaissable aux initiés.

Le jeu des portraits occupe ceux qui connaissent et la chatte et sa maitresse dans leur environnement. « Emmanuel » est l’amant souvent au loin pour faire fortune, « Auguste » un blogueur mosaïque qui publie une chronique par jour et parfois au vitriol ou demande parfois des interviews aux auteurs, Isabelle de la « Volta » une attachée concurrente imbue de sa personne, PAVE (Pier-André von Eibers) une célébrité sulfureuse décatie par la vieillesse mais don juan en ses jeunes années…

Saint-Germain bruit d’intrigues, au grand dam de Jasmine qui n’aime rien tant que se lover sous la couette, tranquille chez elle avec sa « mère ». Le recueil est drôle, enlevé et donne envie d’une chatte pour fusionner d’amour.

Christian de Moliner, Le retour de Jasmine Catou, 2019, éditions du Val, 97 pages, €6.00 e-book Kindle €4.50

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Le premier tome Les enquêtes de Jasmine Catou est chroniqué sur ce blog sous le titre de Jasmine Catou détective

Une interview de l’auteur sur un auguste blog

Et Jasmine Catou la chatte a sa page Facebook !

Christian de Moliner interviewé sur son essai choc : la réserve des Français de souche

Après les Indiens d’Amérique, la réserve, avenir du Français de souche ?

Il y a quelques années, de jeunes militants Identitaires, en Bretagne mais aussi à Paris, apposaient des autocollants sur lesquels on pouvait voir des Indiens d’Amérique, le tout marqués d’un slogan « Pour ne pas finir comme eux ». La réserve, avenir du Français de souche, c’est d’ailleurs le titre du nouveau roman de Christian de Moliner, qui écrit parfois pour Breizh-info.

Voici la présentation du livre, édité par les Editions du Val et disponible ici

Une implacable guerre civile et religieuse menace notre pays tandis que les Français de souche, c’est-à-dire tous ceux qui, en dehors de toute origine et toute religion, acceptent la laïcité et assument les valeurs séculaires de la France, subissent une double offensive : les musulmans intégristes veulent leur imposer leur vision restrictive de la société alors que les racialistes les renvoient par idéologie au niveau de parias. Face à ce que certains ressentent comme d’intolérables agressions, l’exaspération monte et le risque est grand que ne se créent dans le futur des réserves pour Français extrémistes. Après avoir fait un panorama mondial des peuples submergés par l’immigration, de ceux qui ont dû changer de langue ou de religion, de ceux qui ont réagi, après fait le tour des innombrables conflits religieux ou ethniques qui secouent notre planète, l’auteur montrera que la différence induit le plus souvent des heurts intercommunautaires et que la mise en place de réserves est malheureusement un avenir possible, même s’il est glaçant. Il esquissera également quelques pistes pour que cette dystopie ne se réalise pas.

Nous nous sommes entretenus avec son auteur, ci-dessous :

Breizh info : Le titre que vous avez choisi pour votre essai interpelle.  Qu’est-ce qu’un Français de Souche pour vous ?

Christian de MOLINER  : « Français de Souche » ne signifie ni « blanc catholique, protestant ou juif » ni « descendant de Gaulois ». À mes yeux est « Français de Souche » quiconque accepte le roman national de notre pays, les quarante rois qui ont fait la France, les deux empereurs, les cinq Républiques, la culture de notre pays sans aucune exclusive et surtout se sent citoyen français avant d’être membre d’une communauté quelle qu’elle soit. La « race » n’a absolument rien à voir avec cette notion, c’est avant tout un état d’esprit. Un musulman qui place les lois actuelles avant les préceptes de sa religion, ou une personne dont les parents sont nés en Afrique noire peuvent, bien entendu, être considérés comme « Français de Souche » s’ils remplissent les critères que j’ai énoncés.

Breizh info : Le mot « réserve » est également très fort. Il fait penser aux Indiens d’Amérique.

Christian de MOLINER : Dans la première partie de mon essai, je fais le tour des pays envahis par des colons Européens ou Coréens. Je voulais décrire les mécanismes qui ont conduit des peuples à être dépossédés de leurs terres, aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Nouvelle Calédonie, au Japon, … À chaque fois, les indigènes ont été refoulés sur les terres les moins fertiles de leurs pays et on ne leur a laissé en moyenne que 10 % de leur ancien territoire, les fameuses réserves. Cependant, dans tous les pays démocratiques sans exception, on a assisté dans les années 1950-1960 à une prise de conscience chez les descendants de colons ; ces derniers ont alors essayé de réparer les torts infligés aux Autochtones.

Breizh info : Ne tombez-vous pas dans le traditionnel refrain propre à la Gauche : les méchants Blancs ont spolié de malheureux et pacifiques peuples indigènes ?

Christian de MOLINER : Certainement pas : je rappelle que les Amérindiens des USA et du Canada étaient esclavagistes, que les Espagnols se sont bien mieux comportés que leurs prédécesseurs Inca et Aztèques, que les Maoris de Nouvelle Zélande et les Aborigènes d’Australie menaient entre eux des guerres terribles et inhumaines : les vaincus étaient massacrés, réduits en esclavage voire dévorés rituellement. Les colons Britanniques se sont montrés bien moins cruels (et de loin !) que les indigènes des terres Australes. En outre, juger le comportement de nos ancêtres à l’aune de nos propres critères moraux est un non-sens total : jusqu’à la Première Guerre Mondiale, on jugeait normal (ou presque) qu’un pays plus fort impose sa loi à un État incapable de se défendre, prétendument pour le guider et l’aider. Par exemple, Victor Hugo, le chantre de la Gauche était un fervent adepte de la colonisation.  En outre, dans la longue histoire humaine, les Blancs sont avec les Romains les seuls envahisseurs à avoir accordé l’égalité civique aux peuples qu’ils ont subjugués.

Breizh Info : Vous évoquez des peuples confinés à un moment dans des réserves. Pour vous, la France serait-elle elle aussi envahie ?

Christian de MOLINER : Parler d’invasion n’est pas approprié, notre situation n’est pas comparable à celle des Amérindiens et je ne me lamente pas sur une hypothétique submersion migratoire. Dans mon essai, j’explique (et surtout je déplore !) que les « Français de Souche » (au sens non raciste que je donne au début de cette interview), se sentant agressés par les revendications grotesques des racialistes et celles séparatistes des communautaires islamiques risquent, par lassitude, d’éprouver le désir de se regrouper entre eux dans des « réserves » où ils voudront préserver « leur mode de vie ». Ce repli s’il se mettait en place serait à mon avis une catastrophe lourde de conséquences et il faut tout faire pour l’éviter.

Breizh Info : Que préconisez-vous pour éviter cette évolution que vous jugez néfaste ?

Christian de MOLINER : Il faut avant tout lutter contre les délires racisés et contre l’adoption systématique des normes islamiques dans notre société. Quand on ne sanctionne pas un rappeur qui propose de fracasser contre un mur le crâne des bébés Blancs, quand on n’entame pas de poursuites contre une syndicaliste étudiante qui suggère de gazer les Blancs, quand on ne fait pas la leçon aux camarades de Mila, qu’on ne leur explique pas que leur attitude est intolérable, quand on n’interdit pas des réunions excluant les « Blancs » on provoque chez les Français de Souche qui sont la grande majorité des habitants de ce pays un sentiment de rejet et on attise chez eux leur désir de sécession. Il faut être clair : certaines propositions venant des « racisés » ou des « racialistes » ainsi qu’une partie des injures adressées à Mila sont tout simplement racistes et il faut les dénoncer haut et fort. On ne doit jamais accepter le racisme ; on doit le combattre vigoureusement.

Breizh Info : Vous n’êtes pas un adepte du « Vivre ensemble » ?

Christian de MOLINER : Je dresse dans cet essai le panorama des guerres ethniques ou religieuses sur l’ensemble de la planète. Il est effrayant : sur 193 états reconnus par l’ONU, 27 ont moins de 500 000 habitants et la faiblesse de leur population fait qu’ils sont épargnés par le fléau de guerre civile. Imagine-t-on des problèmes intercommunautaires à Andorre ? Sur les 166 états reconnus par l’Onu et ayant plus d’un demi-million d’habitants 74 % ont connu depuis 1920 des conflits d’origine ethnique ou religieuse, faisant de nombreux morts. Les États où la cohabitation entre groupes différents se passe bien sont rares. Et souvent après des décennies de calme et d’harmonie intercommunautaire, un pays peut connaître une explosion subite de haine.

Breizh Info : Selon vous du fait du fractionnement de la France en communautés antagonistes, la guerre civile est-elle inévitable ?

Christian de MOLINER : Pas nécessairement : si l’appartenance à un peuple prime toute autre considération de religion, de couleur de peau ou de langue, la paix civile est assurée. Au seizième siècle, Protestants et Catholiques se sont livré des guerre féroces et cruelles. Trois siècles plus tard, la religion n’avait plus aucune importance !  Guizot qui était protestant a pu ainsi être Premier Ministre de Louis Phillipe. Hélas si « les Français de Souche » ne se reconnaissent pas dans l’image de la France que veut leur donner leur gouvernement, ils risquent d’éprouver s des sentiments séparatistes, une envie de se replier sur des zones qui leur seront réservées ; le pire sera alors certain. Le pouvoir a une lourde responsabilité sur les épaules : il doit réagir : par exemple, dissoudre la LNA serait un des moyens d’éviter la guerre civile.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

« Un recueil de nouvelles pétillant » pour Emile Cougut de Wukali

Le chat détective de Christian de Moliner : Jasmine Catou

 

A detective cat…

Le chat, cet animal domestique, indépendant, doté d’un fort caractère, ce félin parfois cruel mais si affectueux, cette boule de poils si rassurante.
Le chat, cet animal qui a inspiré bien des mythes (il suffit de penser à l’Égypte antique), bien des écrivains (une pensée pour Balzac), bien des contes et pas que pour enfant (ah, que de bons souvenirs sont liés au chat-botté et au marquis de Carabas), et aussi bien des auteurs de romans policiers. La liste est longue de tous ces romans policiers où un ou des chats jouent un rôle important, servent de guide à la résolution de l’énigme, de l’affaire. Les plus célèbres sûrement sont Koko et Yom Yom, les deux siamois de la série de Lilian Jackson Braun parue aux éditions 10/18.

Roman ou nouvelle et chat, autour d’une intrigue policière, c’est devenu une sorte de « marronnier » comme disent les journalistes. Qui dit « marronnier », dit difficulté d’attirer l’attention des lecteurs, dit nécessité d’avoir une certaine originalité pour « sortir du lot ». C’est certainement la première question qu’une personne devant faire un recensement critique se pose, et que je me pose.

Et Christian de Moliner réussit cette gageur. Il ne révolutionne pas le genre (mais je ne pense pas que l’on puisse le révolutionner), mais il signe un petit recueil de nouvelles (cinq en tout) très agréables à lire. Agathe, une jeune et belle attachée de presse, célibataire et amoureuse, vit dans son appartement parisien avec sa chatte nommée Jasmine Catou. Par cinq fois, cette dernière va sortir sa maîtresse de situations on ne peu plus périlleuses (comme un convive empoisonné dans un dîner). Jasmine Catou comprend très vite qui est le coupable, comment résoudre cette énigme, cette affaire, mais elle est limitée par le fait qu’elle ne puisse parler, d’où la nécessité de trouver des moyens de communication afin de se faire comprendre.

Ce recueil de nouvelles est « pétillant », remarquablement bien écrit. Il s’en dégage une sorte de douceur, de sensualité à l’image de son héroïne.

Émile Cougut


Jasmine Catou, détective
Christian de Molinier

Les éditions du val. 6€50

François Martini séduit par « Jasmine Catou détective »

Mystères et boule de poils.

Jasmine, chatte ingénieuse.



Dans un appartement parisien, une jeune chatte veille au bien-être de sa maîtresse, laquelle a bien des soucis futiles. Heureusement, la chatte sait résoudre toute énigme insoluble. C’est ainsi que Christian de Moliner s’amuse à imaginer les aventures détectives de la chatte de son agent littéraire, laquelle chatte n’est pas plus sociable que cela, et, perchée à l’abri des visiteurs, elle résout cinq énigmes amusantes.

Sans aucune prétention, ce court recueil ne vise à rien d’autre que divertir son lecteur, ou, je gage, ses lectrices, car c’est un univers féminin que la chatte explore mentalement.

Cinq mystères sont les sujets d’études de l’animal avisé ; tantôt chez Poe, tantôt chez Simenon, voire simplement un rébus, mais à chaque fois comme si la vie de sa maîtresse était en jeu ! Moliner se plaît à tout compliqué et tout dramatiser. Dans le seul but de nous soutirer quelque sourire. Il y parvient très bien.



François Martini

« Lettres Capitales » conquis par « Jasmine Catou détective » décide de faire une interview

LE BLOG LITTÉRAIRE DE DAN BURCEA

Interview. Christian De Moliner :

« J’ai Pris Un Chat, Car Un Félin Suscite Naturellement De L’empathie Chez Les Lecteurs »

Christian de Moliner publie « Jasmine Catou détective », un livre composé de cinq textes courts et savoureux qui tournent autour des aventures d’Agathe, agent littéraire trentenaire, et de son chat qui, grâce à ses dons extraordinaires, mérite de devenir, selon lui, tout aussi célèbre que Sherlock Holmes. En bon greffier de l’invraisemblable, l’auteur note le comportement pour le moins étonnant de cette « jolie chatte au poil soyeux et aux yeux verts » qui sauve à plusieurs reprises sa maîtresse des situations embarrassantes. Histoires vraies ou purs récits de fiction ? La frontière entre ces deux genres est traversée par tant d’événements riches en intrigues qui brouillent leurs pistes et font de ces brèves narrations de vrais canevas à la lisière du polar et du fantastique.

Quelle est l’origine de ce livre sur les aventures d’un félin détective ?

J’avais en tête un modèle inspiré de Sherlock Holmes donc des nouvelles et pas un roman, du moins dans un premier temps. J’ai essayé de prendre un thème original et l’idée m’est venue de choisir un détective animal, qui pense et qui écrit l’histoire en utilisant « je », tout en restant un félin. Elle ne peut pas parler, ne peut agir que comme un chat et a donc des difficultés à se faire comprendre quand elle a résolu l’énigme, ce qui est un des ressorts de mon livre.

Qui est Jasmine Catou et qui est Agathe sa maîtresse ?

Pour m’amuser, je me suis inspiré librement de mon attachée de presse Guilaine Depis et de sa magnifique chatte qui s’appelle bien Jasmine Catou. Guilaine m’avait mis au défi d’écrire un livre mettant en scène son félin.

Pourquoi vouloir présenter les cinq textes qui composent votre livre comme tout autant d’énigmes (mot prometteur) posés à Jasmine ?

J’ai cherché un mot qui définisse mes nouvelles. J’ai écarté enquête car dans mes histoires une seule nouvelle est vraiment une enquête policière. Comme l’une d’entre elles est la résolution d’un rébus, ce mot énigme m’est venu tout naturellement.

Fantômes, marabouts, rébus, pertes et morts inexpliquées, sont tout autant de sujets qui peuplent vos récits. Comment les avez-vous choisis ?

Je suis bien incapable de vous répondre ! Je me suis inspiré d’un repas chez Guilaine (où il ne s’est rien passé, je rassure les lecteurs !) pour la première histoire. Pour les autres elles sont apparues spontanément dans mon esprit, sans que je sache pourquoi et sans que je puisse leur attribuer une origine précise. Voilà la magie de l’inspiration littéraire.

Comment définiriez-vous le tandem Jasmine Catou – Agathe dans l’économie de votre livre ? Peut-on dire que c’est un couple idéal pour construire une intrigue de polar ?

Dans le couple Sherlock Holmes Watson, Watson sert de faire-valoir et explore les pistes possibles et les solutions éventuelles (toujours fausses !). Agathe réfléchit à haute voix (c’est pour cela qu’elle discute avec son amie, son amoureux ou ses invités) elle sert à faire avancer l’intrigue, mais le dernier mot revient toujours à Jasmine.

Jasmine occupe la position du narrateur omniscient. Peut-on dire que vous lui avez cédé symboliquement cette fonction ?

Bien sûr ! Cela m’a amusé que Jasmine soit la plus sagace du couple d’enquêteurs, mais qu’elle soit muette. J’ai pris un chat, car un félin suscite naturellement de l’empathie chez les lecteurs.

Entre Agathe et Jasmine Catou, il y a une vraie complicité, voire un lien d’affection. Comment Agathe vit-elle cette relation ?

Elle est folle de son chat ! C’est son enfant, sa fille, la prunelle de ses yeux. Et Jasmine adore aussi sa maîtresse qu’elle appelle toujours maman ou ma mère. C’est le cas de la vraie Jasmine Catou et de Guilaine Depis. Je n’ai eu qu’à reproduire leurs liens.

De façon plus générale, croyez-vous que la présence d’un animal de compagnie a un effet rassurant et bénéfique sur les gens, à l’exemple de ce couple de personnages que vous nous présentez dans ce livre ?

Je le pense en effet ! Comme je l’ai déjà dit j’ai cherché à susciter l’empathie du lecteur surtout que j’ai mis la photo de la vraie Jasmine qui est magnifique sur la couverture pour attendrir petits et grands.

Y aura-t-il une suite à ces merveilleuses aventures de Jasmine Catou détective ?

Oui j’ai déjà en tête une nouvelle histoire qui passera lors d’un concours de beauté pour « chattes ». Quand j’aurai fini les tâches littéraires auxquelles je me consacre actuellement je commencerai la rédaction de cette nouvelle. Ce nouveau volet n’est pas encore finalisé, je laisse donc mûrir dans mon inconscient afin qu’elle soit la plus percutante possible.

Interview réalisée par Dan Burcea

Christian de Moliner, « Jasmine Catou détective », Éditions du Val, 2019, 110 p.