« Accrochages » de Jean-Joseph Goux par Laurent Denay

L’Art en question

Dans son livre « Accrochages et conflits du visuel », Jean-Joseph Goux nous livre une réflexion sur l’évolution de l’art visuel depuis la fin du 19ème siècle.

La société contemporaine est abreuvée d’images ; elles nous environnent ; elles font désormais partie de notre quotidien.
L’image est devenue un objet de consommation comme un autre.
Nous en oublions de nous interroger sur son évolution ; l’évolution de sa signification et de son esthétique ; par conséquent, l’évolution de l’art visuel.

La définition que nous donnons au mot art a été bouleversée durant le siècle dernier. « Tout se passe comme si le siècle de la mort de dieu était celui du déchaînement de l’image » : JJ Goux.
Une transformation d’ordre technique mais aussi politique – le rôle prépondérant de l’image dans la cité moderne : D’un rôle de représentation du sacré l’image est devenue un moyen de pression sur les masses.

Depuis la Renaissance, nous vivons avec l’idée d’une « stabilité des valeurs éternelles » ; valeurs que l’Antiquité nous a léguées : le respect de l’optique réaliste et de la perspective. « le concordat platonicien entre la raison et l’image ».

Ces certitudes se sont fissurées avec l’apparition de la société industrielle et de ce qui en découle, l’art moderne. Pour JJ Goux, l’oeuvre de Chirico symbolise le trouble né de la modernité ; Apparition d’objets industriels dans un paysage classique. « Un deuil culturel ».

Un paradoxe relevé par JJ Goux :
Durant ces deux derniers siècles naquirent la photographie et le cinéma ; ces nouvelles techniques permettent une restitution « parfaite » de la réalité – « le super réalisme ». L’image devient industrielle et reproductible à l’infini ; elle perd ainsi sa dimension esthétique et sacrée. L’image réaliste est devenue un outil au service de la communication, donc du capitalisme – la publicité.« Il y a une coïncidence explosive entre le développement extraordinaire des techniques de L’image et la crise religieuse, Morale et politique du monde occidental qui est aussi un monde globalisé et fragilisé… »

La peinture, quant à elle, s’éloigna du réel avec l’impressionnisme et le symbolisme. Il y eut des précurseurs : Manet – Olympia – Gustave Moreau, Odilon Redon. Le monde onirique et allégorique de Gustave Moreau ; les fulgurances d’Odilon Redon ou celui-ci s’évade vers l’abstraction.
JJ Goux cite Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, un tableau est essentiellement une surface plane recouverte de couleur en un certain ordre assemblées », tiré de l’article « Définition du Néotraditionnisme » paru en 1890. Tout est dit : L’art s’est affranchi de la représentation du réel. Les nabis-les prophètes en hébreux, mouvement dont faisait partie Maurice Denis, à travers la couleur pure et l’harmonie rythmique prônent un art initiatique et sacré.
Le grand « initiateur » fut Gauguin : Séjournant à Pont Aven, il exposa ses théories à Serusier ; celui-ci rapporta à Paris une oeuvre révolutionnaire : « Le Talisman ».
Une étape cruciale.

Comme l’indique JJ Goux, à l’aube du 20ème siècle les artistes ont la volonté de revenir à un monde « pré grec » et préchrétien. « La puissance occulte du fétiche » théorisée par André Breton dans « l’art magique ».
La perte des valeurs, des repères traditionnels, l’angoisse de l’homme devant le monde industriel peuvent expliquer cette soif de spiritualité et ce besoin de transcender le réel par l’abstraction.
Malevitchcarré noir sur fond blanc, 1913.

L’art rejoint ainsi la pensée phénoménologue – notamment Hégélienne : il symbolise l’évolution de l’homme et de la société du 20ème ; il représente de manière allégorique les transformations idéologiques du monde moderne. Les théories fusent : le suprématisme de Malevitch, le néoplasticisme de Mondrian.

« Après l’effacement de la religion et de la morale à fondement transcendant l’activité artistique devait fournir enfin le grand modèle de l’action humaine désirable ».

Toutefois, de nouveaux artistes remettent en cause ces dogmes ; ils se servent pour cela de l’imposture et de la provocation : Duchamp, Klein et le nouveau réalisme.
Une remise en cause radicale de l’homme et de la société.
« C’est aussi le futile, le presque rien, l’insignifiant,
L’anodin, le négligé, l’inaperçu, le sans intérêt qui conviennent
Au regard d’une herméneutique dépréciative et démystifiante ».

L’hypothèse de JJ Goux est intéressante – le paradoxe évoqué au début du livre. Le capitalisme a sapé les fondements théoriques et éthiques de l’art. La suprématie des médias a entraîné la toute puissance de l’imagerie et de la simulation. Nous assistons ainsi à la séparation de l’art et de l’image. Une image banalisée et aseptisée.

L’image est banalisée.

L’histoire est faite de cycles succesifs. Nous nous trouvons – une possibilité – dans une impasse avant une nouvelle régénération ; une régénération qui naîtra des doutes actuels de l’art contemporain.

Laurent Denay

Patrick Poivre d’Arvor a aimé Accrochages !!!!!

« Accrochages : conflits du visuel », de Jean-Joseph Goux, a été évoqué dans l’émission « Place au Livre », sur LCI, par Patrick Poivre d’Arvor le samedi 14 juillet et le dimanche 15 juillet 2007

Et Elisabeth Couturier , qui a aussi remarqué « Accrochages » a voulu inviter Jean-Joseph Goux sur France Culture…… Hélas, il était déjà reparti aux Etats-Unis !

PROGRAMME PHILOSOPHIE 2007

Suite à mon courriel de détente d’hier, qui révélait les talents d’auteurs et plaçait sous les feux des projecteurs les personnalités si riches de deux inspiratrices de grands écrivains auxquelles la postérité fait très insuffisamment d’honneurs (Juliette Drouet et Lou Salomé), c’est de philosophie que traitera mon mailing du jour.

De philosophie, parmi la meilleure, la plus profonde, qui puisse nous être contemporaine : l’image et la parole, le visuel et le langage. C’est-à-dire qu’à eux deux ces ouvrages nourrissent l’ambition de nous enseigner le monde, de nous apprendre totalement la vie – des origines de l’humanité à ses mutations actuelles.

Ruez-vous sur « Accrochages », un livre d’exception signant le retour attendu de l’éminent philosophe Jean-Joseph Goux. Ce recueil d’articles (1989 – 2005) réussit le tour de force de dresser un panorama du visuel appréhendé dans son acception la plus globale (peinture, cinéma, photographie etc). En ce moment professeur à l’Université de Rice (USA), l’auteur de « Economie et symbolisme » (1973), « Les iconoclastes » (1978) et « Oedipe philosophe » (1990) nous offre ici un miracle de transversalité, embrassant tous les domaines intellectuels (histoire, politique…) dans tous les champs artistiques (le souci esthétique prime toujours) – et réciproquement. L’interrogation sur la représentation, les développements sur l’essence de l’image (illustrés par un cahier photos central) font de ce livre l’un des plus importants des éditions Des femmes en 2007. Clair et pédagogue, il est accessible à tous. Un choc, un éblouissement.

« Suivant différents angles d’attaque, mais reliés par le même fil conducteur théorique, les essais réunis ici ont pour but d’élucider les conflits du visuel qui ont traversé le siècle qui vient de s’écouler et se prolongent dans celui qui commence. La question de l’image dans sa dimension esthétique, mais aussi politique, philosophique, théologique, n’a cessé depuis longtemps de condenser une multitude d’enjeux souvent brûlants et conflictuels. Mais le siècle précédent a été, de ce point de vue, explosif. Secoué par l’art moderne avec ses défigurations cubistes et ses échappées non-figuratives, décontenancé par la psychanalyse avec ses forages dans la profondeur des images oniriques, bouleversé par la nouveauté des moyens mécaniques de saisie de l’apparence des choses et des êtres (photographie, cinéma), le siècle passé a connu la refonte complète de la visualité gréco-romaine et renaissante. En quelques décennies le régime visuel a basculé dans une nouvelle ère. » Jean-Joseph Goux

Aussi passionnant, mais peut-être plus spécialisé, « Le silence du nom et autres essais – Interprétation et pensée juive » d’Esther Cohen, disponible depuis un mois en librairie, est traduit de l’espagnol par Anne Picard pour les éditions Des femmes. Catherine Chalier, un autre des auteurs favoris de la maison, le préface. L’audacieuse originalité faisant la force de cet ensemble d’essais est de mettre en situation de dialogue philosophie et Kabbale. De construire des systèmes de pensée se définissant par rapport au Livre mais également susceptibles de s’en émanciper. Généreux en références à Levinas, Benjamin et Derrida, ce livre regroupe notamment trois études de « La Parole sans fin » : « Le territoire de la parole écrite », « Le labyrinthe » et « La sexualité dans la Kabbale ». La thèse maîtresse soutenue et démontrée dans cet opus est l’analyse de l’expérience de la lecture à partir du corps, observée à l’éclairage de la sexualité.

« L’essence du langage, écrit Levinas, est amitié et hospitalité. Et dans cette “maison” où habite l’homme, le nom propre est l’espace où la générosité du langage manifeste sa plus grande capacité d’accueil. C’est parce que nous sommes les hôtes du nom, humbles invités dans la maison du temps, que par la noblesse de la parole nous pouvons vivre notre vie. Le nom propre est notre première demeure dans le monde des hommes, le refuge vers lequel nous pousse le ventre maternel. En lui, et sans même en avoir conscience, nous survivons à l’arrachement originaire : en lui nous habitons le monde. » Esther Cohen, philologue et docteur en philosophie

Pour finir, je vous souhaite le dimanche… dont vous rêvez !

« Accrochages, conflits du visuel » de Jean-Joseph Goux

Accrochages. Conflits du visuel
Jean-Joseph Goux

Office 16/05/2007

Accrochages est un recueil d’articles écrits entre 1989 et 2005. Suivant différents angles d’attaque, mais reliés par le même fil conducteur théorique, ils ont tous pour but d’élucider les conflits du visuel qui ont traversé le siècle qui vient de s’écouler et se prolonge dans celui qui commence. Y est abordée la question de l’image dans sa dimension esthétique, mais aussi politique, philosophique, théologique. L’image au XXe siècle, un siècle explosif : secoué par l’art moderne avec ses défigurations cubistes et ses échappées non-figuratives, décontenancé par la psychanalyse avec ses forages dans la profondeur des images oniriques, bouleversé par la nouveauté des moyens mécaniques de saisie de l’apparence des choses et des êtres (photographie, cinéma), le siècle passé a connu la refonte complète de la visualité gréco-romaine et renaissante. Ces articles s’attachent tous à montrer comment, en quelques décennies, le régime visuel a basculé dans une nouvelle ère.

Jean-Joseph Goux est philosophe et professeur à l’université de Rice (USA). Il a été directeur de programme au Collège International de Philosophie et professeur associé à l’École des Hautes Études en sciences sociales. Il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Économie et symbolisme (1973), Les iconoclastes (1978), et Œdipe philosophe (1990). Entre philosophie, économie, psychanalyse et esthétique (littérature et arts plastiques), son travail trace le champ d’une « économie symbolique ».

« L’envol des femmes » de Colette Deblé, textes de Jean-Joseph Goux

L’Envol des femmes

Colette Deblé

Monographie

Textes de Jean-Joseph Goux

Office 23 mars 2006

« Par le lavis, le dessin et la peinture, Colette Deblé poursuit son approche de la femme dans l’art, telle qu’elle est représentée par les hommes depuis la préhistoire à nos jours. Par sa démarche iconoclaste nommée « citation picturale », elle contemple son image allégorique ou historique, des saintes aux mères, des héroïnes aux martyres. Elle en analyse les postures, en rompt les contours traditionnels pour mieux la posséder, lui insuffler une vie qui passe par sa propre main. Son œuvre exprime le bonheur de recréer la femme auparavant livrée au regard masculin. C’est son invitation « visible » au dialogue. »Jean-Luc Chalumeau,
Le Nouvel Observateur (07/11/2002)

« De quel aventureux sanctuaire sont détachées ces idoles légères, ces profils précieux échappés des murailles de la crypte, et qui vont vers là-bas, vers les plafonds célestes, vers là-bas dans la direction des colonnes dressées et des nuées blanches ?
La peinture souffle où elle veut. Il y a simplement cet arrachement du sol antique, ce décollement des assises et des soubassements vers des cîmes invisibles. (…)
La femme : déesse d’un envol religieux sans site ni croyance, pur élancement allègre qui allège le corps de son volume de douleur pour en silhouetter la beauté visible sur un fond d’air et de vent. Femme offerte au souffle ascensionnel qui la transporte, l’envoie en l’air, la prend vers le zénith, l’emmène dans l’espace hors-tableau qui déroule la limite. Infini : verticalité de messager des voûtes. (…)
Colette Deblé offre par un geste obscur de prêtresse, l’esquisse d’une architecture, pour y disposer ses encres ».

Jean-Joseph Goux,
Juillet 1997

« A-t-on jamais tenté d’explorer par les seuls moyens plastiques l’histoire de l’art ou l’un de ses aspects, comme le font l’historien ou l’essayiste à l’aide de l’écriture ?
Mon projet est de tenter, à travers une infinité de dessins, de reprendre les diverses représentations de la femme depuis la préhistoire jusqu’à nos jours afin de réaliser une analyse visuelle des diverses postures, situations, mises en scène.
La citation picturale ne saurait être une citation littérale comme est la citation littéraire parce qu’elle passe par la main et la manière du citateur. D’où un léger tremblé doublement allusif de l’œuvre citée et citateur.
Mon projet explore ce « tremblé » parce qu’il suppose un exercice extrêmement long de la citation vers son usure et sa fatigue.
En fait, poursuivant ce travail jour après jour, c’est une sorte de journal intime quotidien à travers l’histoire de l’art que je poursuis ».

Colette Deblé

Colette Deblé est née en 1944. Mère de deux enfants, elle vit et travaille à Paris et dans l’Aisne.
Elle peint et dessine depuis son enfance. Après avoir passé le concours des Beaux-Arts de Paris, elle renonce à en suivre les cours pour gagner sa vie comme maquettiste. Elle commence à exposer en 1976, à 32 ans.
Elle expose en France et dans de nombreux pays européens.
Quelques-uns de ses dessins ont été publiés accompagnés de textes de Guillevic, Jacques Derrida, Jean-Joseph Goult, Gilbert Lascaux, Jacques Henric, Jean-Pierre Verheggen…

Jean-Joseph Goux est philosophe, Professeur à l’université de Rice (USA), au département d’études françaises. Il a été directeur de programme au Collège international de Philosophie et professeur associé à l’Ecole des Hautes-Etudes en Sciences Sociales.
Son travail s’articule entre économie, philosophie, psychanalyse et esthétique.
Il a notamment publié Economie et symbolique (Le Seuil, 1973), Les Iconoclastes (Le Seuil, 1978), Les monnayeurs du langage (Galilée, 1984), Œdipe philosophe (Aubier, 1990), Colette Deblé : défloraisons ( ouvrage collectif, 1992, La Différence), Femmes dessinées (en collaboration avec Colette Deblé, 1994, Dumerchez), Frivolité de la valeur (Blusson, 2000).